actifs alternatifs dans une allocation : pourquoi, comment, combien

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Amundi Discussion Papers Series
DP-08-2014
Novembre 2014
ACTIFS ALTERNATIFS DANS UNE ALLOCATION :
POURQUOI, COMMENT, COMBIEN ?
Sylvie De LAGUICHE, Responsable Recherche quantitative
Eric TAZÉ-BERNARD, Responsable du Conseil en Allocation d’Actifs
Réservé aux investisseurs professionnels
Résumé
L
es investisseurs institutionnels internationaux manifestent un intérêt
croissant, accentué par la faiblesse persistante des taux d’intérêt, pour
les placements alternatifs. Ils en espèrent à la fois une amélioration
de la rentabilité de leur portefeuille et une diversification par rapport aux autres
actifs détenus. Mais quel cadre adopter pour évaluer ces avantages ? Et comment
dimensionner ces actifs dans l’allocation de l’investisseur ?
Pour formuler de premières réponses à ces questions, qui mériteront d’être
approfondies ultérieurement, nous définissons les classes d’actifs typiquement
incluses dans cet univers hétérogène : hedge funds et surtout actifs non cotés immobilier, private equity, infrastructures, loans – et montrons qu’elles répondent
à des objectifs d’investissement divers. Ceci nous conduit à proposer un mode
de segmentation de ces actifs, en fonction de leur sensibilité à des facteurs
macroéconomiques, qui peut notamment aider à l’estimation de leur rentabilité.
En effet, la relation traditionnelle entre rentabilité et risque s’applique mal à ces
actifs, pour différentes raisons que nous détaillons dans la deuxième partie de cet
article : faible fréquence des données, mode de valorisation lissé, asymétrie des
distributions de rendements,
Nous élaborons ensuite un certain nombre de recommandations pour les
investisseurs institutionnels souhaitant mieux calibrer ces investissements dans
leur portefeuille. Nous prônons une approche pragmatique en la matière, tenant
compte des caractéristiques spécifiques de l’investisseur, en termes de contraintes
de passif, horizon d’investissement, structure actuelle de l’allocation d’actifs,
affinité avec les placements alternatifs. En termes de risque, nous suggérons
aux investisseurs de recourir à différentes méthodes : utilisation des actifs cotés
représentatifs, des paramètres de la réglementation, perte maximale probable
dans des scénarios de stress. Chacune présente des inconvénients, mais leur
combinaison aide à formuler un diagnostic pertinent. Enfin, les cibles définies pour
calibrer ces actifs dans un portefeuille gagnent à être exprimées en termes de
fourchettes de risque plutôt qu’en poids, et l’investisseur doit procéder par étapes
pour les atteindre.
Mots-clés : allocation, alternatif, actifs non cotés, performance, risque.
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4
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ACTIFS ALTERNATIFS DANS UNE ALLOCATION :
POURQUOI, COMMENT, COMBIEN ?
Introduction
On entend traditionnellement par allocation d’actifs la répartition d’un portefeuille
entre actions, obligations et produits monétaires, mais l’univers considéré dans
la construction d’une allocation d’actifs institutionnelle s’est élargi ces dernières
années aux investissements dits alternatifs : investissements en « hedge funds »,
et en actifs non cotés - immobilier direct, « private equity », prêts ou projets
d’infrastructures.
Les investisseurs privés à fort patrimoine, ainsi que certains fonds de pension
et fondations liées aux universités américaines, ont été pionniers dans ce
type d’actifs, qui ont plus récemment fait l’objet d’un engouement croissant
d’investisseurs supranationaux et fonds souverains. À titre d’exemple, de grands
investisseurs souverains tels que l’ADIA ou GIC consacrent respectivement 20 %
(dont la moitié à l’immobilier) et 26  % de leur allocation d’actifs aux investissements
alternatifs. Le graphique ci-dessous fournit un détail plus précis de l’allocation de
GIC à la fin 2013 :
1- Évolution de l'allocation de GIC entre 2008 et 2013
7%
11 %
7%
23 %
27 %
26 %
26 %
17 %
21 %
44 %
45 %
46 %
2012
2013
2008
Actions cotées
Obligations
Alternatifs
Monétaire et autres
Source : Rapports GIC, Recherche Amundi
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5
2- Évolution de l'allocation de GIC entre 2008 et 2013 (détail)
34
2008 (%)
2013 (%)
Actions Marchés développés
20
10
Actions Marchés émergents
10
Immobilier
8
15
10
11
Private Equity et Infrastructures
7
7
Monétaire et autres
6
31
19
Obligations nominales
2
Obligations indexées sur l’inflation
3
Stratégies de rendement absolu
3
2
Ressources naturelles
2
Source : Rapports GIC, Recherche Amundi
L’objectif de cet article est, sur la base des différentes expertises de recherche,
d’allocation d’actifs et de gestions spécialisées sur les classes d’actifs alternatives
disponibles au sein d’Amundi, d’apporter un éclairage sur des questions
fréquemment posées par les investisseurs institutionnels sur ce thème :
• Quels avantages y a-t-il à recourir à ces placements ?
• Quelle segmentation adopter pour étudier leur intégration dans une
allocation d’actifs ?
• Quel poids leur allouer dans un portefeuille, et en fonction de quels critères
ce poids doit-il être déterminé ?
• Enfin, quelles règles opérationnelles peuvent être retenues pour piloter
ces investissements ?
6
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1 - Définition, objectifs
et comportement d’investissement
1.1 - Un univers hétérogène
Il est délicat de définir une allocation d’actifs globale sur ces actifs en raison
de leur forte hétérogénéité, tant entre les différentes classes alternatives qu’au
sein de chacune d’entre elles.
Afin de caractériser cet univers, on distingue habituellement :
– les actifs cotés (essentiellement hedge funds), Cette catégorie est d’autant
plus pertinente que de nombreux hedge funds ont, depuis la crise, accru leur
niveau de transparence, la fréquence de leur valorisation, et réduit leur levier,
convergeant ainsi vers les normes applicables aux fonds traditionnels.
