pls_390_p000000_harmonie.xp_mnc3103 1/04/10 19:26 Page 44 Discipline (sous-thème) Psycho-acoustique De l’ harmonie musicale Pour susciter tension, soulagement, joie ou mélancolie, un accord de trois notes suffit. Pourquoi sommes-nous si sensibles à l’harmonie musicale ? L’analyse des différents facteurs d’émotion identifiés dans un accord suggère une explication... biologique. E ntonnez le Chant des partisans ou la Marseillaise avec un accompagnement instrumental, et nombre d’accords majeurs vous feront vibrer. Dans la Marseillaise, par exemple, les notes chantées sur la seconde syllabe de « patrie », dans le premier vers, sont les trois notes d’un accord majeur. Pensez maintenant à un chant mélancolique : l’humeur y sera créée par des accords mineurs. Ainsi, dans la chanson Les feuilles mortes, les notes associées aux première, troisième et quatrième syllabes du vers « Toi, tu m’aimais » forment un accord mineur. Depuis longtemps, les théoriciens de la musique sont conscients de ces résonances émotionnelles différentes transmises par les accords majeurs et mineurs. Dès 1722, le compositeur français Jean-Philippe Rameau écrivait, dans son Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels – un important ouvrage sur l’harmonie : « Le mode majeur […] convient aux chants d’allégresse et de réjouissance», parfois «aux tempêtes, aux furies et autres sujets de cette espèce», et parfois «aux chants tendres et gais» ou pour évoquer «le grand et le magnifique ». Le mode mineur, en revanche, «convient à la douceur et à la tendresse; […] aux plaintes; […] aux chants lugubres». La distinction majeur/mineur est entrée dans la musique occidentale à la 44] Psycho-acoustique L’ E S S E N T I E L Fondée sur l’étude de la consonance des intervalles, la théorie classique de l’harmonie musicale n’explique pas pourquoi le mode majeur évoque la force et la joie, tandis que le mode mineur est associé à la mélancolie. La distinction acoustique entre ces deux modes apparaît lorsque l’on étudie non plus seulement les intervalles, mais leur rapport dans les accords et l’effet de ce rapport sur l’émotion. Cet effet s’apparenterait à celui causé par les intonations des vocalisations animales: ascendantes, elles expriment la domination, descendantes, la soumission. Renaissance, lorsque les compositeurs se sont éloignés des mélodies monophoniques et des harmonies à deux notes utilisées par exemple dans les chants grégoriens, et qu’ils ont adopté l’harmonie fondée sur les accords de trois notes, ou triades. Les compositeurs ont découvert que l’harmonie des triades leur permettait d’évoquer une gamme plus étendue d’émotions. Aujourd’hui, les accords majeurs et mineurs sont essentiels tant dans la musique occidentale que dans les musiques traditionnelles non occidentales qui n’utilisent pas de triade, mais où, souvent, de courtes séquences mélodiques suggèrent les modes majeur et mineur. Pourtant, la cause de leur effet psychologique reste inconnue. Cette question est même devenue embarrassante pour les théoriciens. Par exemple, dans un ouvrage sur la psychologie de la musique publié en 2005, le psychologue britannique John Sloboda cite les travaux indiquant que les modes majeur et mineur déclenchent, dès l’âge de trois ans, des émotions positives et négatives, mais omet de discuter ce résultat. Et en 2006, dans un livre sur le même thème, le musicologue américain David Huron relègue la question dans une note de bas de page. La plupart des théoriciens sont convaincus que l’association entre les tonalités majeures et les émotions positives, d’une part, et entre les tonalités mineures et les émotions négatives, d’autre part, est acquise: il s’agit pour eux d’une « particularité occidentale» qu’il est inutile d’expliquer, de même qu’il serait vain d’expliquer les conventions de l’orthographe ou de la grammaire. Nous sommes d’un autre avis. Nous pensons que les différentes réponses émotionnelles aux accords majeurs et mineurs ont une base biologique. Mais avant de nous © Pour la Science - n° 391 - Mai 2010 © Shutterstock/Andrey Arkusha Norman D. Cook et Takefumi Hayashi pls_390_p000000_harmonie.xp_mnc3103 à l’ 1/04/10 19:26 Page 45 émotion aventurer sur un territoire aussi controversé, nous répondrons à une question simple: pourquoi certains accords ont-ils une résonance stable – résolue –, et procurent-ils un sentiment de complétude musicale – d’aboutissement –, tandis que d’autres nous laissent en suspens, dans l’attente d’une résolution vers un accord stable? La recherche en psychophysique a apporté une réponse partielle. Il y a plus d’un siècle, Hermann Helmholtz a identifié les principes