Avants propos :
Pourquoi ai-je décidé de vous parler de Sartre ? A une époque de ma
jeunesse, disons l’adolescence, au moment où l’on cherche a affûter son esprit
critique, à lancer des flèches, dans les cibles pesantes de lieux communs et de
valeurs bien pensantes, Sartre est arrivé à point nommé.
Trois évènements ont particulièrement éveillé mon esprit : la lecture de « la
Nausée », les positions anticolonialistes de Sartre et des « Temps Modernes »,
et enfin son théâtre.
A 15 ans, on est très sensible aux conceptions métaphysiques et
psychologiques hors normes, surtout, si comme moi, on n’est pas embarrassé
par le poids du religieux, si l’esprit voltairien a déjà préparé le terrain. « La
Nausée » éveillait en moi quelque chose qu’aucun autre livre n’avait su
m’apporter (j’avais encore peu lu), à l’exception de « L’étranger » de Camus.
Ce livre me dévoilait un ailleurs insoupçonné : L’esprit provincial et bourgeois
totalement retourné par un homme étrange, Roquentin, voyageur de passage,
sans billet, sans posture ni position sociale, pour tout dire un homme libre.
Je pense avoir été séduit par son œuvre, parce que Sartre a représenté
cet intellectuel nourrit d’une tradition philosophique classique, mais qui s’ouvre
à un autre langage, celui de la fiction ou de l’essai. C’est là une grande
tradition française que l’on rencontre chez Montaigne, Rousseau ou Voltaire.
Alain Renaut n’hésite pas à intituler un ouvrage sur Sartre : « Sartre, le
dernier philosophe ». Il fut de fait le dernier à avoir eu l’ambition de
comprendre l’homme (« j’ai la passion de comprendre les hommes »), et de le
saisir dans sa totalité, psychologique et historique.
L’anticolonialisme de Sartre m’a également séduit, puisque pour moi,
rien ne me semblait plus odieux que l’attitude colonialiste et raciste. Les
articles des « Temps modernes », revue dirigée par Sartre et Simone de
Beauvoir, la préface de Sartre pour « les damnés de la terre » de Franz Fanon,
et ses positions publiques contre la guerre et la torture en Algérie, sont venus
nourrir ma conscience politique. Pendant la guerre d’Algérie, les Temps
Modernes ont pris des positions critiques radicales contre cette guerre coloniale
(voir l’article des TM d’avril 56 dans « Situations 5 : « Le colonialisme est un
système », ainsi que : « Vous êtes formidables ») ; il y a eu le « manifeste