Presse Med. 2007; 36: 1390–4 © 2007 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés. en ligne sur / on line on Cas clinique www.masson.fr/revues/pm Pseudomalabsorption de L-thyroxine : une forme de pathomimie Laurent Molines, Isabelle Fromont, Nathalie Morlet-Barla, Juan-Patricio Nogueira, René Valéro, Bernard Vialettes Reçu le 17 juillet 2006 Accepté le 28 septembre 2006 Service de nutrition, maladies métaboliques et endocrinologie, Hôpital La Timone, Marseille (13) Correspondance : Disponible sur internet : le 18 avril 2007 Laurent Molines, Service de nutrition, maladies métaboliques et endocrinologie, Hôpital La Timone, 264 rue Saint-Pierre, 13385 Marseille Cedex 05. [email protected] ■ Summary ■ Résumé L-thyroxine pseudomalabsorption: a factitious disease Introduction > La substitution hormonale de l’hypothyroïdie est habituellement simple. Cependant, certains patients ont des TSH élevées malgré de fortes doses de L-thyroxine. Observation > Nous rapportons l’observation d’une patiente de 71 ans, thyroïdectomisée depuis 10 ans, hospitalisée à plusieurs reprises pour des épisodes d’hypothyroïdie profonde. Elle nous assurait d’une bonne adhésion à l’opothérapie substitutive. Le diagnostic de pseudomalabsorption de la L-thyroxine a été envisagé, puis confirmé par des tests d’absorption des hormones thyroïdiennes. Discussion > Une pseudomalabsorption de la L-thyroxine par mauvaise compliance thérapeutique dissimulée ne peut être évoquée qu’après avoir éliminé une interférence médicamenteuse et/ou nutritionnelle et une malabsorption organique vraie. Il s’agit d’une maladie factice dont le diagnostic peut être affirmé par des tests d’absorption de la L-thyroxine. 1390 Introduction > Thyroxine supplementation of patients with hypothyroidism is usually simple. A few patients, however, continue to present elevated TSH levels despite large doses of L-thyroxine. Case > We report the case of a 71-year-old women who had had a thyroidectomy 10 years earlier and had since been hospitalized repeatedly for profound hypothyroidism. Despite her consistent claims of good adherence to her treatment regimen, we considered the diagnosis of L-thyroxine pseudomalabsorption and confirmed it by thyroid hormone absorption tests. Discussion > L-thyroxine pseudomalabsorption due to concealed poor treatment adherence should be considered after ruling out drug or dietary interference and true organic malabsorption. Diagnosis of this factitious disease can be confirmed by L-thyroxine absorption tests. tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 1 doi: 10.1016/j.lpm.2006.09.024 L’ hypothyroïdie est une maladie fréquente, non seulement en endocrinologie mais aussi en médecine générale. Le traitement, simple et peu coûteux, en est bien codifié. Il repose sur la supplémentation hormonale par la L-thyroxine, en une prise quotidienne le matin à jeun, basée sur un objectif de normalisation de la Thyroid Stimulating Hormone (TSH), voire un freinage de la TSH après chirurgie thyroïdienne oncologique. Les besoins hormonaux moyens en L-thyroxine sont évalués à 1,7 ± 0,4 mg/kg/j en une prise quotidienne à jeun pour une meilleure absorption. De 70 à 100 % de la dose administrée est normalement absorbée au niveau du jéjunum, avec un pic sérique à la deuxième heure. Ainsi, 90 % des patients substitués voient leur TSH normalisée sous 100 à 200 mg/j [1, 2]. Il existe pourtant quelques patients chez lesquels la TSH demeure élevée, en dépit de l’augmentation parfois considérable des doses de L-thyroxine. Si la mauvaise observance banale en est la première cause, cette situation s’observe généralement en cas d’interférence médicamenteuse ou nutritionnelle, ou de malabsorption de l’opothérapie substitutive. Cependant, dans de rares occasions, les explorations pratiquées devant cette résistance apparente au traitement demeurent négatives. Il faut alors envisager la possibilité d’un diagnostic d’exclusion, la “pseudomalabsorption” liée à une mauvaise compliance au traitement, malgré les dénégations énergiques du patient. Cet