Pétrole : du carbone pour la croissance

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ÉTUDE SPÉCIALE
PÉTROLE : DU CARBONE POUR
LA CROISSANCE
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart,
Aurélien Saussay
OFCE, Sciences Po
La chute du prix du Brent de 50 % en six mois ouvre des perspectives favorables aux économies importatrices de pétrole, à la condition toutefois qu’elle
soit durable. À l’horizon 2016, la situation d’excès d’offre sur le marché,
alimentée par le développement de la production de pétrole de schiste aux
États-Unis et l’absence de réaction de l‘OPEP pour contrecarrer cet essor, va
dans ce sens. La production non-conventionnelle américaine, dont la rentabilité n’est plus assurée en deçà du seuil de 60 dollars le baril, subit certes le
contrecoup de la baisse des prix, mais l’ajustement de la production d’ici à deux
ans ne ferait pas remonter le prix à son niveau d’avant-choc.
Les outils de modélisation opérationnels de l’OFCE, les modèles macroéconométriques pour l’économie française e-mod.fr et ThreeMe permettent
d’évaluer les répercussions globales de ce choc sur l’économie, mais aussi les
transferts d’activité d’un secteur à un autre ainsi que l’impact environnemental
d’une consommation d’hydrocarbures accrue. En adaptant l’architecture de
e-mod.fr aux caractéristiques de consommation, d’importation et de production d’hydrocarbures, les simulations ont été étendues aux grandes économies
développées.
À l’exception des États-Unis, l’impact positif est significatif et assez similaire
pour tous les pays. L’économie américaine bénéficie, comme ses consœurs, des
mêmes effets positifs, mais la chute du prix du pétrole, qui frappe de plein fouet
l’activité de production de pétrole non-conventionnel, pèse sur la croissance et
tempère l’effet final du contrechoc. Les variantes présentées ici produisent des
résultats comparables à ceux issus des modèles utilisés par les grandes institutions internationales. Il en ressort que la baisse du prix du pétrole s’avère bien
être un choc positif pour la croissance mondiale, mais malheureusement pas
pour l’environnement.
Revue de l’OFCE, 138 (2015)
2
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
S
upérieur à 100 dollars depuis janvier 2011, le prix du baril de
pétrole qualité Brent a chuté à l’été 2014 jusqu’à 48 dollars en
janvier 2015. En avril, il se situe autour de 58 dollars. Dans un
contexte de croissance mondiale modérée, le transfert de richesse
des pays exportateurs nets de pétrole vers les pays importateurs
nets via la balance commerciale offre un stimuli opportun à la croissance ; le surcroît d’activité engendré par la baisse des prix dans les
pays importateurs nets étant supérieur à l’impact récessif dans les
pays exportateurs nets. En décembre dernier, le FMI évaluait ce
surcroît de croissance mondiale entre 0,3 % et 0,7 % point de PIB
pour l’année 2015. Ce soutien s’accompagne néanmoins d’un
risque pour l’environnement. En effet, le faible prix du pétrole
réduit l’attractivité des modes de transport et de production
pauvres en carbone et pourrait ralentir la transition énergétique et
la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Encore faut-il que cette baisse soit durable pour que les agents
modifient leur comportement. Or, on connaît la très forte volatilité
des cours sur les marchés pétroliers. La chute des prix en 2008,
passés de 133 dollars durant l’été à moins de 40 dollars en
décembre de la même année et la remontée à 100 dollars entre
2009 et 2010 en sont la dernière illustration. Cette chute, expliquée par l’entrée en récession des économies avancées, avait été un
peu plus importante que celle d’aujourd’hui mais elle avait été de
courte durée et sans impact sur la croissance.
À la différence de 2008, le récent retournement des prix n’est
plus seulement lié au ralentissement de la demande (en provenance notamment des pays émergents) mais résulte aussi de
l’apparition d’un excès d’offre sur le marché, alimenté par le développement de la production de pétrole de schiste aux États-Unis,
non compensé par la baisse de production de l’OPEP. Au-delà des
incertitudes géopolitiques, le prix s’est ajusté à la baisse en conséquence du déséquilibre offre/demande. Cette situation n’est pas
sans rappeler le contre-choc pétrolier de 1985-86 quand les pays de
l’OPEP avaient brusquement augmenté leur production pour faire
chuter les prix et regagner les parts de marché perdues au cours de
la période précédente en évinçant les concurrents dont la production ne s’avérait plus rentable. La baisse des prix avait été du même
ordre de grandeur que celle d’aujourd’hui, aussi bien en nominal
Pétrole : du carbone pour la croissance
qu’en réel. D’une moyenne de 31,5 dollars sur la période 19801985, les prix du baril de Brent étaient restés autour de 18 dollars
entre 1986 et 1999.
