Amundi Discussion Papers Series DP-08-2014 Novembre 2014 ACTIFS ALTERNATIFS DANS UNE ALLOCATION : POURQUOI, COMMENT, COMBIEN ? Sylvie De LAGUICHE, Responsable Recherche quantitative Eric TAZÉ-BERNARD, Responsable du Conseil en Allocation d’Actifs Réservé aux investisseurs professionnels Résumé L es investisseurs institutionnels internationaux manifestent un intérêt croissant, accentué par la faiblesse persistante des taux d’intérêt, pour les placements alternatifs. Ils en espèrent à la fois une amélioration de la rentabilité de leur portefeuille et une diversification par rapport aux autres actifs détenus. Mais quel cadre adopter pour évaluer ces avantages ? Et comment dimensionner ces actifs dans l’allocation de l’investisseur ? Pour formuler de premières réponses à ces questions, qui mériteront d’être approfondies ultérieurement, nous définissons les classes d’actifs typiquement incluses dans cet univers hétérogène : hedge funds et surtout actifs non cotés immobilier, private equity, infrastructures, loans – et montrons qu’elles répondent à des objectifs d’investissement divers. Ceci nous conduit à proposer un mode de segmentation de ces actifs, en fonction de leur sensibilité à des facteurs macroéconomiques, qui peut notamment aider à l’estimation de leur rentabilité. En effet, la relation traditionnelle entre rentabilité et risque s’applique mal à ces actifs, pour différentes raisons que nous détaillons dans la deuxième partie de cet article : faible fréquence des données, mode de valorisation lissé, asymétrie des distributions de rendements, Nous élaborons ensuite un certain nombre de recommandations pour les investisseurs institutionnels souhaitant mieux calibrer ces investissements dans leur portefeuille. Nous prônons une approche pragmatique en la matière, tenant compte des caractéristiques spécifiques de l’investisseur, en termes de contraintes de passif, horizon d’investissement, structure actuelle de l’allocation d’actifs, affinité avec les placements alternatifs. En termes de risque, nous suggérons aux investisseurs de recourir à différentes méthodes : utilisation des actifs cotés représentatifs, des paramètres de la réglementation, perte maximale probable dans des scénarios de stress. Chacune présente des inconvénients, mais leur combinaison aide à formuler un diagnostic pertinent. Enfin, les cibles définies pour calibrer ces actifs dans un portefeuille gagnent à être exprimées en termes de fourchettes de risque plutôt qu’en poids, et l’investisseur doit procéder par étapes pour les atteindre. Mots-clés : allocation, alternatif, actifs non cotés, performance, risque. Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 3 4 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 ACTIFS ALTERNATIFS DANS UNE ALLOCATION : POURQUOI, COMMENT, COMBIEN ? Introduction On entend traditionnellement par allocation d’actifs la répartition d’un portefeuille entre actions, obligations et produits monétaires, mais l’univers considéré dans la construction d’une allocation d’actifs institutionnelle s’est élargi ces dernières années aux investissements dits alternatifs : investissements en « hedge funds », et en actifs non cotés - immobilier direct, « private equity », prêts ou projets d’infrastructures. Les investisseurs privés à fort patrimoine, ainsi que certains fonds de pension et fondations liées aux universités américaines, ont été pionniers dans ce type d’actifs, qui ont plus récemment fait l’objet d’un engouement croissant d’investisseurs supranationaux et fonds souverains. À titre d’exemple, de grands investisseurs souverains tels que l’ADIA ou GIC consacrent respectivement 20 % (dont la moitié à l’immobilier) et 26 % de leur allocation d’actifs aux investissements alternatifs. Le graphique ci-dessous fournit un détail plus précis de l’allocation de GIC à la fin 2013 : 1- Évolution de l'allocation de GIC entre 2008 et 2013 7% 11 % 7% 23 % 27 % 26 % 26 % 17 % 21 % 44 % 45 % 46 % 2012 2013 2008 Actions cotées Obligations Alternatifs Monétaire et autres Source : Rapports GIC, Recherche Amundi Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 5 2- Évolution de l'allocation de GIC entre 2008 et 2013 (détail) 34 2008 (%) 2013 (%) Actions Marchés développés 20 10 Actions Marchés émergents 10 Immobilier 8 15 10 11 Private Equity et Infrastructures 7 7 Monétaire et autres 6 31 19 Obligations nominales 2 Obligations indexées sur l’inflation 3 Stratégies de rendement absolu 3 2 Ressources naturelles 2 Source : Rapports GIC, Recherche Amundi L’objectif de cet article est, sur la base des différentes expertises de recherche, d’allocation d’actifs et de gestions spécialisées sur les classes d’actifs alternatives disponibles au sein d’Amundi, d’apporter un éclairage sur des questions fréquemment posées par les investisseurs institutionnels sur ce thème : • Quels avantages y a-t-il à recourir à ces placements ? • Quelle segmentation adopter pour étudier leur intégration dans une allocation d’actifs ? • Quel poids leur allouer dans un portefeuille, et en fonction de quels critères ce poids doit-il être déterminé ? • Enfin, quelles règles opérationnelles peuvent être retenues pour piloter ces investissements ? 6 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 1 - Définition, objectifs et comportement d’investissement 1.1 - Un univers hétérogène Il est délicat de définir une allocation d’actifs globale sur ces actifs en raison de leur forte hétérogénéité, tant entre les différentes classes alternatives qu’au sein de chacune d’entre elles. Afin de caractériser cet univers, on distingue habituellement : – les actifs cotés (essentiellement hedge funds), Cette catégorie est d’autant plus pertinente que de nombreux hedge funds ont, depuis la crise, accru leur niveau de transparence, la fréquence de leur valorisation, et réduit leur levier, convergeant ainsi vers les normes applicables aux fonds traditionnels. – les actifs non cotés, au sein desquels on met parfois en exergue les actifs réels (immobilier, infrastructures, mais aussi les terres, les forêts, que l’on exclura des développements qui suivent) et le private equity. On pourra également distinguer entre des risques sous-jacents actions ou obligataires – c’est le cas des investissements en infrastructures –, et entre différentes catégories d’emprunteurs. La distinction entre coté et non coté reflète également une différence en termes d’imperfection de liquidité. Les hedge funds offrent une liquidité inhérente aux actifs cotés, mais certains types de stratégie peuvent être soumis au risque de resserrement soudain de la liquidité dans les périodes de crise : leur problème est donc la variabilité de la liquidité. Les actifs non cotés sont, quant à