1 I2c: un instrument pour la didactique universitaire de la communication interculturelle Edo Poglia*, Manuel Mauri Brusa** Université de la Suisse italienne, Via Buffi 13, 6900 Lugano, Suisse *[email protected] ; **[email protected] RÉSUMÉ : On assiste actuellement, dans divers secteurs professionnels, à un accroissement sensible de la demande de compétences interculturelles et particulièrement de compétences de communication interculturelle. L’université et les autres institutions d’enseignement supérieur (ex celles qui forment les enseignants) se doivent de répondre à ces demandes en offrant des formations appropriées. L’article présente une de ces offres de formation : le cours multimédial I2C, développé dans le cadre du programme Campus virtuel suisse, par l’université de la Suisse italienne à Lugano en collaboration avec celles de Neuchâtel et Genève. Ce cours a la particularité de faire appel à une riche palette de matériaux didactiques (audiovisuels, études de cas, jeux de rôle, etc) disponibles on-line ou sur DVD. La conception de ce cours a été précédée par un travail de clarification épistémologique concernant la communication interculturelle et les apports des différentes disciplines scientifiques qui s’en occupent, travail présenté dans la première partie de cet article. MOTS-CLES : Communication enseignement supérieur interculturelle, épistémologie, didactique multimédiale, Education en contextes pluriculturels : la recherche entre bilan et prospectives, Genève 2007 Improving intercultural communication 1. 2 Demande professionnelle et offre universitaire de compétences de communication interculturelle a) L’exigence de disposer de meilleures compétences dans le domaine de la communication interculturelle (ci-après : CI) est aujourd’hui ressentie dans de nombreux secteurs de la vie professionnelle, notamment par les entreprises actives sur le marché globalisé (ex Adler, 2002), les institutions publiques et privées qui s’occupent d’intégration des migrants, par les services (sociaux, de santé, de sécurité publique) touchant des publics multiculturels, ainsi que par les organisations internationales et naturellement par les écoles avec une forte présence d’élèves de provenance culturelle hétérogène. Pour les professionnels actifs dans ces domaines il s’agit notamment des instruments pour pouvoir acquérir, de manière autonome, les connaissances nécessaires sur les différentes réalités culturelle spécifiques avec les quelles ils sont confrontés, de la capacité d’interagir de manière appropriée avec des interlocuteurs « culturellement différents » et d’une attitude suffisamment positive envers la différence culturelle alliée à une capacité de créer une certaine distanciation avec sa propre culture comme avec celle des autres. Les institutions de formation, notamment celles universitaires sont ainsi de plus en plus conviées à offrir ces compétences, lesquelles ne peuvent pas se résumer à quelques grands principes éthiques (nécessaires…) ou quelques recettes éprouvées (même si elles le sont souvent aussi…), mais qui impliquent en tout cas, outres les capacités et attitudes précitées: - une connaissance, pour le moins élémentaire, des processus psychologiques, sociaux et culturels qui sont à la base des problèmes et des potentialités de la CI, - une familiarité suffisante avec les modalités et les instruments de communication appropriés aux divers types de communication interculturelle, - la capacité pratique mais aussi l’attitude appropriée permettant de les appliquer dans différents contextes: éducation, gestion du personnel, médiation, etc. Les compétences en CI requises par le marché du travail sont partiellement communes à ces divers contextes, mais une partie est spécifique au cadre professionnel et socio-culturel (école ou formation d’adultes, entreprise ou administration, etc.) Improving intercultural communication 3 b) Pour le moment, les institutions universitaires européennes (y compris celles spécifiquement professionnalisantes 1) commencent seulement à s’engager sur ce terrain et ceci pour différentes raisons: - une certaine réticence à faire de la place à ces nouveaux thèmes dans des curricula déjà chargés, - la difficulté d’intégrer les apports (nécessaires) de différentes disciplines scientifiques dans une offre didactique cohérente dont le volume est nécessairement limité et qui en outre doit être adaptée à des champs professionnels spécifiques (ex. formation des enseignants), - le peu d’efficacité des modèles didactiques traditionnels dans un domaine où il ne s’agit pas seulement de « dire » et « expliquer », mais souvent aussi de « montrer » et « faire ressentir ». c) Pour