– les actifs non cotés, au sein desquels on met parfois en exergue les actifs
réels (immobilier, infrastructures, mais aussi les terres, les forêts, que l’on exclura
des développements qui suivent) et le private equity. On pourra également
distinguer entre des risques sous-jacents actions ou obligataires – c’est le
cas des investissements en infrastructures –, et entre différentes catégories
d’emprunteurs.
La distinction entre coté et non coté reflète également une différence en termes
d’imperfection de liquidité. Les hedge funds offrent une liquidité inhérente aux
actifs cotés, mais certains types de stratégie peuvent être soumis au risque de
resserrement soudain de la liquidité dans les périodes de crise : leur problème est
donc la variabilité de la liquidité. Les actifs non cotés sont, quant à eux, toujours
illiquides sur des horizons courts ; ils retrouvent mécaniquement cette liquidité
sur des horizons plus ou moins longs, par exemple lorsque des cash-flows sont
distribués aux investisseurs – en cas de remboursement des loans, ou après des
cessions de participations dans un fonds de private equity – ; leur liquidité dépend
donc de l’horizon.
Au sein de chaque groupe, le comportement de ces placements, et leur niveau
de risque, dépendent fortement :
–– pour les hedge funds, du type de stratégie (arbitrages crédit, arbitrages sur
fusions, fonds de futures…) et de l’importance de l’effet de levier,
–– pour les actifs non cotés, de leur localisation géographique (prépondérante par
rapport à des facteurs globaux),
–– de leur destination : par exemple bureaux, commerces ou résidentiel dans le
cas de l’immobilier ; venture capital ou capital développement au sein du private
equity,
–– du mode d’investissement retenu : en matière de private equity, on peut ainsi
distinguer les investissements directs dans des entreprises non cotées, les
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7
investissements en fonds de private equity ou bien en fonds de fonds. Dans les
infrastructures, on peut investir dans des fonds, dans des projets ou bien dans
de la dette émise pour financer un projet
–– du type de projet financé (dans le cadre du private equity ou des infrastructures),
Ainsi, la diversification est beaucoup plus forte entre un investissement en bureaux
parisiens et de l’immobilier résidentiel à Hong Kong, ou bien entre du capital-risque
californien et un LBO sur le marché britannique, qu’entre deux actions cotées sur
différents marchés développés1.
Ce caractère idiosyncratique très marqué justifiera souvent d’appréhender les
placements alternatifs actif par actif, plutôt que de recourir à des indices représentatifs
des classes d’actifs analysées, lorsqu’ils existent.
1.2 - Objectifs d’investissement visés par les investisseurs
Ces investissements répondent à des objectifs de rendement ou de diversification :
–– ils permettent d’accéder à une source de rendement considérée comme
attrayante : ces actifs présentent des inefficiences au sens de la théorie
financière, variables suivant la classe d’actifs considérée, que les investisseurs
souhaiteront exploiter. Pour le private equity, les infrastructures ou les loans,
il s’agit de l’accès à des sociétés ou des projets non cotés : dans ce cas,
les émetteurs qui souhaitent diversifier leurs sources de financement par
rapport à l’émission d’actions ou d’obligations cotées (ou qui n’ont pas accès
à ces marchés), sont prêts à le faire en offrant une prime aux investisseurs
disposés à investir sur des actifs non cotés. Pour les hedge funds, c’est
l’accès à des créateurs de valeur ajoutée qui exploitent des sources
d’arbitrage inhabituelles, sont soumis à des contraintes d’investissement
allégées, bénéficient d’un horizon d’investissement plus long ou d’incitations
plus fortes à la performance.
–– ils apportent pour la plupart le bénéfice d’une prime d’illiquidité. Selon la
théorie financière, la faible liquidité d’investissements en private equity ou en
immobilier, que les investisseurs sont tenus de conserver en portefeuille pendant
un certain nombre d’années, trouve sa contrepartie dans une rémunération
plus élevée. Certains investisseurs institutionnels peuvent d’autant plus
en bénéficier qu’ils disposent normalement d’un horizon d’investissement
suffisamment long.
– ils offrent à l’investisseur une diversification de son portefeuille, grâce
à la fois à un élargissement de l’univers d’investissement, à une dépendance
supposée moindre de ces investissements à l’égard des classes d’actifs
traditionnelles, et au caractère très idiosyncratique, mentionné plus haut, des
risques sous-jacents au sein même de ces placements.
1V
oir Hauss pour une quantification de la part du risque systématique dans le risque total
des placements immobiliers.
8
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–– plus conjoncturellement, ils permettent de générer du rendement dans un
contexte de faibles taux d’intérêt, avec un risque de court terme plus lissé
que sur les actifs cotés. Un certain nombre d’investisseurs institutionnels
considèrent ainsi leurs investissements en immobilier, infrastructures ou en prêts
directs au secteur privé comme des substituts à une partie de leur portefeuille
obligataire, qui offre désormais des rendements trop faibles par rapport à leurs
besoins de long terme.
1.3 - Comment classer ces actifs ?
L’approche la plus simple en matière de segmentation consiste à ajouter aux classes
d’actifs traditionnelles (actions, obligations, liquidités) une poche de « diversification »
regroupant l’ensemble des actifs alternatifs. Cette approche simpliste ne nous semble
toutefois acceptable que si le poids de ces actifs est très marginal dans le portefeuille
de l’investisseur. Dans le cas contraire, il est plus pertinent d’identifier, de manière
granulaire, c’est-à-dire pour chacun des sous-segments de l’univers alternatif,
la sensibilité de ces actifs à des facteurs de risque : actions – et éventuellement
facteurs de style au sein des actions –, taux réels, inflation, crédit… afin de mieux
estimer l’allocation de risque de l’ensemble du portefeuille.
Un mode de segmentation de l’univers d’investissement peut également être
proposé en fonction de l’objectif recherché à travers ces placements, par exemple :
–– Participation à la croissance économique : les investissements en private
equity entrent logiquement dans cette catégorie, au même titre que les
investissements en actions cotées.
–– Génération de revenus récurrents : l’immobilier et les infrastructures répondent
à cet objectif, ce qui les rapproche en cela de placements obligataires, même
s’ils présentent également un profil actions via leur exposition à la croissance,
comme on le vérifiera plus loin. Ceci montre que les différents segments définis
ne sont pas mutuellement exclusifs et qu’un actif peut appartenir à différentes
catégories.