eux, toujours illiquides sur des horizons courts ; ils retrouvent mécaniquement cette liquidité sur des horizons plus ou moins longs, par exemple lorsque des cash-flows sont distribués aux investisseurs – en cas de remboursement des loans, ou après des cessions de participations dans un fonds de private equity – ; leur liquidité dépend donc de l’horizon. Au sein de chaque groupe, le comportement de ces placements, et leur niveau de risque, dépendent fortement : –– pour les hedge funds, du type de stratégie (arbitrages crédit, arbitrages sur fusions, fonds de futures…) et de l’importance de l’effet de levier, –– pour les actifs non cotés, de leur localisation géographique (prépondérante par rapport à des facteurs globaux), –– de leur destination : par exemple bureaux, commerces ou résidentiel dans le cas de l’immobilier ; venture capital ou capital développement au sein du private equity, –– du mode d’investissement retenu : en matière de private equity, on peut ainsi distinguer les investissements directs dans des entreprises non cotées, les Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 7 investissements en fonds de private equity ou bien en fonds de fonds. Dans les infrastructures, on peut investir dans des fonds, dans des projets ou bien dans de la dette émise pour financer un projet –– du type de projet financé (dans le cadre du private equity ou des infrastructures), Ainsi, la diversification est beaucoup plus forte entre un investissement en bureaux parisiens et de l’immobilier résidentiel à Hong Kong, ou bien entre du capital-risque californien et un LBO sur le marché britannique, qu’entre deux actions cotées sur différents marchés développés1. Ce caractère idiosyncratique très marqué justifiera souvent d’appréhender les placements alternatifs actif par actif, plutôt que de recourir à des indices représentatifs des classes d’actifs analysées, lorsqu’ils existent. 1.2 - Objectifs d’investissement visés par les investisseurs Ces investissements répondent à des objectifs de rendement ou de diversification : –– ils permettent d’accéder à une source de rendement considérée comme attrayante : ces actifs présentent des inefficiences au sens de la théorie financière, variables suivant la classe d’actifs considérée, que les investisseurs souhaiteront exploiter. Pour le private equity, les infrastructures ou les loans, il s’agit de l’accès à des sociétés ou des projets non cotés : dans ce cas, les émetteurs qui souhaitent diversifier leurs sources de financement par rapport à l’émission d’actions ou d’obligations cotées (ou qui n’ont pas accès à ces marchés), sont prêts à le faire en offrant une prime aux investisseurs disposés à investir sur des actifs non cotés. Pour les hedge funds, c’est l’accès à des créateurs de valeur ajoutée qui exploitent des sources d’arbitrage inhabituelles, sont soumis à des contraintes d’investissement allégées, bénéficient d’un horizon d’investissement plus long ou d’incitations plus fortes à la performance. –– ils apportent pour la plupart le bénéfice d’une prime d’illiquidité. Selon la théorie financière, la faible liquidité d’investissements en private equity ou en immobilier, que les investisseurs sont tenus de conserver en portefeuille pendant un certain nombre d’années, trouve sa contrepartie dans une rémunération plus élevée. Certains investisseurs institutionnels peuvent d’autant plus en bénéficier qu’ils disposent normalement d’un horizon d’investissement suffisamment long. – ils offrent à l’investisseur une diversification de son portefeuille, grâce à la fois à un élargissement de l’univers d’investissement, à une dépendance supposée moindre de ces investissements à l’égard des classes d’actifs traditionnelles, et au caractère très idiosyncratique, mentionné plus haut, des risques sous-jacents au sein même de ces placements. 1V oir Hauss pour une quantification de la part du risque systématique dans le risque total des placements immobiliers. 8 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 –– plus conjoncturellement, ils permettent de générer du rendement dans un contexte de faibles taux d’intérêt, avec un risque de court terme plus lissé que sur les actifs cotés. Un certain nombre d’investisseurs institutionnels considèrent ainsi leurs investissements en immobilier, infrastructures ou en prêts directs au secteur privé comme des substituts à une partie de leur portefeuille obligataire, qui offre désormais des rendements trop faibles par rapport à leurs besoins de long terme. 1.3 - Comment classer ces actifs ? L’approche la plus simple en matière de segmentation consiste à ajouter aux classes d’actifs traditionnelles (actions, obligations, liquidités) une poche de « diversification » regroupant l’ensemble des actifs alternatifs. Cette approche simpliste ne nous semble toutefois acceptable que si le poids de ces actifs est très marginal dans le portefeuille de l’investisseur. Dans le cas contraire, il est plus pertinent d’identifier, de manière granulaire, c’est-à-dire pour chacun des sous-segments de l’univers alternatif, la sensibilité de ces actifs à des facteurs de risque : actions – et éventuellement facteurs de style au sein des actions –, taux réels, inflation, crédit… afin de mieux estimer l’allocation de risque de l’ensemble du portefeuille. Un mode de segmentation de l’univers d’investissement peut également être proposé en fonction de l’objectif recherché à travers ces placements, par exemple : –– Participation à la croissance économique : les investissements en private equity entrent logiquement dans cette catégorie, au même titre que les investissements en actions cotées. –– Génération de revenus récurrents : l’immobilier et les infrastructures répondent à cet objectif, ce qui les rapproche en cela de placements obligataires, même s’ils présentent également un profil actions via leur exposition à la croissance, comme on le vérifiera plus loin. Ceci montre que les différents segments définis ne sont pas mutuellement exclusifs et qu’un actif peut appartenir à différentes catégories. –– Protection contre certains risques macroéconomiques et financiers : les investissements en matières premières, considérés par certains investisseurs comme appartenant à cet univers alternatif, sont ainsi recherchés pour protéger un portefeuille contre un risque de regain d’inflation. La méthodologie DAMS développée par la Recherche quantitative d’Amundi2 (Pola [2013]) permet d’estimer la polarisation d’un grand nombre de classes d’actifs, et donc d’un portefeuille, à trois facteurs considérés comme impactant leur rentabilité de manière significative : la croissance, l’inflation et le stress. Le coefficient de polarisation peut être interprété comme la probabilité de l’actif de se comporter favorablement face à une variation à la hausse ou à la baisse du facteur. 