L`évolution de l`Islam Politique durant la Transition Rached

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Lévolution de l’Islam Politique durant la Transition
Rached GHANNOUCHI
La transition démocratique vécue par la Tunisie depuis 2011 est sans précédent pour
notre pays et pour notre parti. Une évolution sest indubitablement produite au sein
de notre parti tout comme elle s’est produite au sein des autres partis et dans le pays
dans son ensemble. La transition du pays d’une dictature à une démocratie naissante
a conduit à une évolution, voire à une révolution dans certains secteurs, de la scène
politique, de la société civile et de la société dans son ensemble. Le présent document
est un aperçu de l’évolution du parti Ennahdha durant la période de transition d’un parti
de l’opposition persécuté des décennies durant et auquel on a refusé la reconnaissance
juridique à un parti majoritaire au sein d’un gouvernement de coalition. Il expose les
principes directeurs de l’approche qu’a le parti de la phase délicate de transition de la
Tunisie et de l’élaboration de sa constitution historique en particulier.
I. Principes de la transition démocratique et la recherche de consensus
Lextraordinaire phase de transition a constitué un dé considérable pour de la Tunisie
dans sa globalité, et notamment pour les partis qui ont eu la dicile tâche de gérer
le scabreux passage de la dictature à une société et un État démocratiques, justes et
ouverts. La phase de transition a permis de consolider des partenariats existants et
d’en créer de nouveaux, de mettre en œuvre les enseignements préalablement acquis,
et d’en tirer de nouveaux.
A. Partenariat inter-partis et création d’une coalition
Le principe du pluralisme est un principe que notre parti a adopté et promu depuis
sa création. Déjà en 1981, nous reconnaissions explicitement le droit de tout parti,
indépendamment de ses référents idéologiques, à gouverner sil est soutenu par la
volonté populaire et ce, bien avant les partis islamiques et laïcs qui ont longtemps
hésité -- certains jusqu’à ce jour-- à reconnaître un véritable pluralisme. Nous avons
également non seulement promu le principe de la coexistence, mais également
celui du partenariat et de la collaboration entre les partis indépendamment de leurs
référents intellectuels ou politiques. De nombreux exemples de tels interactions
et partenariats existent depuis les années 80, mais il semble que l’un des plus
remarquables et concrets exemples soit celui du Collectif du 18 octobre 2005. Le
Collectif, qui a réuni des militants politiques, des journalistes, des défenseurs des droits
humains aliés à diérents partis et indépendants, a commencé par une grève de la
faim collective à l’occasion du Sommet mondial sur la société de l’information organisé
à Tunis, avec pour objectif d’attirer l’attention sur la détérioration continue de l’état
des libertés en Tunisie et d’appeler à la cessation des violations des droits humains,
à la levée des restrictions imposées aux libertés individuelles, et à la libération des
prisonniers d’opinion.
Le Collectif a ensuite maintenu ses activités collectives et le dialogue an de concevoir
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
une vision commune de la Tunisie démocratique de la période après Ben Ali. Il a
produit des documents conjoints sur des questions importantes telles que l’égalité de
l’homme et de la femme, la liberté de croyance dans un pays musulman moderne et
le rapport entre l’État et la religion dans le futur régime démocratique. Le partenariat
entre militants séculiers et militants islamistes a été ardu, tant intellectuellement que
politiquement, parce que le régime de Ben Ali se basait sur la division et de polarisation
et s’opposait farouchement à un tel rapprochement. Cependant, ce partenariat s’est
avéré très important, productif et utile, en ouvrant la voie à un futur partenariat dans
la lutte contre la dictature et dans la construction d’une démocratie.
La collaboration avec les autres partis sest poursuivie après la révolution. Même avant
les élections de 2011, nous collaborions avec les partis au sein de l’Instance supérieure
pour la réalisation des objectifs de la révolution, et avions ouvertement exprimé notre
profonde conviction que, quels que soient les résultats des élections, la Tunisie avait
besoin d’un gouvernement de coalition fondé sur une collaboration entre les partis, et
notamment les islamiques modérés et les laïcs modérés.
Nous étions convaincus que la pose des fondements démocratiques était un immense
dé qui ne pouvait être relevé qu’en évitant la polarisation et en encourageant la
coopération entre les deux principaux courants de notre société et de notre nation, à
savoir ceux de la laïcité et l’islamisme modérés, les deux ailes du mouvement national.