–– Protection contre certains risques macroéconomiques et financiers : les
investissements en matières premières, considérés par certains investisseurs
comme appartenant à cet univers alternatif, sont ainsi recherchés pour protéger
un portefeuille contre un risque de regain d’inflation. La méthodologie DAMS
développée par la Recherche quantitative d’Amundi2 (Pola [2013]) permet
d’estimer la polarisation d’un grand nombre de classes d’actifs, et donc d’un
portefeuille, à trois facteurs considérés comme impactant leur rentabilité de
manière significative : la croissance, l’inflation et le stress. Le coefficient de
polarisation peut être interprété comme la probabilité de l’actif de se comporter
favorablement face à une variation à la hausse ou à la baisse du facteur.
2V
oir Gianni Pola : Allocation d’Actifs Stratégique et Diversification entre Scénarios
macroéconomiques, Amundi Cross Asset Investment Strategy Special Focus, mai 2013.
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
9
SEGMENTATION DES ACTIFS EN FONCTION DE L'OBJECTIF D'INVESTISSEMENT
Participation à
la croissance
économique
Génération
Protection
Prime
de revenus contre certains
d'illiquidité
stables
risques
ACTIFS NON COTES
Private Equity
Immobilier
Projets d'infrastructures
Dette infrastructure
Loans
Forte
Non
Non
Oui
Modérée
Significative
Modérée
Oui
Significative
Modérée
Modérée
Oui
Modérée
Significative
Modérée
Oui
Significative
Significative
Modérée
Oui
RAPPEL ACTIFS TRADITIONNELS
Actions marchés développés
Forte
Modérée
Non
Non
Cash
Non
Modérée
Modérée
Non
Obligations gouvernementales
Non
Significative
Modérée
Non
Obligations indexées
Non
Significative
Modérée
Non
Source : Recherche Amundi
Appliquée aux actifs alternatifs, dont le comportement a dans ce cadre été
approximé par celui des actifs cotés correspondants, cette approche montre
que tant l’immobilier que le private equity et les infrastructures sont affectés
négativement par une baisse de la croissance ou une hausse du stress, manifestant
ainsi un comportement similaire à celui des actions. Leur polarisation à l’inflation
est toutefois moins nette que celle des actions : on observe même une polarisation
positive (même si elle est peu significative) des investissements en infrastructures
à la hausse de l’inflation, comportement opposé à celui des actions. Ces classes
d’actifs possèdent ainsi des propriétés intéressantes de protection contre
l’inflation, grâce vraisemblablement au rendement régulier, généralement indexé
sur l’inflation, qui leur est attaché.
2 - Rentabilité, risque et corrélation
2.1 - Une relation perturbée entre risque et rentabilité
En termes de méthodologie, l’approche traditionnelle de l’allocation d’actifs
consiste à définir des prévisions de rentabilité, risque et corrélation des différentes
classes d’actifs considérées, et à utiliser une technique d’optimisation pour
proposer une structure de portefeuilles permettant de répondre au mieux aux
objectifs de rentabilité ou de risque de l’investisseur. La méthode que nous
recommandons3 en matière de rentabilité stratégique à long terme et en l’absence
3V
oir à ce sujet G Pola et S de Laguiche : « Anticiper la rentabilité des actifs dans un contexte
d’incertitude », Amundi Cross Asset Investment Special Focus, janvier 2013.
10
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
de vues de marché repose sur une hypothèse de ratio de Sharpe constant pour
tous les actifs inclus dans l’univers. Des études menées chez Amundi sur les
performances des classes d’actifs (de Laguiche, Pola [2012]) ont montré qu’un
ratio de Sharpe de 0,3 est cohérent avec les observations historiques sur très
longue période. Cette méthode, qui n’implique aucun exercice de prévision, a
l’avantage de la simplicité, puisque la rentabilité espérée est alors simplement le
résultat de l’addition du taux sans risque4 et du produit de la volatilité ex ante par
le ratio de Sharpe. Dans ce cadre, le risque est matérialisé par la volatilité. Cette
relation simple entre volatilité et rentabilité est perturbée dans le cas des actifs
alternatifs. D’une part, dans le cas d’actifs illiquides, une partie du supplément de
rentabilité est la contrepartie d’un risque supplémentaire de liquidité que l’on ne
peut pas mesurer via la volatilité. D’autre part, la volatilité constitue une mesure
imparfaite du risque de marché car, notamment dans l’univers des hedge funds, les
risques extrêmes observés sont sensiblement plus importants que ceux des actifs
classiques de volatilité équivalente, rendant inadaptée l’hypothèse de symétrie
des rendements nécessaire à l’estimation. L’existence de commissions liées à la
performance contribue également à l’asymétrie observée dans la distribution des
rendements.
2.2 - Nature et fréquence des séries de données
Il est souvent difficile d’obtenir des séries de prix non contestables pour estimer
les indicateurs de rentabilité et risque nécessaires à ces travaux d’allocation5. Dans
l’univers du private equity, les rendements historiques observés peuvent être très
différents selon les sources utilisées. Ceci tient notamment, comme indiqué dans
Phalippou et Gottschalg [2009], à l’écart qui peut exister entre la valorisation de
la partie résiduelle non encore liquidée des fonds de private equity et la somme
qui sera effectivement rendue aux investisseurs lors de la liquidation du fonds,
source d’une amélioration temporaire de la performance des fonds non encore
liquidés. De plus, le poids parfois significatif des commissions de gestion liées à la
performance – en particulier dans le domaine du private equity – peut modifier le
profil de rendement de l’investissement par rapport à celui des actions détenues
dans le fonds.
Pour les hedge funds, les données historiques sont sujettes à des biais liés à la
manière dont les performances sont communiquées. La littérature relève un biais
de survivance : les fonds qui, faute de performance suffisante, ont été liquidés
ne figurent pas toujours dans l’univers. La littérature mentionne aussi un biais de
remplissage (backfill bias) qui conduit les gérants à communiquer les performances
des fonds qui ont réussi, au cours de leur période d’incubation, à obtenir de
4V
oir S. de Laguiche, « Actif sans risque : quelle rentabilité normative à long terme ? »,
Amundi Discussion Paper, mars 2014.
