Le lait

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et le lait de soja est meilleur
pour la santé
Dr Paule Nathan*
Mots-clés
Soja, Lait de vache,
Phyto-œstrogènes,
Isoflavones,
Recommandations,
Enfants, Allergies,
Thyroïde,
Cancer du sein
Cette nouvelle rubrique
espère vous permettre
de répondre
aux questions de patients
de mieux en mieux
informés, auxquelles
vous êtes soumis de plus
en plus fréquemment.
Ne pas savoir y répondre
peut mettre en doute
la bonne relation
médecin-malade
et suivre certaines
croyances peut être
préjudiciable pour
la santé des adultes et
des enfants. Ainsi, le lait
de vache provoquerait
des allergies tandis
que le lait de soja serait
meilleur pour la santé.
Les patients sont de plus en plus “infirmes” par rapport à leur alimentation : ils sont tellement informés par
les multiples médias (journaux, Internet, conférences, bouche à oreilles…)
qu’ils ne savent plus faire la part des
choses entre des directives alimentaires qui devraient être suivies du fait
d’une pathologie organique ou fonctionnelle et les croyances et dictats
proches, parfois, du terrorisme alimentaire, qui, eux, ne reposent, trop
souvent, que sur des idées reçues et
induites. Ainsi, il circule largement
* Médecin du sport, endocrinologue, diabétologue,
nutritionniste, Paris
Une idée reçue avance que la consommation de lait de vache devrait être abandonnée
au profil du lait de soja, meilleur pour la santé.
l’idée, même au sein de certains
confrères (ORL, homéopathes, gynécologues…), que le lait de vache doit
être réservé au petit de la vache et que
sa consommation doit être abandonnée au profil du lait de soja, meilleur
pour la santé.
Or, si contrairement au lait de vache,
le lait de soja est sans lactose et sans
protéine de lait de vache, il contient
des phyto-œstrogènes.
MÉDECINS DU SPORT
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LES PHYTO-ŒSTROGÈNES
Chez le nourrisson, si les préparations
pour biberons à base de protéines de
soja (PPS 1er et 2e âges) sont sans lactose, sans protéine de lait de vache,
sans saccharose et sans gluten, elles
contiennent des concentrations élevées en phyto-œstrogènes, qui ont
fait l’objet de recommandations de
l’Agence française de sécurité sanitaire
N°86-NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2007
Idées reçues
Le lait de vache est
une sacrée vacherie
Idées reçues
des aliments (AFSSA) et de l’Agence
française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Le rapport
« Sécurité et bénéfices des phytoœstrogènes apportés par l’alimentation » est disponible sur le site de
l’Afssa (www.afssa.fr).
Les phyto-œstrogènes sont des substances naturellement présentes dans
l’alimentation. On les trouve essentiellement dans les légumineuses dont
l’apport moyen journalier est inférieur
à 1 mg dans les pays occidentaux. On
en trouve aussi dans les fruits et les
céréales, mais en doses infimes. Ils
sont contenus en grande quantité
dans les protéines de soja.
Les produits dérivés des protéines de
soja peuvent présenter une concentration importante d’œstrogènes-like.
Les préparations à base de protéines
de soja sont essentiellement le tonyu
ou “jus” de soja, le tofu, les yoghourts
et les desserts à base de soja. Les fractions lipidiques du soja, comme la lécithine de soja, en contiennent peu.
« La concentration d’isoflavones dans
les produits dérivés du soja varie
considérablement d’un produit à
l’autre. Certains jus de soja peuvent
contenir 100 fois plus d’isoflavones
que d’autres, certains desserts au soja
peuvent contenir 10 fois plus d’isoflavones que d’autres. En moyenne,
pour 100 g d’aliment, le jus de soja
contient 7 mg d’isoflavones et un dessert au soja en contient 35 mg. »
Les phyto-œstrogènes possèdent une
structure chimique proche de l’œstradiol. Ils regroupent une vingtaine
de molécules végétales, parmi lesquelles les plus connues sont les isoflavones : la daidzéine, la glycitéine
et la génistéine. L’activité œstrogénique des phyto-œstrogènes a été démontrée en laboratoire, on les appelle
aussi des œstrogènes-like. S’ils présentent des analogies avec les œstrogènes élaborés par l’organisme
humain, ils ont aussi
Les préparations à base de protéines de soja sont essentiellement le tonyu
ou “jus” de soja, le tofu, les yoghourts et les desserts à base de soja.
des différences qui leur confèrent des
effets œstrogéniques différents de ceux
de l’œstradiol humain. Mais ils sont
bien réels.
