V. Touvenot IFSI DIJON 2014-2015 Page 3
Les neurosciences sont apparues avec l’invention des IRM, dans les années 1980. C’est aussi la
naissance des sciences cognitives.
A la fin des années 1980, un basculement de paradigme scientifique semble s’opérer avec l’introduction
des notions de désordre, chaos, incertitude, indéterminisme. Depuis le XVIIe siècle, la science classique
nous avait donné l’image d’un univers soumis à des déterminismes implacables que l’on peut décrire
sous forme de lois. Or, un changement de perspective caractéristique de la seconde moitié du XXE
siècle s’opère avec la perception d’instabilités, de fluctuations. En astronomie, en chimie, en
météorologie, en économie, on découvre des phénomènes chaotiques et des turbulences. L’ère du
déterminisme, des lois, de la prévisibilité est en train de laisser la place à une vision du monde où règne
l’instable, le désordre, l’incertain. Ces nouvelles théories (du chaos, des catastrophes, du complexe)
s’appliquent fort bien aux sciences humaines. Edgard Morin est un intellectuel exemplaire de ce
mouvement.
Actuellement, c’est l’approche interdisciplinaire qui semble de plus en plus se profiler. En effet, elle
permet de dépasser le morcellement de l’étude de l’humain (le psychisme étant étudié d’un côté, le
cerveau d’un autre côté, l’organisme d’un troisième, les gènes, la culture, etc.). Il s’agit en effet
d’aspects multiples d’une réalité complexe, mais qui ne prennent sens que s’ils sont reliés à cette réalité
au lieu de l’ignorer. On ne peut certes créer une science unitaire de l’homme, qui elle-même dissoudrait
la multiplicité complexe de ce qui est humain. L’interdépendance des diverses sciences qui étudient
l’humain est nécessaire. Les sciences humaines traitent de l’homme, mais celui-ci est, non seulement un
être psychique et culturel, mais aussi un être biologique et les sciences humaines sont d’une certaine
manière enracinées dans les sciences biologiques, lesquelles sont enracinées dans les sciences physiques,
aucune de ces sciences n’étant évidemment réductible l’une à l’autre. Toutefois, les sciences physiques
ne sont pas le socle ultime et primitif sur lequel s’édifient toutes les autres ; ces sciences physiques, pour
fondamentales qu’elles soient, sont aussi des sciences humaines dans le sens où elles apparaissent dans
une histoire humaine et dans une société humaine. Le grand problème est donc de trouver la voie
difficile de l’entre-articulation entre des sciences qui ont chacune, non seulement leur langage propre,
mais des concepts fondamentaux qui ne peuvent pas passer d’un langage à l’autre.
E. Morin rêve d’une pensée qui ne soit plus condamnée à choisir entre des alternatives : intellectualisme
ou existentialisme, empirisme ou rationalisme, objectivité ou subjectivité.
La pensée complexe cherche à unir les domaines séparés de la connaissance : cosmologie, biologie,
anthropologie, mais aussi philosophie et science, science et poésie… Elle tisse donc des liens entre les
sciences, entre des sciences et des non-sciences… C’est une pensée qui travaille « entre » : entre les
disciplines, entre les régions de la connaissance et de l’être, entre le physique et le biologique, entre le
biologique et l’humain, entre le scientifique et le poétique… Mais elle travaille aussi « dans » : elle
explore le tissu de toute chose. Toute chose cache en elle un extraordinaire entrelacs de singularités, de
contradictions, de relations internes, de relations avec le monde…
En sciences, et en sciences humaines en particulier, on doit être prêt à se réformer en permanence, à
renoncer à ses dogmes, à ses interprétations, même quand celles-ci paraissent claires, évidentes et font
l’objet d’un consensus. La rationalité est un pouvoir d’autocritique et d’autocorrection. De plus, il n’y a
pas de connaissance sans connaissance de soi. Le sujet doit s’inclure dans sa connaissance, avec toute sa
subjectivité. C’est un principe d’autant plus nécessaire que nous glissons toujours notre être profond
dans nos jugements et nos opinions. Mais nous le faisons frauduleusement, avec mauvaise foi ou
inconscience. Pour E. Morin, « le pire c’est toujours de croire soustraire le sujet connaissant de la
connaissance, […] le meilleur ne peut venir qu’en l’y reconnaissant en pleine conscience. » Il parle aussi
de « biodégradabilité de la vérité » : il n’y a pas de vérité absolue, indépendante des contextes et des