Chapitre VII Chapitre VII : Noyau et Image Introduction Après avoir vu tout une série d’exemples, nous allons étudier les applications linéaires plus en détails. Applications injectives/surjectives Il est souvent utile de savoir si une application linéaire est injective et/ou surjective. Rappelons qu’une fonction (pas nécessairement linéaire) f :A→B est injective si deux éléments distincts de A ont des images distinctes (c’est-à-dire si x, y ∈ A et f (x) = f (y ) alors x = y ). Elle est surjective si tout point dans B est dans l’ensemble image de f : Im(f ) = {y | y = f (x) pour un certain x ∈ V }. Donc f est surjective si Im(f ) = B. Applications injectives/surjectives Exemple 1 La fonction f : R → R : x 7→ x 2 n’est ni injective (vu que f (1) = f (−1)) ni surjective (vu que les réels négatifs ne sont pas dans l’image de f ). Si f : A → B est une application quelconque (pas nécessairement linéaire) on a Im(f ) ⊆ B mais Im(f ) 6= B en règle générale. Ici, on a par exemple Im(f ) = R+ . Image Exemple 2 L’application f : R → R2 : x 7→ (x, 8x) est linéaire et son image est la droite vectorielle d’équation y = 8x.L’application g : R2 → R2 : (x, y ) 7→ (2x, 3y ) est linéaire et son image est R2 tout entier. En effet, quel que soit (z, t) ∈ R2 on a z t f ( , ) = (z, t) 2 3 donc (z, t) est bien dans l’image de g . Image Proposition 1 Soient V et W deux espaces vectoriels sur K et f : V → W une application linéaire. Alors Im(f ) est un sous-espace vectoriel de W . Démonstration : Il faut montrer que 0W est dans Im(f ), que si u, v ∈ Im(f ) alors u + v ∈ Im(f ) et que si u ∈ Im(f ) et λ ∈ K alors λu ∈ Im(f ). L’élément neutre 0W est dans l’image vu que f (0V ) = 0W (donc 0W est l’image par f du neutre 0V ). Image Si u, v ∈ Im(f ) alors il existe z, t ∈ V tels que u = f (z) et v = f (t). Mais alors u + v = f (z) + f (t) = f (z + t) donc u + v ∈ Im(f ). Finalement, si λ ∈ K il vient λu = λf (z) = f (λz) et donc λu ∈ Im(f ). Noyau Pour voir si l’application linéaire f : V → W est surjective, on regarde son image. Pour voir si elle est injective, on regarde plutôt son noyau, noté Ker(f ), et défini par : Ker(f ) = {x ∈ V | f (x) = 0W }. Noyau = "Kernel" (en anglais) Noyau Proposition 2 Le noyau Ker(f ) de l’application linéaire f : V → W est un sous-espace vectoriel de V . Démonstration : Si u, v ∈ Ker(f ) alors u + v aussi vu que f (u + v ) = f (u) + f (v ) = 0W + 0W = 0W . De même, λu ∈ Ker(f ) dès que λ ∈ K vu que f (λu) = λf (u) = λ0W = 0W . Noyau Proposition 3 Soient V et W deux espaces vectoriels sur K et f : V → W une application linéaire. Alors f est injective si et seulement si Ker(f ) = {0V }. Démonstration : Supposons que f est injective. Si x ∈ Ker(f ) alors f (x) = 0W donc x = 0V vu que f (0V ) = 0W et f est injective. Donc Ker(f ) = {0V }. De même, si Ker(f ) = {0V } et si f (x) = f (y ) on en déduirait f (x) − f (y ) = 0W donc f (x − y ) = 0W donc x − y ∈ Ker(f ) et donc x − y = 0V c’est-à-dire x = y . Noyau Exemple 3 L’application f : C[X ] → C : p(X ) 7→ p(0) est une forme linéaire sur l’espace vectoriel C[X ] des polynômes à coefficients complexes. Le noyau est constitué des polynômes p(X ) tels que p(0) = 0, c’est-à-dire les polynômes p qui n’ont pas de terme indépendant. Par exemple, p(X ) = (1 + i)X + X 2 est dans le noyau mais pas q(X ) = i − 2X 3 . Donc, f n’est pas injective. Noyau Exemple 4 Considérons l’opérateur linéaire f : R3 → R3 : (x, y , z) 7→ (x + y + z, x − y , x + z). Le noyau de f est l’ensemble des éléments de R3 qui sont envoyés sur (0, 0, 0) par f . Donc, (x, y , z) ∈ Ker(f ) si et seulement si x + y + z = 0 (1) x −y =0 x +z =0 On résout le système et on trouve Ker(f ) = {(0, 0, 0)} donc f est bien injective. Noyau et image Exemple 5 Considérons maintenant l’opérateur f : R3 → R3 : (x, y , z) 7→ (x, y , 0). Le noyau est Ker(f ) = {(0, 0, z) | z ∈ R} qui est un sous-espace de dimension 1, donc f n’est pas injective. Remarquons que l’image est le plan de R3 d’équation z = 0 et est donc un sous-espace