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Bulletin d'Education du Patient, Vol. 17, n°3, Septembre 1998.
prendre en compte dans un processus de construc-
tion par paliers. Face à cette réalité, un discours ba-
nalisant induit chez le patient une distance extrême-
ment dangereuse à sa maladie «Ne vous faites pas
de soucis !»... «Si vous suivez bien votre traitement,
il n’y aura plus de problème !». Par contre, un dis-
cours anticipatif permet de gérer les probables diffi-
cultés que le patient rencontrera et donc accorder aux
crises un réel statut dans le processus d’apprentis-
sage (prévention active) (KAEPPELIN Ph., 1987).
Apprendre, c’est se
positionner
Si l’on se réfère à la discipline de l’Ergonomie du Tra-
vail, le travail prescrit (théorie) est toujours différent
du travail réel (pratique). Ceci reste vrai pour les pa-
tients dans le contexte de la gestion de leur traitement
chronique.... Ceci est également vrai pour les soi-
gnants investis dans le champ des affections chroni-
ques. Il y a donc une interdisciplinarité à construire
dans le domaine de l’Enseignement Thérapeutique,
où le patient occupe une position centrale en rame-
nant toujours les soignants à la réalité de la vie. Cette
nouvelle organisation du système thérapeutique fa-
vorisera des confrontations qui offriront l’opportunité
au patient de prendre position... ou changer de posi-
tion. Les changements de conceptions, au même ti-
tre que les changements de comportements, passent
par une première étape de prise de conscience et de
reconnaissance du positionnement actuel. Le patient,
dans ce contexte, sera stimulé et enrichi par ces con-
frontations, en terme d’apprentissage, et donnera à
apprendre aux autres membres de l’équipe (BANDU-
RA A., 1971; ROSENSTOCK I., STRECHER V.J.,
BECKER M., 1988).
Apprendre, c’est accepter de
renoncer
Pratiquement tous les traitements chroniques ont un
point commun : ils imposent aux malades des chan-
gements d’habitudes, des modifications de compor-
tements, des limitations. Etre malade revient donc à
apprendre à renoncer... et ce n’est pas évident. Tout
un chacun considère l’apprentissage comme l’acqui-
sition d’un plus. Dans le cas de la maladie, l’appren-
tissage commence par un renoncement, au même
titre que les soignants doivent renoncer à la guérison
face à leur mission de soins. La notion de «apprendre
à être malade» obligerait alors la personne à se sclé-
roser dans un statut de renoncement. Dans cette si-
tuation, le processus de réciprocité (patient-soignant)
permet d’opérer un élargissement des objectifs et des
repères. Il ne s’agit plus, et pour l’un et pour l’autre,
de regarder les choses de manière restreinte et limi-
tée. Le thérapeute doit «donner à voir» au patient, et
réciproquement. Reconstruire une intégrité physique,
psychologique et sociale nécessite de considérer l’en-
semble de l’existence de la personne en visant une
démarche globale où le traitement favorisera l’expéri-
mentation de nouveaux comportements en situation
(du malade isolé à l’individu socialisé) (ROGERS C.,
1960).
Apprendre, c’est intégrer
La rencontre avec le thérapeute s’inscrit dans une
temporalité tout à fait différente de celle vécue par le
patient. Ces instants ponctuels de suivi sont très éloi-
gnés des contingences et des impondérables de la
vie. L’enjeu n’est donc pas d’apprendre durant des
périodes et dans des contextes fermés au profit d’un
usage permanent en situation réelle (ce qui représente
un paradoxe), mais plutôt d’aider le patient à nommer
et analyser ses apprentissages de manière à pouvoir
poursuivre ce processus en dehors des moments
d’enseignement institutionnalisé. Le thérapeute se doit
de formuler ainsi un objectif de continuité et, pour ce
faire, il doit développer une sensibilité dans la créa-
tion et l’utilisation d’un dialogue «en situation» afin
d’élargir un cadre restreint de Maladie à un référentiel
de Vécu, en repositionnant la personne dans une di-
mension existentielle (mise en situation, résolution de
problèmes) (d’IVERNOIS J-F., GAGNAYRE R.,
1995).
Qui dit «Intégration» dit «Prise
de Responsabilités»
Si l’on considère, de manière un peu provocatrice,
que la personne n’entretient son statut de «malade»
qu’au contact des représentants de la Médecine, ap-
prendre à être malade n’implique alors en rien la per-
sonne dans la prise de responsabilités. Il est donc
nécessaire, afin de dépasser cet état de fait, de dé-
velopper, en négociation avec le patient, un contrat
thérapeutique, précisant les espaces d’action et les
rôles réciproques. Ce contrat est un tremplin pour la
prise de responsabilités... et donc de risques (au sens
pédagogique du terme). Ceci implique, pour le soi-
gnant, une perte importante de pouvoir (et donc de
contrôle) et une confrontation à ses propres limites.
Selon le principe de réciprocité, les soignants et les
patients ont à apprendre à devenir partenaires et par-
tager ainsi les responsabilités engagées dans le con-
trat. De fait, la responsabilité de la maladie est éva-
cuée, tant pour le patient (sentiment de culpabilité)
que pour le soignant (sentiment de frustration). Face
à ses engagements contractuels, le patient acquiert
un statut différent : il n’est plus cantonné dans une
norme relative à la biologie et à la physiologie (mala-
die) et dans un apprentissage construit autour de con-
tenus médicaux (savoirs) mais est reconnu par rap-
port à sa spécificité individuelle, son contexte (per-
sonne) et développe des apprentissages dans le do-
maine psycho-cognitif (compétences). Il n’est donc
pas question d’apprendre à être malade, ni d’appren-
dre à être le malade. Les représentations, les croyan-
ces, les expériences antérieures, les échecs ainsi que
les succès, la personnalité, les attitudes sont autant
de bagages du patient avec lesquels il faudra comp-
ter en tant qu’éducateur (GIORDAN A., GIRAULT Y.,
CLEMENT P., 1994).
Apprendre fait référence à un
principe de Formation
Selon ce principe, l’apprenant accepte le postulat de
Bibliographie
AMIEL-LEBIGRE F., GOGNALONS-
NICOLLET M. (1993), Entre Santé et
Maladie, PUF : Les Champs de la
Santé, Paris.
ASSAL J-Ph. (1996), Traitement des
maladies de longue durée : de la
phase aiguë au stade de la chronicité.
Une autre gestion de la maladie, un
autre processus de prise en charge, in
Encycl. Méd. Chir. : Thérapeutique,
25-005-A-10, Elsevier, Paris.
BANDURA A. (1971), Social Learning
Theory, General Learning Press, New-
York.
DECCACHE A., LAVENDHOMME E.
(1989), Information et Education du
patient, De Boeck Université,
Bruxelles.
d’IVERNOIS J-F., GAGNAYRE R.
(1995), Apprendre à éduquer le
patient, Ed. Vigot, Paris.
.../...
Pour le patient et le soignant, il
s’agit d’apprendre...
- à devenir partenaires et à par-
tager les responsabilités dans un
contrat thérapeutique;
- à accepter les crises et les rechu-
tes, et les prendre en compte
dans un processus de contruction
par paliers;
- à considérer la formation du
patient comme un processus
global où, au-delà des compéten-
ces liées au traitement, s’entrou-
vre un espace de développement
personnel;
- à trouver la bonne distance entre
Malade et Personne, Maladie et
Santé, Partenariat et Autonomie.
Le projet d’apprendre n’est pas une
finalité en soi, mais un processus
dans lequel se joue d’autres
projets... encore faut-il les identifier
et les nommer avec le patient.