5 Voir notamment Cremers [2013] pour une discussion des limites inhérentes aux données
relatives aux placements alternatifs.
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
11
bons résultats, ceux-ci étant alors repris rétrospectivement dans l’historique
communiqué.
Si l’on prend l’exemple de l’immobilier, des différences importantes existent entre
différents indices de prix, suivant qu’ils sont calculés sur la base d’évaluations
d’experts ou de valeurs de transactions6. On peut notamment s’interroger sur la
capacité des investisseurs à effectivement céder leurs biens au prix de marché
estimé à un moment donné par les experts. Par ailleurs les indices qui reposent
sur des transactions intègrent les prix des transactions effectuées sur un intervalle
de temps donné ; or ces prix ont bien souvent été fixés lors de l’accord intervenu
plusieurs mois avant la finalisation des transactions. Ce type d’indice présente
alors des retards et des phénomènes de lissage par rapport à ce que serait un
prix de marché coté.
Si l’on décide, malgré ces limites, de raisonner dans le cadre classique rentabilité/
risque, se pose la question de la détermination de la rentabilité et du risque de
ces placements.
2.3 - Méthodes d’estimation des rentabilités
S’agissant de l’espérance de rentabilité stratégique des actifs alternatifs,
différentes méthodes d’estimation peuvent être envisagées :
La simple extrapolation des rendements historiques
Cette méthode est généralement peu recommandable sans apprécier la
pertinence des données passées par rapport au contexte anticipé pour la période
de prévision. Les séries de prix doivent par ailleurs bien correspondre aux actifs
inclus ou envisagés dans le portefeuille de l’investisseur. Enfin, les données
disponibles sont-elles fiables, disponibles sur un historique suffisamment long
pour qu’une moyenne puisse être calculée de manière significative ?
Le recours à des dires d’experts
Puisque les placements alternatifs ont un fort caractère idiosyncratique et que l’on ne
dispose pas de méthode très convaincante pour prévoir leur rendement, pourquoi
ne pas s’appuyer sur les estimations des spécialistes de ces classes d’actifs ?
Cette solution a l’avantage de l’opérationnalité dans de grandes organisations
de gestion qui disposent de multiples compétences, mais elle soulève plusieurs
difficultés.
Le biais d’excès de confiance des gérants et des investisseurs qui les sélectionnent
est bien documenté, et on peut le vérifier également dans le domaine des
placements alternatifs. Ainsi, les gérants de hedge funds ou de fonds private
6V
oir à ce sujet S de Laguiche, A Russo et C Blanchard : « L’immobilier physique dans
l’allocation d’actifs à long terme : le cas de la France », Amundi Discussion Paper,
juillet 2014.
12
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
equity tablent parfois sur des rentabilités anticipées d’au moins 10, voire 15 % par
an, qui ne sont observées dans la durée que pour les véhicules d’investissement
les plus performants. Cet optimisme peut tenir au fait que l’estimation de rentabilité
prospective est liée à un scénario central supposant la vérification des raisons
qui justifient le choix : timing acceptable et sélection du véhicule judicieux. Pour
obtenir une véritable espérance de rentabilité au sens statistique du terme, il
conviendrait de corriger la prévision en prenant en compte des scénarios alternatifs
accompagnés d’une probabilité de réalisation. Dans l’univers du private equity, la
littérature documente cependant une certaine persistance dans la performance
des gérants, mais cette information n’est pas toujours exploitable dans la mesure
où les meilleurs gérants de private equity ne peuvent pas indéfiniment augmenter
leurs encours sous gestion. Sur cette classe, il convient aussi de noter que les
gérants raisonnent souvent sur le TRI des placements en actions, tandis que le
rendement obtenu par l’investisseur doit également prendre en compte les frais et
le « cash drag », c’est-à-dire l’impact négatif de la détention de cash par les fonds
de private equity pendant la période d’investissement.
Le graphe ci-dessous illustre ainsi la différence entre le rendement des placements
en actions et le rendement (TRI) pour l’investisseur. On suppose que le fonds
investit en actions progressivement sur 5 ans, le capital levé initialement.
Le TRI est calculé après effet du cash drag (lié au fait que les fonds levés auprès
des investisseurs ne sont investis en participations que progressivement) et des
frais (2 % de frais fixes + frais variables égaux à 20 % de la performance des
actions avec un seuil -hurdle- à 7 %). Le rendement du cash est dans cette
simulation supposé égal à 1 %.
3 - TRI pour l'investisseur en PE en fonction du TRI des actions
25
20
TRI fonds PE
15
-10
TRI fonds PE
10
TRI actions
5
0
-5
-5
-10
0
5
10
15
20
TRI actions
25
Source : Recherche Amundi
On remarque que, particulièrement dans les cas où la rentabilité des participations
est élevée, le cash drag et surtout les frais de gestion variables diminuent
sensiblement la participation des investisseurs à cette hausse.
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
13
Avant d’utiliser ces prévisions de rendement dans une optimisation rentabilité/
risque, il est enfin nécessaire de vérifier leur cohérence avec celles des classes
d’actifs cotées classiques et sur la base de la rentabilité ajustée du risque utilisée
dans l’optimisation. Sinon, en l’absence de méthode homogène d’estimation des
rentabilités entre les différentes classes d’actifs, c’est le degré d’optimisme ou
de réalisme des experts qui constituera le fondement principal de l’attractivité
apparente des classes d’actifs.
La définition de rendements normatifs :
Recommandé par certains grands investisseurs institutionnels, le modèle du
coût d’opportunité7 consiste à représenter un investissement en actifs alternatifs
comme une somme de briques élémentaires d’exposition à des classes d’actifs
traditionnelles, et à justifier une diversification vers ces actifs en fonction de l’excès
de rentabilité qui y est anticipé. À titre d’illustration, en s’appuyant sur le mode
de segmentation mentionné au paragraphe 1-3, on peut représenter les actifs
alternatifs de la manière suivante :
• Les hedge funds, par une composition dynamique dans le temps de betas
élémentaires sur les principaux indices actions, obligataires, devises et
volatilité (Lezmi et al [2013]). Cette approximation est toutefois plus pertinente
pour des indices représentatifs de stratégies alternatives mais conduira
rarement à des bêtas stables au niveau de hedge funds individuels, pour
lesquels la composante alpha est censée être déterminante.