Après les résultats des élections, nous avons réitéré notre appel à un gouvernement
d’unité nationale. Si nous avions voulu former une coalition fondée sur une « similarité
idéologique », nous aurions pu former un gouvernement avec, par exemple, la
Pétition populaire et les non aliés. Cependant, nous avons cherché à instaurer une
coopération inter-idéologique, et le rejet de toute monopolisation du pouvoir en guise
de nouvelle tradition démocratique en Tunisie. Deux partis laïcs de centre-gauche ont
répondu à notre appel : Ettakatol et le CPR et nous formions une coalition qui a fourni
un excellent modèle de coexistence, le premier du genre dans la région, entre séculiers
et islamistes, les deux courants qui se sont arontés durant le dernier demi-siècle.
B. Recherche de consensus vs démocratie majoritaire
La coalition Troïka, composée d’Ennahdha et de deux partis laïcs, a constitué la
preuve manifeste de notre conviction que la Tunisie ne devait être gouvernée que
par le consensus, et que les transitions ne pouvaient être gérées avec une logique
de majorité contre minorité ».
En eet, l’élite politique tunisienne, et en grande partie grâce aux eorts d’Ennahdha,
a développé le concept de démocratie transitoire, qui est davantage fondé sur la
participation et latteinte de consensus que sur la démocratie majoritaire. Ceci était
un nouvel enseignement appris par l’expérience et est à l’origine de l’« exception
tunisienne ». L’adoption, de notre part, de la méthodologie du fonctionnement
consensuel reposait sur la conviction que les phases de transition ne pouvaient ni ne
devaient être gouvernées par une majorité de 51% qui ne saurait assurer la stabilité
dans un système politique. Au lieu de cela, un large consensus devait être atteint entre
les tendances les plus générales de la société tunisienne, tant de la majorité que de
la minorité. Par conséquent, nous voulions une Constitution qui ne représente pas
Ennahdha seule ni une majorité électorale, mais plutôt la grande majorité du peuple
tunisien. Même si le consensus était important depuis le tout début de la transition, le
consensus en tant que principe majeur est devenu plus signicatif avec le lancement,
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et nalement la réussite, du dialogue national à l’été 2013. Le principe du consensus
est parvenu à sauver la Tunisie et sa révolution des principales crises auxquelles elle
a fait face, et ce, grâce à un dialogue national ayant qui a rassemblé tous les courants
politiques, sans exclusion aucune.
Ceci démontre la sagesse de cette méthodologie de coexistence en tant que chemin
vers la transition démocratique, en termes de compatibilité avec notre réalité, et en
tant que réponse complexe à une réalité complexe n’étant pas encore prête à accueillir
le modèle démocratique de majorité et de minorité comme il existe à travers le
monde. En l’absence d’une base culturelle commune entre les élites politiques, qui est
une condition nécessaire de la démocratie majoritaire, cette dernière ne fournit pas le
cadre adéquat pour la gouvernance. Nos sociétés sont toujours en phase d’élaboration
de leurs cadres de gouvernance. Il existe donc un risque que ces élaborations
n’aboutissent pas, et que l’on ne parvienne pas à développer des valeurs culturelles
partagées et un cadre politique commun où une concurrence politique aurait lieu,
an de ne pas sombrer dans le chaos et la guerre civile. Cela fait de ce modèle de
recherche de consensus entre les tendances politiques le modèle le plus approprié
pour la réussite des transitions démocratiques dans ces sociétés.
C. Gestion de crise par le dialogue et le compromis
En dépit des bonnes intentions et de l’esprit de partenariat, l’éprouvante transition n’a
pas permis l’éradication des crises. Lors de toutes les crises politiques, nous avions fait
le choix de les aronter avec la même démarche de dialogue et de compromis. Après
l’assassinat du martyr Chokri Belaid, nous avions accepté l’exigence de neutralité des
principaux ministères et Ennahdha a consenti à ce qu’un certain nombre d’autres
ministères soient repris par des technocrates. Notre objectif était le maintien de
l’Assemblée nationale constituante an que celle-ci puisse poursuivre ses travaux sur
la Constitution, et non pas pour quelle demeure au pouvoir pour l’amour du pouvoir.
