46]Psycho-acoustique
© Pour la Science - n° 391 - Mai 2010
sinusoïdale pure) sera nécessairement
une combinaison de ces harmoniques.
Le nombre et la force de ces harmoniques
donnent à chaque note son timbre unique
et font que le do médium, par exemple,
sonnera différemment au piano et au
saxophone. En général, les harmoniques
sont de plus en plus faibles et peuvent
finalement être ignorées, mais les cinq
ou six premières – au moins – influent
sur notre perception.
L’histoire des harmoniques serait
simple si toutes les harmoniques étaient
séparées par des octaves (écart entre deux
do consécutifs, par exemple), mais ce n’est
pas le cas, car l’échelle de la perception des
sons est logarithmique: bien que la pre-
mière harmonique se situe une octave plus
haut que la fréquence fondamentale, les
multiples suivants de F0 correspondent à
des intervalles de plus en plus petits. Par
conséquent, si la fréquence fondamentale
est le do médium, alors F1 est une octave
au-dessus du do médium (do’), tandis que
l’harmonique suivante, F2, est entre une et
deux octaves au-dessus de do médium,
parce que sa fréquence n’est que 3/2 de F1.
Dans la musique occidentale, ce son est
lesol’. Ainsi, le do médium sur un piano
comporte un mélange des sons do, do’,
sol’, do’’, mi’’, etc. (voir la figure1).
Comme les notes isolées, les intervalles
entre deux notes sont définis par leurs sons
fondamentaux. Mais lorsqu’un pianiste
joue deux notes sur le clavier, c’est tout un
assortiment d’harmoniques qui atteignent
les oreilles de l’auditeur (voir la figure 1b).
Plusieurs générations d’expérimentateurs,
à commencer par Helmholtz en 1877, ont
étudié la perception de la consonance ou
de la dissonance de différents intervalles.
Ils ont observé que les auditeurs ordinaires
entendent une sonorité «déplaisante »,
«grinçante » ou «instable» chaque fois que
deux notes sont séparées par un ou deux
demi-tons. Rappelons qu’un demi-ton est
l’intervalle qui sépare deux touches adja-
centes, blanches ou noires, sur le clavier.
De plus, deux notes séparées de 11 demi-
tons sont aussi dissonantes, malgré leur
éloignement sur le clavier, et un intervalle
de six demi-tons est perçu comme légère-
ment dissonant (voir la figure 2a).
En 1965, les psychologues hollandais
Reinier Plomp et Willem Levelt ont expli-
qué la perception expérimentale de la dis-
sonance en représentant la dissonance
entre deux ondes sinusoïdales pures par
une courbe théorique fondée sur des don-
nées psychophysiques (voir la figure 2b) :
ils ont demandé à plusieurs personnes
d’écouter divers intervalles – la plupart
non musicaux, simplement définis par les
fréquences des sons – et d’évaluer leur
consonance ou leur dissonance sur une
échelle arbitraire de 1 à 10. Puis ils ont com-
pilé les résultats obtenus en une courbe
mathématique approchée. Cette courbe
traduit le fait que les petits intervalles (envi-
ron un demi-ton) sont les plus dissonants,
tandis que les très petits intervalles
(1/10ede demi-ton) ou les intervalles plus
grands (supérieurs à trois demi-tons) sont
plutôt consonants.
La courbe de R. Plomp et W. Levelt n’ex-
plique pas la dissonance de grands inter-
valles tels que ceux de 6 ou 11 demi-tons.
Néanmoins, lorsque les deux psychologues
ont ajouté un nombre de plus en plus grand
d’harmoniques, la courbe de dissonance
obtenue s’est approchée de plus en plus de
la courbe empirique (voir la figure 2c): elle
prédit de petites diminutions de la disso-
nance au niveau – ou à proximité – des inter-
valles supérieurs ou égaux à 3 demi-tons
des gammes diatoniques, soit 3, 4, 5, 7, 9
et 12 demi-tons (les gammes diatoniques
sont les gammes de sept notes séparées
de tons et de demi-tons utilisées en musique
classique, telle do ré mi fa sol la si).
Cette correspondance entre les minima
de dissonance et les notes de la plupart
des gammes musicales les plus communes
signifie que l’espacement entre les notes des
gammes n’est pas une invention arbitraire.
Au contraire, il résulte du fonctionnement
du système auditif humain, et il n’est pas
surprenant que les mêmes intervalles soient
utilisés par différentes cultures de par le
monde. Certaines combinaisons de notes
Amplitude
F0 F1 F2 F3 F4 F5F6Note 1 :
F0 F1 F2 F3 F4 F5F6
Note 2 :
Do Fa Do’ Sol’
Fa’ Do’’ Mi’’
Fa’’
Sol’’
La’’ Do’’’
Ré’’’
Taille de l’intervalle (en demi-tons)
0123456789101112
Dissonance
Dissonance
Taille de l’intervalle (en demi-tons)
0123456789101112
Taille de l’intervalle (en demi-tons)
012 3 4 56789101112
Dissonance
1. DANS UNE NOTE, chaque son – le son fondamental et les harmoniques – peut être repré-
senté par une onde sinusoïdale, caractérisée par une fréquence qui croît avec le degré de l’har-
monique (a). Les harmoniques (F1, F2, etc.) influencent notre perception de la note (de fréquence
fondamentale F0). Lorsque deux notes (do en rouge, fa en bleu) sont jouées ensemble, les har-
moniques interagissent, ce qui modifie notre perception (b). L’intensité relative des notes (cercles
pleins) et des harmoniques (cercles vides) est représentée par les barres d’amplitude.
2. CERTAINS INTERVALLES MUSICAUX nous
paraissent dissonants (a, en rouge), d’autres
consonants (en bleu). Par ailleurs, notre per-
ception du degré de dissonance dépend des har-
moniques: sans harmonique, seuls les intervalles
petits (environ un demi-ton) sont perçus comme
dissonants (b). Avec les harmoniques, d’autres
régions de dissonance apparaissent (c, chaque
couleur correspond à une harmonique ajou-
tée). Plus on ajoute d’harmoniques (c, en vert),
plus la courbe se rapproche de celle obtenue avec
des notes réelles (a).
ab
a
b
c
F0
F1
F2
F3
F4
Norman Cook
Norman Cook
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