2V oir Gianni Pola : Allocation d’Actifs Stratégique et Diversification entre Scénarios macroéconomiques, Amundi Cross Asset Investment Strategy Special Focus, mai 2013. Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 9 SEGMENTATION DES ACTIFS EN FONCTION DE L'OBJECTIF D'INVESTISSEMENT Participation à la croissance économique Génération Protection Prime de revenus contre certains d'illiquidité stables risques ACTIFS NON COTES Private Equity Immobilier Projets d'infrastructures Dette infrastructure Loans Forte Non Non Oui Modérée Significative Modérée Oui Significative Modérée Modérée Oui Modérée Significative Modérée Oui Significative Significative Modérée Oui RAPPEL ACTIFS TRADITIONNELS Actions marchés développés Forte Modérée Non Non Cash Non Modérée Modérée Non Obligations gouvernementales Non Significative Modérée Non Obligations indexées Non Significative Modérée Non Source : Recherche Amundi Appliquée aux actifs alternatifs, dont le comportement a dans ce cadre été approximé par celui des actifs cotés correspondants, cette approche montre que tant l’immobilier que le private equity et les infrastructures sont affectés négativement par une baisse de la croissance ou une hausse du stress, manifestant ainsi un comportement similaire à celui des actions. Leur polarisation à l’inflation est toutefois moins nette que celle des actions : on observe même une polarisation positive (même si elle est peu significative) des investissements en infrastructures à la hausse de l’inflation, comportement opposé à celui des actions. Ces classes d’actifs possèdent ainsi des propriétés intéressantes de protection contre l’inflation, grâce vraisemblablement au rendement régulier, généralement indexé sur l’inflation, qui leur est attaché. 2 - Rentabilité, risque et corrélation 2.1 - Une relation perturbée entre risque et rentabilité En termes de méthodologie, l’approche traditionnelle de l’allocation d’actifs consiste à définir des prévisions de rentabilité, risque et corrélation des différentes classes d’actifs considérées, et à utiliser une technique d’optimisation pour proposer une structure de portefeuilles permettant de répondre au mieux aux objectifs de rentabilité ou de risque de l’investisseur. La méthode que nous recommandons3 en matière de rentabilité stratégique à long terme et en l’absence 3V oir à ce sujet G Pola et S de Laguiche : « Anticiper la rentabilité des actifs dans un contexte d’incertitude », Amundi Cross Asset Investment Special Focus, janvier 2013. 10 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 de vues de marché repose sur une hypothèse de ratio de Sharpe constant pour tous les actifs inclus dans l’univers. Des études menées chez Amundi sur les performances des classes d’actifs (de Laguiche, Pola [2012]) ont montré qu’un ratio de Sharpe de 0,3 est cohérent avec les observations historiques sur très longue période. Cette méthode, qui n’implique aucun exercice de prévision, a l’avantage de la simplicité, puisque la rentabilité espérée est alors simplement le résultat de l’addition du taux sans risque4 et du produit de la volatilité ex ante par le ratio de Sharpe. Dans ce cadre, le risque est matérialisé par la volatilité. Cette relation simple entre volatilité et rentabilité est perturbée dans le cas des actifs alternatifs. D’une part, dans le cas d’actifs illiquides, une partie du supplément de rentabilité est la contrepartie d’un risque supplémentaire de liquidité que l’on ne peut pas mesurer via la volatilité. D’autre part, la volatilité constitue une mesure imparfaite du risque de marché car, notamment dans l’univers des hedge funds, les risques extrêmes observés sont sensiblement plus importants que ceux des actifs classiques de volatilité équivalente, rendant inadaptée l’hypothèse de symétrie des rendements nécessaire à l’estimation. L’existence de commissions liées à la performance contribue également à l’asymétrie observée dans la distribution des rendements. 2.2 - Nature et fréquence des séries de données Il est souvent difficile d’obtenir des séries de prix non contestables pour estimer les indicateurs de rentabilité et risque nécessaires à ces travaux d’allocation5. Dans l’univers du private equity, les rendements historiques observés peuvent être très différents selon les sources utilisées. Ceci tient notamment, comme indiqué dans Phalippou et Gottschalg [2009], à l’écart qui peut exister entre la valorisation de la partie résiduelle non encore liquidée des fonds de private equity et la somme qui sera effectivement rendue aux investisseurs lors de la liquidation du fonds, source d’une amélioration temporaire de la performance des fonds non encore liquidés. De plus, le poids parfois significatif des commissions de gestion liées à la performance – en particulier dans le domaine du private equity – peut modifier le profil de rendement de l’investissement par rapport à celui des actions détenues dans le fonds. Pour les hedge funds, les données historiques sont sujettes à des biais liés à la manière dont les performances sont communiquées. La littérature relève un biais de survivance : les fonds qui, faute de performance suffisante, ont été liquidés ne figurent pas toujours dans l’univers. La littérature mentionne aussi un biais de remplissage (backfill bias) qui conduit les gérants à communiquer les performances des fonds qui ont réussi, au cours de leur période d’incubation, à obtenir de 4V oir S. de Laguiche, « Actif sans risque : quelle rentabilité normative à long terme ? », Amundi Discussion Paper, mars 2014. 5 Voir notamment Cremers [2013] pour une discussion des limites inhérentes aux données relatives aux placements alternatifs. Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 11 bons résultats, ceux-ci étant alors repris rétrospectivement dans l’historique communiqué. Si l’on prend l’exemple de l’immobilier, des différences importantes existent entre différents indices de prix, suivant qu’ils sont calculés sur la base d’évaluations d’experts ou de valeurs de transactions6. On peut notamment s’interroger sur la capacité des investisseurs à effectivement céder leurs biens au prix de marché estimé à un moment donné par les experts. Par ailleurs les indices qui reposent sur des transactions intègrent les prix des transactions effectuées sur un intervalle de temps donné ; or ces prix ont bien souvent été fixés lors de l’accord intervenu plusieurs mois avant la finalisation des transactions. Ce type d’indice présente alors des retards et des phénomènes de lissage par rapport à ce que serait un prix de marché coté. Si l’on décide, malgré ces limites, de raisonner dans le cadre classique rentabilité/ risque, se pose la question de la détermination de la rentabilité et du risque de ces placements. 