Etiologie et analyse du dysfonctionnement : Points de vue

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Etiologie et analyse du dysfonctionnement :
Points de vue méthodologiques
Urs Baumann & Meinrad Perrez
In : Lehrbuch Klinische Psychologie – Psychotherapie Hg. M. Perrez & U. Baumann
(S. 173-187). Huber Verlag : Bern, 2005.
Traduction : L. Defago & M. Reicherts
1. Notions et termes
La question de l’origine/cause des phénomènes appartient à la pensée scientifique générale ;
au chapitre 2.1. du livre, il est montré, que du point de vue scientifique, on postule différentes
formes d’explications causales (« Ursachen-Erklärungen »). Pour les troubles psychiques, la
question de la cause – la question de l’étiologie – n’est pas seulement une demande théorique,
mais aussi pratique. La psychothérapie, la réhabilitation, mais en particulier la prévention
primaire ne peuvent pas être délimités sans étiologie/savoir sur le (dys)fonctionnement
(Kaminski, 1970), qui au sens le plus large inclut la connaissance des causes. La thérapie
orientée vers les symptômes doit se débrouiller sans ce savoir ; c’est une forme de thérapie
souvent nécessaire mais pas très satisfaisante, qui est en partie appliquée pour les maladies
somatiques ou les troubles psychiques. Bien qu’un possible lien étroit est à viser entre
l’intervention et l’étiologie/les théories des causes/du (dys)fonctionnement, rien ne peut être
conclu à partir des interventions qui ont réussi quant à la validité de la théorie de l’étiologie
adoptée, comme le montrent les réflexions théoriques scientifiques (voir Westmeyer, 1976 ;
Westmeyer & Manns, 1977).
Pour la plupart des troubles psychiques, nous ne pouvons supposer une seule cause. La
plupart du temps, on tient compte d’un ensemble de causes ou d’une chaîne causale ; on parle
de multi-causalité ou de développement multifactoriel. La multi-causalité est en partie
avancée car aucune cause unique n’est prouvée, notamment car la multi-causalité est étayée
par des preuves positives. Même si pour des troubles spécifiques, une cause est connue, (par
exemple, une anomalie des chromosomes), alors une chaîne de conditions est responsable de
l’état actuel de l’enfant de 10 ans ou de l’adulte de 40 ans, conditions qui se développent du
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fait de l’anomalie chromosomique. Dans les troubles psychiques, un concept de causalité
différencié est nécessaire, si l’on veut tenir compte de manière précise et adéquate de la
complexité du trouble. Souvent, on ne parle donc pas de la cause ou de l’étiologie d’un
trouble, mais des conditions favorisant un trouble (pour la différence, voir le paragraphe
suivant). La multi-causalité peut signifier que plusieurs facteurs du même niveau de données
produisent les effets ; les facteurs particuliers peuvent cependant aussi provenir de différents
niveaux. Ainsi, des modèles multi-causaux, multi-modaux sont souvent à prendre en
considération pour les troubles psychiques (sur les sources de données, voir chapitres 1 et 5
du livre). Les troubles psychiques peuvent être déterminés par des facteurs issus de sources
biologiques/somatiques (par ex., la dysfonction dopaminergique), psychiques (par ex., des
déficits cognitifs), sociales (par ex., des conflits avec le partenaire) ou écologiques (par ex.,
les conditions de logement). Dans ce cas, il faut un concept [voir aussi chapitre 1 du livre] par
lequel les causes, les conditions, ne peuvent finalement pas être réduites seulement à un
niveau biologique ; bien plus, nous avançons que des sources particulières de données
s’influencent mutuellement de sorte que les facteurs d’influence de chaque niveau sont
importants.
