LA CAME COMME MODE DE VIE
Claire Remy, RAT-SBP-LAAP
Synthèse de l’intervention
"J'ai appris l'équation de la came. La came n'est pas, (…) un moyen de jouir davantage de la
vie. La came n'est pas un plaisir. C'est un mode de vie". (W. Burroughs)
N'étaient les murs au sein desquels nous tenons cette assemblée, je craindrais fort de faire
figure de seule caution psychanalytique à ce colloque. Cependant, la question qui est ouverte
aujourd'hui est d'importance: que puis-je, en tant que psychanalyste, ou plutôt que peuvent la
pratique et la connaissance de la psychanalyse, apporter comme contribution à la
compréhension intime des processus que l'anthropologie nous décrit comme étant ceux qui
soutiennent les addictions?
Si nous partons de l'idée que ces deux disciplines se croisent et se complètent, qu'elles sont
des lectures différentes, concentrées sur le même objet et qu'elles peuvent en dessiner plus
précisément les contours, on peut imaginer les choses de la manière suivante : si l'anthropologie
dessine les processus culturels, sociologiques et groupaux que nous voyons à l'œuvre, la
psychanalyse quant à elle peut tenter d'ouvrir un peu la "boite noire" du psychisme individuel,
et les rouages de son fonctionnement lorsqu'il est confronté au monde qui l'entoure.
C'est donc à ce titre que je tenterai de vous faire partager quelques réflexions sur l'usage que
l’on peut faire de la psychanalyse, dans la rencontre avec l'addiction et plus précisément sur ce
qui en a été mon usage, dans ma clinique personnelle.
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D'abord quelques précisions terminologiques:
Par
1
Le divan de Freud (http://www.thehistoryblog.com/wp-content/uploads/2014/01/Freud_Sofa.jpg)
"psychanalyse", j'entends ici au sens Freud l'entendait lui-même, les trois "piliers" de cette
discipline: " Conformément à sa définition la plus complète, la psychanalyse désigne trois éléments:
un procédé d'investigation de processus psychiques déterminés, les processus inconscients, une
méthode thérapeutique appliquée aux "névroses" et une série de conceptions psychologiques qui
peut avec le temps revendiquer la qualité de "science" (Freud dans Théorie de la Libido en 1923)
2
.
Pour ce qui est de "la série de conceptions qui peut avec le temps revendiquer la qualité de
science", on trouve aujourd'hui un corpus théorique qui s'est alourdi au fil du temps et qui peut
sembler très encombrant voire rébarbatif et peu contributif, lors des rencontres avec ces
patients aux marges sociales, économiques ou culturelles de nos mondes habituels.
Mais tout autre sera le "procédé d'investigation des processus psychiques". En effet, cette
pratique nous met en contact particulièrement intime avec le fonctionnement psychique de nos
patients, et nous enrichit d'une compréhension fine de leurs vécus et de l'interprétation
personnelle de leurs histoires dont ils font leur "réalité psychique". Derrière le divan, nous nous
trouvons au plus près de ce qu'il nous est possible d'entendre du fonctionnement de l'âme
humaine et de la pensée, tant de celle de nos patients que la nôtre.
Ceci explique cela: devant l'impact affectif de ce contact direct et intime, il est possible de
réaliser mieux le pourquoi de tant de théories complexes dont je parlais plus haut leur fonction,
pour l'analyste, est aussi "défensive" ce qu'on y entend peut paraître parfois si étrange, si
éloigné, si "différent", qu'il parait nécessaire de construire des explications qui, hélas, seront
toujours "simplistes" en regard de la complexité des choses.
Que faire donc de ces théories, et de ces références à une pratique clinique dont l'exercice est
long, cher et semble réservé à une élite capable d'y mettre les moyens et disposant d'une culture
et d'une capacité de verbalisation dont pourraient paraitre dépourvus au premier abord les
sujets des scènes dont Pascale Jamoulle
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nous parle dans son article.