acoustiques de la dissonance musicale. Cependant, une triade ne se résume pas à sa dissonance ou à sa consonance ; certains accords consonants n’en sont pas moins perçus comme non résolus. C’est pourquoi nous avons développé un modèle acoustique de la perception de l’harmonie en termes de position relative des trois notes. En particulier, nous avons identifié deux qualités – que nous nommons la tension et la valence –, qui, ensemble, expliquent la perception de «stabilité» et en quoi les accords majeurs diffèrent des accords mineurs sur le plan acoustique. À partir de ce modèle, nous émettrons des hypothèses sur les raisons de leurs connotations émotionnelles différentes. L’harmonie dépend... des harmoniques © Shutterstock/Andrey Arkusha L’explication scientifique de la musique est fondée sur la structure ondulatoire des sons : chaque son est une onde sonore ou une combinaison de plusieurs ondes. Même une note isolée est plus complexe qu’il n’y paraît, car le son principal y est accompagné d’autres sons ténus et plus aigus, les harmoniques. Inconnue des théoriciens de la Renaissance, cette propriété physique de la musique s’étudie aujourd’hui facilement à l’aide d’un ordinateur portable et d’un logiciel approprié. Les harmoniques sont responsables de bon nombre des phénomènes les plus subtils de l’harmonie musicale. Au son principal d’une note isolée correspond une onde sonore sinusoïdale, caractérisée par sa fréquence, la fréquence fondamentale F0, exprimée en hertz (voir la figure 1). Plusieurs harmoniques F1, F2, F3, etc., sont associées à F0. Il s’agit d’ondes sonores dont la fréquence de vibration est un multiple de la fréquence fondamentale. Par exemple, si F0 est le do médium (261 hertz), alors F1 vaut 522 hertz (deux fois F0), F2 vaut 783 hertz (trois fois F0), etc. Tout son musical (autre qu’une onde © Pour la Science - n° 391 - Mai 2010 Psycho-acoustique [45 pls_390_p000000_harmonie.xp_mnc3103 19:26 Page 46 b Norman Cook Dissonance Dissonance Dissonance F0 Amplitude Ils ont observé que les auditeurs ordinaires entendent une sonorité « déplaisante », «grinçante» ou «instable» chaque fois que deux notes sont séparées par un ou deux demi-tons. Rappelons qu’un demi-ton est F1 l’intervalle qui sépare deux touches adjacentes, blanches ou noires, sur le clavier. F2 Mi’’ Sol’’ Do’’’ Do Do’ Sol’ De plus, deux notes séparées de 11 demiFa Fa’ Do’’ Fa’’ La’’ Ré’’’ F3 Note 1 : F0 tons sont aussi dissonantes, malgré leur F1 F2 F3 F4 F5F6 éloignement sur le clavier, et un intervalle F0 F2 F1 F3 F4 F5F6 F4 Note 2 : de six demi-tons est perçu comme légère1. DANS UNE NOTE, chaque son – le son fondamental et les harmoniques – peut être repré- ment dissonant (voir la figure 2a). senté par une onde sinusoïdale, caractérisée par une fréquence qui croît avec le degré de l’harEn 1965, les psychologues hollandais monique (a). Les harmoniques (F1, F2, etc.) influencent notre perception de la note (de fréquence Reinier Plomp et Willem Levelt ont explifondamentale F0). Lorsque deux notes (do en rouge, fa en bleu) sont jouées ensemble, les harmoniques interagissent, ce qui modifie notre perception (b). L’intensité relative des notes (cercles qué la perception expérimentale de la dissonance en représentant la dissonance pleins) et des harmoniques (cercles vides) est représentée par les barres d’amplitude. entre deux ondes sinusoïdales pures par une courbe théorique fondée sur des données psychophysiques (voir la figure 2b) : sinusoïdale pure) sera nécessairement a ils ont demandé à plusieurs personnes une combinaison de ces harmoniques. d’écouter divers intervalles – la plupart Le nombre et la force de ces harmoniques non musicaux, simplement définis par les donnent à chaque note son timbre unique fréquences des sons – et d’évaluer leur et font que le do médium, par exemple, consonance ou leur dissonance sur une sonnera différemment au piano et au échelle arbitraire de 1 à 10. Puis ils ont comsaxophone. En général, les harmoniques pilé les résultats obtenus en une courbe sont de plus en plus faibles et peuvent mathématique approchée. Cette courbe finalement être ignorées, mais les cinq 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 traduit le fait que les petits intervalles (enviou six premières – au moins – influent Taille de l’intervalle (en demi-tons) ron un demi-ton) sont les plus dissonants, sur notre perception. tandis que les très petits intervalles L’histoire des harmoniques serait b (1/10e de demi-ton) ou les intervalles plus simple si toutes les harmoniques étaient séparées par des octaves (écart entre deux grands (supérieurs à trois demi-tons) sont do consécutifs, par