de dimension 2. Ainsi dim(Ker(f )) + dim(Im(f )) = 3 = dim R3 . Noyau et image Dans l’exemple précédent, on a donc une application linéaire f : R3 7→ R3 telle que : dim(Ker(f )) + dim(Im(f )) = 3 = dim R3 . En fait, cette égalité n’est pas un hasard. Noyau et image Théorème 6 Soit V , W deux espaces vectoriels de dimension finie sur le corps K et f : V → W une application linéaire. Alors dim(Im(f )) + dim(Ker(f )) = dim(V ). L’idée de la preuve est la suivante : on prend une base {w1 , . . . , wk } de l’image ainsi que des vecteurs v1 , . . . , vk de V tels que f (vi ) = wi . Si {u1 , . . . , ul } est une base de Ker(f ), on montre que B = {v1 , . . . , vk , u1 , . . . , ul } est une base de V . Noyau et image Le théorème précédent implique en particulier que, si un opérateur linéaire sur un espace vectoriel de dimension finie f : V → V est injectif, alors il est aussi surjectif ! En effet, s’il est injectif, alors Ker(f ) = {0V } donc dim(Ker(f )) = 0 donc dim(Im(f )) = dim V . Comme Im(f ) ⊆ V et dim(Im(f )) = dim V , on doit avoir Im(f ) = V (exercice), donc f est surjectif. Noyau et image De même, si un opérateur linéaire f : V → V (avec V de dimension finie) est surjectif, alors Im(f ) = V donc on doit avoir dim(Ker(f )) = 0 et donc Ker(f ) = {0V } (c’est-à-dire, f est injectif). Noyau et image Théorème 7 Soit V un espace vectoriel de dimension finie sur le corps K et f : V → V un opérateur linéaire. Alors f est injectif si et seulement si f est surjectif. Donc, pour étudier l’injectivité/surjectivité de f , il suffit de calculer son noyau et de regarder s’il est réduit à {0V } ou pas. C’est bien pratique ! Noyau et image Exemple 8 On avait vu lors d’un des exemples précédents que l’opérateur f : R3 → R3 : (x, y , z) 7→ (x + y + z, x − y , x + z) est injectif. Donc, f est aussi surjectif, c’est à-dire Im(f ) = R3 . S’il avait fallut démontrer que Im(f ) = R3 immédiatement à partir de la définition de f , cela aurait été plus difficile. Noyau et image Le théorème 7 n’est bien sûr plus vrai dans les cas ou f n’est pas un opérateur linéaire : Exemple 9 L’application f : R → R2 : x 7→ (x, 0) est linéaire. On a Ker(f ) = {0} tandis que l’image de f est la droite vectorielle d’équation y = 0. Donc f est injective mais pas surjective. On a cependant bien dim(Ker(f )) + dim(Im(f )) = 0 + 1 = 1 = dim R. Bijection Rappelons qu’une fonction f : A → B (pas nécessairement linéaire) est bijective lorsqu’elle est à la fois injective et surjective. Le concept de bijection permet d’exprimer que A et B ont "le même nombre d’éléments". La bijection f fait en effet correspondre un élément de B à tout élément de A, et tout élément de B sera atteint une et une seule fois. Isomorphisme Si l’application linéaire f : V → W est bijective, on dit que f est un isomorphisme d’espaces vectoriels. Le concept d’isomorphisme permet d’exprimer que V et W sont "les mêmes" espaces vectoriels mais vu différemments. En effet, V et W auront "le même nombre d’éléments" (vu que f est bijective) et "la même structure" (vu que f est linéaire). Isomorphisme Exemple 10 Soit R2 [X ] = {a + bX + cX 2 | a, b, c ∈ R} l’ensemble des polynômes à coefficients réels de degré au plus 2. L’ensemble R2 [X ] forme un sous-espace de R[X ]. L’application f : R2 [X ] → R3 : a + bX + cX 2 7→ (a, b, c) est un isomorphisme d’espace vectoriel (on le vérifie facilement). Donc, R2 [X ] est juste une autre façon de voir l’espace vectoriel R3 muni de l’addition composante par composante. Automorphisme Un isomorphisme f : V 7→ V de V dans lui même est appelé automorphisme de V ou encore permutation linéaire de V . Résumé des points importants du chapitre 1 Les définitions du noyau et de l’image d’une application linéaire f : V → W , 2 Le noyau est un sous-espace de V , l’image un sous-espace de W . L’application f est injective si et seulement si Ker(f ) = {0V }, 3 Si V et W sont de dimension finie, alors dim(Im(f )) + dim(Ker(f )) = dim(V ), 4 Les définitions d’isomorphisme/automorphisme.