2]Discipline
© Pour la Science - n° 374 - Décembre 2008
E
ntonnez le chant des partisans ou
l’hymne national français avec l’ac-
compagnement instrumental idoine,
et vous entendrez nombre d’accords
majeurs qui vous feront vibrer. Dans La
Marseillaise, par exemple, les notes chan-
tées sur la seconde syllabe de «patrie»,
dans le premier vers, sont les trois notes
d’un accord majeur. Pensez maintenant à
un chant mélancolique, contemplatif, et il
est fort probable que l’humeur y soit défi-
nie par des accords mineurs. Ainsi, dans
la chanson Les feuilles mortes interprétée par
Yves Montand, les notes associées aux
syllabes soulignées «Toi, tu m’aimais» for-
ment un accord mineur.
Depuis longtemps, les théoriciens de la
musique sont conscients de ces résonances
émotionnelles différentes des accords
majeurs et mineurs. Dès 1722, le composi-
teur français Jean-Philippe Rameau écri-
vait, dans son Traité de l’harmonie réduite à
ses principes naturels – un important ouvrage
sur l’harmonie : « Le mode majeur […]
convient aux chants d’allégresse et de
réjouissance», parfois «aux tempêtes, aux
furies et autres sujets de cette espèce», et
parfois «aux chants tendres et gais» ou pour
évoquer «le grand et le magnifique». Le
mode mineur, en revanche, «convient à la
douceur et à la tendresse; […] aux plaintes;
[…] aux chants lugubres».
La distinction majeur/mineur est
entrée dans la musique occidentale à la
Renaissance, lorsque les compositeurs se
sont éloignés des mélodies monopho-
niques et des harmonies à deux notes
utilisées par exemple dans les chants
grégoriens, et ont adopté l’harmonie fon-
dée sur les accords de trois notes, ou
triades. Les compositeurs ont découvert
que l’harmonie des triades leur permet-
tait d’évoquer une gamme plus étendue
d’émotions. C’est pour cela qu’à l’oreille
moderne, habituée aux accords, les mélo-
dies grégoriennes sonnent curieusement
monotones et sans relief émotionnel.
Aujourd’hui, les accords majeurs et
mineurs restent essentiels dans la musique
occidentale, ainsi que dans les traditions
non occidentales qui n’utilisent pas de
triade, mais où, souvent, de courtes
séquences mélodiques suggèrent les
modes majeur et mineur. Pourtant, leur
effet psychologique reste inexpliqué. Cette
question est même devenue embarrassante
pour les théoriciens. Par exemple, dans un
ouvrage sur la psychologie de la musique
publié en 2005, le psychologue britannique
John Sloboda cite les travaux indiquant
que les modes majeur et mineur déclen-
chent, dès l’âge de trois ans, des émo-
tions positives et négatives, mais omet
de discuter ce fait remarquable. Et en 2006,
dans un livre sur le même thème, le musi-
cologue américain David Huron relègue
la question dans une note.
La plupart des théoriciens sont convain-
cus que l’association entre les tonalités
majeures et les émotions positives d’une
part, et entre les tonalités mineures et les
émotions négatives d’autre part, est acquise:
il s’agit pour eux d’un «idiome occidental»
qu’il est inutile d’expliquer, de la même
manière qu’il serait vain d’expliquer les
conventions de l’orthographe ou de la gram-
maire. Nous sommes d’un autre avis. Nous
Pour susciter tension, soulagement, joie ou mélancolie,
un accord de trois notes suffit. Pourquoi sommes-nous
si sensibles à l’harmonie musicale? L’analyse
des différents facteurs d’émotion dans un accord
suggère une explication... biologique.