exemple), mais ce n’est plutôt consonants. pas le cas, car l’échelle de la perception des La courbe de R. Plomp et W. Levelt n’exsons est logarithmique : bien que la preplique pas la dissonance de grands intermière harmonique se situe une octave plus valles tels que ceux de 6 ou 11 demi-tons. haut que la fréquence fondamentale, les 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Néanmoins, lorsque les deux psychologues Taille de l’intervalle (en demi-tons) multiples suivants de F0 correspondent à ont ajouté un nombre de plus en plus grand des intervalles de plus en plus petits. Par c d’harmoniques, la courbe de dissonance conséquent, si la fréquence fondamentale obtenue s’est approchée de plus en plus de est le do médium, alors F1 est une octave la courbe empirique (voir la figure 2c): elle au-dessus du do médium (do’), tandis que prédit de petites diminutions de la dissol’harmonique suivante, F2, est entre une et nance au niveau – ou à proximité – des interdeux octaves au-dessus de do médium, valles supérieurs ou égaux à 3 demi-tons parce que sa fréquence n’est que 3/2 de F1. des gammes diatoniques, soit 3, 4, 5, 7, 9 Dans la musique occidentale, ce son est et 12 demi-tons (les gammes diatoniques le sol’. Ainsi, le do médium sur un piano sont les gammes de sept notes séparées 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 de tons et de demi-tons utilisées en musique comporte un mélange des sons do, do’, Taille de l’intervalle (en demi-tons) sol’, do’’, mi’’, etc. (voir la figure 1). 2. CERTAINS INTERVALLES MUSICAUX nous classique, telle do ré mi fa sol la si). Comme les notes isolées, les intervalles paraissent dissonants (a, en rouge), d’autres Cette correspondance entre les minima entre deux notes sont définis par leurs sons consonants (en bleu). Par ailleurs, notre per- de dissonance et les notes de la plupart fondamentaux. Mais lorsqu’un pianiste ception du degré de dissonance dépend des har- des gammes musicales les plus communes joue deux notes sur le clavier, c’est tout un moniques: sans harmonique, seuls les intervalles signifie que l’espacement entre les notes des assortiment d’harmoniques qui atteignent petits (environ un demi-ton) sont perçus comme gammes n’est pas une invention arbitraire. les oreilles de l’auditeur (voir la figure 1b). dissonants (b). Avec les harmoniques, d’autres Au contraire, il résulte du fonctionnement régions de dissonance apparaissent (c, chaque Plusieurs générations d’expérimentateurs, couleur correspond à une harmonique ajou- du système auditif humain, et il n’est pas à commencer par Helmholtz en 1877, ont tée). Plus on ajoute d’harmoniques (c, en vert), surprenant que les mêmes intervalles soient étudié la perception de la consonance ou plus la courbe se rapproche de celle obtenue avec utilisés par différentes cultures de par le de la dissonance de différents intervalles. des notes réelles (a). monde. Certaines combinaisons de notes a Norman Cook 1/04/10 46] Psycho-acoustique © Pour la Science - n° 391 - Mai 2010 Mineur (deuxième renversement) (4,3) Majeur (fondamental) (3,4) Mineur (fondamental) M 3 (4,5) m m M Mineur (premier renversement) 2 1 0 (3,5) 0 1 2 3 4 5 6 7 Intervalle supérieur (en demi-tons) Majeur (premier renversement) Disson m M m M m M ance SANS HARMONIQUE m M m M m M Vallée de consonance ur rie lle eur éri sup fé e in all erv Int 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Intervalle supérieur m M m M m M nce AVEC UNE HARMONIQUE m M m M m M alle erv Intervalle inférieur m M 4 Int ur érie eur éri sup 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Majeur (deuxième renversement) 6 5 a erv c 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 7 Dissona b Comme la perception des intervalles, celle des accords est influencée par les harmoniques. Pour cerner leur rôle dans l’harmonie des triades, commençons par préciser celui des fréquences fondamentales. Pour ce faire, nous représentons les trois notes sur une « grille triadique », où les tailles des intervalles inférieur et supérieur sont représentées respectivement sur les axes vertical et horizontal (voir la figure 3a). Par exemple, un accord majeur « fondamental », tel que do-mi-sol (les trois notes précédant une annonce à l’aéroport), présente un intervalle bas de nf le i al erv Int 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Intervalle supérieur r alle m M m M m M ce Intervalle inférieur m M m M m M erv eur éri sup Norman Cook AVEC DEUX HARMONIQUES Int 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Dissonan d 3. TOUTE TRIADE – par exemple les accords © Pour la Science - n° 391 - Mai 2010 (5,4) (5,3) a La dissonance