Idées reçues
N°86-NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2007
MÉDECINS DU SPORT 23
Le lait de vache est
une sacrée vacherie
et le lait de soja est meilleur
pour la santé
Cette nouvelle rubrique
espère vous permettre
de répondre
aux questions de patients
de mieux en mieux
informés, auxquelles
vous êtes soumis de plus
en plus fréquemment.
Ne pas savoir y répondre
peut mettre en doute
la bonne relation
médecin-malade
et suivre certaines
croyances peut être
préjudiciable pour
la santé des adultes et
des enfants. Ainsi, le lait
de vache provoquerait
des allergies tandis
que le lait de soja serait
meilleur pour la santé.
Les patients sont de plus en plus “in-
firmes” par rapport à leur alimenta-
tion : ils sont tellement informés par
les multiples médias (journaux, Inter-
net, conférences, bouche à oreilles…)
qu’ils ne savent plus faire la part des
choses entre des directives alimen-
taires qui devraient être suivies du fait
d’une pathologie organique ou fonc-
tionnelle et les croyances et dictats
proches, parfois, du terrorisme ali-
mentaire, qui, eux, ne reposent, trop
souvent, que sur des idées reçues et
induites. Ainsi, il circule largement
* Médecin du sport, endocrinologue, diabétologue,
nutritionniste, Paris
Dr Paule Nathan*
l’idée, même au sein de certains
confrères (ORL, homéopathes, gyné-
cologues…), que le lait de vache doit
être réservé au petit de la vache et que
sa consommation doit être abandon-
née au profil du lait de soja, meilleur
pour la santé.
Or, si contrairement au lait de vache,
le lait de soja est sans lactose et sans
protéine de lait de vache, il contient
des phyto-œstrogènes.
LES PHYTO-ŒSTROGÈNES
Chez le nourrisson, si les préparations
pour biberons à base de protéines de
soja (PPS 1er et 2eâges) sont sans lac-
tose, sans protéine de lait de vache,
sans saccharose et sans gluten, elles
contiennent des concentrations éle-
vées en phyto-œstrogènes, qui ont
fait l’objet de recommandations de
l’Agence française de sécurité sanitaire
Une idée reçue avance que la consommation de lait de vache devrait être abandonnée
au profil du lait de soja, meilleur pour la santé.
Soja, Lait de vache,
Phyto-œstrogènes,
Isoflavones,
Recommandations,
Enfants, Allergies,
Thyroïde,
Cancer du sein
Mots-clés
des aliments (AFSSA) et de l’Agence
française de sécurité sanitaire des pro-
duits de santé (Afssaps). Le rapport
« Sécurité et bénéfices des phyto-
œstrogènes apportés par l’alimenta-
tion » est disponible sur le site de
l’Afssa (www.afssa.fr).
Les phyto-œstrogènes sont des sub-
stances naturellement présentes dans
l’alimentation. On les trouve essen-
tiellement dans les légumineuses dont
l’apport moyen journalier est inférieur
à 1 mg dans les pays occidentaux. On
en trouve aussi dans les fruits et les
céréales, mais en doses infimes. Ils
sont contenus en grande quantité
dans les protéines de soja.
Les produits dérivés des protéines de
soja peuvent présenter une concen-
tration importante d’œstrogènes-like.
Les préparations à base de protéines
de soja sont essentiellement le tonyu
ou “jus” de soja, le tofu, les yoghourts
et les desserts à base de soja. Les frac-
tions lipidiques du soja, comme la lé-
cithine de soja, en contiennent peu.
« La concentration d’isoflavones dans
les produits dérivés du soja varie
considérablement d’un produit à
l’autre. Certains jus de soja peuvent
contenir 100 fois plus d’isoflavones
que d’autres, certains desserts au soja
peuvent contenir 10 fois plus d’iso-
flavones que d’autres. En moyenne,
pour 100 g d’aliment, le jus de soja
contient 7 mg d’isoflavones et un des-
sert au soja en contient 35 mg. »
Les phyto-œstrogènes possèdent une
structure chimique proche de l’œs-
tradiol. Ils regroupent une vingtaine
de molécules végétales, parmi les-
quelles les plus connues sont les iso-
flavones : la daidzéine, la glycitéine
et la génistéine. L’activité œstrogé-
nique des phyto-œstrogènes a été dé-
montrée en laboratoire, on les appelle
aussi des œstrogènes-like. S’ils pré-
sentent des analogies avec les œstro-
gènes élaborés par l’organisme
humain, ils ont aussi
LES EFFETS CONNUS
SUR LE NOURRISSON
ET LE JEUNE ENFANT
De nombreux travaux expérimentaux,
menés sur différentes espèces ani-
males, montrent que les phyto-œstro-
gènes présentent des effets sur le dé-
veloppement et les fonctionnements
endocrinien et immunitaire. En effet,
les études animales montrent que les
phyto-œstrogènes ont un effet délétère
sur le développement des organes gé-
nitaux et peuvent, éventuellement,
augmenter le risque de cancers du tes-
ticule et du sein chez les animaux
ayant été exposés pendant la gesta-
tion ou la période néonatale.