état pathologique, subrepticement créé par le patient lui-même, entre dans le cadre des pathomimies. Nous rapportons une observation de pseudomalabsorption de la L-thyroxine dont les conséquences auraient pu être graves, en détaillant le bilan étiologique et les tests utiles à réaliser dans cette situation. Cas clinique Pseudomalabsorption de L-thyroxine : une forme de pathomimie Observation Une femme âgée de 71 ans était traitée par L-thyroxine pour une hypothyroïdie secondaire à une thyroïdectomie totale pour goitre multinodulaire plongeant en 1995. Au décours de la chirurgie, une substitution hormonale était débutée (L-thyroxine 100 mg/j en comprimés). Il existait dès lors des difficultés d’équilibration permanentes, avec un nomadisme médical important. En mars 2005, la patiente était hospitalisée en neurologie pour des troubles du comportement alors attribués à une “psychose myxœdémateuse” devant l’existence d’une hypothyroïdie profonde (TSH = 210 mUI/L, LT3 et LT4 indosables). L’évolution était rapidement favorable avec régression des troubles neurologiques et normalisation de la TSH, 15 j après reprise de l’opothérapie substitutive (L-thyroxine 100 mg/j en gouttes). Deux mois plus tard, la patiente était adressée en service d’endocrinologie par son médecin traitant qui ne parvenait pas à l’équilibrer sur le plan thyroïdien, et ce malgré le traitement substitutif inchangé (TSH = 143 mUI/L). Un problème de malabsorption ou d’une mauvaise compliance thérapeutique étaient alors évoqués, sans qu’aucun élément clinique ou paraclinique ne permette de trancher définitivement. Le test d’absorption des hormones thyroïdiennes était alors réalisé en milieu hospitalier (dose de charge de 400 mg de L-thyroxine per os, en comprimés), il n’était pas en faveur d’une malabsorption organique (figure 1A), et l’hospitalisation se conclut finalement par une F ig u r e 1 Évolution de la LT4 et de la LT3 en fonction du temps après une dose de charge de 400 mg de L-thyroxine administrée sous forme de comprimés (A) ou de gouttes (B) tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 1 1391 Les différences de niveau de base de LT4 s’expliquent par le fait que ces 2 tests n’ont pas été réalisés au même moment de la reprise progressive de la supplémentation hormonale. Molines L, Fromont I, Morlet-Barla N, Nogueira JP, Valéro R, Vialettes B 1392 substitution par voie intra-musculaire (IM) avec une infirmière à domicile : L-thyroxine 400 mg 2 fois par semaine. À 3 mois, le bilan était corrigé, il existait même un léger surdosage, conduisant à réduire la posologie à 600 mg/semaine. Mais devant les réticences de la patiente à poursuivre son traitement par voie IM, une substitution par L-thyroxine per os était reprise à la dose de 125 mg/j. Quatre mois après, la patiente était de nouveau adressée en milieu hospitalier pour hypothyroïdie profonde. À l’entrée, le poids était de 41 kg (+ 3 kg en 6 mois), la taille de 1,45 m soit un BMI à 19,5 kg/m2 ; la pression artérielle était à 110/70 mmHg, et la fréquence cardiaque à 58 Bpm. La patiente se plaignait d’asthénie, d’une alternance diarrhéeconstipation ancienne, d’une sécheresse cutanéo-muqueuse et de crampes des membres inférieurs. Elle niait tout défaut d’observance du traitement substitutif. L’examen somatique était sans particularités, en dehors d’une fragilité des phanères. L’ECG trouvait une bradycardie sinusale à 50 Bpm. On notait dans ses antécédents personnels une bronchopneumopathie chronique obstructive post-tabagique (tabac 40 paquets/année actif), un syndrome dépressif avec notion de troubles du comportement alimentaire de type anorexieboulimie survenus il y a plusieurs années, consécutifs au suicide de son fils. Le traitement comprenait L-thyroxine125 mg/j en comprimés, zolpidem, alprazolam et hydroxyzine. Elle ne consommait ni phytothérapie, ni aliments susceptibles d’interférer avec l’opothérapie substitutive (soja, noix, prunes, etc.). Il existait bien une hypothyroïdie biologique profonde, TSH = 183 mUI/L (N = 0,27-4,20) LT3 = 1,79 pmol/L (N = 3,1-6,8) et