2.3 - Méthodes d’estimation des rentabilités S’agissant de l’espérance de rentabilité stratégique des actifs alternatifs, différentes méthodes d’estimation peuvent être envisagées : La simple extrapolation des rendements historiques Cette méthode est généralement peu recommandable sans apprécier la pertinence des données passées par rapport au contexte anticipé pour la période de prévision. Les séries de prix doivent par ailleurs bien correspondre aux actifs inclus ou envisagés dans le portefeuille de l’investisseur. Enfin, les données disponibles sont-elles fiables, disponibles sur un historique suffisamment long pour qu’une moyenne puisse être calculée de manière significative ? Le recours à des dires d’experts Puisque les placements alternatifs ont un fort caractère idiosyncratique et que l’on ne dispose pas de méthode très convaincante pour prévoir leur rendement, pourquoi ne pas s’appuyer sur les estimations des spécialistes de ces classes d’actifs ? Cette solution a l’avantage de l’opérationnalité dans de grandes organisations de gestion qui disposent de multiples compétences, mais elle soulève plusieurs difficultés. Le biais d’excès de confiance des gérants et des investisseurs qui les sélectionnent est bien documenté, et on peut le vérifier également dans le domaine des placements alternatifs. Ainsi, les gérants de hedge funds ou de fonds private 6V oir à ce sujet S de Laguiche, A Russo et C Blanchard : « L’immobilier physique dans l’allocation d’actifs à long terme : le cas de la France », Amundi Discussion Paper, juillet 2014. 12 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 equity tablent parfois sur des rentabilités anticipées d’au moins 10, voire 15 % par an, qui ne sont observées dans la durée que pour les véhicules d’investissement les plus performants. Cet optimisme peut tenir au fait que l’estimation de rentabilité prospective est liée à un scénario central supposant la vérification des raisons qui justifient le choix : timing acceptable et sélection du véhicule judicieux. Pour obtenir une véritable espérance de rentabilité au sens statistique du terme, il conviendrait de corriger la prévision en prenant en compte des scénarios alternatifs accompagnés d’une probabilité de réalisation. Dans l’univers du private equity, la littérature documente cependant une certaine persistance dans la performance des gérants, mais cette information n’est pas toujours exploitable dans la mesure où les meilleurs gérants de private equity ne peuvent pas indéfiniment augmenter leurs encours sous gestion. Sur cette classe, il convient aussi de noter que les gérants raisonnent souvent sur le TRI des placements en actions, tandis que le rendement obtenu par l’investisseur doit également prendre en compte les frais et le « cash drag », c’est-à-dire l’impact négatif de la détention de cash par les fonds de private equity pendant la période d’investissement. Le graphe ci-dessous illustre ainsi la différence entre le rendement des placements en actions et le rendement (TRI) pour l’investisseur. On suppose que le fonds investit en actions progressivement sur 5 ans, le capital levé initialement. Le TRI est calculé après effet du cash drag (lié au fait que les fonds levés auprès des investisseurs ne sont investis en participations que progressivement) et des frais (2 % de frais fixes + frais variables égaux à 20 % de la performance des actions avec un seuil -hurdle- à 7 %). Le rendement du cash est dans cette simulation supposé égal à 1 %. 3 - TRI pour l'investisseur en PE en fonction du TRI des actions 25 20 TRI fonds PE 15 -10 TRI fonds PE 10 TRI actions 5 0 -5 -5 -10 0 5 10 15 20 TRI actions 25 Source : Recherche Amundi On remarque que, particulièrement dans les cas où la rentabilité des participations est élevée, le cash drag et surtout les frais de gestion variables diminuent sensiblement la participation des investisseurs à cette hausse. Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 13 Avant d’utiliser ces prévisions de rendement dans une optimisation rentabilité/ risque, il est enfin nécessaire de vérifier leur cohérence avec celles des classes d’actifs cotées classiques et sur la base de la rentabilité ajustée du risque utilisée dans l’optimisation. Sinon, en l’absence de méthode homogène d’estimation des rentabilités entre les différentes classes d’actifs, c’est le degré d’optimisme ou de réalisme des experts qui constituera le fondement principal de l’attractivité apparente des classes d’actifs. La définition de rendements normatifs : Recommandé par certains grands investisseurs institutionnels, le modèle du coût d’opportunité7 consiste à représenter un investissement en actifs alternatifs comme une somme de briques élémentaires d’exposition à des classes d’actifs traditionnelles, et à justifier une diversification vers ces actifs en fonction de l’excès de rentabilité qui y est anticipé. À titre d’illustration, en s’appuyant sur le mode de segmentation mentionné au paragraphe 1-3, on peut représenter les actifs alternatifs de la manière suivante : • Les hedge funds, par une composition dynamique dans le temps de betas élémentaires sur les principaux indices actions, obligataires, devises et volatilité (Lezmi et al [2013]). Cette approximation est toutefois plus pertinente pour des indices représentatifs de stratégies alternatives mais conduira rarement à des bêtas stables au niveau de hedge funds individuels, pour lesquels la composante alpha est censée être déterminante. • Le private equity par des actions – avec un beta généralement supérieur à 1, notamment dans le cas de ses composantes les plus risquées, tel le venture capital –, corrigés par des effets de styles – taille et valeur – ou de secteur. • L’immobilier par une composante actions -– on peut en effet considérer que la rentabilité stratégique des investissements immobiliers est liée à la croissance de long terme de l’économie sous-jacente – et une composante taux liée au rendement locatif. Si l’on raisonne en rentabilité nette pour l’investisseur, il ne faut pas oublier de déduire de ces espérances de rentabilité normative une estimation des frais d’entretien et de gestion des biens détenus. • Les investissements en infrastructures par une composante actions, une composante en obligations indexées – représentative du rendement réel offert par la classe d’actifs – et un financement à taux fixe. • Les loans par des obligations à haut rendement et un effet de base comportant un différentiel de spread et une prime d’illiquidité. Une prime d’illiquidité peut également être intégrée à l’espérance de rentabilité de l’immobilier, des infrastructures ou du private equity. La quantification de cette 7V oir à ce sujet Sung C. C. : Trends in Sovereign Wealth Management : Emergence of New Investment Models, Presentation to Nomura Central Bank Seminar, April 2014. 