Chez les nourrissons alimentés de fa-
çon prolongée avec des produits conte-
nant des phyto-œstrogènes, il n’a pas
été observé, jusqu’à présent, de
troubles particuliers de la croissance et
du développement endocrinien. Tou-
tefois, on ne dispose pas d’études à long
terme portant, notamment, sur la fer-
tilité. Compte tenu de l’état actuel des
connaissances et des incertitudes
concernant les effets à long terme de
fortes doses d’isoflavones ingérées de
façon prolongée par les nourrissons, il
paraît prudent de ne pas recommander,
de la naissance jusqu’à l’âge de 3 ans,
l’utilisation de préparations à base de
soja, si celles-ci ne sont pas à teneur ré-
duite en isoflavones, et de contrôler les
apports journaliers. On conseille de li-
miter la concentration des préparations
pour nourrisson à 1 mg/l de préparation
reconstituée en isoflavones.
Les aliments à base de soja : tonyu (jus
de soja), desserts, tofu, etc. ont des
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des différences qui leur confèrent des
effets œstrogéniques différents de ceux
de l’œstradiol humain. Mais ils sont
bien réels.
LES RECOMMANDATIONS
DE L’AFSSA
Le rapport de l’Afssa demande qu’ap-
paraisse, sur les emballages des pro-
duits contenant des isoflavones, l’éti-
quetage suivant :
pour les aliments à base de soja (no-
tamment tonyu ou “lait” de soja, miso,
tofu, “yaourts” et desserts au soja) :
« Contient X mg d’isoflavones (famille
des phyto-œstrogènes). A consommer
avec modération (limiter la consom-
mation quotidienne à 1 mg/kg poids
corporel). Déconseillé aux enfants de
moins de 3 ans » ;
pour les compléments alimentaires
(phyto-œstrogènes purs ou extraits de
plante en contenant) et aliments en-
richis : « Contient X mg de [molécule
(s) concernée (s)]* (famille des phyto-
œstrogènes). Ne pas dépasser 1 mg/kg
poids corporel et par jour. Déconseillé
aux femmes ayant des antécédents
personnels ou familiaux de cancer du
sein. Parlez-en à votre médecin. * Iso-
flavones et/ou isoflavanes et/ou cou-
mestanes et/ou flavanones et/ou chal-
cones et/ou entérolignanes. »
L’Afssa conclue que, par prudence, les
consommateurs doivent éviter de cu-
muler les sources de phyto-œstro-
gènes. Par exemple, des aliments dé-
rivés du soja et les compléments
alimentaires ou les compléments ali-
mentaires composés de plusieurs types
de phyto-œstrogènes.
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MÉDECINS DU SPORT N°86-NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2007
Idées reçues
Les préparations à base de protéines de soja sont essentiellement le tonyu
ou “jus” de soja, le tofu, les yoghourts et les desserts à base de soja.
Idées reçues
N°86-NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2007
MÉDECINS DU SPORT 25
teneurs variables, mais souvent éle-
vées, en isoflavones. Les enfants de
plus de 3 ans, consommateurs de ces
aliments, peuvent ainsi être amenés à
recevoir des quantités élevées d’iso-
flavones dépassant les 1 mg/kg/jour.
Ainsi, un nourrisson de 4 mois ali-
menté exclusivement avec ces prépa-
rations, peut recevoir 4 à 9 mg d’iso-
flavones/kg/jour. Par prudence, il est
nécessaire de contrôler ces apports et
de limiter l’exposition in utero et néo-
natale. Toute prise alimentaire d’ali-
ments à base de soja chez un enfant
doit être signalée au pédiatre.
LE SOJA
ET LES ALLERGIES
Les aliments à base de soja sont sou-
vent utilisés par les personnes qui se
croient allergiques aux protéines de
lait de vache. Certes, les allergies aux
protéines de la vache peuvent entraî-
ner maux de tête, eczéma et infections
ORL à répétition, mais elles ne sont
pas fréquentes. Dans la population
adulte, on estime que 1 à 3 % présen-
tent des allergies alimentaires et, dans
ce pourcentage, l’allergie au lait de
vache est retrouvée chez 12,6 % des
allergiques, ce qui n’est pas 100 % de
la population...