dans les triades fondamentaux majeur do-mi-sol (M) et mineur do-mi bémol - sol (m) et leurs renversements (une ou deux notes sont remontées d’une octave) – peut être représentée par un point sur une grille où l’abscisse correspond à l’intervalle supérieur et l’ordonnée à l’intervalle inférieur (a). Sur cette grille, la dissonance totale d’une triade, somme des dissonances de chaque intervalle, est une surface tridimensionnelle (b à d, où le bleu et le rouge indiquent respectivement les faibles et fortes dissonances). Plus on ajoute d’harmoniques (c et d), plus la surface se subdivise. Tous les types d’accords importants sont rassemblés dans des zones de relative consonance. Page 47 Int sont moins dissonantes, et la musique construite avec ces intervalles moins dissonants est plus plaisante. Évidemment, l’écriture d’une « musique plaisante » ne saurait se réduire à éviter les dissonances. Certains styles musicaux les encouragent même. Néanmoins, la quantité de consonance ou de dissonance utilisée reste un facteur important pour comprendre comment la musique est perçue. Ajoutons maintenant une ou deux notes: quel est le rôle des harmoniques dans la perception d’accords de trois ou quatre notes, voire davantage ? Dans une triade (comme dans un intervalle de deux notes), les sons les plus perceptibles sont généralement ceux des fréquences fondamentales, c’est-à-dire les trois notes écrites dans la partition. Plus faibles, les harmoniques donnent à l’accord une richesse, sa « sonorité» globale. En de rares occasions – par exemple dans les quatuors a capella –, elles se renforcent mutuellement à tel point qu’elles deviennent aussi fortes que les fondamentales, créant l’illusion très recherchée d’une «cinquième voix». 19:26 Intervalle inférieur (en demi-tons) 1/04/10 Intervalle inférieur pls_390_p000000_harmonie.xp_mnc3103 alle u érie inf erv Int 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Intervalle supérieur Psycho-acoustique [47 pls_390_p000000_harmonie.xp_mnc3103 a A 1/04/10 B Mineur (3,4) Intervalle1 Intervalle 2 19:26 Page 48 C Augmenté (4,4) Intervalle 1 Intervalle 2 Majeur (4,3) Intervalle 1 Intervalle 2 B Vers une tonalité majeure Tension Vers une tonalité mineure A C –1,0 0,0 1,0 Différence Intervalle 1 – Intervalle 2 (en demi-tons) Inter valle infér ieur infér valle Inter 1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Intervalle supérieur 13 Tension AVEC DEUX HARMONIQUES Norman Cook 3 m M M m m M 1 férieu 3 1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1112 13 Intervalle supérieur 4. LES TRIADES dont les intervalles sont égaux, par exemple l’accord augmenté B, créent une tension chez l’auditeur. Cette tension est levée quand un des intervalles est modifié d’un demiton, ce qui conduit soit à un accord mineur(A), soit à un accord majeur (C). Comme la dissonance, la tension d’une triade peut être représentée en fonction de ses intervalles (a) et reportée sur la grille triadique (b à d). En absence d’harmoniques, la tension théorique des triades est forte sur la diagonale (b, en rouge). Avec la première harmonique, d’autres lignes de tension apparaissent(c). Avec deux harmoniques, la «carte» se complique encore, mais les accords majeurs(M) et mineurs (m) sont toujours dans des régions de basse tension (d). 48] Psycho-acoustique 11 9 7 5 alle in 7 r m M M m m M 9 Inter v Intervalle inférieur 11 5 AVEC UNE HARMONIQUE 11 9 7 5 3 1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Intervalle supérieur 11 9 7 5 3 d Tension c SANS HARMONIQUE ieur Tension b 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Intervalle supérieur quatre demi-tons et un intervalle haut de trois demi-tons (position (4,3) sur la grille). Toute autre triade de la musique occidentale peut être localisée sur cette grille triadique. D’autres cultures musicales utilisent des gammes différentes et, par conséquent, des accords parfois localisés dans les trous de cette grille (par exemple, les musiques arabe ou turque s’appuient sur une gamme de 24 sons par octave, contre 12 seulement pour la musique occidentale, et présentent une plus grande variété d’harmonies possibles). Les six types d’accord donnés par les triades majeures et mineures et leurs renversements (dans lesquels une ou deux notes sont montées d’une octave) fournissent le cadre harmonique de presque toute la musique occidentale classique et populaire (voir la figure 3a). Les autres localisations sur la grille triadique incluent de nombreux autres accords d’utilité et de beauté variables, ainsi que certains accords qui sont évités dans la plupart des types de musique. Grâce à cette grille, nous allons pouvoir