
Avant même d’être une obligation légale et déontologique, parler au patient, l’informer des risques qu’il encourt du fait de la stratégie thérapeutique envisagée et de ceux qui
résulteraient du refus de sa part de cette stratégie relève de l’humanisme médical. Parce que la médecine est aussi un art de l’oralité. L’humanisme médical constitue l’un des
fondements séculaires de la relation de respect et de confiance entre soignant et soigné. Informé de façon claire, loyale et appropriée, ce dernier consentira – ou non – aux soins
proposés.
De cette règle simple et de bon sens va naître dans un premier temps un nécessaire travail de clarification entre professionnels de santé et juristes. Nous en sommes, au moment où
ces lignes sont écrites au second, et peut-être même au troisième ou au quatrième temps de ce travail auquel les premiers concernés, soignants et patients n’y comprennent sans
doute plus rien ; un débat entre seuls juristes en somme.
Tout commence le 25/02/1997. La 1ère chambre civile de la Cour de cassation rend alors un arrêt qui soulève l’ire d’une grande partie du corps médical. Tandis que depuis plusieurs
décennies, en cas de réclamation, la charge de la preuve du défaut d’information appartenait au demandeur (le patient), l’arrêt consacre un principe exactement inverse : c’est
désormais au praticien de prouver qu’il a bien informé ledit patient. La haute juridiction retient ici la règle selon laquelle… « Celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le
fait qui a produit l’extinction de son obligation. » (art. 1315-2 du code civil)
Consacrée un peu plus tard par la loi n° 2002-303 du 04/03/2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, cette jurisprudence n’en vient pas moins
s’ajouter – injustement d’ailleurs – aux décisions parfois incomprises qui jalonnent l’histoire du droit.
Aujourd’hui la question de l’information du patient occupe une place considérable en responsabilité médicale. D’aucuns, et nous en sommes, y distinguent un gisement durable et
possiblement important de contentieux. D’où, partant du cadre légal, un ajustement permanent de ses contours auquel s’attache non sans une pointe de frénésie la jurisprudence.
Chacun doit savoir ce qu’il en est. Pour autant qu’il le puisse car les étapes se succèdent à un rythme élevé. Elles ne marquent pas – elles ne marquent plus – un chemin linéaire vers
la recherche d’un équilibre entre la nécessité de prise en charge de la souffrance du patient et le souci de laisser à son thérapeute la sérénité nécessaire à la pratique de son art. Et
le mouvement s’accélère.
Pour preuve, à partir du 3/06/2010 la Cour de cassation s’attache à rendre plusieurs arrêts qui ouvrent un chemin au-delà du droit pur. On n’accède pas impunément, nous disent
les juges suprêmes au corps du patient sans le consentement de celui-ci, fusse pour lui prodiguer des soins indispensables à sa survie. Formidable évolution… Le défaut
d’information devient faute autonome et le droit se pare de morale ! Mais un peu plus tard, le 2/10/2013, un autre arrêt va préciser les contours de cette faute autonome en les
limitant. Ainsi la Cour de cassation se montre-t-elle exploratoire mais sa démarche manque de fluidité. Entre temps, nullement en reste, le Conseil d’Etat aura consacré le principe
de la réparation du préjudice d’impréparation subi par le patient, préjudice né d’une information absente ou insuffisante du praticien à son égard.
Bref, une évolution constante dont il devient malaisé de saisir chaque nuance. Plus grave, nous y voyons désormais les prémices d’une atteinte possible à la sérénité qui doit
prévaloir dans la relation entre un praticien et son patient.
« L’arrêt fondateur » du 25/02/1997 a constitué la première pierre d’un édifice jurisprudentiel dont on peine aujourd’hui à comprendre la cohérence. Comme nous l’avons déjà
énoncé, il importe de prendre garde, à force de décisions innombrables, contradictoires et faussement compassionnelles à ne pas faire dériver le rapport de confiance entre le
soignant et son patient en un rapport de défiance.
Le temps de l’activisme jurisprudentiel doit maintenant céder le pas au temps de la pause et de la réflexion.
J.V. – 2/04/2014