Psycho-acoustique
Norman Cook et Takefumi Hayashi
Discipline (sous-thème)
LLEESSSSEENNTTIIEELL
FFoonnddééee ssuurr llééttuuddee
ddee llaa ccoonnssoonnaannccee
ddeess iinntteerrvvaalllleess,, llaa tthhééoorriiee
ccllaassssiiqquuee ddee llhhaarrmmoonniiee
mmuussiiccaallee n
neexxpplliiqquuee ppaass
ppoouurrqquuooii llee mmooddee mmaajjeeuurr
éévvooqquuee llaa ffoorrccee eett llaa jjooiiee,,
ttaannddiiss qquuee llee mmooddee mmiinneeuurr
eesstt aassssoocciiéé àà llaa mmééllaannccoolliiee..
LLaa ddiissttiinnccttiioonn
aaccoouussttiiqquuee eennttrree cceess ddeeuuxx
mmooddeess aappppaarraaîîtt lloorrssqquuee
lloonn ééttuuddiiee nnoonn pplluuss
sseeuulleemmeenntt lleess
iinntteerrvvaalllleess,,
mmaaiiss lleeuurr rraappppoorrtt ddaannss
lleess aaccccoorrddss eett lleeffffeett
ddee ccee rraappppoorrtt ssuurr lléémmoottiioonn..
OOnn oobbsseerrvvee aalloorrss
qquuee lleess mmooddeess mmaajjeeuurr
eett mmiinneeuurr ssaappppaarreenntteenntt
aauuxx vvooccaalliissaattiioonnss
ddeess aanniimmaauuxx..
harmonie musicale
De l’
© Pour la Science - n° 374 - Décembre 2008
Discipline [3
pensons que les différentes réponses émo-
tionnelles aux accords majeurs et mineurs
ont une base biologique. Mais avant de nous
aventurer sur un territoire aussi contro-
versé, nous répondrons à une question
simple: pourquoi certains accords ont-ils
une résonance stable et résolue, et procu-
rent-ils un sentiment de complétude musi-
cale, tandis que d’autres accords nous
laissent en suspens, dans l’attente d’une
résolution quelconque?
La recherche en psychophysique a
apporté une partie de la réponse. Il y a plus
d’un siècle, Hermann Helmholtz a identi-
fié la base acoustique de la dissonance musi-
cale. Cependant, une triade ne se résume
pas à sa dissonance ou à sa consonance;
certains accords consonants n’en sont pas
moins perçus comme non-résolus. Nous
avons donc développé un modèle acous-
tique de la perception de l’harmonie en
termes de position relative des trois notes.
En particulier, nous avons identifié deux
qualités – que nous nommons la tension
et la valence –, qui, ensemble, expliquent
la perception de «stabilité» et en quoi les
accords majeurs diffèrent des accords
mineurs sur le plan acoustique. À partir de
ce modèle, nous émettrons des hypothèses
sur les raisons de leurs connotations émo-
tionnelles différentes.
L’harmonie dépend...
des harmoniques
L’explication scientifique de la musique
est fondée sur la structure ondulatoire des
sons: chaque son est une onde sonore ou
une combinaison de plusieurs ondes.
Même une note isolée est plus complexe
qu’il n’y paraît, car le son principal y est
accompagné d’autres sons ténus et plus
aigus, les harmoniques. Inconnue des théo-
riciens de la Renaissance, cette propriété
physique de la musique s’étudie aujour-
d’hui facilement à l’aide d’un ordinateur
portable et d’un logiciel approprié. Les
harmoniques sont responsables de bon
nombre des phénomènes les plus subtils
de l’harmonie musicale.
Au son principal d’une note isolée
correspond une onde sonore sinusoïdale,
caractérisée par sa fréquence, la fréquence
fondamentale F0, exprimée en hertz (voir
la figure 1). Plusieurs harmoniques F1, F2,
F3, etc., sont associées à F0. Il s’agit d’ondes
sonores dont la fréquence de vibration est
un multiple de la fréquence fondamentale.
Par exemple, si F0 est le Do médium (261
à lémotion
4]Discipline
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hertz), alors F1 vaut 522 hertz (deux fois
F0), F2 vaut 783 hertz (trois fois F0), etc.