À la suite de la seconde crise suivant l’assassinat du membre de l’Assemblée, Mohamed
Brahmi, nous n’avions pas opté pour l’imposition de notre propre point de vue quant
à la manière dont la transition devait être menée, ni ne nous sommes précipités en
adoptant la Constitution. Nous étions convaincus que la nalité d’être au pouvoir,
durant la phase de transition, était d’adopter la Constitution et de guider le pays vers
les secondes élections, deux objectifs exigeant un large consensus et un climat d’unité
nationale. Nous avions refusé que la Constitution tunisienne soit la constitution d’une
majorité imposée à une minorité, et avions assimilé les exigences de l’opposition selon
lesquelles les élections devaient se tenir sous un gouvernement indépendant.
Nous avons donc signé la feuille de route du Quartet, car nous étions pertinemment
conscients que la logique du conit et de la confrontation ne permettrait pas de
résoudre les problèmes, et qu’Ennahdha, en tant que plus grand parti du pays,
devait faire des concessions plus importantes pour protéger la révolution ainsi que
le processus de transition démocratique. Le départ de l’Ennahdha du gouvernement
fut donc un signe de réussite du dialogue national, et non le fruit de pressions ou
d’une incapacité à gérer la crise. Nous avions convenu de mettre en œuvre la feuille
de route en estimant que trois de ces processus devaient avoir lieu simultanément : la
démission du gouvernement de Laarayedh après accord quant sur le nouveau Premier
ministre, l’adoption de la Constitution et l’élection d’une Commission électorale. Le
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LA CONSTITUTION DE LA TUNISIE - Processus, principes et perspectives
jour de l’adoption de la Constitution a donc été un moment historique de célébration
nationale qui occupe une place particulière dans l’histoire de la Tunisie. De même, la
démission du Premier ministre Ali Laarayedh ore un exemple d’alternance pacique
du pouvoir et du respect des islamistes pour les règles démocratiques.
Nous pensions que l’achèvement de la Constitution, l’établissement de la Commission
électorale et l’adoption de la loi électorale étaient des objectifs majeurs plus importants
que de rester au pouvoir, et qu’une fois ces objectifs atteints, Ennahdha aurait rempli sa
mission en déposant la Tunisie sur la terre ferme de la démocratie. Rester au pouvoir ne
présentait donc plus aucun avantage, surtout si cela risquait de mener à la destruction
de l’intégralité du processus de transition démocratique.
Le résultat fut que, outre l’établissement d’un nombre d’importantes instances
constitutionnelles, dont notamment la Haute autorité indépendante de la
communication audiovisuelle, le Conseil supérieur de la magistrature et l’Instance
nationale pour la prévention de la torture, et l’adoption de la loi sur la justice
transitionnelle tant attendue, la transition a été menée à terme avec succès grâce
à l’adoption d’une excellente Constitution et la tenue d’élections libres et justes. Le
dialogue national a pu atteindre un consensus sur un gouvernement technocrate
neutre et l’adoption d’une constitution destinée à une Tunisie moderne, adoptée par
un fort 94% de l’Assemblée nationale constituante, ainsi que l’établissement d’une
instance électorale indépendante, l’adoption d’une loi électorale et la détermination
d’une date pour les élections. Nombre de ces accords ont résulté de sacrices faits
par Ennahdha, le parti majoritaire, an de préserver l’unité nationale et la poursuite
du processus de transition démocratique. L’abandon de la loi d’exclusion politique,
malgré les risques associés, ore un autre exemple de la conviction grandissante que
l’exclusion ne ferait que perpétrer les conits et ne serait pas propice à une transition
réussie et inclusive.