donner une idée de la variabilité de cette demande de compétences et aussi des problèmes de CI en amont de celle-ci, nous proposons ci-après un choix de quelques situations, tirées d’une série d’études de cas proposées par des professionnels qui on suivi l’une ou l’autre des trois éditions de l’executive Master en Communication Interculturelle dénommé MIC 2) : cfr Poglia (2005) : - Problèmes de communication interne dans une ONG européenne qui œuvre contre l’infanticide féminin au Tamil Nadu, problèmes liés à la fois aux différentes cultures 1 En Suisse: Hautes Ecoles Spécialisées et Hautes Ecoles Pédagogiques : ce sont probablement ces dernières institutions qui portent l’intérêt plus marqué aux problématiques interculturelles (ex Sieber, Bischoff, 2007). 2 L’Executive Master en Communication Interculturelle (MIC) que la Faculté de Sciences de la Communication de l’Université de la Suisse italienne de Lugano offre à des professionnels, tels des responsables de la communication ou des responsables de projets dans des institutions publiques et privées ainsi que dans des entreprises qui œuvrent dans un contexte (interne ou/et externe) multiculturel. Pour chacune des trois éditions des cette formation (qui a débuté en 2004), 25 à 30 professionnels suisses et étrangers provenant de divers pays d’Europe mais aussi d’Afrique, Amérique et Asie, actifs dans les plus différentes professions (tels que responsables de projet d’Organisations internationales, notamment dans le secteur de l’aide au développement, administrateurs nationaux ou locaux, ecclésiastiques, enseignants, responsables de la communication dans des ONG, etc.) et ayant des formations de base très variées (sciences sociales, économie, journalisme, pédagogie, architecture, design, etc.) ont suivi les cours et séminaires de professeurs universitaires et de professionnels de haut niveau avec des provenances nationales et disciplinaires presqu’autant variées. . Improving intercultural communication 4 en présence (ex manières contrastées de considérer les rapports homme-femme) mais aussi aux différences de classe, de caste et de niveau de formation, - Campagne de communication - très problématique - sur le SIDA gérée par un congolais (catholique) au Sénégal (où l’islam est prédominant) pour le compte d’une ONG européenne, - Problèmes de gestion de la communication entre les services sociaux d’une ville suisse-alémanique et des demandeurs d’asile (femmes africaines en particulier), difficultés sur lesquelles tente d’intervenir une médiatrice, elle-même africaine, - Problèmes rencontrés par un opérateur social, actif dans le secteur de l’intégration des jeunes de très récente immigration en Suisse, face à des familles transnationales n’ayant pas une langue commune entre leurs membres (ex chinois, italien, anglais) au moment du regroupement familial sur sol suisse, - Problèmes de gestion des controverses politiques locales liées au séjour de Tziganes sur des terrains appartenant à des communes suisses, avec l’intervention des média et en filigrane les contrapositions idéologiques et électorales entre partis politiques, - Problèmes liés à la diffusion d’un magazine qui opère sur le « marché ethno » dans une grande métropole italienne, - Problèmes de gestion (sociale et didactique) de groupes d’étudiants saoudiens dans le contexte d’une grande université hollandaise, - Problèmes liés à la sensibilisation à la multiculturalité du personnel d’un corps de police cantonal ou du personnel sanitaire d’un grand hôpital, - Problèmes de gestion des relations entre cadres suisses et cadres anglais dans une entreprise suisse récemment rachetée par une multinationale britannique. Si, aux delà des cas précités, on considère de manière globale les demandes de compétences des participant(e)s 3) à ce Master, on constate qu’il s’agit, en premier lieu, de celles nécessaires pour maîtriser l’inéducable complexité des situations de CI auxquelles ils sont confrontés, situations caractérisées par un mélange d’attitudes et langages différents, impliquant des valeurs et des représentations des autres ainsi que 3 Pour ne pas surcharger le texte nous n’avons pas systématiquement utilisée la forme masculine + féminine. . Improving intercultural communication 5 traditions divergentes, le tout influencé par les effets des stratifications sociales et par la répartition inégale du capital culturel et social. Ensuite leur demande pressante porte sur les instruments nécessaires à l’intervention professionnelle: des informations et des connaissances spécifiques, des concepts et modèles d’explication (d’utilisation facile si possible…) et spécialement des modèles d’action, des