étudier la façon dont l’addition d’harmoniques modifie l’harmonie des triades et répondre à notre première question : pourquoi certaines triades nous paraissent-elles plus ou moins stables, et comment expliquer les émotions positives ou négatives suscitées par les accords majeurs et mineurs ? Pour visualiser la dissonance totale d’une triade, nous avons étendu la courbe de R. Plomp et W. Levelt à la grille triadique. La courbe était construite pour un seul intervalle; nous avons combiné, dans la grille, les deux courbes correspondant l’une à la dissonance de l’intervalle inférieur, l’autre à celle de l’intervalle supérieur. Nous obtenons ainsi la dissonance totale sous forme d’une surface tridimensionnelle, dont les axes sont respectivement les deux intervalles et l’intensité de la dissonance (voir la figure 3b). On y distingue deux bandes de dissonance, qui correspondent aux triades contenant un intervalle de un ou deux demitons, constituées d’un pic abrupt (lorsque les deux intervalles sont d’un demi-ton), et de deux arêtes élevées (lorsque l’un des intervalles est inférieur à deux demi-tons). Le reste de la grille triadique est une vallée de consonance – et c’est là que se situent toutes les triades courantes. Lorsque nous ajoutons une série d’harmoniques au calcul de la dissonance totale, la « vallée de consonance » se sépare en deux (voir la figure 3c). À mesure que nous ajoutons des harmoniques, la structure fine de la grille se complique, sans que sa configuration générale ne change (voir la figure 3d) : des régions de forte dissonance (lorsque l’un des deux intervalles est petit) côtoient des étendues de consonance relativement forte (là où se situent toutes les triades courantes). Fondée sur l’étude de la seule dissonance totale, cette grille est insuffisante en l’état pour fournir une explication globale de l’harmonie, car elle suppose que toutes les triades courantes ont à peu près la même sonorité. Or, sur le plan perceptif, ce n’est pas le cas : les accords majeurs et mineurs sont généralement décrits comme stables, fermes et résolus; d’autres accords de trois notes, même ceux qui ne contien- © Pour la Science - n° 391 - Mai 2010 La tension de l’accord : l’oreille en suspens La dissonance entre deux notes n’expliquant pas complètement la sonorité d’une triade, l’étape suivante consiste à prendre en compte les trois notes de l’accord, c’està-dire à examiner l’influence de leur configuration sur la perception de l’harmonie. En 1957, le psychologue américain Leonard Meyer a suggéré qu’une tension émerge de certains accords lorsque leurs deux intervalles sont égaux: lorsqu’un accord ou une courte mélodie de trois notes contiennent des intervalles de la même taille (en demitons), l’accent tonal devient ambigu et la musique revêt un caractère non résolu. En d’autres termes, l’auditeur perçoit une ten- © Pour la Science - n° 391 - Mai 2010 Page 49 sion parce que, les notes étant également espacées, la tonalité de leur assemblage n’est pas claire. Au contraire, lorsqu’une combinaison de trois notes présente deux intervalles inégaux et pas de dissonance (c’est-à-dire des espacements de (3,4), (4,5), (5,3), (4,3), (3,5), (5,4) demi-tons), l’auditeur perçoit une certaine stabilité. Bien sûr, la plupart des gens ne pensent pas consciemment à l’espacement relatif ou au « groupement » des notes. Néanmoins, le système auditif humain a développé la capacité de le percevoir. Nous discuterons plus loin l’une des raisons possibles de cette capacité. En nous inspirant de l’approche des dissonances de R. Plomp et W. Levelt, nous avons développé un modèle psychophysique de la théorie de Meyer en définissant une courbe abstraite de tension pour les triades (voir la figure 4a). La courbe présente un pic lorsque les deux intervalles de la triade sont équivalents. En revanche, lorsqu’un intervalle est supérieur à l’autre d’au moins un demi-ton, brisant la symétrie, la tension s’annule. Cependant, la théorie de Meyer semble présenter une faille. De nombreuses triades présentent un caractère tendu, non résolu, sans pour autant nous paraître dissonantes (elles sont dans la vallée de consonance, mais nous paraissent quand même instables). La difficulté disparaît lorsque l’on prend en compte les harmoniques. Comme précédemment pour les dissonances, nous avons représenté la « tension totale » de chaque accord, à partir de la courbe de tension théorique (voir la figure 4b). Lorsque nous calculons la tension totale en n’utilisant que la fréquence fondamentale, nous observons une arête de forte tension, correspondant à tous les accords symétriques. Quand on ajoute les harmoniques, de