Telle est l’hypothèse, le faisceau d’hypothèses. Pour commencer d’en explorer la portée, je
prendrai la question (la question du transfert) à revers en essayant de montrer que le point
d’impossible sur lequel bute toute sagesse (comme toute psychanalyse aussi, mais pas de la
même façon, et pas avec les mêmes conséquences) est précisément celui de l’amour, de la
vraie amour, celle qui affole le « sujet non identifié ». Et pour mettre ce point à l’épreuve, je
ferai, une fois de plus, le détour par la Chine, par cette Chine des lettrés qui a développé une
sagesse dont les travaux de François Jullien nous permettent de mesurer la radicale étrangeté
(si on la rapporte à celle des Grecs) et aussi l’inépuisable richesse. J’essayerai de montrer, en
prenant appui, entre autres, sur certaines études de Rainier Lanselle, que ces lettrés, dans
l’exercice même de leur sagesse, ont rencontré l’obstacle de l’amour, la flèche d’Érôs venant
se ficher au point précis où l’identité vacille. Qu’ils ont ressenti sa blessure, l’ont explorée et
ont inventé, ont bricolé une solution de secours : la fiction, la littérature de fiction. Ils n’ont
pas reculé, pour cela, à trahir la langue de leur Maître en sagesse – leur vacillante identité –, à
prostituer cette langue dans celle du vulgaire. Nous reprendrons donc cette année nos lectures
de contes ou de romans chinois, d’hier et d’aujourd’hui, en suivant le fil d’Ariane de cette
hypothèse : la fiction romanesque, l’écriture, la lecture comme ascèse que se seraient donnée
ces lettrés pour survivre à la morsure d’Érôs, mortelle à leur sagesse.
Ménagerons-nous ainsi, de loin et à revers, quelques vues sur la pratique de l’analyste laissant
et ne laissant pas son analysant dire jusqu’à plus soif l’amour qui le mord ? Sur le pas-sage de
sa pratique ?
Le séminaire se tiendra au 29, rue Madame, Paris VIème, les samedis 14 octobre, 18
novembre, 16 décembre 2006, 13 janvier, 10 février, 10 mars, 7 avril, 5 mai et 2 juin 2007,
de 10h à 12h.
Je redonne une bibliographie restreinte de textes traduits du chinois dont nous lirons quelques
fragments ; bibliographie toujours susceptible d’évoluer notamment par l’ajout de romans
contemporains écrits en français par des Chinois (Ying Chen, par exemple) :
Textes de la Chine ancienne
Qu Yuan Élégies de Chu Gallimard, trad. Rémi Mathieu, 2004 (-IVe)
Histoires d’amour et de mort de la Chine ancienne GF-Flammarion, 1997 (VII-IXè)
Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois Gallimard, La Pléiade, 1996 (XVIIe)
Cao Xueqin Le rêve dans le pavillon rouge Gallimard, La Pléiade, 1981 (XVIIIe)
Chen Fou Récits d’une vie fugitive Gallimard, 1967 (XIXe)
Texte de la Chine révolutionnaire
Lu Xun Cris (Nahan, 1923), Éditions en langues étrangères
Textes de la Chine actuelle
Bia Xianyong Garçons de cristal (Nie Tzu, 1995), Picquier, trad. A. Lévy (Poche)
Diao Dou La faute (Zui, 2004), Bleu de Chine, 2005 (Poche)
Jiu Dan Filles-Dragons, (Wu Ya, 2001), Actes Sud, A. Lévy, 2002
Mian Mian Les bonbons chinois (Tang, 2000), l’Olivier, S. Gentil, 2001 (Poche)
Su Tong Épouses et concubines (Qiqie Chenfqun,1987), Flammarion, 1992 (Poche)
Visages fardés, (Hongfen, 1992), Picquier, D. Bénéjam, 1995 (Poche)
Wang Chao Au paradis, l’amour (2000), Bleu de Chine, C. Delattre, 2004 (Poche)
Wei Hui Shanghai baby, (1999), Picquier, 2001 (Poche)
Xu Xing Variations sans thème l’Olivier, trad. S. Gentil, 2003
Et tout le reste est pour toi (Shengxia de dou shuyu ni, 2003), l’Olivier, 2003