La complexité des phénomènes à analyser laisse clairement apparaître (Perrez & Waldow,
1984) pour les causes, que les conditions d’acquisition (Aneignung oder Akquisition)
(recherche sur l’étiologie au sens étroit) sont à différencier des conditions de maintien
(Performanzbedingungen oder aufrechterhaltenden Bedingungen) (évolution d’un trouble
après sa manifestation ; analyse du (dys)fonctionnement). La recherche sur les conditions
d’acquisition est centrale pour la prévention. Leurs connaissances permettent la réduction ou
la suppression ciblées des conditions renforçant le trouble. Elles peuvent être très importantes
au niveau thérapeutique pour l’indication et le pronostic. Le savoir sur les conditions de
maintien a une importance particulièrement élevée pour la thérapie. Selon des hypothèses
psychanalytiques, par exemple, les caractéristiques de la psychodynamique actuelle en tant
que conditions de maintien sont intéressantes. Dans les concepts psychologiques relatifs aux
comportements et aux cognitions, les affirmations sur les rapports fonctionnels entre le
comportement perturbé et les conditions externes du stimulus d’un côté, et les tendances au
comportement internes cognitives et cachées de l’autre côté, contribuent à la clarification des
conditions de maintien. L’analyse fonctionnelle du comportement est par conséquent dirigée
vers des explications du maintien. Souvent, des facteurs particuliers/isolés peuvent présenter
des conditions d’acquisition et de maintien et ainsi être assignés à différentes phases.
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Avec le principe de la comorbidité (voir chapitre 4 du livre), la question causale est encore
plus compliquée, car la relation de chaque trouble des chaînes de conditions ordonnées doit
être précisée (Wittchen & Vossen, 2000) ; il n’est pas toujours évident de déterminer dans
quelle mesure les différents groupes de symptômes sont en réalité différentes facettes d’un
trouble. Dans la comorbidité, différents modèles peuvent être pris en considération : le trouble
X et Y sont indépendants l’un de l’autre et ont respectivement des chaînes causales
indépendantes ; le trouble X et Y ont des chaînes causales communes, etc. (Sher & Trull,
1996).
2. Facteurs vulnérabilisant vs. de protection ; vulnérabilité vs. résilience
Comme il l’a été montré dans la section 3 du livre, les troubles psychiques doivent être
considérés selon la perspective temporelle. Il est généralement accepté qu’il s’agit d’un
processus dynamique et interactif dans l’apparition et l’évolution des troubles psychiques :
Dynamique, car la probabilité de maladie ne présente la plupart du temps pas de
mesure stable, mais peut se modifier en raison d’influences internes et externes.
Processus interactif, car l’évolution de la maladie se passe dans l’interaction entre les
personnes et l’environnement.
Différents termes renvoient à des mesures correspondantes dans ce processus. Comme Jacobi
et Esser (2003) le notent, les différents termes sont employés de manière non uniforme. Il
s’agit de différencier les conditions, caractéristiques, qui facilitent la maladie (risque, facteurs
de risque, vulnérabilité, facteurs vulnérabilisant, marqueurs ; voir Kraemer et al., 1997), des
facteurs protégeant de la maladie (facteurs protecteurs, résilience, ressources). Ces facteurs
d’influences sont d’abord considérés selon la pathogenèse, i.e. selon l’apparition d’une
maladie/d’un trouble. Si l’on part du principe que la santé implique plus que l’absence de
maladie, alors selon Antonovsky, à côté de la pathogenèse, la salutogenèse est aussi
importante (Bengel, 2002). L’apparition et le maintien de la santé y sont à référer ; selon
Antonovsky, le sentiment de cohérence (sense of coherence) occupe ici une place
particulièrement importante.
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Conceptuellement, il faut distinguer :
(1) Input, i.e. les influences qui sont soit destructrices (facteurs de risques, facteurs
vulnérabilisants), soit protectrices (facteurs protecteurs, ressources ; Weber, 2002). Les
facteurs peuvent être localisés en dehors (matériel, social) ou à l’intérieur de l’individu
(personnel) (Laucht, Esser & Schmidt, 1997) et assignés aux différents niveaux de données
(voir chapitre 5 du livre). Dans la recherche clinique, le terme de marqueur (Sher & Trull,
1996 ; Schreiber & Kornhuber, 1995) décrit des indicateurs ou des facteurs de risque pour un
trouble. S’il s’agit de caractéristiques qui sont présentes à la première apparition du trouble et
qui permettent ainsi d’en mesurer la vulnérabilité, alors on parle de traits-marqueurs (Trait-
Marker). Ils comprennent une prédiction pour l’apparition ultérieure de troubles psychiques.