nouvelles arêtes de tension apparaissent. Elles correspondent aux accords asymétriques dont les harmoniques créent, en se combinant, des accords symétriques. On remarque que les accords majeurs et mineurs persistent dans la vallée de stabilité (voir les figures 4c et 4d). Ainsi, « l’instabilité » harmonique totale des triades est une conséquence de deux facteurs acoustiques indépendants : la dissonance de l’intervalle et la tension de la triade. Dès lors, nous pouvons estimer l’instabilité harmonique de n’importe quelle triade en combinant, dans notre modèle, les contributions de la dissonance et de la tension, tout en intégrant les effets d’un nombre croissant a AVEC UNE HARMONIQUE 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 b m M M m m M m M M m m M 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Intervalle supérieur AVEC TROIS HARMONIQUES 12 11 10 9 m M 8 M m 7 m M 6 5 m M 4 M m 3 m M 2 1 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Intervalle supérieur Norman Cook nent pas d’intervalle de un ou deux demitons (intervalles qui procurent la plus forte dissonance), sont entendus comme non résolus, tendus. Une étude publiée en 1986 par Linda Roberts, des Laboratoires Bell, a montré que ces perceptions se retrouvent tant chez les musiciens que chez les non-musiciens ; d’autres auteurs ont obtenu les mêmes résultats en comparant enfants et adultes, occidentaux et asiatiques. Par conséquent, d’autres facteurs que la dissonance sont impliqués dans la sonorité d’un accord. Réalisant que la « dissonance sensorielle» a un pouvoir explicatif limité, divers psychologues de la musique ont fait l’hypothèse que les auditeurs normaux ont été « conditionnés » à percevoir les accords majeurs et mineurs comme stables et résolus, à force de les avoir entendus dans toutes sortes de musiques populaires. Les autres accords étant moins souvent utilisés, ils paraîtraient moins familiers aux auditeurs et, par conséquent, ambigus, non résolus et «musicalement dissonants», bien qu’ils ne le soient pas acoustiquement. Selon ces théoriciens, la perception de la musique serait une construction sociale, issue de l’apprentissage et de la culture. Rien n’est moins sûr: jouez par exemple un accord augmenté (do-mi-soldièse), suivi d’un accord majeur (do-mi-sol) ou mineur (dodièsemi-soldièse)… et écoutez. Bien que tous les intervalles de l’accord augmenté soient consonants, il crée une impression de trouble et d’instabilité que même les individus ayant été très peu exposés à la musique ressentent. C’est cette perception commune que les psychologues de la musique voudraient expliquer par l’acoustique. 19:26 Intervalle inférieur 1/04/10 Intervalle inférieur pls_390_p000000_harmonie.xp_mnc3103 5. L’INSTABILITÉ HARMONIQUE TOTALE d’une triade, représentée en combinant dissonance et tension pour les cas où l’on prend en compte une (a) ou trois (b) harmoniques. Quel que soit le nombre d’harmoniques, les accords majeurs(M) et mineurs (m) se localisent dans des zones basses (bleu-jaune). LES AUTEURS Norman D. COOK est chercheur en psychologie cognitive et professeur d’informatique à l’Université Kansai d’Osaka, au Japon. Takefumi HAYASHI est chercheur en psychophysique humaine et professeur d’informatique dans la même université. Nous remercions la revue American Scientist de nous avoir autorisés à reproduire cet article. Psycho-acoustique [49 a Norman Cook dans la musique occidentale, caractère désagréable à l’oreille d’un accord. Résolution : procédé harmonique qui consiste à faire suivre un accord dissonant par un accord consonant. Tension : ambiguïté, caractère irrésolu de certains accords. Cette ambiguïté peut être levée de diverses façons par modification des intervalles. Valence : pouvoir émotionnel – positif ou négatif. –1 Majeur 0 Mineur Mode –2 A B –1 1 2 Différence Intervalle 1 – Intervalle 2 (en demi-tons) 3 12 SANS HARMONIQUE 11 10 9 8 m M 7 M m 6 m M 5 m M m 4 M m M 3 2 1 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Intervalle supérieur Intervalle inférieur b 1 –3 GLOSSAIRE Dissonance : déterminant la sonorité de ces accords, tous les accords majeurs et mineurs devraient sonner de la même façon. Pourtant, les preuves du contraire ne manquent pas. Dès l’âge de trois ans, les enfants associent des morceaux en mode mineur à un visage triste et des morceaux en majeur à un visage souriant. Les gérants des casinos remplissent leurs établissements de machines à sous jouant des mélodies en do majeur –afin de créer un environnement acoustique confortable, rassurant pour les joueurs. Les qualificatifs «majeur» et «mineur» ont euxmêmes des connotations différentes : en français, en