14 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 Version Française 4 -complexe Volatilité et selon le typeded'indices immobilier prime est toutefois fait l’objet développements dans la littérature fréquence annuelle 1991-2013 financière, qui dépassent le cadre de cet article (Ang et al, De Jong et al, Kinlaw et Graph n n°1 al, Phalippou et al). 25% 2.420% Estimation des volatilités et corrélations En 15% matière de volatilité et de corrélation, différentes approches peuvent là encore être envisagées. 10% L’utilisation des séries de rentabilités relatives à des actifs alternatifs cotés 5% Les 0% volatilités et corrélations des actifs alternatifs peuvent être approximées en 8 CBREséries IEIF de Edhecrentabilités IPD bureaux IPD residentiel IPD Triangleactifs alternatifs Actionscotés Actions utilisant des relatives à des . IlIEIF s’agit d'or SBF250 foncières Amundi bien sûr d’une approximation grossière, notamment dans le casSource de : Recherche l’immobilier pour lequel le comportement des titres cotés se rapproche beaucoup plus de celui des actions en général que des actifs physiques. Toutefois, si ces placements Volatilité annualisée ne représentent qu’une faible part de l’allocation de l’investisseur, l’impact de selon la fréquence des observations cette approximation sur les paramètres de risque de l’ensemble du portefeuille 0,25 demeurera modeste. Lorsque l’on estime le risque et les corrélations à long terme, il 0,2 est par ailleurs nécessaire de retraiter les données, soit en les « délissant » – les volatilités apparentes des classes alternatives calculées sur de faibles fréquences 0,15 sous-estiment le risque effectif –, soit en tenant compte des retards et des autocorrélations. 0,1 n°2 La fréquence de valorisation retenue influence également la volatilité annualisée 0,05 observée, comme l’illustre le graphique ci-dessous, qui montre un écart de volatilité 0 beaucoup plus important entre actions foncières et immobilier physique – mesuré trimestriel semestriel annuel biennal par l’indice CBRE – lorsque la fréquence des observations est trimestrielle plutôt Source : Recherche Amundi Immobilier CBRE Actions foncières qu’annuelle. 4 - Rapport risque observé immobilier/risque actions selon la fréquence des observations n°3 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0 Trimestrielle Semestrielle Annuelle Solvency II Source : Recherche Amundi 8G ilfedder et Sheperd montrent l’utilité du recours à des titres cotés similaires pour représenter Corrélation le risque deentre placements en infrastructures. immobilier physique et classes d'actifs cotées CBRE et IEIF Foncières Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 CBRE et SBF250 n°4 15 Ce phénomène se retrouve également pour le private equity (Shephard et Liu [2014]). Les fonds publient certes une valorisation trimestrielle mais ce n’est que tous les semestres que les investissements sont effectivement valorisés de manière approfondie ; dans l’intervalle, un ajustement n’est effectué que pour les participations dont la valorisation a pu être significativement affectée par un événement donné. Le risque apparent à court terme est donc réduit, par rapport au risque intrinsèque sur un horizon plus long, par un effet de lissage. En ce qui concerne les analyses des corrélations, celles-ci apparaissent relativement stables, autour de 40 %, entre immobilier physique et actions cotées, si l’on introduit un décalage de deux trimestres entre les séries de rendements alors que la corrélation sans décalage était historiquement proche de 0 9. Le recours à la réglementation Solvabilité II Les estimations peuvent également être basées sur les indications fournies par la réglementation Solvabilité II, qui doit normalement s’appliquer aux assureurs à partir de janvier 2016. Cette approche représente une sorte de modèle simplifié de VaR 99 % à un an pour évaluer le chargement en capital des risques attachés aux différentes classes d’actifs. Les hypothèses de VaR et de corrélation retenues peuvent dans certains cas paraître élevées au regard des observations, mais il convient de noter qu’elles sont établies dans une optique de prudence et tendent à se focaliser sur les situations de stress, qui sont précisément celles où les corrélations entre actifs risqués ont tendance à augmenter. Solvabilité II retient un paramètre de chargement en capital de 49 % pour le private equity, de 25 % pour l’immobilier et 39 % pour les actions, soit un ratio de risque relatif de l’immobilier par rapport aux actions de 64 %. Cet ordre de grandeur correspond bien à celui fourni par le rapport des volatilités entre les indices actions et les indices immobiliers, même si, comme on l’a vu plus haut, l’estimation exacte peut varier (entre 50 et 70 %) suivant la fréquence des observations. De même, si l’on se base sur la matrice de corrélation fournie par l’EIOPA 10, il est possible, en tout cas pour l’immobilier qui constitue l’un des piliers de risque retenus par la réglementation assurantielle, d’estimer sa corrélation avec les classes d’actifs qui sont intégrées dans le portefeuille de l’investisseur, en les décomposant en piliers de risque (taux, actions, immobilier, spread, devise) et en utilisant les variances et corrélations de ces piliers. 9C f. supra S de Laguiche et A Russo : les corrélations ont été calculées entre les rentabilités de l’immobilier de bureaux sur le marché parisien, mesurées par l’indice CBRE, et l’indice SBF 250 représentatif du marché français des actions. 10 European Insurance and Occupational Pensions Authority. 16 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 ESTIMATION DES CORRÉLATIONS DES ACTIFS DE L’INSTITUTION AVEC L’IMMOBILIER MATRICE DE CORRÉLATION EIOPA Matrice de corrélation EIOPA Corrélation avec l’immobilier Taux Actions Immobilier Spread Devises d'intérêt Taux d'intérêt 1 0 0 0 0,25 Trésorerie 0 Actions 0 1 0,75 0,75 0,25 Obligation d’État zone euro 0 Immobilier 0 0,75 1 0,5 25 Obligation privée IG zone euro 0,43 Spread 0 0,75 0,5 1 0,25 Obligation privée haut rendement short duration 0,49 Devises 0,25 0,25 0,25 0,25 1 Obligation de pays émergents hard currency 0,47 Obligation de pays émergents devises locales (€) 0,27 Actions 0,75 Source : EIOPA + calculs Amundi Solutions Assurance – – Enfin, cette analyse peut être menée en prenant en compte les spécificités des investissements effectués ou envisagés dans le portefeuille de l’institution. Il est donc nécessaire lorsqu’on le peut de raisonner de manière « bottom up » à partir des caractéristiques des placements individuels considérés. Les principaux fournisseurs de modèles d’analyse de risque de portefeuilles proposent d’ailleurs une segmentation de plus en plus fine des placements alternatifs et une granularité de la décomposition de leur risque. Tous ces éléments nous permettent de conclure qu’en dépit des nombreux écueils méthodologiques que soulève l’estimation de la rentabilité, du risque et des corrélations des classes d’actifs alternatives, il est possible, en croisant les différentes méthodes, de fournir un ordre de grandeur du risque des actifs alternatifs et de leur corrélation avec les actifs traditionnels. 