Les traits-marqueurs (State-Marker) sont des indicateurs qui ne peuvent être mesurés que lors
de l’épisode d’un trouble et qui permettent la prédiction de son évolution ultérieure.
(2) Output, résultat (vulnérabilité vs résilience). La vulnérabilité, comme caractéristique
d’une personne, comprend le résultat des différents facteurs d’influences, i.e. la probabilité de
maladie (risque pour des maladies ; voir à ce sujet le chapitre 6 du livre). On distingue
souvent la vulnérabilité reposant sur la génétique de celle liée à l’environnement (Price &
Lento, 2001). Parfois, il est différencié entre la vulnérabilité primaire (risque présent à la
naissance) et secondaire (risque acquis après la naissance ; voir chapitre 10 du livre). Le terme
de la vulnérabilité est notamment proposé dans la recherche sur la schizophrénie comme
concept clé, mais peut cependant être utilisé de manière générale. Le niveau de résistance
envers les facteurs stressants (Belastungen) est décrit comme résilience (Egle, Hoffmann
&Steffen, 1997 ; Masten, 2001 ; Task Force, 1996). Elle est aussi une caractéristique de la
personne, en tant que résultat de processus transactionnels (voir chapitre 10 du livre). Parfois
les auteurs ajoutent à la résilience les facteurs de protection de manière à ce que le terme ne se
différencie pas des facteurs internes de protection (Jacobi & Esser, 2003).
Souvent, on parle de modèles diathèse-stress ou de modèles vulnérabilité-stress des troubles
psychiques (voir Ingram & Price, 2001). On entend par là que pour le déclenchement d’un
trouble psychique, une disposition (diathèse, vulnérabilité) – innée ou acquise très tôt – doit
être présente qui ensuite – en lien avec les stresseurs correspondants – mène au trouble actuel.
Plus la disposition est forte, moins les déclencheurs (stresseurs) sont nécessaires, et
inversement. Le terme de disposition implique une caractéristique ou une mesure fixe établie
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de manière précoce. Même si pour certains troubles, l’importance du risque peut être
constatée relativement tôt et ne changer que peu au cours du temps, on peut, au niveau
conceptuel et de manière sensée, parler de la vulnérabilité mais aussi de la résilience comme
une caractéristique dynamique. Cela signifie que les constructs de vulnérabilité ou de
résilience, qui jusque-là ne sont pas encore mesurables individuellement, peuvent augmenter
ou diminuer dans les différentes phases (voir ci-dessous).
La relation mutuelle entre l’atteinte et la protection n’est pas toujours clarifiée au niveau
conceptuel. Les facteurs de protection ne sont pas simplement le contraire des facteurs de
risque (par exemple, facteur de risque : la pauvreté ; facteur de protection : la richesse). Pour
les facteurs de protection, il faut montrer que malgré la présence d’un facteur de risque, la
probabilité de maladie est plus faible que si le facteur de protection est absent. Ce n’est que
par l’analyse de l’interaction entre les facteurs de risque et les facteurs de protection qu’une
analyse complète du (dys)fonctionnement des troubles psychiques peut avoir lieu (par
exemple, Egle et al., 1997 ; Laucht, Esser & Schmidt, 1998). Cette interaction est
d’importance pour chacune des quatre phases de l’évolution d’un trouble introduites dans la
section suivante.
3. Phases de l’évolution d’un trouble
3.1 Séparation des phases
Dans le but de préciser le terme de « cause » (Ursache), on a divisé l’évolution d’un trouble
en quatre phases successives (voir par exemple Shepard, 1987). Dans chacune d’elles,
différents facteurs de risque et/ou de protection peuvent exercer une influence, de sorte que le
résultat s’avère chaque fois être la vulnérabilité et la résilience. La division en phases
schématise la pluralité des évolutions possibles. Dans les cas singuliers ou dans des troubles
particuliers, des transitions peuvent survenir, dans lesquelles les débuts et les fins de la phase
correspondante ne sont pas exactement discernables ; de même, l’importance de chaque phase
pour l’explication d’un trouble spécifique est différente. Pour la recherche sur l’étiologie, il
faudra différencier les phases introduites dans le tableau 1.
1 / 21 100%

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