procédures-type, des best-practices. Naturellement une forte demande porte aussi sur la panoplie d’outils nécessaires - en situation de CI encore plus que dans n’importe quelle autre situation professionnelle pour l’implémentation d’une bonne : - communication interpersonnelle (verbale et non-verbale, par ex. dans le contexte de la négociation) - gestion de la communication médiale (tant celle générée par les mass-médias que celle implémentée par leur intermédiaire) - utilisation des différentes technologies la communication adaptée aux situations de CI Au-delà de ces demandes opérationnelles un idéal pointe aussi : celui de pouvoir disposer des instruments qui permettraient de réaliser les grandes potentialités positives que chacun d’eux entrevoit dans la multiculturalité (enrichissement culturel et émotionnel, amélioration des relations humaines, etc). L’analyse de la demande de ces compétences en CI qui émane des professionnels insérés dans les secteurs avec une forte présence multiculturelle, nous a paru utile, voire nécessaire, non seulement pour planifier les offres de formation qui leurs sont adressées, mais aussi pour concevoir celles adressées aux jeunes étudiant(e)s universitaires qui se destinent par la suite à œuvrer dans ces secteurs. Du point de vue du design didactique, la différence essentielle entre les deux offres de formation est due au fait que les professionnels peuvent puiser dans leur réservoir d’expériences de CI : pour eux la théorie est donc un instrument bienvenu pour décrire et expliquer une réalité qu’ils connaissent, alors que pour les étudiants inexpérimentés cet ancrage fait défaut. Il s’agit, dans ce cas, de pouvoir rendre visibles, vivantes, « palpables », des « tranches de réalité » de CI : performance difficile à réaliser avec les outils didactiques traditionnels (parole, textes,…). Les documents audio-visuels, les études de cas, les récits directs etc. deviennent alors d’autant plus nécessaires pour une didactique efficace. Improving intercultural communication 2. 6 Une clarification des approches épistémologiques et méthodologiques est nécessaire comme préalable à la conception d’une formation efficace en CI au niveau universitaire4 La demande exprimée par les professionnels de la CI (dont on a fait allusion avant) de pouvoir disposer d’un schéma d’analyse à la fois simple et puissant des situations et problèmes de CI, se heurte non seulement à l’extrême complexité de la réalité multiculturelle, mais aussi à la carence d’instruments scientifiques pour la décrire et la comprendre. En effet, l’arsenal épistémologique et méthodologique développé dans ce but par les chercheurs de différentes disciplines est sûrement riche, foisonnant et en pleine expansion, mais bénéficie malheureusement aussi d’un niveau de cohérence assez bas. Il nous a ainsi paru nécessaire, avant de nous aventurer dans la conception d’une formation en CI, de procéder à un minimum de clarification épistémologique. 2.1 Des concepts fondamentaux très/ trop polysémiques Il n’est pas rare que, même les concepts de base les plus élémentaires pour la CI, soient utilisés avec des définitions multiples et non rarement incompatibles, ce qui est le cas même des concepts d’« interculturel » et de « multiculturel ». Pour divers auteurs par exemple, « communication interculturelle » ne signifie rien d’autre qu’une communication dont les participants se réfèrent à des codes et des configurations culturelles différentes, sans aucun souci de qualifier cette communication comme plus ou moins réussie, utile, bonne, satisfaisante pour certains ou tous les interlocuteurs. Par contre, pour d’autres auteurs, notamment ceux proches du monde de l’éducation, l’« option interculturelle » implique nécessairement une valorisation positive, cf. par exemple Allemann-Ghionda (1997). Cette interprétation avait par ailleurs déjà été proposée il y a plus de vingt cinq ans par le Conseil de l’Europe dans un de ses premiers documents programmatiques en la matière (CoE, 1984). Pour celui-ci le multiculturalisme constitue une richesse, mais seulement potentielle: il faut en effet instaurer une interpénétration et une « interfécondation » positive entre les cultures, sans pour autant gommer les spécificités de chacune d’elles, pour atteindre le « stade interculturel réel » qui, par définition, a ainsi une valence positive. 