• Le private equity par des actions – avec un beta généralement supérieur à 1,
notamment dans le cas de ses composantes les plus risquées, tel le venture
capital –, corrigés par des effets de styles – taille et valeur – ou de secteur.
• L’immobilier par une composante actions -– on peut en effet considérer
que la rentabilité stratégique des investissements immobiliers est liée à la
croissance de long terme de l’économie sous-jacente – et une composante
taux liée au rendement locatif. Si l’on raisonne en rentabilité nette pour
l’investisseur, il ne faut pas oublier de déduire de ces espérances de
rentabilité normative une estimation des frais d’entretien et de gestion des
biens détenus.
• Les investissements en infrastructures par une composante actions, une
composante en obligations indexées – représentative du rendement réel
offert par la classe d’actifs – et un financement à taux fixe.
• Les loans par des obligations à haut rendement et un effet de base
comportant un différentiel de spread et une prime d’illiquidité.
Une prime d’illiquidité peut également être intégrée à l’espérance de rentabilité
de l’immobilier, des infrastructures ou du private equity. La quantification de cette
7V
oir à ce sujet Sung C. C. : Trends in Sovereign Wealth Management : Emergence of New
Investment Models, Presentation to Nomura Central Bank Seminar, April 2014.
14
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
Version Française
4 -complexe
Volatilité et
selon
le typeded'indices
immobilier
prime est toutefois
fait l’objet
développements
dans la littérature
fréquence
annuelle
1991-2013
financière, qui dépassent le cadre de cet article (Ang et al, De Jong et al, Kinlaw et
Graph n
n°1
al, Phalippou et al).
25%
2.420%
Estimation des volatilités et corrélations
En 15%
matière de volatilité et de corrélation, différentes approches peuvent là
encore être envisagées.
10%
L’utilisation
des séries de rentabilités relatives à des actifs alternatifs cotés
5%
Les 0%
volatilités et corrélations des actifs alternatifs peuvent être approximées en
8
CBREséries
IEIF de
Edhecrentabilités
IPD bureaux IPD
residentiel IPD
Triangleactifs alternatifs
Actionscotés
Actions
utilisant des
relatives
à des
. IlIEIF
s’agit
d'or
SBF250
foncières
Amundi
bien sûr d’une approximation grossière, notamment dans le casSource
de : Recherche
l’immobilier
pour lequel le comportement des titres cotés se rapproche beaucoup plus de celui
des actions en général que des actifs physiques. Toutefois, si ces placements
Volatilité annualisée
ne représentent qu’une faible part de l’allocation de l’investisseur, l’impact de
selon la fréquence des observations
cette approximation sur les paramètres de risque de l’ensemble du portefeuille
0,25
demeurera modeste. Lorsque l’on estime le risque et les corrélations à long terme,
il 0,2
est par ailleurs nécessaire de retraiter les données, soit en les « délissant » – les
volatilités apparentes des classes alternatives calculées sur de faibles fréquences
0,15
sous-estiment le risque effectif –, soit en tenant compte des retards et des
autocorrélations.
0,1
n°2
La
fréquence de valorisation retenue influence également la volatilité annualisée
0,05
observée, comme l’illustre le graphique ci-dessous, qui montre un écart de volatilité
0
beaucoup
plus important entre actions foncières et immobilier physique – mesuré
trimestriel
semestriel
annuel
biennal
par l’indice CBRE – lorsque la fréquence des observations est trimestrielle plutôt
Source : Recherche Amundi
Immobilier CBRE
Actions foncières
qu’annuelle.
4 - Rapport risque observé immobilier/risque actions
selon la fréquence des observations
n°3
0,8
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0
Trimestrielle
Semestrielle
Annuelle
Solvency II
Source : Recherche Amundi
8G
ilfedder et Sheperd montrent l’utilité du recours à des titres cotés similaires pour
représenter Corrélation
le risque deentre
placements
en infrastructures.
immobilier
physique et classes d'actifs cotées
CBRE et IEIF Foncières
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
CBRE et SBF250
n°4
15
Ce phénomène se retrouve également pour le private equity (Shephard et Liu
[2014]). Les fonds publient certes une valorisation trimestrielle mais ce n’est
que tous les semestres que les investissements sont effectivement valorisés de
manière approfondie ; dans l’intervalle, un ajustement n’est effectué que pour
les participations dont la valorisation a pu être significativement affectée par un
événement donné. Le risque apparent à court terme est donc réduit, par rapport
au risque intrinsèque sur un horizon plus long, par un effet de lissage.
En ce qui concerne les analyses des corrélations, celles-ci apparaissent
relativement stables, autour de 40  %, entre immobilier physique et actions cotées,
si l’on introduit un décalage de deux trimestres entre les séries de rendements
alors que la corrélation sans décalage était historiquement proche de 0 9.
Le recours à la réglementation Solvabilité II
Les estimations peuvent également être basées sur les indications fournies
par la réglementation Solvabilité II, qui doit normalement s’appliquer aux
assureurs à partir de janvier 2016. Cette approche représente une sorte de
modèle simplifié de VaR 99 % à un an pour évaluer le chargement en capital
des risques attachés aux différentes classes d’actifs. Les hypothèses de VaR
et de corrélation retenues peuvent dans certains cas paraître élevées au regard
des observations, mais il convient de noter qu’elles sont établies dans une
optique de prudence et tendent à se focaliser sur les situations de stress, qui
sont précisément celles où les corrélations entre actifs risqués ont tendance à
augmenter. Solvabilité II retient un paramètre de chargement en capital de 49 %
pour le private equity, de 25 % pour l’immobilier et 39 % pour les actions, soit un
ratio de risque relatif de l’immobilier par rapport aux actions de 64 %.
Cet ordre de grandeur correspond bien à celui fourni par le rapport des volatilités
entre les indices actions et les indices immobiliers, même si, comme on l’a vu
plus haut, l’estimation exacte peut varier (entre 50 et 70 %) suivant la fréquence
des observations. De même, si l’on se base sur la matrice de corrélation fournie
par l’EIOPA 10, il est possible, en tout cas pour l’immobilier qui constitue l’un
des piliers de risque retenus par la réglementation assurantielle, d’estimer sa
corrélation avec les classes d’actifs qui sont intégrées dans le portefeuille de
l’investisseur, en les décomposant en piliers de risque (taux, actions, immobilier,
spread, devise) et en utilisant les variances et corrélations de ces piliers.