Tout son musical (autre qu’une onde sinu-
soïdale pure) sera nécessairement une com-
binaison de ces harmoniques. Le nombre
et la force de ces harmoniques donnent à
chaque note son timbre unique et font
que le Do médium, par exemple, sonnera
différemment au piano et au saxophone.
En général, les harmoniques sont de plus
en plus faibles et peuvent finalement être
ignorées, mais au moins les cinq ou six pre-
mières influent sur notre perception.
L’histoire des harmoniques serait
simple si toutes les harmoniques étaient
séparées par des octaves (écart entre deux
Do consécutifs, par exemple), mais ce n’est
pas le cas, car l’échelle de la perception des
sons est logarithmique: bien que la pre-
mière harmonique se situe une octave plus
haut que la fréquence fondamentale, les
multiples suivants de F0 correspondent à
des intervalles de plus en plus petits. Par
conséquent, si la fréquence fondamentale
est le Do médium, alors F1 est une octave
au dessus du Do médium (Do’), tandis que
l’harmonique suivante, F2, est entre une et
deux octaves au dessus de Do médium,
parce que sa fréquence n’est que 3/2 de F1.
Dans la musique occidentale, ce son est
appelé Sol’. Ainsi, le Do médium sur un
piano comporte un mélange des sons Do,
Do’, Sol’, Do’’, Mi’’, etc.
Comme les notes isolées, les intervalles
entre deux notes sont définis par leurs sons
fondamentaux. Mais lorsqu’un pianiste
joue deux notes sur le clavier, c’est tout un
assortiment d’harmoniques qui entrent
dans les oreilles de l’auditeur (voir la
figure 1b).Plusieurs générations d’expéri-
mentalistes, à commencer par Helmholtz
en 1877, ont étudié la perception de la conso-
nance ou de la dissonance de différents
intervalles. Ils ont observé que les auditeurs
ordinaires entendent une sonorité «déplai-
sante», «grinçante» ou «instable» chaque
fois que deux notes sont séparées par un
ou deux demi-tons. (Un demi-ton est l’in-
tervalle qui sépare deux touches adjacentes,
blanches ou noires, sur le clavier.) De
plus, deux notes séparées de 11 demi-tons
sont aussi dissonantes, en dépit de leur éloi-
gnement sur le clavier, et un intervalle de
6 demi-tons est perçu comme légèrement
dissonant (voir la figure 2a).
En 1965, les psychologues Reinier
Plomp et Willem Levelt ont expliqué la per-
ception expérimentale de la dissonance
en représentant la dissonance entre deux
ondes sinusoïdales pures par une courbe
théorique fondée sur des données psy-
chophysiques (voir la figure 2b) : ils ont
demandé à plusieurs personnes d’écouter
divers intervalles – la plupart non musi-
caux, simplement définis par les fréquences
des sons – et d’évaluer leur consonance
ou leur dissonance sur une échelle arbi-
traire de 1 à 10. Puis ils ont compilé les résul-
tats obtenus en une courbe mathématique
approchée. Cette courbe traduit le fait que
les petits intervalles (environ un demi-ton)
sont les plus dissonants, tandis que les
très petits intervalles (1/10ede demi-ton)
ou les intervalles plus grands (supérieurs
à trois demi-tons) sont plutôt consonants.
La courbe de R. Plomp et W. Levelt n’ex-
plique pas la dissonance de grands inter-
valles tels que ceux de 6 ou 11 demi-tons.
Néanmoins, lorsque les deux psychologues
ont ajouté un nombre de plus en plus grand
d’harmoniques, la courbe de dissonance
obtenue s’est approchée de plus en plus de
la courbe empirique (voir la figure 2c): elle
prédit de petites diminutions de la disso-
nance au niveau – ou à proximité – des inter-
valles supérieurs ou égaux à 3 demi-tons
des gammes diatoniques, soit 3, 4, 5, 7, 9
et 12 demi-tons. (Les gammes diatoniques
sont les gammes de sept notes séparées
de tons et de demi-tons utilisées en musique
classique, telle Do Ré Mi Fa Sol La Si.)