anglais, et en italien, la distinction majeur/mineur suggère des différences de taille et de force. Le pouvoir émotionnel des triades La valence émotionnelle des accords majeurs et mineurs – c’est-à-dire leur pouvoir émotionnel – peut bien sûr être réduite ou même inversée par des rythmes, des timbres et des paroles racontant une histoire différente. Par exemple, bien que de tonalité majeure, l’Ave Maria de Franz Schubert est doux et mélancolique. Cependant, toutes choses égales par ailleurs, les triades majeures seront entendues comme «positives», tandis que les accords mineurs ont un affect «négatif». Cette différence est l’un des mystères les plus anciens de l’harmonie occidentale. C’est aussi l’un des plus importants parce que les émotions évoquées par les harmonies majeures et mineures contribuent à donner sa signification à la musique. Elles la distinguent c Mode d’harmoniques (voir la figure 5). Dans cette nouvelle représentation, les accords majeurs et mineurs se retrouvent à nouveau dans des régions de relative stabilité, et ce dans tous leurs renversements. Les autres accords, moins courants, se situent sur les arêtes ou les pics d’instabilité. Ainsi, les musiciens de la Renaissance ne furent pas les inventeurs chanceux d’un système musical qui s’est révélé populaire, mais des découvreurs – des musiciens sensibles à la symétrie des configurations acoustiques, tandis que leurs prédécesseurs médiévaux étaient restés sous l’emprise des effets plus simples produits par les intervalles. Aujourd’hui, l’influence relative des intervalles et des accords est encore passionnément débattue. Néanmoins, plus personne ne soutient que l’un ou l’autre de ces effets explique l’harmonie à lui seul. Dans une musique constituée d’intervalles de deux notes, la consonance est l’aspect le plus important : pour élaborer une musique harmonieuse, le compositeur doit rechercher les combinaisons les plus douces, les plus consonantes. Mais lorsque la musique inclut des triades, c’est la justesse de l’accord qui prime dans la perception, c’est-à-dire l’espacement relatif des intervalles, et non la localisation des notes par rapport à la tonique (note fondamentale de la gamme). En d’autres termes, les musiciens de la Renaissance ont déplacé leur attention, quittant le degré de «perfection» des intervalles pour la symétrie ou l’asymétrie des configurations de trois notes. Si la dissonance des intervalles et la tension des triades étaient les seuls facteurs Page 50 13 11 9 7 5 3 AVEC DEUX HARMONIQUES ieur 19:26 lle infér 1/04/10 Interva pls_390_p000000_harmonie.xp_mnc3103 mM M m mM mM M m mM 1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 1213 Intervalle supérieur 6. POUR RENDRE COMPTE des émotions suscitées par les accords majeurs inversement. Reportée sur la grille triadique, la courbe obtenue, dite de et mineurs, les auteurs distinguent, dans la courbe de tension, les résolutions mineures et majeures en considérant non seulement la tension, mais aussi le mode (majeur ou mineur) vers lequel elle se résout (a): en enlevant un demi-ton à l’intervalle inférieur d’un accord symétrique (de tension maximale), on obtient un accord de mode –1, c’est-à-dire mineur, et 50] Psycho-acoustique valence, devient une surface tridimensionnelle similaire à la surface de tension (b et c), mais où une bosse est divisée en une bosse (rouge, majeur) et un sillon (bleu foncé, mineur). En l’absence d’harmoniques, certains accords majeurs et mineurs sont situés en dehors des bosses et des sillons(b), mais ce n’est plus le cas dès qu’on ajoute une harmonique (c). © Pour la Science - n° 391 - Mai 2010 1/04/10 des chants d’oiseaux ou de la cacophonie des bruits de la rue. Nous avons vu que la taille relative des deux intervalles est la clef pour comprendre la tension d’une triade. Or, à partir d’une triade dont les deux intervalles sont égaux (triade qui, nous l’avons vu, crée une tension), il n’existe que deux façons de réduire la tension : soit on rend l’intervalle inférieur plus grand que l’intervalle supérieur, auquel cas l’accord se résout en une triade majeure, soit on le rend plus petit, ce qui correspond à un accord mineur. Ainsi, non seulement la tension, mais la direction du mouvement qui réduit cette tension, interviennent dans notre perception de l’harmonie. C’est pourquoi nous avons précisé le modèle de la tension afin qu’il prenne en compte ce paramètre : nous proposons une courbe «modale» de la tension qui différencie les deux types de résolution – et donc la valence émotionnelle des modes majeur et mineur – en rompant la symétrie de la courbe de tension (voir la figure 6). L’axe horizontal