3 - Insertion d’actifs alternatifs dans une allocation : les recommandations d’Amundi Les différentes analyses effectuées au sein d’Amundi sur les classes d’actifs alternatives et l’intérêt de leur inclusion dans un portefeuille nous permettent de Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 17 formuler les grandes lignes d’une philosophie allocataire dans ce domaine et de fournir de premiers éléments de réponse aux principales questions posées par les investisseurs : comment segmenter ces actifs ; quels critères retenir pour déterminer l’exposition d’un portefeuille à ces actifs ; comment formaliser ces expositions ? 3.1 Mode de segmentation recommandé Avant toute chose, l’institution doit s’attacher à définir la manière dont chaque actif dit alternatif répond à ses objectifs et s’intègre dans sa philosophie d’investissement. Elle doit également s’appuyer sur une segmentation de l’univers d’actifs, suivant une approche qui, selon nous, se fonde sur l’analyse du comportement des classes d’actifs alternatifs en fonction de facteurs macroéconomiques et financiers. L’investisseur doit en tout état de cause avoir conscience que le comportement du private equity, de l’immobilier ainsi que d’une partie significative des hedge funds, se rapproche davantage de celui des actions que des obligations, notamment en termes de sensibilité à la croissance et au stress de marché. De leur côté, les loans, les dettes pour infrastructures et les stratégies d’arbitrage de crédit se rapprochent des actifs obligataires à haut rendement, qui sont généralement classés dans l’univers obligataire bien que sensibles au cycle conjoncturel et de crédit, donc économiquement proches eux aussi des actions. La réglementation peut également guider les choix de segmentation. Comme nous l’avons déjà souligné, la directive Solvabilité II distingue ainsi le risque immobilier des risques de taux, de crédit et actions et assimile à du risque actions tous les véhicules non transparisables, tels que fonds de private equity et hedge funds. Par ailleurs, certaines réglementations distinguent les obligations « investment grade », les actions, l’immobilier ; tous les autres actifs entrent dans une catégorie résiduelle (parfois appelée « poubelle ») dont le poids est généralement plafonné dans l’actif total de l’investisseur. Ajoutons tout de même que cet exercice de segmentation fine n’est pertinent que si les placements alternatifs occupent une part non négligeable du portefeuille de l’investisseur – à partir de 5 % par exemple –. 3.2 L’importance des éléments relatifs à chaque institution La détermination du poids des actifs alternatifs dans un portefeuille doit selon nous davantage reposer sur un jugement qualitatif que sur une approche d’optimisation traditionnelle moyenne/variance 11, entachée d’une forte marge d’erreur en raison des incertitudes sur les paramètres de risque et de corrélation de ces actifs. Nous suggérons d’intégrer les facteurs suivants dans cette analyse. Beaucoup sont spécifiques à chaque institution et permettent une adaptation de la réponse à l’environnement précis de l’institution. 11 L ’importance de la prise en compte du jugement dans l’appréciation du risque des investissements alternatifs est d’ailleurs soulignée dans Pedersen et al [2014]. 18 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 Horizon d’investissement et contraintes de passif La prise en compte de l’horizon d’investissement de l’institution et de ses contraintes de passif permet de s’assurer de l’absence d’écart marqué entre la liquidité de l’actif et l’échéancier prévu des décaissements (Buscombe, Mc Nally [2014]). Cet horizon doit être suffisamment long – au moins 10 ans – pour pouvoir justifier une allocation significative – au-delà de 5 % – à ces actifs. L’analyse d’éventuels écarts de liquidité devra par ailleurs intégrer les engagements connus et ceux qui sont contingents, par exemple la possibilité pour un fonds souverain de devoir soutenir les finances publiques ou le secteur bancaire de l’économie sousjacente en cas de crise. Structure de l’allocation d’actifs La structure de l’allocation d’actifs de l’investisseur constitue également un élément déterminant. L’analyse des corrélations entre actifs alternatifs et traditionnels évoquée dans la section 2-4 permet de différencier l’impact de l’introduction de ces actifs dans un portefeuille suivant son allocation initiale entre actions et obligations. Dans le cas particulier de l’immobilier physique, on observe que cette classe d’actifs apporte une meilleure diversification à des portefeuilles à dominante obligataire qu’actions, en raison d’une corrélation proche de 0 entre immobilier et obligations (alors qu’elle est positive avec les actions). Le pouvoir diversifiant qui en résulte dépend toutefois de l’horizon considéré : il est plus élevé sur un horizon court (trimestriel notamment) grâce à l’effet observé de lissage du risque sur le court terme. En revanche, l’immobilier physique apparaît moins diversifiant dans le cadre d’un portefeuille à dominante actions, en raison de la tendance des investisseurs à sous-estimer la corrélation entre immobilier et actions. Cette remarque vaut également pour le private equity dont le risque systématique est clairement homogène à celui des actions cotées. Affinité avec les placements alternatifs Même si ce critère apparaît peu scientifique, l’affinité de l’institution avec les actifs alternatifs – en particulier, le degré d’acceptabilité de ces placements par les administrateurs – et la pertinence de ces actifs dans le cadre de sa philosophie d’investissement, ne peuvent être négligées. Ainsi, une diversification vers l’immobilier physique (resp. vers le capital investissement) sera plus naturelle pour les institutions liées au secteur de la construction (resp. aux secteurs à caractère technologique). Ressources disponibles pour effectuer et piloter ces investissements Enfin, en termes pratiques, la spécificité et la complexité de ces actifs obligent les investisseurs à s’assurer qu’ils disposent bien des moyens nécessaires pour sélectionner les placements les plus attrayants, correspondant bien à Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 19 leur cahier des charges, et pour les piloter dans le temps. Certaines études12 ont ainsi montré que dans le domaine du private equity, ce sont les investisseurs expérimentés qui parviennent à ajouter de la valeur, alors que les nouveaux venus doivent s’attendre à des déconvenues pendant une période d’apprentissage de ces classes d’actifs. 