LES RECOMMANDATIONS
DE L’AFSSA
Le rapport de l’Afssa demande qu’apparaisse, sur les emballages des produits contenant des isoflavones, l’étiquetage suivant :
● pour les aliments à base de soja (notamment tonyu ou “lait” de soja, miso,
tofu, “yaourts” et desserts au soja) :
« Contient X mg d’isoflavones (famille
des phyto-œstrogènes). A consommer
avec modération (limiter la consommation quotidienne à 1 mg/kg poids
corporel). Déconseillé aux enfants de
moins de 3 ans » ;
● pour les compléments alimentaires
(phyto-œstrogènes purs ou extraits de
plante en contenant) et aliments enrichis : « Contient X mg de [molécule
(s) concernée (s)]* (famille des phytoœstrogènes). Ne pas dépasser 1 mg/kg
poids corporel et par jour. Déconseillé
aux femmes ayant des antécédents
personnels ou familiaux de cancer du
sein. Parlez-en à votre médecin. * Isoflavones et/ou isoflavanes et/ou coumestanes et/ou flavanones et/ou chalcones et/ou entérolignanes. »
L’Afssa conclue que, par prudence, les
consommateurs doivent éviter de cumuler les sources de phyto-œstrogènes. Par exemple, des aliments dérivés du soja et les compléments
alimentaires ou les compléments alimentaires composés de plusieurs types
de phyto-œstrogènes.
MÉDECINS DU SPORT
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LES EFFETS CONNUS
SUR LE NOURRISSON
ET LE JEUNE ENFANT
De nombreux travaux expérimentaux,
menés sur différentes espèces animales, montrent que les phyto-œstrogènes présentent des effets sur le développement et les fonctionnements
endocrinien et immunitaire. En effet,
les études animales montrent que les
phyto-œstrogènes ont un effet délétère
sur le développement des organes génitaux et peuvent, éventuellement,
augmenter le risque de cancers du testicule et du sein chez les animaux
ayant été exposés pendant la gestation ou la période néonatale.
Chez les nourrissons alimentés de façon prolongée avec des produits contenant des phyto-œstrogènes, il n’a pas
été observé, jusqu’à présent, de
troubles particuliers de la croissance et
du développement endocrinien. Toutefois, on ne dispose pas d’études à long
terme portant, notamment, sur la fertilité. Compte tenu de l’état actuel des
connaissances et des incertitudes
concernant les effets à long terme de
fortes doses d’isoflavones ingérées de
façon prolongée par les nourrissons, il
paraît prudent de ne pas recommander,
de la naissance jusqu’à l’âge de 3 ans,
l’utilisation de préparations à base de
soja, si celles-ci ne sont pas à teneur réduite en isoflavones, et de contrôler les
apports journaliers. On conseille de limiter la concentration des préparations
pour nourrisson à 1 mg/l de préparation
reconstituée en isoflavones.
Les aliments à base de soja : tonyu (jus
de soja), desserts, tofu, etc. ont des
N°86-NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2007
LE SOJA
ET LA THYROÏDE
Le traitement de l’allergie aux protéines de
la vache consiste à éviter les produits laitiers
issus de la vache et de consommer plutôt
des fromages de chèvre ou de brebis.
teneurs variables, mais souvent élevées, en isoflavones. Les enfants de
plus de 3 ans, consommateurs de ces
aliments, peuvent ainsi être amenés à
recevoir des quantités élevées d’isoflavones dépassant les 1 mg/kg/jour.
Ainsi, un nourrisson de 4 mois alimenté exclusivement avec ces préparations, peut recevoir 4 à 9 mg d’isoflavones/kg/jour. Par prudence, il est
nécessaire de contrôler ces apports et
de limiter l’exposition in utero et néonatale. Toute prise alimentaire d’aliments à base de soja chez un enfant
doit être signalée au pédiatre.
LE SOJA
ET LES ALLERGIES
Les aliments à base de soja sont souvent utilisés par les personnes qui se
croient allergiques aux protéines de
lait de vache. Certes, les allergies aux
protéines de la vache peuvent entraîner maux de tête, eczéma et infections
ORL à répétition, mais elles ne sont
pas fréquentes. Dans la population
adulte, on estime que 1 à 3 % présentent des allergies alimentaires et, dans
ce pourcentage, l’allergie au lait de
vache est retrouvée chez 12,6 % des
allergiques, ce qui n’est pas 100 % de
la population...