4 Pour ce chapitre cf. notamment Poglia (2005 et 2007) Improving intercultural communication 7 D’autres auteurs, notamment Mantovani (2004), utilisent plutôt le concept de « interculture » pour désigner la fondamentale « pluralité » culturelle des actuelles sociétés globalisées. Dans ce sens il n’y aurait plus de « cultures » séparées les unes des autres, mais bien cette « interculture » dans laquelle les groupes et les individus puisent leur propre configuration culturelle spécifique et en perpétuelle évolution: et cela serait à considérer positivement. On retrouve la même situation d’incertitude sémantique avec le concept de « multiculturalisme » lequel, si pour quelques auteurs européens peut renvoyer à des simples situations de co-présence de groups sociaux culturellement différents, il assume pour beaucoup d’autres (notamment outre-Atlantique) une coloration politique et idéologique marquée, en tant que « reconnaissance positive » de groupes/communautés culturelles minoritaires (Taylor, 1994, Semprini, 1997). Le concept de « communication » lui-même ne jouit d’ailleurs pas d’une définition beaucoup plus nette. Les sciences de la communication, qui font largement appel à différentes disciplines telles la linguistique, la psychologie, la sociologie, la sémiotique ou aux théories de l’information pour définir ce concept, proposent en effet des points de vue multiples et non nécessairement convergents. Ainsi le célèbre modèle de Shannon et Weaver, conçu pour rendre compte des aspects techniques de la transmission de l’information (émetteur, message, récepteur, canal, bruit, etc.), a été aussi utilisé pour décrire et analyser la communication humaine (en le rendant plus robuste il est vrai, par l’accent mis sur l’« intention » de l’émetteur et par la codification des fonctions de la communication en analogie à celle du langage (Jakobson, 1981). Ce modèle a naturellement été critiqué comme étant trop simple (voir simpliste et « mécaniste »), la communication humaine réelle impliquant en réalité une multitude de ces processus simples qui s’influencent les uns les autres (par exemple par des processus de rétroactions): le cas échéant cette réalité complexe serait mieux approchés par des modèles systémiques, comme celui de l’école de Palo Alto, ou par des modèles interactionnistes, cfr notamment Mucchielli (1998). Bien d’autres modèles des situations et processus de communication sont par ailleurs disponibles, dont celui qui a été élaboré dans le contexte de l’approche pragmatique en linguistique, qui met au centre de son analyse « l’action communicative », et considère que communiquer constitue toujours une action/inter-action à travers laquelle les interlocuteurs tentent de donner suite et corps à leurs « intentions » (Rigotti et Cigada, 2004). Un autre modèle (ou métaphore) de la communication, très apprécié dans le contexte de la gestion d’entreprise, considère celle-ci comme un échange de « messages gagnants » et les différents phases de la communication comme des « coups » (d’une métaphorique partie d’échecs) dont le but serait de « gagner la partie communicative » Improving intercultural communication 8 avec, par exemple, des coup « up » en phase d’attaque et « down » en posture défensive (Balboni, 1999). Une autre situation de flou sémantique bien connue est celle dans la quelle se débat le concept de « culture », bien que, depuis un siècle au moins, il soit au centre de la réflexion anthropologique et sociologique. Sur ce terrain tellement foisonnant, il est d’ailleurs difficile même de détecter les grandes lignes de clivage: rappelons seulement que chaque grande école (et souvent chaque auteur) des sciences humaines et sociales à éprouvé la nécessité de poser sa définition. Individualistes ou fonctionnalistes, structuralistes ou tenants des écoles systémiques et holistes, constructivistes ou auteurs qui se reconnaissent dans les mouvances critiques ou post-modernes (Corcuff, 2000), ne pouvaient pas ne pas considèrent la culture sous des points de vue (parfois radicalement) différents. Ceci n’est d’ailleurs nullement étonnant si on considère le fait que ce concept constitue, avec probablement ceux de « société », d’« individu » (év. « conscience individuelle ») et d’ « histoire » un des passages obligés de la compréhension de l’humain: se déterminer par rapport à ces concepts et aux relations qu’ils entretiennent entre eux, revient à choisir les paradigmes essentiels qui sont à la base de cette compréhension (par ex si on choisit le paradigme « EMIC », toute analyse de l’humain ne peut se faire que depuis l’ « intérieur de sa propre culture », alors que le paradigme « ETIC » permet un regard extérieur, le cas échéant « objectif », passage obligé de l’approche scientifique traditionnelle). 