la notion de « culture » comme réalité sui generis, extérieure et supérieure aux individus,
considérée en quelque sorte comme un « superorganisme », obéissant à des lois propres. Mais
la culture n'est qu'une abstraction ; ce ne sont donc pas des cultures qui se trouvent en
contact, mais des individus en interaction, et chacun réagit différemment aux stimuli qui
lui viennent des individus porteurs d'autres civilisations ; ainsi la perspective
psychologique se glissait dans le culturalisme nord-américain et allait donner lieu à bien des
travaux. Certains ont insisté sur la « personnalité de base » (Kardiner) ; aux première et
deuxième générations, les changements de comportements restent à la superficie de la
personnalité qui n'est pas touchée profondément, d'où ces phénomènes de réinterprétation du
nouveau à travers l'ancien que nous avons signalés ; ce ne serait qu'à la troisième
génération que la personnalité de base serait à son tour atteinte (Hallowell, 1952).
D'autres, préoccupés par les questions pratiques (chercher les meilleurs agents de
développements économique et social ou les gens les plus capables d'intégrer une ethnie
minoritaire dans la culture nationale), se sont attachés à analyser les conduites réactives des
hommes et des femmes (la femmes étant parfois un facteur de changement plus que l'homme),
des diverses classes d'âge, des multiples catégories sociales (chaman, chefs politiques,
commerçants, métis, etc.) ; ou à décrire la psychologie de l'homme partagé entre deux cultures
qui se battent au-dedans de lui l'« homme marginal », Juif occidentalisé, Noir ayant subi
l'empreinte de la civilisation anglo-saxonne, Indien « cholisé » (étude de Stonequist sur les
chols du Mexique). La psychanalyse a permis d'approfondir cette pathologie de l'homme
marginal, en montrant dans l'esclavage la dualité des pères, donc des « sur-moi » (le géniteur
noir et le maître blanc) ou en insistant, dans le stade du miroir, sur la formation d'un
« narcissisme blanc », entraînant une crise de l'identification chez le Noir américain.
Plus encore, l'anthropologie culturelle a été amenée, dans sa réélaboration du concept
de culture, à abandonner le point de vue statique d'où elle était partie ; en fait, la culture
est une « construction synchronique » qui s'élabore à tout instant, les individus et les
groupes agissant et réagissant les uns par rapport aux autres, acceptant ou rejetant les
nouvelles expériences, entrant en conflit ou s'adaptant pour vivre en harmonie, ce qui fait que
les processus d'acculturation doivent toujours être saisis dans leur flux comme des
ensembles de déculturation et de réorganisation culturelle (un peu comme à la même
époque, en sociologie, G. Gurvitch critiquait la notion de structure pour lui substituer des faits
de destructuration et de restructuration incessants). Les facteurs de déculturation peuvent
dominer, et certains auteurs insistent surtout sur la pathologie de l'acculturation depuis les
effets biologiques, signalés par Rivers dès 1922 (disparition de la joie de vivre, de la volonté
même d'exister, thanatomanie), jusqu'aux effets sociologiques (Keesing, 1941, a montré par
exemple les effets désorganisateurs de deux codes de conduite dans une situation
acculturative où souvent le comportement imposé par la culture occidentale est considéré
comme délinquance dans la société indigène, ou vice versa), en passant par les effets
psychologiques (sentiment d'insécurité, anxiété, dépréciation de soi, etc.). Cependant deux
cultures en présence peuvent coexister, sans s'interpénétrer : les Toda, peuple pasteur, les
Badaga, agriculteurs, les Kota, artisans, et les Kurumba, vivant de cueillette et sorciers,
vivent en contacts permanents dans la même région de l'Inde, alors qu'ils restent toujours
séparés par la culture et la langue (Mandelbaum). Ou encore, le traditionnel et le moderne
peuvent se partager sans qu'il y ait interférence ; Balandier nous rapportait le cas d'ethnies
africaines qui vivent dans le passé quand elles cultivent leurs rizières et prennent la mentalité
occidentale dans la rue de leurs villages ; nous avons parlé nous-mêmes d'un « principe de
vivre, sans conflits, à la fois dans le monde africain (secteur religion des candomblés) et dans
le monde occidental (secteur économico-politique des partis, des syndicats, de la profession,
Bastide, 1960).