3.3 Comment formaliser les expositions à ces actifs ? Des niveaux cibles peuvent être définis pour ces actifs en termes de fourchettes de poids ajusté du risque. Des travaux récents résumés dans Ang et Sorensen montrent que leur illiquidité doit conduire à définir des fourchettes plutôt que des cibles. Une expression en poids seule a peu de sens car le niveau de risque peut fortement varier suivant le type de produits. La définition de ces cibles doit également s’appuyer sur l’impact de l’allocation en actifs alternatifs sur le risque total du portefeuille. Selon le type de segmentation adoptée, il peut être nécessaire de prendre également en compte une contribution par rapport à une poche plus restreinte de risque – risque financier, risque des diversifications, risque actions –, et de tenir compte des caractéristiques de risque spécifiques des actifs alternatifs inclus dans l’allocation. En ce qui concerne les paramètres de risque, nous recommandons de raisonner en VaR ou perte maximale probable à un horizon donné suffisamment long (un an), indicateur applicable aussi aux autres classes d’actifs incluses dans le portefeuille de l’investisseur et permettant donc d’analyser de manière homogène le risque de l’ensemble du portefeuille d’actifs. Comme nous l’avons indiqué, la volatilité n’est pas appropriée pour ces classes d’actifs en raison du risque de liquidité et de l’asymétrie de leurs rendements. Des estimations de corrélation entre actifs sont nécessaires pour évaluer le risque, mais on peut alors : –– utiliser lorsque c’est possible (pour l’immobilier) les corrélations avec les autres grandes classes d’actifs issues de la réglementation Solvabilité II, –– retenir des corrélations proches de 1 avec les actions : la surestimation du risque qui en résulte est acceptable pour les portefeuilles à dominante obligataire et lorsque le poids alloué aux actifs alternatifs demeure limité. Le risque de l’allocation peut également être analysé à l’aide de stress tests face à des situations défavorables de marché, incluant un scénario de risque qualifié (par exemple, hausse prématurée des taux d’intérêt US) et quantifié dans son impact sur les principales classes d’actifs. Il est éventuellement souhaitable d’apprécier le risque sur différents horizons. En effet, la relation entre risque et horizon est différente de celle qui prévaut sur les actifs cotés : à risque long terme équivalent, la volatilité à court terme est limitée 12 Voir notamment Dyck et Pomorski [2011] 20 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 par un mode de valorisation plus lissé que pour les actifs cotés. Cet avantage est contrebalancé par une moindre liquidité à court terme. Un arbitrage du coté vers le non coté peut être aussi justifié pour des investisseurs qui disposent un horizon très long mais subissent néanmoins des contraintes fortes sur la volatilité à court terme. 3.4 Timing de montée en charge La question du timing ne peut être négligée. Sur ces actifs, il faut en effet savoir être précurseur et avoir le courage d’investir lorsque c’est inconfortable plutôt que lorsque l’actif cible est déjà recherché par un grand nombre d’investisseurs. De plus, notamment dans le domaine des hedge funds, les meilleurs gérants disposent d’une capacité d’investissement limitée dont ne bénéficient souvent que les premiers entrants ; dans une phase d’engouement du marché, l’afflux de demande de la part d’investisseurs moins expérimentés ne trouve à s’investir que sur des fonds de moins bonne qualité. C’est également le cas des fonds de private equity les plus réputés, auxquels les plus gros investisseurs disposent d’un accès plus facile. Or la dispersion des performances entre les meilleurs et les moins bons fonds est extrêmement importante dans ce secteur (Jagger [2012]), et ce n’est que si l’on est raisonnablement sûr de pouvoir choisir un fonds classé dans le premier quartile que l’on peut générer une performance supérieure à celle des actifs liquides (voir ci-dessous). DISPERSION DES RENDEMENTS DE LA GESTION ACTIVE Données sur 20 ans, 1982-2012 Classe d’actifs Premier quartile Médiane Dernier quartile Delta Obligations internationales 7,3 % 6,5 % 6,3 % 1% Actions internationales 10 % 8% 6,1 % 3,9 % Private Equity 12,7 % 3,1 % (2,29)% 15,6 % Source : Thomson One, Recherche Amundi En conséquence pour une institution qui initie des investissements sur ces classes d’actifs, les fourchettes-cibles peuvent être différentes selon l’horizon, en distinguant une montée en puissance et un régime de croisière. Ainsi, modestes pendant la phase d’apprentissage de l’investisseur, les montants doivent être à terme suffisamment élevés pour avoir un véritable impact sur la rentabilité espérée du portefeuille de l’investisseur et justifier le surcroît de complexité entraîné par le suivi de ces placements. Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 21 La montée en charge de ces investissements doit être graduelle, prenant en compte : –– l’accès au marché (taille de l’univers « investissable »), –– la liquidité des classes d’actifs considérées relativement à la taille du portefeuille de l’investisseur. Le timing de montée en charge de ces actifs dépend également de considérations plus tactiques, telles que leur position dans le cycle économique et financier et leur valorisation. Conclusion Dans le contexte actuel de faiblesse historique des taux d’intérêt et de craintes persistantes à l’égard des investissements en actions, les investisseurs institutionnels manifestent un intérêt croissant pour les placements alternatifs, ensemble hétérogène qui comprend notamment les hedge funds et des actifs non cotés : immobilier, private equity, infrastructures, loans. Cet intérêt s’appuie sur leur capacité de diversification par rapport aux classes d’actifs traditionnelles et d’amélioration de la rentabilité pour les investisseurs aptes à sélectionner les supports les plus performants et disposant d’un horizon suffisamment long pour capter la prime d’illiquidité qui s’attache aux actifs non cotés. Le dimensionnement de ces placements dans un portefeuille