Le traitement de l’allergie aux protéines de la vache consiste à éviter les
produits laitiers issus de la vache et de
consommer plutôt des fromages de
On connaît, depuis longtemps, l’effet
antithyroïdien du soja tant chez l’animal que chez l’homme. Le lait de soja
et ses dérivés sont capables de ralentir ou de s’opposer à l’absorption digestive des hormones thyroïdiennes.
De plus, les isoflavones s’accumulent
dans la thyroïde et perturbent son
fonctionnement via l’effet inhibiteur
de l’activité de la thyroperoxydase.
La consommation d’isoflavones peut
augmenter les besoins en hormones
thyroïdiennes chez les patients hypothyroïdiens.
Chez l’enfant, dès 1959, Van Wick et
al. ont rapporté la présence de goitre
chez des enfants nourris au lait de soja,
régressive après supplémentation
iodée ou remplacement du lait par du
lait de vache. La consommation antérieure de soja dans la petite enfance
semble prédisposer à la survenue de
maladies thyroïdiennes auto-immunes
à l’adolescence.
Chez l’adulte, la réduction de l’absorption digestive de la T4 exogène
par les dérivés du soja a été démontrée en clinique avec nécessité d’augmenter les doses supplétives de lT4 en
cas de forte consommation de soja. Les
dernières études ont montré que les
isoflavones de soja étaient d’autant
plus perturbatrices du fonctionnement
thyroïdien et de son augmentation de
volume que l’individu présentait une
carence en iode. Or, la carence en iode
est très fréquente en France, d’autant
plus que la prévention prise par l’iodation du sel est mise à mal par la préférence des sels non raffinés et non suriodés. D’autre part, les français
consomment de plus en plus de plats
tout élaborés dépourvus de sel iodés.
Par prudence, il est raisonnable de
limiter la consommation quotidienne
MÉDECINS DU SPORT
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à une dose inférieure à 1 mg/kg (soit
60 mg par jour pour une femme de 60 kg).
LE SOJA
ET LE CANCER DU SEIN
Les données disponibles à ce jour montrent que la consommation de produits
dérivés du soja (riches en isoflavones,
notamment) n’est pas associée à une
augmentation du risque de cancer du
sein chez la femme. Toutefois, les données obtenues chez l’animal incitent à
la prudence chez les sujets présentant
ou ayant présenté un cancer du sein
ou des antécédents familiaux de ce
cancer, les phyto-œstrogènes pouvant
favoriser la prolifération des cellules
tumorales.
CONCLUSION
Le lait de vache a toujours fait parti de
notre alimentation et participe à l’équilibre alimentaire. Il ne semble pas que
sa consommation, chez les habitants
de notre pays, affecte une espérance
de vie toujours plus longue. S’il existe
une augmentation des allergies alimentaires, la cause serait plutôt liée
à la consommation d’aliments de plus
en plus transformés et contenants des
additifs et la propension croissante
de nos concitoyens à augmenter la
consommation d’aliments exotiques
auxquels nos organismes ne sont pas
habitués. Pour le soja, par prudence,
les apports en phyto-œstrogènes sont
à déconseiller chez l’enfant avant
3 ans, les patients traités pour hypothyroïdie et porteurs de goitres, et les
personnes ayant des antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein.
Laissons cohabiter, sans excès de l’un
ou de l’autre, le lait de vache et les produits à base de protéines de soja. La
discussion est ouverte…
■
Pour en savoir plus
1. Milerová J, Cerovská J, Zamrazil V et al.
Actual levels of soy phytoestrogens in children correlate with thyroid laboratory
parameters. Clin Chem Lab Med. 2006 ;
44 : 171-4.
2. Agostoni C, Axelsson I, Goulet O et al.
Soy protein infant formulae and followon formulae: A commentary by the
ESPGHAN Committee on snowboarding.
Ann Emerg Med 2003 ; 41 : 854-8.
N°86-NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2007
Idées reçues
chèvre ou de brebis, mais sans reporter la consommation sur les protéines
de soja. Il faut savoir qu’il existe des
allergies croisées entre les protéines
du lait de vache et les protéines du
soja. Ainsi, une vraie allergie aux protéines du lait de vache devrait faire
limiter, voire interdire, la consommation de préparations à base de protéines de soja.
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