C’est encore l’excès d’offre qui prévaut en 2014 pour expliquer
la chute des prix, mais la situation est malgré tout particulière. La
hausse de la production depuis 2010 résulte presque exclusivement
de l’essor du pétrole de schiste aux États-Unis ; or la nature de ce
mode d’extraction pétrolière est différente et la production est
localisée dans la principale économie mondiale. Dès lors, une
grande partie des hypothèses de rééquilibrage du marché pétrolier
repose sur l’analyse du pétrole américain. L’exploitation du pétrole
non-conventionnel américain dépend étroitement des conditions
de rentabilité des nouveaux investissements et la production est
très réactive aux niveaux des prix. Or, avec un pétrole à 60 dollars
le baril, la rentabilité de nouveaux puits n’est plus assurée. C’est ce
que confirme la chute des nouveaux forages observée depuis
décembre 2014, et qui conduira à une baisse de la production dès le
deuxième semestre 2015. Cette réduction progressive de l’offre sera
de nature à faire remonter lentement les prix. Nous prévoyons
donc que le prix du Brent devrait osciller autour de 55 dollars le
baril tout au long de l’année 2015 et amorcer une légère hausse en
2016 pour finir l’année autour de 65 dollars. Ce niveau permettrait
d’assurer le maintien d’une production de pétrole de schiste aux
conditions minimales de rentabilité et donc d’éviter la disparition
de ce secteur d’activité. Cette prévision de prix ne tient pas compte
d’éventuels mouvements liés à la volatilité du marché.
Cette prévision nous a poussés à évaluer l’impact du maintien
d’un prix du pétrole relativement bas. L’exercice analytique correspondant a été réalisé sur la base de variantes économétriques. Pour
cela, nous disposons à l’OFCE de deux modèles pour l’économie
française : e-mod.fr un modèle macroéconométrique qui nous
permet de mesurer l’impact macroéconomique d’un choc, et
ThreeME, un modèle multisectoriel conçu pour cerner l’impact des
politiques énergétiques et environnementales (associées ici à un
choc) et mesurer les transferts d’activité d’un secteur à un autre.
L’évaluation des effets du choc, réalisée directement par e-mod.fr est
complétée par la prise en compte de l’impact du choc sur
l’économie mondiale et donc par le surcroît de demande adressée à
la France par le reste du monde. Le même exercice est reproduit
3
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pour les principales économies de la zone euro (Allemagne, Italie et
Espagne) et aussi pour le Royaume-Uni et les États-Unis. À
l’exception de ce dernier, l’impact pour les autres pays est significatif et relativement similaire. Comme on pouvait s’y attendre, les
États-Unis se distinguent par des effets sectoriels très différents et
très marqués. S’ils bénéficient des mêmes effets positifs que les
autres pays consommateurs, la chute du prix du pétrole, qui frappe
de plein fouet l’activité de production du pétrole non-conventionnel, occasionne des ajustements en termes d’investissement et
de valeur ajoutée qui vont peser sur l’activité. Pour terminer, nous
comparons nos résultats avec ceux des grands modèles macroéconométriques utilisés dans d’autres institutions. Globalement, il
ressort de nos estimations que le contre-choc pétrolier est un coup
de pouce très positif à la croissance de l’économie mondiale. Il faut
noter toutefois que ce surcroît de croissance s’accompagne d’un
coût environnemental fort. Dans l’hypothèse d’une baisse permanente de 20 dollars le baril, la production de CO2 supplémentaire
atteindrait près de 3 Mt CO2, soit près de 1 % du total émis en 2013.
1. La nouvelle donne pétrolière pour 2015 et 2016
La baisse du prix du pétrole depuis l’été 2014 est spectaculaire.
Fluctuant autour de 110 dollars depuis le début 2011, le Brent a
perdu 46 % de sa valeur entre juillet 2014 et février 2015 pour
arriver à 55 dollars le baril. En euros, la baisse est également significative : le prix du baril est passé de 82 euros en juin 2014 à 51 euros
en février 2015, soit une baisse de 38 %. Le choc est d’ampleur
comparable à celui enregistré entre juillet et décembre 2008 lors de
la Grande Récession ou entre novembre 1985 et juillet 1986 au
moment du contre-choc pétrolier (graphique 1).
Pour avoir un impact positif sur les pays consommateurs, la
baisse enregistrée depuis 6 mois doit être durable. Un choc ponctuel, suivi d’un retour au prix qui prévalait antérieurement,
n’aurait que des effets transitoires, sans effet majeur sur la trajectoire de croissance des économies consommatrices. Au vu des
déterminants traditionnels du prix sur le marché et du comportement des différents acteurs, le niveau des cours atteint en ce début
d’année 2015 semble bien correspondre à un nouvel équilibre,
offrant la perspective de coûts d’approvisionnement en énergie
durablement plus bas à l’horizon de la fin 2016.