Cette correspondance entre les minima
de dissonance et les notes de la plupart
des gammes musicales les plus communes
signifie que l’espacement entre les notes des
gammes n’est pas une invention arbitraire.
Au contraire, il est la conséquence de la
manière dont le système auditif humain
fonctionne, et il n’est pas surprenant que les
mêmes intervalles soient utilisés par diffé-
rentes cultures musicales dans le monde.
Amplitude
F0 F1 F2 F3 F4 F5F6
Note 1 :
F0 F1 F2 F3 F4 F5F6
Note 2 :
Do Fa Do’ SolFa DoMi’’Fa’’Sol’’La’’ Do’’’Ré’’’
Taille de l’intervalle (en demi-tons)
0123456789101112
Dissonance
Dissonance
Taille de l’intervalle (en demi-tons)
0123456789101112
Taille de l’intervalle (en demi-tons)
012 3 4 56789101112
Dissonance
1. DANS UNE NOTE, chaque son – le son fondamental et les harmoniques – peut être repré-
senté par une onde sinusoïdale, caractérisée par une fréquence qui croît avec le degré de l’har-
monique (a). Les harmoniques (F1, F2, etc.) influencent notre perception de la note (de fréquence
fondamentale F0). Lorsque deux notes (Do en rouge, Fa en bleu) sont jouées ensemble, les har-
moniques interagissent, ce qui modifie notre perception (b). L’intensité relative des notes (cercles
pleins) et des harmoniques (cercles vides) est représentée par les barres d’amplitude.
2. CERTAINS INTERVALLES MUSICAUX nous
paraissent dissonants, d’autres consonants (a).
En 1965, R. Plomp et W. Levelt ont montré que
notre perception du degré de dissonance dépend
des harmoniques: sans harmonique, seuls les
intervalles petits (environ un demi-ton) sont
perçus comme dissonants (b), tandis qu’avec
les harmoniques, d’autres régions de disso-
nance apparaissent (c, chaque couleur cor-
respond à une harmonique ajoutée). Plus on
rajoute d’harmoniques (c, en vert), plus la courbe
se rapproche de celle obtenue avec des notes
réelles (a).
ab
a
b
c
F0
F1
F2
F3
F4
Discipline [5
Certaines combinaisons de notes sont moins
dissonantes, et la musique construite avec
ces intervalles moins dissonants est plus
plaisante à l’oreille humaine. Évidemment,
l’écriture d’une «musique plaisante» ne
saurait se réduire à éviter les dissonances.
De fait, certaines traditions ou styles musi-
caux peuvent encourager celles-ci. Néan-
moins, la quantité de consonance ou de
dissonance utilisée reste un facteur impor-
tant pour comprendre comment la musique
est perçue.
La dissonance
dans les triades
Rajoutons maintenant une ou deux notes:
quel est le rôle des harmoniques dans la
perception des triades, des tétrades, ou d’ac-
cords plus complexes? Dans une triade
(comme dans un intervalle de deux notes),
les sons les plus perceptibles sont généra-
lement ceux des fréquences fondamentales,
c’est-à-dire les trois notes écrites dans la
partition. Plus faibles, les harmoniques don-
nent à l’accord une richesse, sa «sono-
rité» globale. En de rares occasions – par
exemple dans les quatuors a capella –, elles
se renforcent mutuellement à tel point
qu’elles deviennent aussi fortes que les fon-
damentales, créant l’illusion très recher-
chée d’une «cinquième voix».