9C
f. supra S de Laguiche et A Russo : les corrélations ont été calculées entre les rentabilités
de l’immobilier de bureaux sur le marché parisien, mesurées par l’indice CBRE, et l’indice
SBF 250 représentatif du marché français des actions.
10 European Insurance and Occupational Pensions Authority.
16
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
ESTIMATION DES
CORRÉLATIONS DES
ACTIFS DE L’INSTITUTION
AVEC L’IMMOBILIER
MATRICE DE CORRÉLATION EIOPA
Matrice de
corrélation
EIOPA
Corrélation
avec
l’immobilier
Taux
Actions Immobilier Spread Devises
d'intérêt
Taux d'intérêt
1
0
0
0
0,25
Trésorerie
0
Actions
0
1
0,75
0,75
0,25
Obligation d’État
zone euro
0
Immobilier
0
0,75
1
0,5
25
Obligation privée
IG zone euro
0,43
Spread
0
0,75
0,5
1
0,25
Obligation privée
haut rendement
short duration
0,49
Devises
0,25
0,25
0,25
0,25
1
Obligation de pays
émergents hard
currency
0,47
Obligation de pays
émergents devises
locales (€)
0,27
Actions
0,75
Source : EIOPA + calculs Amundi Solutions Assurance
– – Enfin, cette analyse peut être menée en prenant en compte les spécificités
des investissements effectués ou envisagés dans le portefeuille de
l’institution. Il est donc nécessaire lorsqu’on le peut de raisonner de manière
« bottom up » à partir des caractéristiques des placements individuels
considérés. Les principaux fournisseurs de modèles d’analyse de risque de
portefeuilles proposent d’ailleurs une segmentation de plus en plus fine des
placements alternatifs et une granularité de la décomposition de leur risque.
Tous ces éléments nous permettent de conclure qu’en dépit des nombreux
écueils méthodologiques que soulève l’estimation de la rentabilité, du risque et
des corrélations des classes d’actifs alternatives, il est possible, en croisant les
différentes méthodes, de fournir un ordre de grandeur du risque des actifs
alternatifs et de leur corrélation avec les actifs traditionnels.
3 - Insertion d’actifs alternatifs dans une allocation :
les recommandations d’Amundi
Les différentes analyses effectuées au sein d’Amundi sur les classes d’actifs
alternatives et l’intérêt de leur inclusion dans un portefeuille nous permettent de
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
17
formuler les grandes lignes d’une philosophie allocataire dans ce domaine et
de fournir de premiers éléments de réponse aux principales questions posées
par les investisseurs : comment segmenter ces actifs ; quels critères retenir pour
déterminer l’exposition d’un portefeuille à ces actifs ; comment formaliser ces
expositions ?
3.1 Mode de segmentation recommandé
Avant toute chose, l’institution doit s’attacher à définir la manière dont chaque
actif dit alternatif répond à ses objectifs et s’intègre dans sa philosophie
d’investissement. Elle doit également s’appuyer sur une segmentation de
l’univers d’actifs, suivant une approche qui, selon nous, se fonde sur l’analyse
du comportement des classes d’actifs alternatifs en fonction de facteurs
macroéconomiques et financiers. L’investisseur doit en tout état de cause
avoir conscience que le comportement du private equity, de l’immobilier ainsi que
d’une partie significative des hedge funds, se rapproche davantage de celui des
actions que des obligations, notamment en termes de sensibilité à la croissance
et au stress de marché. De leur côté, les loans, les dettes pour infrastructures et
les stratégies d’arbitrage de crédit se rapprochent des actifs obligataires à haut
rendement, qui sont généralement classés dans l’univers obligataire bien que
sensibles au cycle conjoncturel et de crédit, donc économiquement proches eux
aussi des actions.
La réglementation peut également guider les choix de segmentation. Comme
nous l’avons déjà souligné, la directive Solvabilité II distingue ainsi le risque
immobilier des risques de taux, de crédit et actions et assimile à du risque
actions tous les véhicules non transparisables, tels que fonds de private equity
et hedge funds. Par ailleurs, certaines réglementations distinguent les obligations
« investment grade », les actions, l’immobilier ; tous les autres actifs entrent
dans une catégorie résiduelle (parfois appelée « poubelle ») dont le poids est
généralement plafonné dans l’actif total de l’investisseur.
Ajoutons tout de même que cet exercice de segmentation fine n’est pertinent que
si les placements alternatifs occupent une part non négligeable du portefeuille de
l’investisseur – à partir de 5 % par exemple –.
3.2 L’importance des éléments relatifs à chaque institution
La détermination du poids des actifs alternatifs dans un portefeuille doit
selon nous davantage reposer sur un jugement qualitatif que sur une
approche d’optimisation traditionnelle moyenne/variance 11, entachée d’une forte
marge d’erreur en raison des incertitudes sur les paramètres de risque et de
corrélation de ces actifs. Nous suggérons d’intégrer les facteurs suivants dans
cette analyse. Beaucoup sont spécifiques à chaque institution et permettent une
adaptation de la réponse à l’environnement précis de l’institution.
11 L
’importance de la prise en compte du jugement dans l’appréciation du risque des
investissements alternatifs est d’ailleurs soulignée dans Pedersen et al [2014].
18
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
Horizon d’investissement et contraintes de passif
La prise en compte de l’horizon d’investissement de l’institution et de ses
contraintes de passif permet de s’assurer de l’absence d’écart marqué entre la
liquidité de l’actif et l’échéancier prévu des décaissements (Buscombe, Mc Nally
[2014]). Cet horizon doit être suffisamment long – au moins 10 ans – pour pouvoir
justifier une allocation significative – au-delà de 5 % – à ces actifs. L’analyse
d’éventuels écarts de liquidité devra par ailleurs intégrer les engagements connus
et ceux qui sont contingents, par exemple la possibilité pour un fonds souverain de
devoir soutenir les finances publiques ou le secteur bancaire de l’économie sousjacente en cas de crise.