LT4 = 5,7 pmol/L (N = 13-23). Un bilan de malabsorption est réalisé : • bilan martial normal ; • absence d’élément en faveur d’une maladie cœliaque (anticorps anti-transglutaminase négatifs, absence d’atrophie villositaire sur les biopsies duodénales) ; • absence de carence en vitamine B12 ou folates ; • gastrine et vitamines liposolubles normales ; • fibroscopie œsogastroduodénale et coloscopie normales. Évoquant un exceptionnel problème d’absorption de L-thyroxine lié à la galénique, sous forme de comprimés, nous avons réalisé un nouveau test d’absorption des hormones thyroïdiennes en solution buvable : au décours d’une nuit de jeûne, dosage de la LT4 horaire pendant 6 heures suivant l’administration per os d’une dose de charge de 400 mg de L-thyroxine en gouttes, après réalisation d’un électrocardiogramme et sous contrôle médical strict (figure 1B). Au début du test, les valeurs biologiques confirmaient le statut d’hypothyroïdie (LT4 = 9,7 pmol/L) ; on observait, au décours de l’ingestion de L-thyroxine, une élévation des taux de LT4 jusqu’à normalisation (pic à la 5e heure : LT4 = 18,4 pmol/L, soit une élévation de 90 %). Ces résultats corroboraient ceux du test précédent et infirmaient l’hypothèse d’une malabsorption liée à la forme galénique, gouttes versus comprimés. Compte tenu du refus de la patiente d’une reprise des injections de L-thyroxine, l’option choisie a été de mettre en place une surveillance quotidienne de la bonne prise du traitement (L-thyroxine gouttes 100 mg/j) par une infirmière au domicile. L’évolution hormonale est venue conforter le diagnostic de pseudomalabsorption des hormones thyroïdiennes chez cette patiente : un mois après la sortie, la TSH était un peu basse (TSH = 0,09 mUI/l), incitant à baisser la posologie de Encad ré 1 Causes de résistance à l’opothérapie substitutive par L-thyroxine Malabsorption organique • Maladie cœliaque [12] • Maladie de Biermer • Intolérance au lactose • Hépatopathie cholestatique • Insuffisance pancréatique exocrine • Chirurgie gastro-intestinale [13, 14] Interférence médicamenteuse • Colestyramine [15] • Anti-acides (hydroxyde d’aluminium) [16] • Cimétidine [17] • Résines échangeuses d’ions • Laxatifs [16] • Charbon activé [18] • Carbonate de calcium [19] • Sels de fer [20] • Propanolol [21] • Lovastatine [22], Simvastatine [23] • Amiodarone [24] • Oestrogénothérapie [25] • Raloxifène [26] • Rifampicine [27] • Phénobarbital [28] • Phénytoïne [29] • Carbamazépine [30] • Imatinib [31] • Sertraline [32] Interférence nutritionnelle Soja [33] Prunes [34] Noix [34] Phytothérapie [35] • • • • Autres • Grossesse [36] • Insuffisance cardiaque [37] • Syndrome néphrotique [38] • Gastrite à Helicobacter Pylori [39] tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 1 L-thyroxine à 80 mg/j, et un mois plus tard le bilan thyroïdien était normalisé (TSH = 0,38 mUI/L ; LT4 = 26,3 pmol/L ; LT3 = 5,78 pmol/L). Discussion Nous rapportons ici un cas de pseudomalabsorption de Lthyroxine, chez une malade thyroïdectomisée, secondairement à une mauvaise adhérence thérapeutique catégoriquement déniée par la malade. La mauvaise observance du traitement substitutif représente une des plus fréquentes causes des difficultés d’équilibration du bilan thyroïdien chez une patiente hypothyroïdienne. Chaque spécialiste confronté à une telle situation ne doit pourtant pas oublier qu’il s’agit d’un diagnostic d’élimination imposant d’exclure tous les autres facteurs susceptibles d’interférer avec un bon équilibre hormonal. Une fois cette étape franchie, le test d’absorption des hormones thyroïdiennes, en milieu hospitalier, confirme le diagnostic et permet de mettre en place un mode de traitement dont la responsabilité est assurée par un tiers. Le diagnostic doit rester un diagnostic d’élimination devant faire écarter toute cause de résistance à l’opothérapie substitutive (encadré 1). Il faut bien entendu éliminer une malabsorption organique vraie ; parallèlement, il est important de rechercher une interférence médicamenteuse pouvant conduire à une diminution