Le traitement de l’allergie aux pro-
téines de la vache consiste à éviter les
produits laitiers issus de la vache et de
consommer plutôt des fromages de
chèvre ou de brebis, mais sans repor-
ter la consommation sur les protéines
de soja. Il faut savoir qu’il existe des
allergies croisées entre les protéines
du lait de vache et les protéines du
soja. Ainsi, une vraie allergie aux pro-
téines du lait de vache devrait faire
limiter, voire interdire, la consomma-
tion de préparations à base de pro-
téines de soja.
LE SOJA
ET LA THYROÏDE
On connaît, depuis longtemps, l’effet
antithyroïdien du soja tant chez l’ani-
mal que chez l’homme. Le lait de soja
et ses dérivés sont capables de ralen-
tir ou de s’opposer à l’absorption di-
gestive des hormones thyroïdiennes.
De plus, les isoflavones s’accumulent
dans la thyroïde et perturbent son
fonctionnement via l’effet inhibiteur
de l’activité de la thyroperoxydase.
La consommation d’isoflavones peut
augmenter les besoins en hormones
thyroïdiennes chez les patients hypo-
thyroïdiens.
Chez l’enfant, dès 1959, Van Wick et
al. ont rapporté la présence de goitre
chez des enfants nourris au lait de soja,
régressive après supplémentation
iodée ou remplacement du lait par du
lait de vache. La consommation anté-
rieure de soja dans la petite enfance
semble prédisposer à la survenue de
maladies thyroïdiennes auto-immunes
à l’adolescence.
Chez l’adulte, la réduction de l’ab-
sorption digestive de la T4 exogène
par les dérivés du soja a été démon-
trée en clinique avec nécessité d’aug-
menter les doses supplétives de lT4 en
cas de forte consommation de soja. Les
dernières études ont montré que les
isoflavones de soja étaient d’autant
plus perturbatrices du fonctionnement
thyroïdien et de son augmentation de
volume que l’individu présentait une
carence en iode. Or, la carence en iode
est très fréquente en France, d’autant
plus que la prévention prise par l’io-
dation du sel est mise à mal par la pré-
férence des sels non raffinés et non su-
riodés. D’autre part, les français
consomment de plus en plus de plats
tout élaborés dépourvus de sel iodés.
Par prudence, il est raisonnable de
limiter la consommation quotidienne
à une dose inférieure à 1 mg/kg (soit
60 mg par jour pour une femme de 60 kg).
LE SOJA
ET LE CANCER DU SEIN
Les données disponibles à ce jour mon-
trent que la consommation de produits
dérivés du soja (riches en isoflavones,
notamment) n’est pas associée à une
augmentation du risque de cancer du
sein chez la femme. Toutefois, les don-
nées obtenues chez l’animal incitent à
la prudence chez les sujets présentant
ou ayant présenté un cancer du sein
ou des antécédents familiaux de ce
cancer, les phyto-œstrogènes pouvant
favoriser la prolifération des cellules
tumorales.
CONCLUSION
Le lait de vache a toujours fait parti de
notre alimentation et participe à l’équi-
libre alimentaire. Il ne semble pas que
sa consommation, chez les habitants
de notre pays, affecte une espérance
de vie toujours plus longue. S’il existe
une augmentation des allergies ali-
mentaires, la cause serait plutôt liée
à la consommation d’aliments de plus
en plus transformés et contenants des
additifs et la propension croissante
de nos concitoyens à augmenter la
consommation d’aliments exotiques
auxquels nos organismes ne sont pas
habitués. Pour le soja, par prudence,
les apports en phyto-œstrogènes sont
à déconseiller chez l’enfant avant
3 ans, les patients traités pour hypo-
thyroïdie et porteurs de goitres, et les
personnes ayant des antécédents per-
sonnels ou familiaux de cancer du sein.
Laissons cohabiter, sans excès de l’un
ou de l’autre, le lait de vache et les pro-
duits à base de protéines de soja. La
discussion est ouverte…
1. Milerová J, Cerovská J, Zamrazil V et al.
Actual levels of soy phytoestrogens in chil-
dren correlate with thyroid laboratory
parameters. Clin Chem Lab Med. 2006 ;
44 : 171-4.
2. Agostoni C, Axelsson I, Goulet O et al.
Soy protein infant formulae and follow-
on formulae: A commentary by the
ESPGHAN Committee on snowboarding.
Ann Emerg Med 2003 ; 41 : 854-8.
Pour en savoir plus
Le traitement de l’allergie aux protéines de
la vache consiste à éviter les produits laitiers
issus de la vache et de consommer plutôt
des fromages de chèvre ou de brebis.
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