2.2 Un premier choix didactique Face à cette situation, le choix réaliste en vue d’une didactique efficace, consiste à : - dévoiler aux étudiants cette situation complexe, sûrement riche et stimulante du point de vue intellectuel mais nettement moins satisfaisante de celui de leur pratique professionnelle (actuelle ou future), sans opérer, à ce stade, des choix épistémologiques à-priori, - procéder non pas par des définitions top-down, nécessairement très générales et marquées par ces à-priori, pour en venir ensuite à leurs contenus particuliers (par exemple « la culture est… » et ensuite « voici quelques possibles contenus culturels : valeurs, représentations, savoirs, normes, etc.), mais adopter la procédure inverse (partir par exemple des éléments culturels de base, en considérer les combinaisons, par exemple les « dimensions » ou « standard culturels » et définir ensuite les « cultures » ou mieux, les « configurations culturelles », comme étant des combinaisons spécifiques de ces éléments et dimensions). La fig.1 suivante qui donne une idée schématique de ce procédé qui a été justement utilisée pour la définition du concept de « culture » dans le cadre du cours I2C: Improving intercultural communication 9 Configurations culturelles/ Cultures Éléments culturels Dimensions Culturelles, ex: • • • • individualisme-esprit collectif valorisation hiérarchies innovation-conservation rapports au « faire », au « consommer », à la « spiritualité » • …. Idéologies (qu’est ce qu’on veut ?) • concepts • opérateurs cognitifs, affectifs • codes (ex linguistiques) • connaissances • représentations (de soi-autres-monde) • symboles • valeurs • normes, règles • croyances • rites • goûts, sentiments • opinions, choix collectifs • attitudes • capacités • etc. Regroupés en: Identités collectives (qui sommes-nous ?) Sphères culturelles thématiques • • • • • • politique scientifico-tech. économique formative religieuse sociale,… Traditions (d’où venons-nous?) Figure 1 : Configurations culturelles 2.3 Communication interculturelle comme discipline ou comme champ scientifique Comme les concepts rappelés précédemment, celui de « Communication interculturelle » est aussi polysémique: son ambivalence épistémologique de base renvoie à deux visions qui, sans être nécessairement contradictoires (notamment si on les replace dans une durée historique suffisamment longue), pour le moment sont loin d’être intégrées. a) D’un côté (notamment aux USA), la communication interculturelle est souvent considérée comme une discipline académique en soi (du moins en devenir), pouvant compter déjà sur les éléments essentiels qui caractérisent chaque discipline : des paradigmes communs et des méthodes reconnus, une communauté scientifique active et bien insérée académiquement, des revues, etc. Etant donné la nouveauté de cette « discipline », il n’est néanmoins pas facile de définir avec précision les contours des Improving intercultural communication 10 problématiques qu’elle traite en priorité. Récemment, Kim, a tenté de proposer une énumération des grands thèmes traités et des approches inhérents (Kim, 2005) 5: - études sur les spécificités de la communication à l’intérieur de groupes culturellement homogènes et impact de celles-ci sur la CI quand leurs membres respectifs entrent en contact, - études de type cross-cultural, dans une prospective ETIC, visant à comparer deux ou plusieurs « groupes culturels » (souvent « nationaux »), - études qui se concentrent sur des aspects psychologiques des relations interculturelles et qui tentent notamment de clarifier la naissance des stéréotypes, préjudices, du racisme et de l’intolérance « culturelle », - études sur les (la) compétences « générales » de communication interculturelle (càd des compétences considérées comme culturellement non-spécifiques), - études sur l’adaptation, l’acculturation, l’intégration et l’assimilation du point de vue des individus, - études sur l’identité culturelle (et sur les concepts qui lui sont rattachés tels ceux d’identité ethnique, ethnolinguistique, raciale), identité vue comme stable et prépondérante par rapport à celle individuelle, - études et analyses critiques des études précédentes, accusées de minimiser les rapports de force dans la communication interculturelle et de reproduire ainsi les idéologies dominantes. Cette typologie ne met pas en lumière d’autres problématiques, pourtant centrales dans la pratique de la communication interculturelle, telles celles traités par les: - études sur la communication interculturelle dans les média, en notant que ce terme subsume différentes réalités: instruments relativement passifs (ex. internet, utilisé par des « bloggeurs » pour entrer en communication entre eux) ou organisations/entreprises telles journaux, radio et TV, qui d’une part ne font aussi que transmettre les messages produits par des agences extérieures (par exemple