de l’absorption des hormones thyroïdiennes (sels de fer, colestyramine, carbonate de calcium, etc.), à une inhibition de la désiodation (propanolol, amiodarone, etc.), à une augmentation de la clairance (sertraline par exemple) ou du catabolisme des hormones par induction enzymatique des CYP1A2 et/ou CYP3A4 (lovastatine, simvastatine, anti-comitiaux, imatinib, etc.), ce d’autant que certaines de ces thérapeutiques ne sont pas systématiquement signalées par les malades (fer, calcium, laxatifs, etc.). Des différences en termes de pharmacocinétique entre les diverses préparations de L-thyroxine per os ont été signalées à certaines occasions dans la littérature, mais on considère généralement que ces préparations sont identiques en termes de biodisponibilité [3, 4]. Nous ne reviendrons pas sur les préparations galéniques dont le contenu en LT4 n’est pas celui annoncé [5, 6] ; une meilleure absorption des comprimés une fois broyés [7] et une différence d’efficacité entre gouttes et comprimés [8, 9] ont été décrites, suggérant que chez certains patients, un mauvais délitement des comprimés peut participer à une résistance apparente au traitement substitutif. Certains éléments propres aux pathomimies peuvent venir renforcer le diagnostic de pseudomalabsorption : terrain psychologique fragile (ici les antécédents de troubles du comportement alimentaire dans le contexte de perte d’un enfant) mais sans maladie psychiatrique évidente, une complaisance à tous les tests et solutions thérapeutiques proposés, un déni formel de tout manque de compliance, un nomadisme médical, etc. Le test d’absorption des hormones thyroïdiennes après une dose de charge de L-thyroxine par voie orale, réalisé dans de bonnes conditions (patient à jeun, surveillance médicale de la bonne prise du traitement, de l’absence de vomissements et de l’absence d’effets indésirables), fera définitivement la part entre malabsorption vraie et pseudomalabsorption : l’élévation franche voire la normalisation de la LT4 éliminant une malabsorption organique. Les doses habituellement proposées se situent entre 1 000 et 2 000 mg de L-Thyroxine, nous avons opté pour une dose plus faible justifiée par l’âge de la patiente, sans pour autant perdre en information. La prise en charge de ce type de patient, comme de toute pathologie factice, est délicate. Toute confrontation brutale médecin-patient est inutile voire délétère. Plusieurs solutions sont envisageables pour équilibrer ce type de patient. L’utilisation de la voie parentérale, essentiellement intramusculaire avec une infirmière au domicile, donne de bons résultats [10]. Faire superviser la bonne prise du traitement par une infirmière au domicile après avoir normalisé le bilan en milieu hospitalier, et démontré par là même à la patiente que cela était possible, peut constituer une alternative. Dans ce cas, une administration hebdomadaire d’une dose de L-thyroxine légèrement supérieure à 7 fois la posologie quotidienne peut être intéressante [11]. Cas clinique Pseudomalabsorption de L-thyroxine : une forme de pathomimie Conflits d’intérêts : aucun Références 2 3 4 Toft AD. Thyroxin therapy. N Engl J Med. 1994; 331: 174-80. Lips DJ, Van Reisen MT, Voigt V, Venekamp W. Diagnosis and treatment of levothyroxine pseudomalabsorption. Neth J Med. 2004; 62: 114-8. Stoffer SS, Szpunar WE. Potency of brand name and generic levothyroxine. JAMA. 1980; 244: 1704-5. Grussendorf M, Vaupel R, Wegscheider K. Bioequivalence of L-thyroxine tablets and tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 1 5 6 a liquid L-thyroxine solution in the treatment of hypothyroid patients. Med Klin. 2004; 99: 639-44. Peran S, Garriga MJ, Morreale de Escobar G, Asuncion M, Peran M. Increase in plasma thyrotropin levels in hypothyroid patients during treatment due to a defect in, commercial preparation. J Clin Endocrinol Metab. 1997; 82: 3192-5. Sawin CT, Surks MI, London M, Ranganathan C, Larsen PR. Oral thyroxine: variation in biologic 7 8 9 action and tablet content. 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