Comme la perception des intervalles,
celle des accords est influencée par les har-
moniques. Pour cerner leur rôle dans l’har-
monie des triades, commençons par préciser
celui des fréquences fondamentales. Pour
cela, nous représentons les trois notes sur
une «grille triadique», où les tailles des inter-
valles inférieur et supérieur sont représen-
tées respectivement sur les axes vertical et
horizontal (voir la figure 3a). Par exemple,
un accord majeur «fondamental», tel que
Do-Mi-Sol (les trois notes précédent une
annonce à l’aéroport), possède un intervalle
Intervalle supérieur (en demi-tons)
01234 567
0
2
3
4
5
6
7
5–3
4–3
3–4
Mineur
(deuxième renversement)
Majeur (fondamental)
Mineur (fondamental)
5–4
4–5
3–5
Majeur (deuxième renversement)
Mineur (premier renversement)
Majeur (premier renversement)
mM
M
mM
m
Intervalle inférieur (en demi-tons)
1
0123456789
10 11 12 13
Intervalle supérieur
Sans harmonique
Avec une harmonique
Avec deux harmoniques
0123456789
10 11 12 13
Intervalle supérieur
0123456789
10 11 12 13
Intervalle supérieur
Intervalle inférieur
13
12
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0
Intervalle inférieur
13
12
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0
Intervalle inférieur
13
12
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0
Dissonance
Intervalle supérieur
Intervalle inférieur
Dissonance
Intervalle supérieur
Intervalle inférieur
Dissonance
Intervalle supérieur
Intervalle inférieur
Vallée
de consonance
S
SS
S
S
S
M
M
M
M
M
M
A
A
dd
dd
dd
m
m
m
m
m
m
S
SS
S
S
S
M
M
M
M
M
M
A
A
dd
d
d
dd
m
m
m
m
m
m
S
SS
S
S
S
M
M
M
M
M
M
A
A
dd
d
d
dd
m
m
m
m
m
m
3. TOUTE TRIADE – par exemple les accords fon-
damentaux majeur (en rouge) et mineur (en vio-
let) et leurs renversements – peut être
représentée par un point sur une grille d’abs-
cisse l’intervalle inférieur et d’ordonnée l’inter-
valle supérieur (a). Sur cette grille, la dissonance
totale d’une triade, somme des dissonances de
chaque intervalle, est une surface tridimen-
sionnelle (b, d, où le bleu et le rouge indiquent
respectivement les faibles et fortes dissonances).
Plus on ajoute d’harmoniques (c, d) et plus la
surface se subdivise. Tous les types d’accords
importants sont rassemblés dans des zones de
relative consonance (M signifie majeur ; m mineur;
A augmenté ; d diminué ; et S quarte suspendue).
a
b
c
d
6]Discipline
© Pour la Science - n° 374 - Décembre 2008
bas de quatre demi-tons et un intervalle
haut de trois demi-tons (position 4-3 sur la
grille). Tout autre triade de la musique occi-
dentale peut être spécifiée par sa localisa-
tion sur la grille triadique. D’autres cultures
musicales utilisent des gammes différentes
et, par conséquent, des accords parfois loca-
lisés dans les trous de cette grille (par
exemple, les musiques arabe ou turque s’ap-
puient sur une gamme de 24 sons par octave,
contre 12 seulement pour la musique occi-
dentale, et possèdent donc une plus grande
variété d’harmonies possibles).
La Figure 3a montre divers renverse-
ments des triades majeures et mineures,
dans lesquels une ou deux notes sont mon-
tées d’une octave. Les six types d’accord
représentés fournissent le cadre harmonique
de presque toute la musique occidentale
classique et populaire. Les autres localisa-
tions sur la grille triadique incluent de nom-
breux autres accords d’utilité et de beauté
variables, ainsi que certains accords qui sont
évités dans la plupart des types de musique.
Grâce à cette grille, nous allons pouvoir étu-
dier la façon dont l’ajout d’harmoniques
modifie l’harmonie des triades et répondre
à notre première question: pourquoi cer-
taines triades nous paraissent plus ou moins
stables, et comment expliquer les émotions
positives ou négatives suscitées par les
accords majeurs et mineurs?
