Réflexions sur les prix actuels du gaz, du charbon

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BILLET
Réflexions sur les prix actuels
du gaz, du charbon, de l’électricité
et du CO2
Étienne Beeker, département Développement durable
LES ÉVOLUTIONS DES PRIX DU GAZ DEPUIS DÉBUT 2014
RENDENT CADUQUES CERTAINES ANALYSES MENÉES EN
DÉBUT D’ANNÉE
JUILLET
2014
Le rapport publié par France Stratégie en janvier 2014 sur « La crise du système électrique européen » pointait le rôle joué dans cette crise par la faiblesse du prix du CO2 sur
le marché d’échange des permis d’émission (European Trading Scheme, ETS). Les raisons
en ont été analysées : la baisse de la demande d’électricité et le développement non
maîtrisé des énergies renouvelables ont déprimé le marché européen du CO2.
La valeur de 40 ou 50 €/tonne de CO2 avait
été avancée comme pouvant permettre
au gaz naturel de redevenir compétitif par
rapport au charbon, et ainsi exclure de la
production d’électricité l’utilisation de ce
dernier, très émetteur en gaz à effet de
serre. Cette valeur, que la plupart des
acteurs politiques gardent en tête, repose
sur des prix d’environ 55 €/tonne pour le
charbon et de 11 à 12 $/MBtu pour le gaz.
Compte tenu des évolutions récentes du
prix du gaz, cette référence n’est plus
d’actualité.
Si les tensions avec le fournisseur de gaz
russe suite à la crise ukrainienne ont
laissé craindre un moment une hausse du
prix du gaz, renforçant encore le besoin
d’un signal-prix du carbone élevé, c’est
exactement l’inverse qui s’est produit :
après une période de relative stabilité de
près de deux ans, le prix du gaz s’est
effondré de 45 % depuis décembre 2013
pour atteindre aujourd’hui 6,4 $/MBtu
(valeur spot NBP, la place d’échange londonienne). Il se rapproche ainsi :
- du prix du gaz américain, soit 4,6 $/MBtu,
qui a progressé tendanciellement depuis
début 2012 avec la résorption des surcapacités d’extraction de gaz de schiste,
diminuant pour le moment l’avantage
compétitif des États-Unis ;
- de celui du charbon (55 €/tonne, soit
5,6 $/MBtu en équivalent thermique),
qui est resté stable pour le moment.
Compte tenu du meilleur rendement des
centrales à gaz, celles-ci redeviennent
compétitives malgré un prix de CO2 bas
(5,6 €/tonne).
www.strategie.gouv.fr
Source : Focus Gaz – IFPEN - Juin 2014
QUELLES CONSÉQUENCES ?
La chute du prix du gaz naturel en Europe reste à analyser
en détail, mais un facteur comme la baisse de la demande
a dû avoir un impact important. Cette chute de prix a fait
suite à la substitution du gaz naturel par du charbon, les
deux combustibles étant interchangeables quasi instantanément dans la production d’électricité en raison des
surcapacités existantes en Europe aussi bien en centrales
à gaz qu’à charbon.
La crise économique et les politiques de maîtrise de la
demande d’énergie destinées à s’amplifier ont dû également jouer un rôle déflationniste sur le prix du gaz en
Europe. Une anticipation du redémarrage des tranches
nucléaires au Japon, lequel capte une bonne partie des
cargaisons de GNL (gaz naturel liquéfié) pour compenser
l’arrêt de ses centrales, va dans le même sens, ainsi que la
volonté affichée par certains pays (en particulier la Pologne,
le Royaume-Uni mais aussi l’Allemagne) de vouloir tirer
profit de leurs ressources non conventionnelles.
Au passage, on notera les difficultés de Gazprom qui voit
ses recettes diminuer (l’Europe est son principal acheteur
de gaz) et dont la position est bien moins assurée que ne
l’imaginent de nombreux observateurs européens.
Dans un terme proche, la production d’électricité à base de
gaz devrait reprendre (du fait de ces prix plus bas), stoppant l’hémorragie de fermetures de centrales à gaz, parfois très récentes, devenues non rentables. Parallèlement,
le prix du CO2 devrait encore baisser (mais peu, car son prix
est déjà proche de zéro !) comme la demande en charbon.
Toutefois, les marges de compétitivité du charbon restent
élevées car les réserves mondiales sont extrêmement
abondantes. Aux États-Unis, en raison de conditions géologiques favorables (couches très épaisses, mines à ciel
ouvert), son coût marginal de production est assez bas, et
les mines étant proches des ports, son évacuation est
facile. Suite aux dernières décisions du Président Obama
ayant pour but de prohiber son utilisation dans les
centrales électriques – et donc indirectement favoriser
l’utilisation de gaz (de schiste) –, il y a fort à parier que
des quantités importantes de charbon américain se
déverseront dans les années à venir sur notre continent, et
ce, malgré un éventuel prix de CO2 plus élevé.
BILLET - JUILLET 2014
PRIX DU GAZ AU ROYAUME-UNI (NBP)
ET AUX ÉTATS-UNIS (HH)
Une telle baisse nous rappelle que le prix des hydrocarbures est très volatil et n’est pas toujours prévisible. À
court terme, elle constitue une très bonne nouvelle non
seulement pour notre balance commerciale, mais également pour la compétitivité des gazo-intensifs. À moyen
terme, si elle s’avère durable, cette baisse peut géopolitiquement fragiliser la position des grands pays fournisseurs, à commencer par la Russie. Il est plus difficile de
prédire ses conséquences sur le système électrique
européen et au final sur les émissions de CO2 en raison
des interactions complexes entre les prix du gaz,
du charbon, de l’électricité et des objectifs que l’Union
voudra se fixer en matière d’efficacité énergétique, de
taux de pénétration des EnR, de lutte contre le réchauffement climatique. Il convient de garder cette baisse
à l’esprit pour relativiser l’impact de mesures destinées
à redresser le prix des quotas ETS, comme un resserrement des objectifs par la Commission européenne
(« backloading ») ou l’établissement d’un prix plancher.
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