Structure de l’allocation d’actifs
La structure de l’allocation d’actifs de l’investisseur constitue également un élément
déterminant. L’analyse des corrélations entre actifs alternatifs et traditionnels
évoquée dans la section 2-4 permet de différencier l’impact de l’introduction de ces
actifs dans un portefeuille suivant son allocation initiale entre actions et obligations.
Dans le cas particulier de l’immobilier physique, on observe que cette classe
d’actifs apporte une meilleure diversification à des portefeuilles à dominante
obligataire qu’actions, en raison d’une corrélation proche de 0 entre immobilier
et obligations (alors qu’elle est positive avec les actions). Le pouvoir diversifiant
qui en résulte dépend toutefois de l’horizon considéré : il est plus élevé sur un
horizon court (trimestriel notamment) grâce à l’effet observé de lissage du risque
sur le court terme. En revanche, l’immobilier physique apparaît moins diversifiant
dans le cadre d’un portefeuille à dominante actions, en raison de la tendance
des investisseurs à sous-estimer la corrélation entre immobilier et actions. Cette
remarque vaut également pour le private equity dont le risque systématique est
clairement homogène à celui des actions cotées.
Affinité avec les placements alternatifs
Même si ce critère apparaît peu scientifique, l’affinité de l’institution avec les actifs
alternatifs – en particulier, le degré d’acceptabilité de ces placements par les
administrateurs – et la pertinence de ces actifs dans le cadre de sa philosophie
d’investissement, ne peuvent être négligées. Ainsi, une diversification vers
l’immobilier physique (resp. vers le capital investissement) sera plus naturelle pour
les institutions liées au secteur de la construction (resp. aux secteurs à caractère
technologique).
Ressources disponibles pour effectuer et piloter ces investissements
Enfin, en termes pratiques, la spécificité et la complexité de ces actifs obligent
les investisseurs à s’assurer qu’ils disposent bien des moyens nécessaires
pour sélectionner les placements les plus attrayants, correspondant bien à
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
19
leur cahier des charges, et pour les piloter dans le temps. Certaines études12
ont ainsi montré que dans le domaine du private equity, ce sont les investisseurs
expérimentés qui parviennent à ajouter de la valeur, alors que les nouveaux venus
doivent s’attendre à des déconvenues pendant une période d’apprentissage de
ces classes d’actifs.
3.3 Comment formaliser les expositions à ces actifs ?
Des niveaux cibles peuvent être définis pour ces actifs en termes de
fourchettes de poids ajusté du risque. Des travaux récents résumés dans Ang
et Sorensen montrent que leur illiquidité doit conduire à définir des fourchettes
plutôt que des cibles. Une expression en poids seule a peu de sens car le niveau
de risque peut fortement varier suivant le type de produits.
La définition de ces cibles doit également s’appuyer sur l’impact de l’allocation en
actifs alternatifs sur le risque total du portefeuille. Selon le type de segmentation
adoptée, il peut être nécessaire de prendre également en compte une contribution
par rapport à une poche plus restreinte de risque – risque financier, risque des
diversifications, risque actions –, et de tenir compte des caractéristiques de risque
spécifiques des actifs alternatifs inclus dans l’allocation.
En ce qui concerne les paramètres de risque, nous recommandons de
raisonner en VaR ou perte maximale probable à un horizon donné suffisamment
long (un an), indicateur applicable aussi aux autres classes d’actifs incluses
dans le portefeuille de l’investisseur et permettant donc d’analyser de manière
homogène le risque de l’ensemble du portefeuille d’actifs. Comme nous l’avons
indiqué, la volatilité n’est pas appropriée pour ces classes d’actifs en raison du
risque de liquidité et de l’asymétrie de leurs rendements.
Des estimations de corrélation entre actifs sont nécessaires pour évaluer le
risque, mais on peut alors :
–– utiliser lorsque c’est possible (pour l’immobilier) les corrélations avec les autres
grandes classes d’actifs issues de la réglementation Solvabilité II,
–– retenir des corrélations proches de 1 avec les actions : la surestimation
du risque qui en résulte est acceptable pour les portefeuilles à dominante
obligataire et lorsque le poids alloué aux actifs alternatifs demeure limité.
Le risque de l’allocation peut également être analysé à l’aide de stress tests face
à des situations défavorables de marché, incluant un scénario de risque qualifié
(par exemple, hausse prématurée des taux d’intérêt US) et quantifié dans son
impact sur les principales classes d’actifs.
Il est éventuellement souhaitable d’apprécier le risque sur différents horizons.
En effet, la relation entre risque et horizon est différente de celle qui prévaut sur les
actifs cotés : à risque long terme équivalent, la volatilité à court terme est limitée
12 Voir notamment Dyck et Pomorski [2011]
20
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
par un mode de valorisation plus lissé que pour les actifs cotés. Cet avantage est
contrebalancé par une moindre liquidité à court terme. Un arbitrage du coté vers
le non coté peut être aussi justifié pour des investisseurs qui disposent un horizon
très long mais subissent néanmoins des contraintes fortes sur la volatilité à court
terme.
3.4 Timing de montée en charge
La question du timing ne peut être négligée. Sur ces actifs, il faut en effet savoir
être précurseur et avoir le courage d’investir lorsque c’est inconfortable plutôt
que lorsque l’actif cible est déjà recherché par un grand nombre d’investisseurs.
De plus, notamment dans le domaine des hedge funds, les meilleurs gérants
disposent d’une capacité d’investissement limitée dont ne bénéficient souvent
que les premiers entrants ; dans une phase d’engouement du marché, l’afflux
de demande de la part d’investisseurs moins expérimentés ne trouve à s’investir
que sur des fonds de moins bonne qualité. C’est également le cas des fonds de
private equity les plus réputés, auxquels les plus gros investisseurs disposent
d’un accès plus facile. Or la dispersion des performances entre les meilleurs
et les moins bons fonds est extrêmement importante dans ce secteur (Jagger
[2012]), et ce n’est que si l’on est raisonnablement sûr de pouvoir choisir un
fonds classé dans le premier quartile que l’on peut générer une performance
supérieure à celle des actifs liquides (voir ci-dessous).