une agence gouvernementale) aux destinataire finaux (par exemple électeurs), mais qui d’autre part sont aussi des producteurs « en première personne » de messages et donc de contenus culturels, - études sur la communication interculturelle au niveau des organisations; en effet celle-ci ne se produit pas seulement au niveau interpersonnel ou de petits groupes informels suivant des logiques essentiellement psychologiques: fréquemment elle se configure par contre aussi comme communication entre des organisations 5 On retrouve d’ailleurs une tentative semblable dans Ogay (2000) . Improving intercultural communication 11 (entreprises, administrations, ONG établissements scolaires) et entre celles-ci et des citoyens (du propre pays ou d’autres pays), clients, bénéficiaires, usagers, etc. b) D’autre part, la Communication interculturelle est aussi définie par plusieurs autres chercheurs (probablement plus fréquemment parmi les européens), non pas comme une discipline en soi, mais plutôt comme un « objet » qui, de par sa nature, demande une approche interdisciplinaire, joignant notamment les apports des sciences de la communication, de l’anthropologie, de la sociologie, de la linguistique et de la sémiotique, de la psychologie, etc. et traitant une palette de thèmes plus large que celle présentée ci-dessus. C’est l’option que nous avons choisi comme base du cours I2C, sans exclure que, à moyenne échéance ces approches se fondent réellement en une discipline unique. Il est plus difficile par contre d’estimer la consistance de la catégorie des chercheurs qui tentent de faire le tour des réalités de la CI en restant dans les limites d’une seule discipline : ceci aussi parce ces chercheurs ne se définissent pas par rapport à la CI mais à leur discipline de provenance (publiant par ex dans les revues de linguistique, de sociologie, etc) 2.4 Le schéma analytique (I2C) à la base de la formation en CI Si l’apport de plusieurs disciplines et approches scientifiques est utile et parfois absolument nécessaire pour avoir une vue d’ensemble réaliste et non-unilatérale des situations de communication interculturelle, cela implique de gros efforts didactiques afin que cette complexité ne soit pas perçue comme chaotique, voire incompréhensible par les étudiant(e)s. Il nous a donc semblé nécessaire de choisir, dans la richesse des apports disciplinaires, les éléments les plus qualifiants ou, pour mieux dire, ceux avec la plus grande efficacité didactique et parallèlement de les lier entre eux. Le résultat est le schéma analytique suivant, appelé I2C (Improve Intercultural Communication), construit essentiellement sur l’hypothèse que pour analyser et comprendre chaque réalité communicative interculturelle il est indispensable de la considérer en partant de quatre points de vue synchroniques (ou de considérer sa projection sur quatre plans): processus de communication, configurations culturelles, individus, ainsi que cadres / acteurs sociaux. Ceci en tenant compte du fait que ces 4 points de vue impliquent nécessairement une ultérieure dimension, de type diachronique. La figure 2 en offre une synthèse schématique. Improving intercultural communication 12 Schéma d’analyse I2C Processus de communication Configurations culturelles / Cultures Communication interculturelle Individus s on es si ell en or im p D em t Acteurs et cadres sociaux Figure 2 : Le schéma d’analyse I2C Les 4+1 dimensions du schéma I2C sont définies de manière assez précise (cf fig 1 pour l’exemple des configurations culturelles) et chacun de leurs éléments de base l’est aussi à son tour, parfois de manière comparative (ex. différence entre valeurs et normes, entre stéréotypes et préjugés, etc.) Du point de vue didactique ce schéma a en premier lieu la mission de rappeler, que chaque processus de Communication Interculturelle doit être nécessairement considéré à partir : - des éléments du processus communicatif considéré en tant que tel, par exemple les intentions qui l’ont déclenché, la nature du/des message/s, les codes, les interférences et filtres, etc, Improving intercultural communication 13 - des configurations culturelles (ensemble d’éléments culturels, dimensions et standards culturels) auxquelles se réfèrent tous les interlocuteurs impliqués, qu’ils soient acteurs individuels ou collectifs, - des aspects psychologiques caractérisant les individus interlocuteurs (leurs mécanismes cognitifs, affectifs etc.), - des cadres sociaux (groupes, organisations, sociétés nationales, etc.) qui constituent le lieu social dans lequel évoluent les individus, se développent les processus communicatifs et s’incarnent les configurations culturelles considérées. Ces cadres sociaux peuvent à leur tour devenir acteurs (ex une entreprise) et jouer le rôle d’interlocuteurs, - d’une vision dynamique des dimensions précitées, liée aux temporalités tant individuelles que sociales et donc historiques. Dans la pratique didactique, ce schéma peut être utilisé efficacement seulement à la condition qu’il soit accompagné d’une réflexion (du moins d’une introduction) portant sur les méthodes scientifiques appropriés qui permettent d’analyser efficacement les réalités communicative spécifiques considérées (méthodes naturellement liées aux contextes disciplinaires « de provenance »). 