Pour visualiser la dissonance totale
d’une triade, nous avons étendu la courbe
de R. Plomp et W. Levelt à la grille tria-
dique. La courbe était construite pour un
seul intervalle; nous avons additionné, dans
la grille, les deux courbes de R. Plomp et
W. Levelt correspondant l’une à la disso-
nance de l’intervalle inférieur, l’autre à celle
de l’intervalle supérieur. Nous obtenons
ainsi la dissonance totale sous la forme
d’une surface tridimensionnelle, dont les
axes sont respectivement les deux inter-
valles et l’intensité de la dissonance (voir
la figure 3b).On y distingue deux bandes
de dissonance, qui correspondent aux
triades contenant un intervalle de un ou
deux demi-tons, constituées d’un pic abrupt
(lorsque les deux intervalles sont d’un demi-
ton), et de deux arêtes élevées (lorsque l’un
des intervalles est inférieur à deux demi-
tons). Le reste de la grille triadique est
une vallée de consonance – et c’est là que
se situent toutes les triades courantes.
Lorsque nous ajoutons une série d’har-
moniques au calcul de la dissonance totale,
la «vallée de consonance» se sépare en
deux (voir la figure 3c). À mesure que nous
ajoutons des harmoniques, la structure
fine de la grille se complique, sans que sa
configuration générale change (voir la
figure 3d): des régions de forte dissonance
(lorsque l’un des deux intervalles est petit)
côtoient des étendues de consonance rela-
tivement forte (là où se situent toutes les
triades courantes).
Fondée sur l’étude de la seule disso-
nance totale, cette grille est insuffisante en
l’état pour fournir une explication globale
de l’harmonie, car elle suppose que toutes
les triades courantes ont à peu près la même
sonorité. Or, sur le plan perceptif, ce n’est
pas le cas: les accords majeurs et mineurs
sont généralement décrits comme stables,
fermes et résolus ; d’autres accords de
trois notes, même ceux qui ne contiennent
pas d’intervalle de un ou deux demi-tons,
A
AB C
C
B
–1,0 0,0 1,0
Tension
Différence entre les intervalles
(intervalle 2 – intervalle 1)
Vers une tonali
majeure
Vers une tonali
mineure
Augmenté (44)
Intervalle 1 Intervalle 2
Mineur (34) Majeur (43)
Intervalle1 Intervalle 2 Intervalle 1 Intervalle 2
213
SS
S
S
S
S
A
A
d
d
d
d
d
d
Tension
Intervalle supérieur
Intervalle inférieur
012345678910111213
13
11
9
7
5
3
1
S
S
A
d
d
d
S
S
S
A
A
A
d
d
d
dd
d
d
d
d
Tension
Intervalle supérieur
Intervalle inférieur
012345678910111213
13
11
9
7
5
3
1
S
S
S
S
SS
S
SS
S
S
S
S
A
A
d
d
d
d
d
d
12 13
Intervalle inférieur
13
12
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0012345678910111213
Intervalle supérieur
SS
S
S
S
S
A
A
d
d
d
d
d
d
m
m
m
m
m
m
M
M
M
M
M
M
m
m
m
m
m
m
M
M
M
M
M
M
Tension
Intervalle supérieur
Intervalle inférieur
012345678910111213
13
11
9
7
5
3
1
4. LES TRIADES dont les intervalles sont égaux,
par exemple l’accord augmenté B, créent une ten-
sion chez l’auditeur, lequel attend une résolution
vers un accord plus stable. Cette résolution s’ob-
tient en modifiant un des intervalles d’un demi-
ton, ce qui conduit soit à un accord mineur (A),
soit à un accord majeur (C). Comme la dissonance,
la tension d’une triade peut être représentée en
fonction de ses intervalles (a) et reportée sur la
grille triadique (b-d). En absence d’harmoniques,
la tension théorique des triades est forte sur la
diagonale (b, en rouge), ce qui explique le carac-
tère irrésolu de certains accords augmentés (A),
diminués (d) ou de quarte suspendue (S). Avec
la première harmonique, d’autres lignes de ten-
sion apparaissent, expliquant la tension d’autres
accords S et d (b). Avec deux harmoniques, la
«carte» se complique encore, mais les accords
majeurs (M) et mineurs (m) sont toujours dans
des régions de basse tension (c).
a
bc
d
Sans harmonique Avec une harmonique
Avec deux harmoniques
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