DISPERSION DES RENDEMENTS DE LA GESTION ACTIVE
Données sur 20 ans, 1982-2012
Classe d’actifs
Premier quartile
Médiane
Dernier quartile
Delta
Obligations
internationales
7,3 %
6,5 %
6,3 %
1%
Actions
internationales
10 %
8%
6,1 %
3,9 %
Private Equity
12,7 %
3,1 %
(2,29)%
15,6 %
Source : Thomson One, Recherche Amundi
En conséquence pour une institution qui initie des investissements sur
ces classes d’actifs, les fourchettes-cibles peuvent être différentes selon
l’horizon, en distinguant une montée en puissance et un régime de croisière.
Ainsi, modestes pendant la phase d’apprentissage de l’investisseur, les montants
doivent être à terme suffisamment élevés pour avoir un véritable impact sur
la rentabilité espérée du portefeuille de l’investisseur et justifier le surcroît de
complexité entraîné par le suivi de ces placements.
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
21
La montée en charge de ces investissements doit être graduelle, prenant
en compte :
–– l’accès au marché (taille de l’univers « investissable »),
–– la liquidité des classes d’actifs considérées relativement à la taille du portefeuille
de l’investisseur.
Le timing de montée en charge de ces actifs dépend également de considérations
plus tactiques, telles que leur position dans le cycle économique et financier et
leur valorisation.
Conclusion
Dans le contexte actuel de faiblesse historique des taux d’intérêt et de craintes
persistantes à l’égard des investissements en actions, les investisseurs
institutionnels manifestent un intérêt croissant pour les placements alternatifs,
ensemble hétérogène qui comprend notamment les hedge funds et des actifs
non cotés : immobilier, private equity, infrastructures, loans. Cet intérêt s’appuie
sur leur capacité de diversification par rapport aux classes d’actifs traditionnelles
et d’amélioration de la rentabilité pour les investisseurs aptes à sélectionner les
supports les plus performants et disposant d’un horizon suffisamment long pour
capter la prime d’illiquidité qui s’attache aux actifs non cotés.
Le dimensionnement de ces placements dans un portefeuille soulève néanmoins
de nombreuses questions, sur lesquelles cet article apporte un premier éclairage.
Nous avons ainsi mis en évidence les nombreuses difficultés méthodologiques que
soulève l’application à ces actifs d’une approche traditionnelle moyenne/variance
de l’allocation d’actifs, et qui tiennent notamment à la fréquence et à la spécificité
des modes de valorisation d’actifs non cotés.
La pertinence limitée de la notion de volatilité appliquée à ces classes d’actifs nous
conduit à recommander d’estimer leur risque et leur corrélation avec les autres classes
d’actifs via une combinaison de différentes méthodes : utilisation des actifs cotés
représentatifs, des paramètres de la réglementation, perte maximale probable dans
des scénarios de stress. L’institution doit par ailleurs veiller à ce que l’illiquidité de ces
placements ne génère pas un écart inacceptable de liquidité entre actif et passif.
Plus généralement, l’investisseur doit adopter une approche pragmatique
pour déterminer l’allocation de son portefeuille sur ces actifs, en définissant
clairement l’objectif économique recherché à travers chacun de ces placements,
et en identifiant leur sensibilité aux principaux facteurs macroéconomiques et
financiers. Enfin, nous recommandons d’exprimer l’allocation sur ces actifs dans le
portefeuille en termes de fourchette cible en risque plutôt qu’en poids, et de gérer
une montée en charge graduelle vers cette cible, en tenant compte des supports
d’investissement disponibles pour accéder à ces actifs
22
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
Les différentes pistes proposées dans cet article mériteront d’être approfondies
dans plusieurs directions. Comment intégrer la prime d’illiquidité dans la
rentabilité espérée des investissements alternatifs non cotés ? Comment prendre
en compte les variations de liquidité dans les estimations de risque et des
corrélations. La décomposition de ces actifs en exposition à des facteurs de
risque macroéconomiques ou financiers pourra également être affinée. L’analyse
rentabilité/risque de ces placements devra enfin être poursuivie sur des sousensembles homogènes, segmentés par zone géographique et destination de ces
actifs (par exemple bureaux/logement/commerces pour l’immobilier). Nous aurons
l’occasion de communiquer sur ces différents sujets au cours des prochains mois.
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
23
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Models, presentation to Nomura Central Bank Seminar, April 2014
24
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
Remerciements
Nous remercions nos différents collègues d’Amundi, notamment d’Amundi
Solutions Assurances, Amundi Immobilier et Amundi Private equity, dont les
remarques judicieuses ont permis d’enrichir ces analyses. Les commentaires
de Bernard Arock sur le Private Equity nous ont été particulièrement utiles pour
enrichir les développements propres à ces actifs.
Amundi Discussion Papers Series - DP-08-2014
25
Éditeurs :
Pascal BLANQUÉ
Directeur Général Délégué
Directeur du Métier Institutionnels et Distributeurs Tiers
Chief Investment Officer Group
Philippe ITHURBIDE
Directeur Recherche, Stratégie et Analyse
Pia BERGER, Assistante Éditions - Recherche, Stratégie et Analyse
Benoit PONCET, Responsable Éditions - Recherche, Stratégie et Analyse
Amundi Discussion Papers Series
Novembre 2014
Les destinataires de ce document sont en ce qui concerne l’Union Européenne, les investisseurs
« Professionnels » au sens de la Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 « MIF », les prestataires de
services d’investissements et professionnels du secteur financier, le cas échéant au sens de chaque
réglementation locale et, dans la mesure où l’offre en Suisse est concernée, les « investisseurs
qualifiés » au sens des dispositions de la Loi fédérale sur les placements collectifs (LPCC), de
l’Ordonnance sur les placements collectifs du 22 novembre 2006 (OPCC) et de la Circulaire FINMA
08/8 au sens de la législation sur les placements collectifs du 20 novembre 2008. Ce document ne
doit en aucun cas être remis dans l’Union Européenne à des investisseurs non « Professionnels »
au sens de la MIF ou au sens de chaque réglementation locale, ou en Suisse à des investisseurs
qui ne répondent pas à la définition d’« investisseurs qualifiés » au sens de la législation et de la
réglementation applicable.
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