2.5 Le passage didactique de l’analyse à la pratique de la « bonne » CI Tenant compte des demandes dont il a été question précédemment, ce premier moment de nature analytique intégré, dans le contexte du cours I2C, par une série d’activités didactiques visant la construction et l'implémentation de « compétences interculturelles » pratiques, activités qui doivent néanmoins être précédées par une réflexion sur les questions éthiques et politiques que la gestion de la multiculturalité implique nécessairement et par une mise au clair de ce que signifie évaluer, acquérir, appliquer une compétence de CI ; cf. par ex Chen & Starosta (1996). La dernière partie de la formation I2C (différenciée selon le secteur de provenance ou destination professionnelle des participants) porte sur l’application des compétences ainsi acquises (analytiques et opérationnelles) à différents domaines de l’activité professionnelle (pédagogie interculturelle, média, aide au développement, etc.) Globalement l’offre didactique I2C peut ainsi être synthétisée par le schéma de la fig 3 : Improving intercultural communication 14 Structure générale de la formation I2C M0: Motivations, Choix épistémologiques Module 0 M1 M2 ts en e m ed u str ys In anal CI la d’ M2: Cultures M3 M3: Individus M4 M4: Acteurs et cadres sociaux M5: Méthodes d’analyse M5 d’ Do ap m pl ain ic e at s io n ts n en tio s e m e ru g e d st a In r l iqu I u t C po pra la M1: Processus de Communication M6 M6: Ethique de la CI M7 M7: Compétences interculturelles Mx Education My Média Mx-y: Champs d’application et analogues Figure 3 : Structure générale du cours I2C 3. Organisation, design et outils didactiques du cours I2C 3.1 Types de formation et étudiants/ usagers visés La réponse de l’université et des autres institutions d’enseignement supérieur aux demande de compétences en CI décrites précédemment doit naturellement être déclinée en fonction des domaines professionnels et des degrés de spécialisation requis. De ce point de vue trois niveaux au moins doivent être pris en considération : - un niveau de « sensibilisation à la multiculturalité », pour tous les étudiants qui envisagent de travailler dans un des (nombreux) secteurs touchés par ce Improving intercultural communication 15 phénomène : cette sensibilisation pourrait « peser » de 1à 3 ECTS répartis sur l’ensemble de la durée de la formation (ca. de 180 à 300 ECTS). - un niveau d’« introduction étendue à la CI » pour des futurs professionnels des secteurs particulièrement touchés par la multiculturalité et les problèmes qu’elle implique (dont celui de l’école, de la médiation, de l’intégration des migrants et, le cas échéant, des services sociaux et sanitaires, de la gestion d’entreprises multiculturelles, etc). Il pourrait s’agir d’une formation comportant env. 6 à 12 ECTS insérés notamment dans les formations de niveau master, - un niveau de « spécialisation en CI » pour les professionnels (actuels on futurs) de ces secteurs qui doivent prendre en charge de tâches telles la résolution de problèmes complexes de CI ou la sensibilisation et la formation de leurs collègues dans ce domaine. Ceci dans le cadre d’un master de type Bologne on d’un master de type « executive » ou encore d’un MAS. Le projet I2C dont il est question ici est une formation du deuxième type ; il est actuellement dans une phase avancée de réalisation à l’USI de Lugano, avec la collaboration des universités de Neuchâtel et Genève. Il va de soi que les choix épistémologique et didactiques illustrés au chapitre précédent constituent les fondements de cette formation (ou pour être plus précis, ce sont les impératifs didactiques de celle-ci qui ont, en partie du moins, motivé ces choix). 