II. Système politique
La transition de la Tunisie a oert l’opportunité, et le dé, de transformer le système
politique du pays en un régime démocratique libre et inclusif. Tandis que lAssemblée
nationale constituante débattait des détails du futur régime politique à inscrire dans la
nouvelle constitution, une gouvernance représentative, inclusive et démocratique était
exercée durant la transition, pour la première fois en Tunisie. Les élections du 23 octobre
2011 ont mené à l’élection de la première assemblée représentative véritablement
pluraliste dans l’histoire du pays. En plus de la mission d’élaboration d’une constitution
qui lui incombait, l’Assemblée a œuvré sur d’autres fronts, notamment en amendant
et en élaborant des lois and en supervisant les travaux du gouvernement. Le pouvoir
a donc été partagé entre l’Assemblée nationale constituante, le Gouvernement
de coalition, et le Président de la République dans un système équilibré. En outre,
l’interaction entre ces derniers et les organisations de la société civile, les médias et les
citoyens a été continue et ce à des niveaux sans précédent. Des consultations publiques,
aussi bien en ligne que sur le terrain, ont été régulièrement tenues notamment pour
les diérents brouillons de la Constitution, le Code de l’incitation à l’investissement,
les réformes scales, la réforme de l’enseignement supérieur, etc., soumettant ainsi la
politique gouvernementale à l’examen du public à une échelle sans précédent. Il en a
résulté un système dynamique, pluraliste et inclusif loin du régime d’un seul homme
et du règne d’un parti unique que la Tunisie avait antérieurement connus.
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A. État civil
Le nouveau système politique que nous souhaitions établir en Tunisie était celui de
l’État démocratique et civil pour lequel plusieurs générations de Tunisiens s’étaient
battues pendant des décennies. Le statut de notre parti de 1981 a adopté les principes
« du droit légitime du peuple à disposer de lui-même, loin de toute tutelle intérieure
ou extérieure… rejet de la violence comme méthode de changement… consultation
comme moyen de prendre des décisions en matière de pensée, de culture et de
politique. Rejet de l’autoritarisme et du monopole du pouvoir… et armation du droit
du peuple à pratiquer la liberté d’expression, la liberté d’association et tous les droits
légitimes, et à collaborer avec les forces nationales pour y parvenir. »
Les documents de procédures internes du parti, en date du 3 mai 1988, énoncent
ses objectifs, à commencer par « soutenir le régime républicain et ses fondements,
protéger la société civile, établir la souveraineté populaire et renforcer la Shura
(consultation) ; faire de la liberté une valeur fondamentale incarnant l’essence même
de la dignité humaine telle que Dieu l’a conçue, en soutenant les libertés publiques et
individuelles ainsi que les droits de l’homme, et en insistant sur les principes relatifs à
l’indépendance de la magistrature et la neutralité de l’administration. »
La Déclaration de Tunis du 17 juin 2003 élaborée par quatre partis de l’opposition,
dont Ennahdha, a appelé l’État à se conformer à la volonté populaire et à la primauté
du droit, à respecter l’identité du peuple ainsi que les valeurs arabo-musulmanes, et à
garantir la liberté de croyance pour tous ainsi que la neutralité politique des lieux de
culte.
Le Collectif interpartis du 18 octobre a envisagé l’État, dans le cadre d’un régime
démocratique, comme une institution civile tirant sa légitimité du libre arbitre du
peuple, respectant les règles de l’État de droit ainsi que les principes des droits humains
Le collectif a également reconnu l’islam comme religion de la majorité des Tunisiens,
ainsi que l’arabe comme l’un des principaux piliers de l’identité civilisationnelle du pays
qui évolue dans une interaction créatrice avec les développements modernes. Ainsi,
l’État accorde un statut particulier à l’islam, garantit l’enseignement de l’éducation
islamique dans les établissements scolaires, maintient des liens de solidarité avec
l’ensemble des nations musulmanes et défend l’arabe comme langue ocielle dans
l’administration, l’enseignement et la culture, le tout dans le cadre de la garantie de
la liberté de religion et de croyance, en rejetant la discrimination entre les citoyens
pour des motifs fondés sur la religion ou la croyance, et de l’ouverture aux civilisations
du monde et aux langues internationales, en développant une pensée critique et
rationnelle.
La nature de l’État est donc devenue une question de consensus entre l’ensemble
des courants politiques, et a été clairement exprimée dans la Constitution, laquelle
précise que le régime politique tunisien est « un régime républicain, démocratique
et participatif, dans le cadre d’un État civil dans lequel la souveraineté appartient au
peuple par l’alternance pacique au pouvoir à travers des élections libres s libres et
sur le fondement du principe de la séparation des pouvoirs et de leur équilibre ».
(Préambule de la Constitution)
La question de la charia a été examinée conformément à la volonté d’une certaine
partie de la population, y compris d’une partie des sympathisants et partisans de
Ennahdha, souhaitant référencer la charia comme l’une des sources, ou comme
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