La réception du logicisme en France
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Revue d’histoire des sciences I Tome 67-2 I juillet-décembre 2014
pensé dans le concept d’une somme = à 7 + 5, mais non que
cette somme soit égale au nombre 12 3. »
Pour Poincaré, ce n’est vrai que de l’arithmétique et de la règle
génératrice des nombres. Il fait état des résultats d’une étude
approfondie de l’arithmétique, accomplie par les mathématiciens
au cours du XIXe siècle. Par exemple, sont explicitées pour l’addi-
tion diverses propriétés telles que l’associativité et la commutati-
vité. Ce qui préoccupe Poincaré, c’est de rendre compte de la
fécondité, de l’apport cognitif de l’arithmétique : « Il faut bien
concéder que le raisonnement mathématique a par lui-même une
sorte de vertu créatrice et par conséquent qu’il se distingue du
syllogisme 4. » En localisant le synthétique
a priori
dans le raison-
nement par récurrence, Poincaré opère un déplacement significa-
tif : nous devons distinguer soigneusement, dans un système
déductif, les définitions, les axiomes et les théorèmes. Puis, en
remontant en-deçà de ces éléments du discours mathématique,
on dégagera le procédé rationnel très général qui est à l’œuvre.
Nous pourrions mesurer encore la distance prise par rapport à
Kant en étudiant le vocabulaire employé. Ainsi que le fait remar-
quer Le Roy, qui s’inspire de Poincaré sur bien des points : « Rien
n’existe qui réponde parfaitement à la notion de ce que Kant
appelle « pur », c’est-à-dire qui soit tout à fait indépendant de
l’expérience 5. » Ce qui préoccupe davantage les scientifiques
après Kant, c’est la distinction entre sciences pures et sciences
appliquées, ou, pour reprendre Auguste Comte, entre l’abstrait et
le concret.
Russell, qui réagit contre les conceptions de Kant et de Georg
Wilhelm Friedrich Hegel telles qu’elles ont été diffusées en
Angleterre, développe une philosophie mathématique toute diffé-
rente. Il avance la définition suivante : « Un nombre, en général,
est l’ensemble des classes ayant la propriété appelée simili-
tude […].
2
est la classe de tous les couples,
3
la classe de tous
3 - Emmanuel Kant,
Critique de la raison pure
, in
Œuvres philosophiques
(Paris : Galli-
mard, 1980), vol. 1, B 15-16. Nous suivons la pagination de l’édition de l’Académie
reproduite dans la plupart des éditions.
4 - Voir note 1.
5 - Édouard Le Roy,
La Pensée mathématique pure
(Paris : PUF, 1960), 10. Voir Kant,
op. cit. in
n. 3, A 11 : « On appelle pure toute connaissance qui n’est mélangée avec
rien d’étranger. Mais est spécialement nommée absolument pure une connaissance où
ne s’immisce de façon générale aucune expérience de sensation, qui est donc possible
pleinement
a priori
. »
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