3.2 Le recours à la didactique multimédiale De par la nature des thèmes traités, la didactique utilisée ne pouvait pas se limiter aux moyens classiques (présentations orales, discussions en classe, textes, polycopiés, slides), mais a du faire appel à différents autres supports (un support visuel par exemple - image fixe ou film - est bien plus efficace pour montrer et analyser des codes nonverbaux qu’un texte écrit…). Dans l’ensemble, le cours I2C dispose ainsi des 12 tools informatisés suivants, dont chacun peut être considéré comme une « armoire » contenant un certain type de documents et en même temps comme l’instrument pour les extraire et les utiliser : Tool 1 : Interactive conceptual plans, qui lie entre eux les contenus du cours et permet d’y accéder, Tool 2 : Slides, (en format Breeze, Power Point et Pdf), qui assurent le « fil rouge » du cours, Tool 3 : Handouts, avec les textes in-extenso des contenus résumés par le slides, Improving intercultural communication 16 Tool 4: Laboratory Management Tool, instrument permettant de gérer les exercices et les simulations, Tool 5 : Learning materials, tels cartes géographique, organigrammes, schémas, fiches thématiques, fiches d’auteurs, de livres, etc, Tool 6 : Audiovisual documents, notamment court-métrages et extraits de documents TV, internet et de documents ethnographiques, avec une double fonction didactique: illustrative de situations réelles de CI (ex. documentaires) et de support pour des exercices (ex. courts-métrages), Tool 7 : Chosen reference texts, textes de base et lectures complémentaires (notamment articles et extraits de monographies), Tool 8 : Glossary, relié directement aux concepts utilisés dans les slides et les handouts, Tool 9 : Case studies, à analyser collectivement en classe ou comme travail individuel à domicile, Tool 10 :Role plays, simulations permettant de « vivre » des situations pratiques, professionnelles ou non, Tool 11 :Dictionary of non-verbal communication, portant notamment sur la gestualité, Tool 12 :Auto-evaluation tools. Globalement l’ensemble de l’offre didactique I2C a été synthétisée par la métaphore visuelle du « Labo de CI » de la fig 4. Cette « porte d’entrée » vers les matériaux du cours comporte les liens permettant d’accéder aux divers modules et aux 12 tools. A noter que, soit en partant des slides que des handouts, on a accès, par l’intermédiaire de liens dédiés, à des documents spécifiques parmi ceux contenus dans les divers tools (étant entendu que le professeur ou l’étudiant peut utiliser assez facilement tous les autres documents disponibles). Le cours comportera aussi une série de liens hypertextes permettant de passer d’un chapitre à l’autre, d’un module à l’autre, etc. L’instrument I2C peut être utilisé tant dans le cadre d’un cours en présence proposé par le professeur en version « blended» (présence plus on-line), que dans une version entièrement on-line depuis un accès internet qui permet d’accéder à la plateforme dédiée aux cours à distance de l’USI. L’ensemble peut aussi par ailleurs être disponible pour les étudiants et le professeur sur un support DVD ou chargé sur disque dur. Improving intercultural communication 17 La métaphore visuelle d’entrée: le « Labo de la CI » T1 CI méthodes s choix épistémologiques s Figure 4 : Le Laboratoire de CI : porte d’entrée du cours I2C 3.3 Etat d’avancement du projet Différents modules et contenus des tools décrits ci-dessus ont déjà été testés dans des classes de master (de type Bologne et de type executive) avec des résultats satisfaisants : comme prévu, les étudiants plus jeunes ont été spécialement intéressés par l’opportunité qu’offrent les documents (ex. audio-visuels) d’entrer « vraiment » dans des réalités non connues, tandis que les professionnels ont apprécié plus particulièrement l’aspect « structurant » du choix épistémologique à la base du cours (qui permet notamment de « lire » plus facilement les situations et problèmes inhabituels de CI). Improving intercultural communication 18 Ces tests ont, en tout cas, confirmé que cet instrument didactique peut facilement être utilisé par l’enseignant de manière flexible, suivant les exigences didactiques aux quelles il est soumis (ex temps disponible, type de classe, etc). L’ensemble des matériaux du cours devrait être disponible dans sa première version avant la fin de l’année 2008, en accès libre pour les partenaires du projet et d’un accès relativement facile pour les autres institutions de formation. Tel qu’il est conçu, cet instrument ne devrait d’ailleurs pas rester figé, mais évoluer avec l’adjonction de nouveaux matériaux, modules, etc Bibliographie Adler, N.J. (2002). International Dimensions of Organizational Behavior. 4th edition, Cincinnati, Ohio: South-Western Publishing Allemann-Ghionda, C. (1997). Éducation, diversité culturelle, plurilinguisme. Dans Multiculture et éducation en Europe. Ed. Lang, Bern-Berlin Balboni, P. E. (1999). Parole comuni, culture diverse. 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