La double crise,
sociale
et
écologique,
met à mal l’équation fondatrice de la justification
idéologique
du déve
loppement
économique
: plus égale nécessairement mieux. La croyance en un
développement
économique
automatiquement
porteur
de retombées sociales
positives
pour
les
générations
actuelles et futures
postule
qu’il est possible d’obtenir une
amélioration
du bien-être
général
qui laisserait
inchangées
les
positions
relatives des individus et des groupes dans la société: invoquer le
retour d’une croissance
économique
forte
pour
résoudre les phénomènes de la pauvreté et du
chômage
permet d’esquiver
largement
le
pro
blème
de la
répartition
et de renvoyer la réduction des
inégalités
au
seul partage des "fruits de la croissance" alors que la
structure
de la
répartition
du produit
total
ne
varierait que très peu.
Ainsi, c’est au moment où l’humanité atteint la capacité à appréhender la diversité
biologique
dans sa
globalité
qu’elle
l’appauvrit
dangereusement,
et c’est au moment où les progrès de la
productivité
permettraient
d'envisager
de satisfaire correctement les besoins
alimentaires
de tous les
habitants de la planète que le monde ne réussit
pas
à faire
reculer
la pauvreté. Nous avons
proposé
1 de
définir cette crise du développement qui est à la fois
sociale
et
écologique,
comme
la rupture entre,
d’une
part,
un processus
d’accumulation
et, d’autre
part,
l’ensemble des procédures de
régulation
des
relations sociales et des rapports entre l’homme et la nature. La crise du développement
englobe
et
dépasse une simple crise du capitalisme qui est toujours une
interruption
de la valorisation du capital
liée
à la difficulté de produire et
réaliser
de la plus-value, mais sans que soit remise en cause l’adhésion
aux
valeurs du progrès
matériel.
Une crise
économique
est une crise qui se noue au niveau des
rapports
de
production.
Celle
à
laquelle
nous avons à faire face est à la fois crise des
rapports
de
production
et
crise des
rapports
de
répartition
devenus insoutenables tant au niveau des richesses
produites
et de
l’emploi au sein de la
génération
actuelle,
que des ressources naturelles entre les
générations.
La crise du
développement se
produit
parce que les conditions
matérielles,
sociales et
culturelles
du développement
ne sont plus
garanties
et parce que la tentative de les réunir de nouveau à
tout
prix
pour
poursuivre le
même
développement serait
peut-être
encore plus
dangereuse
que leur absence.
Aux dégâts non maîtrisés du progrès correspond un désarroi de la pensée
économique
dominante
pris dans
l’engrenage
de
l’extension
de son
modèle
de l’homo œconomicus à tous les actes humains. Le
paradoxe est en effet que ce
modèle
fondé sur la rationalité -
modèle
qui
suppose
normalement
une
contrainte
universelle
de rareté - a servi
pendant
des
décennies
à justifier une ponction sans retenue sur
les ressources naturelles et ensuite a été utilisé
pour
servir de fondement à la réint
égration
des
contraintes
environnementales
dans la prise de décisions
économiques.
Ce paradoxe se
révèle
être une
contradiction lorsque, dans la formulation du concept de développement durable ou soutenable, l’ajout
de
l’adjectif
permet de se dispenser d’interroger le substantif; le problème est esquivé dans la définition
officielle
donnée par le
Rapport
Brundtland: « Le développement soutenable est un développement qui
répond
aux
besoins du
présent
sans compromettre la capacité des
générations
futures de répondre
aux
leurs. »2 La multiplicité des définitions de la soutenabilité et leurs contradictions entre elles traduisent
agriculture intensive ou à un
défrichement
incontrôlé s’épuisent, s’érodent ou sont gagnés par le désert pendant que les
forêts, principalement tropicales, reculent. Herman Daly [1992] estime que si l’on voulait permettre à tous les habitants de
la terre d’utiliser un niveau de
ressources
égal à celui d’un Américain moyen, cela se traduirait par une multiplication par 7.
Cette estimation est
confirmée
par le rapport de la
Commision
Brundtland
[C.M.E.D.,
1987]
qui,
a contrario, souhaitait
voir la production mondiale multipliée par un nombre compris entre 5 et 10.
1
. Dans notre thèse de doctorat, HARRIBEY, 1996-b, p. 12.
2
. C.M.E.D., 1987, p. 51.