La référence à notre banale et commune humanité me parait insuffisante pour construire une
compréhension fine des processus intrapsychiques qui amènent une personne, précisément
celle-là, à ce moment-là de sa vie, à se trouver piégée dans un processus groupal d'exclusion. Il
me semble par trop facile de considérer qu'il faille renoncer aux théories du psychisme pour
entrer en contact avec des patients qui seraient trop marginaux, ou trop exclus. À mon sens,
nous ne ferions qu'agir une seconde exclusion. Loin de moi l'idée d'affirmer que tout est déjà
joué précocement, et "écrit", bien entendu, mais proche, le projet de comprendre ce qui peut se
jouer pour une personne à un moment de sa vie qui la verra basculer ou pas, se relever, ou pas.
Sur quoi va-t-elle s'appuyer pour se relever? Et donc, quels dispositifs d'aide mettre en place?
D'abord exorciser quelques idées reçues concernant la psychanalyse qui courent au dedans
de nous, invisibles mais bien présentes, très prégnantes dans nos discours.….
Premières images de ces idées reçues: les classiques, sympathiques mais
simplistes/ironiques comme Les PSYS de Bédu et Cauvin, où les psys sont tout simplement aussi
fous qu'on peut l'imaginer, le plus souvent parfaitement inutiles, mais, et ce n'est pas anodin,
très très "humains"….
2
Encyclopédie de la philosophie universelle (PUF 1992)
3
Voir l’article de Pascale Jamoulle dans ces actes.
ATELIERS
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Les autres sont plus subtiles, et souvent porteuses de vérités cachées comme nous allons le
voir: Celle inspirée de Claude Serre, qui nous montre un analyste et son patient tous les deux
assoupis, dans une pose décontractée et confiante, remettant à plus tard l'élaboration
probablement complexe de leurs psychismes respectifs, mais jouissant d'un instant de bonheur
tranquille dans le sommeil partagé.
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Mais je vous propose de nous aider à penser les choses en nous appuyant sur des éléments
plus proches de nous, comme ci-après une aquarelle, dessinée par un collègue.
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Nous la passerons au crible de notre réflexion, pour en ouvrir tous les possibles, comme
l'écoute analytique nous permet aussi d'ouvrir tous les possibles, et de laisser à l'auteur, le
patient, le mot de la fin et le choix de sa conclusion.
Voici donc les images d'une jeune personne que le dessinateur nous montre allongée sur le
divan.
4
Inspiré d'un dessin de Claude Serre paru dans 'Rechutes"
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Aquarelle de BdL (propriété de l'auteur)
A voir la scène, la voir, il semble y manquer un protagoniste: prenons donc un peu de recul
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Un protagoniste important, l'interlocuteur privilégié à qui cette jeune femme allongée
raconte ses rêves sans doute, ses peurs, ses espoirs….
6
ibid
ATELIERS
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Mais qui est-il cet auditeur attentif, que fait-il? On le voit à l'avant plan cuisiner des œufs sur
le plat. Voilà une situation incongrue, étrange... Quelque peu choquante sans doute?
Voici bien une représentation énigmatique: comment comprendre, interpréter cette scène
qui nous parait complètement étrange?
Exprime-t-elle un fantasme, un rêve d'angoisse de l'analysante? Un rêve d'angoisse de
l'analyste? Nous montre-t-elle tout simplement une réali au premier degré, et donc un
psychanalyste fou et sa victime (consentante!)?
S'il s'agit du dessin d'un fantasme, on imaginera l'analyste, un peu taquin, ou "obsessionnel
rigide", celui qui "touille dans la soupe", répétant inlassablement l'interprétation qui lui semble
correcte et que l'analysante ne veut pas, ou n'aime pas entendre, et la concrétude des œufs sur le
plat disparaît symbolisant alors une pensée "encombrante" et déplacée, un souvenir un peu
pénible, un peu honteux, un peu désagréable, tel celui d'une blague salace qu'on n’aurait pas
comprise, ou alors, un souvenir heureux de rencontre ou de plaisir que l'après coup nous aurait
fait détester
Regardons la légende à présent:
On peut imaginer la honte de l'analysante qui s'est un jour montrée "infantile", ou envieuse,
ou jalouse, ou au contraire désirante et vivante mais "un peu trop", ou amoureuse éconduite
d'un homme interdit…. Et qui regrette amèrement de s'être ainsi laissé voir… mais qui dans le
même mouvement, se réjouit d'avoir été entendue/vue néanmoins, et de pouvoir rester en
présence de cet analyste qui l'écoute et l'entend, à poursuivre sa pensée tranquillement par la
suite.
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