indique la différence entre les deux intervalles d’un accord, en demitons. Lorsque les intervalles sont égaux, l’accord est ambigu, et le mode de l’accord, représenté sur l’axe vertical, vaut 0. Il augmente vers un maximum ou chute vers un minimum lorsque la différence entre les intervalles vaut +1 ou –1 demi-ton (les points A et B), et s’annule à nouveau si la différence est de deux demi-tons ou plus. Comme précédemment, le modèle ne s’accorde avec notre perception (ici de la distinction majeur/mineur) que si nous incluons les harmoniques. Dès la première harmonique, nous trouvons des péninsules de valence positive (en rouge) et négative (en bleu) au niveau de toutes les triades majeures et mineures. La combinaison de cette courbe et de celle de la dissonance totale donne une synthèse en accord avec notre perception des triades. Des cris des animaux à l’harmonie Maintenant que nous avons un modèle de la façon dont un auditeur identifie le mode majeur ou mineur d’un accord, nous pouvons faire encore un pas et spéculer sur les raisons pour lesquelles la valence acoustique contient aussi une valence émotionnelle. Nous proposons que le symbolisme émotionnel des accords majeurs et mineurs a une base biologique. Dans tout le règne animal, les vocalisations descen- © Pour la Science - n° 391 - Mai 2010 19:26 Page 51 D e u x fa c te u rs , d e u x l o ca l i sa ti o n s issonance et tension dans les accords suscitent toutes deux chez l’auditeur une ambiguïté désagréable. Pourtant, les facteurs acoustiques qui les produisent sont distincts : la dissonance est causée par de petits intervalles de un ou deux demi-tons ; la tension est créée dans les triades par des intervalles égaux – (3,3) ou (4,4) demitons. Bien qu’à l’audition, nous D ne différencions pas ces deux a b sources d’instabilité musicale, notre cerveau perçoit-il cette distinction ? Vue de dos Une étude en imagerie Vue de face par résonance magnétique fonctionnelle que les auteurs ont réalisée en 2002 suggère que tel est bien le cas (voir la Vues du dessus figure ci-contre) : la dissonance active une petite région du cords active une large région cortex pariétal droit (b), tan- du cortex frontal droit, puis dis que la tension dans les ac- gauche (a). dantes sont utilisées pour signaler la force sociale, l’agressivité ou la dominance. De même, les vocalisations ascendantes dénotent la faiblesse sociale, la défaite ou la soumission. Bien entendu, les animaux transmettent aussi ces messages d’autres façons, par l’expression faciale, la posture corporelle, etc. – mais les changements de la fréquence fondamentale de la voix ont une signification intrinsèque. Un code de fréquence similaire, quoique atténué, existe dans les intonations de la parole humaine : une inflexion montante dénote en général l’interrogation, la politesse ou la déférence, tandis qu’une inflexion descendante signale les ordres, les affirmations ou la dominance. Comment cela se traduit-il dans un contexte musical ? Si nous commençons avec un accord tendu, ambigu – par exemple, l’accord augmenté contenant deux intervalles de quatre demi-tons – et diminuons d’un demi-ton n’importe laquelle des trois notes fondamentales, l’accord se résoudra dans un mode majeur. Il aura alors une structure de 5-4, 3-5 ou 4-3 demitons. À l’inverse, si nous résolvons l’accord ambigu en augmentant l’une des trois fondamentales d’un demi-ton, nous obtiendrons un accord mineur. La réponse émotionnelle universelle à ces accords provient, selon nous, directement d’une compréhension instinctive, préverbale, du code de fréquences dans la nature. Depuis une dizaine d’années, neurologues et psychologues s’intéressent à la perception musicale chez l’animal, recherchant des vestiges de l’apparition de cette faculté au fil de l’évolution. La valence émotionnelle des vocalisations ascendantes et descendantes pourrait être l’un de ces vestiges. I BIBLIOGRAPHIE N.D. Cook, Harmony, Perspective and Triadic Cognition, Cambridge University Press, 2010 (sous presse). N. D. Cook, Harmony perception : harmoniousness is more than the sum of interval consonance, Music Perception, vol. 27(1), pp. 25-42, 2009. S. Bencivelli, Pourquoi aime-t-on la musique? Oreille, émotion, évolution, Belin, 2009. Sons et musique : de l’art à la science, Pour la Science n°373, numéro spécial, novembre 2008. N. D. Cook et T. X. Fujisawa, The psychophysics of harmony perception : harmony is a three-tone phenomenon, Empirical Musicology Review, vol. 1(2), pp. 106-126, 2006. N. D. Cook, Tone of Voice and Mind, Amsterdam : Benjamins, 2002. R. Plomp et W. J. M. 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