soulève néanmoins de nombreuses questions, sur lesquelles cet article apporte un premier éclairage. Nous avons ainsi mis en évidence les nombreuses difficultés méthodologiques que soulève l’application à ces actifs d’une approche traditionnelle moyenne/variance de l’allocation d’actifs, et qui tiennent notamment à la fréquence et à la spécificité des modes de valorisation d’actifs non cotés. La pertinence limitée de la notion de volatilité appliquée à ces classes d’actifs nous conduit à recommander d’estimer leur risque et leur corrélation avec les autres classes d’actifs via une combinaison de différentes méthodes : utilisation des actifs cotés représentatifs, des paramètres de la réglementation, perte maximale probable dans des scénarios de stress. L’institution doit par ailleurs veiller à ce que l’illiquidité de ces placements ne génère pas un écart inacceptable de liquidité entre actif et passif. Plus généralement, l’investisseur doit adopter une approche pragmatique pour déterminer l’allocation de son portefeuille sur ces actifs, en définissant clairement l’objectif économique recherché à travers chacun de ces placements, et en identifiant leur sensibilité aux principaux facteurs macroéconomiques et financiers. Enfin, nous recommandons d’exprimer l’allocation sur ces actifs dans le portefeuille en termes de fourchette cible en risque plutôt qu’en poids, et de gérer une montée en charge graduelle vers cette cible, en tenant compte des supports d’investissement disponibles pour accéder à ces actifs 22 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 Les différentes pistes proposées dans cet article mériteront d’être approfondies dans plusieurs directions. Comment intégrer la prime d’illiquidité dans la rentabilité espérée des investissements alternatifs non cotés ? Comment prendre en compte les variations de liquidité dans les estimations de risque et des corrélations. La décomposition de ces actifs en exposition à des facteurs de risque macroéconomiques ou financiers pourra également être affinée. L’analyse rentabilité/risque de ces placements devra enfin être poursuivie sur des sousensembles homogènes, segmentés par zone géographique et destination de ces actifs (par exemple bureaux/logement/commerces pour l’immobilier). Nous aurons l’occasion de communiquer sur ces différents sujets au cours des prochains mois. Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 23 Bibliographie Ang A., Kaplan A., Columbia Business School and NBER, Estimating Private Equity Returns from Limited Partner Cash Flows, Netspar, January 2014 Ang A., Sorensen M., Risk, returns and optimal holdings of private equity : a survey of existing approaches, Netspar panel paper 39 Buscombe T., McNally S., Mercer, Spending your Illiquidity Budget, Presentation to Global Investment Forums, 2014 Cremers M., The Performance of Direct Investments in real Assets : Natural Resources, Infrastructure and Commercial Real-Estate, Deutsche Asset and Wealth Management Global Financial Institute, June 2013 De Jong F., Driessen J., The Norwegian Government Pension Fund’s Potential for capturing illiquidity premiums, Report to the Norwegian Ministry of Finance, February 2013 De Laguiche S., Blanchard C., Russo A ! L’immobilier physique dans l’allocation d’actifs à long terme : le cas de la France, Amundi Discussion Paper, Septembre 2014 De Laguiche S., Pola G., Unexpected Returns : Methodological Considerations on Expected Returns in uncertainty, Amundi Working Paper 032-2012, November 2012 Gilfedder N., Shepard P., Stocks, Bonds and Airports : Infrastructure Assets in Pension Plan Portfolios, MSCI Market Insight, January 2014 Government of Singapore Investment Corporation, GIC’s New Investment Framework, 2012-2013 Annual report Hauss H. 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Asset segmentation in response to macroeconomic changes, Amundi Working paper, May 2013 Santiso J., Sovereign Wealth Funds, 2013 Report, ESADE Business School Santiso J., Sovereign Funds 3.0, Asset allocation strategies, 2010-2020, Report to Amundi Shephard P and Liu Y, The Barra Private Equity model, MSCI Research note, August 2014 Sung C. C., Trends in Sovereign Wealth Management : Emergence of New Investment Models, presentation to Nomura Central Bank Seminar, April 2014 24 Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 Remerciements Nous remercions nos différents collègues d’Amundi, notamment d’Amundi Solutions Assurances, Amundi Immobilier et Amundi Private equity, dont les remarques judicieuses ont permis d’enrichir ces analyses. Les commentaires de Bernard Arock sur le Private Equity nous ont été particulièrement utiles pour enrichir les développements propres à ces actifs. Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014 25 Éditeurs : Pascal BLANQUÉ Directeur Général Délégué Directeur du Métier Institutionnels et Distributeurs Tiers Chief Investment Officer Group Philippe ITHURBIDE Directeur Recherche, Stratégie et Analyse Pia BERGER, Assistante Éditions - Recherche, Stratégie et Analyse Benoit PONCET, Responsable Éditions - Recherche, Stratégie et Analyse Amundi Discussion Papers Series Novembre 2014 Les destinataires de ce document sont en ce qui concerne l’Union Européenne, les investisseurs « Professionnels » au sens de la Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 « MIF », les prestataires de services d’investissements et professionnels du secteur financier, le cas échéant au sens de chaque réglementation locale et, dans la mesure où l’offre en Suisse est concernée, les « investisseurs qualifiés » au sens des dispositions de la Loi fédérale sur les placements collectifs (LPCC), de l’Ordonnance sur les placements collectifs du 22 novembre 2006 (OPCC) et de la Circulaire FINMA 08/8 au sens de la législation sur les placements collectifs du 20 novembre 2008. Ce document ne doit en aucun cas être remis dans l’Union Européenne à des investisseurs non « Professionnels » au sens de la MIF ou au sens de chaque réglementation locale, ou en Suisse à des investisseurs qui ne répondent pas à la définition d’« investisseurs qualifiés » au sens de la législation et de la réglementation applicable. Le présent document ne constitue en aucun cas une offre d’achat ou une sollicitation de vente et ne peut être assimilé ni à sollicitation pouvant être considérée comme illégale ni à un conseil en investissement. Amundi n’accepte aucune responsabilité, directe ou indirecte, qui pourrait résulter de l’utilisation de toutes informations contenues dans ce document. Amundi ne peut en aucun cas être tenue responsable pour toute décision prise sur la base de ces informations. 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