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Pétrole : du carbone pour la croissance
La baisse du prix de ces six derniers mois résulte d’un déséquilibre apparu entre l’offre et la demande au début de 2014 qui, à la
différence des situations semblables observées au cours des
10 dernières années, s’est inscrit dans la durée (graphique 2).
L’excès d’offre cumulé tout au long de 2014 dépasse largement
ceux de 2008 ou de 2012.
Graphique 1. Prix du baril de pétrole en dollars et en euros, et en dollars
aux prix de 1980 *
Échelle logarithmique
128
Dollars courants
64
32
16
8
Dollars de 1980
Euros courants
4
2
1
72 74 76 78 80 82 84 86 88 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14
* Déflatés par le déflateur de la consommation des États-Unis.
Sources : US EIA, US BLS.
Graphique 2. Excès de production (+) et de demande (-) mondiales de pétrole
En millions de barils/jour
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
-0,5
-1,0
-1,5
-2,0
-2,5
05
06
07
08
09
10
11
Sources : Energy Information Administration, calculs des auteurs.
12
13
14
15
16
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Le gonflement des stocks tient moins au ralentissement modéré
de la demande, passée d’une hausse annuelle de 1,5 à 1 % entre la
fin 2013 et la fin 2014, qu’à un afflux d’offre, dont le rythme
annuel de progression a crû de 1 à 3 % sur la même période, sous
l’effet de la montée en puissance de l’exploitation du pétrole de
schiste nord-américain (graphique 3). Face au gonflement de l’offre,
l’absence de réaction de l’Arabie saoudite, traditionnel gendarme de
l’OPEP, qui a maintenu son niveau de production aux plus hauts de
ces quinze dernières années, illustre la volonté du pays de faire
baisser les prix. Ainsi, lors de sa réunion du 27 novembre dernier,
l’OPEP a maintenu son objectif de production à 30 millions de
barils jour (mbj), malgré les demandes appuyées du Venezuela, de
l’Iran et de l’Algérie pour une réduction du quota. La cible de
30 mbj n’est d’ailleurs qu’indicative. L’objectif n’a rien de contraignant pour les membres de l’organisation : la production lui est
supérieure de 0,6 mbj et ce, malgré les attaques contre les installations pétrolières en Libye (dont la production a ainsi chuté de 1,5 à
0,5 mbj de 2012 à 2014). Signalons aussi que l’offre de l’OPEP est
alimentée par la croissance de la production irakienne qui a atteint
un nouveau record en décembre 2014 à 3,7 mbj, à la suite d’un
accord signé à mi-novembre entre Bagdad et le gouvernement de la
région du Kurdistan, réglant un vieux litige sur les ventes de pétrole
et le paiement des salaires des fonctionnaires.
Le comportement de l’OPEP montre bien que le cartel continue
à utiliser son pouvoir de marché pour peser sur la baisse des prix et
contenir une diversification de l’offre en décourageant les investissements dans l’exploitation de ressources nouvelles à coût
marginal élevé. Sous les 60-80 dollars le baril, l’exploitation des
huiles de schiste se fait à un prix inférieur au seuil de rentabilité, ce
qui doit conduire à une réduction des forages et à l’arrêt des investissements (encadré 1). Par ailleurs, la situation de contango du
marché, c’est-à-dire l’anticipation d’un prix à trois mois supérieur
au prix au comptant (prix spot), place les producteurs existants et
les investisseurs en position d’attente dans l’espoir d’une amélioration des conditions d’exploitation de ressources à l’heure actuelle
non rentables. La production américaine devrait rester forte au
premier semestre 2015, prolongeant la situation d’excès d’offre,
avant de commencer à décliner dans la seconde moitié de l’année
au terme de laquelle le déséquilibre devrait s’annuler. En 2016, la
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Pétrole : du carbone pour la croissance
régulation de l’offre sous l’effet de la baisse des prix s’accentuera
par la baisse de la production non-OPEP, avec pour conséquence la
réapparition d’un sous-approvisionnement du marché. Les pays de
l’OPEP en revanche, Arabie saoudite en tête, devraient produire
davantage en 2016, afin de poursuivre leur objectif de maintien et
même de gains de parts de marché sur l’Amérique du Nord.
Les risques géopolitiques, qui entachent toujours d’incertitudes
les perspectives du marché pétrolier, pourraient, s’ils se réalisaient,
provoquer des ruptures d’approvisionnement localisées susceptibles de raréfier davantage l’offre d’ici à la fin 2016. L’instabilité
politique prédomine toujours en Libye, et la secte Boko Haram fait
planer la menace d’une déstabilisation à grande échelle du nord du
Nigéria, dont la production dépassait les 2,4 mbj en 2014. En
revanche, l’accord-cadre signé à Genève le 2 avril dernier entre
l’Iran et le G5+1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni
et Allemagne) sur l’épineuse question nucléaire semble rendre
possible la perspective d’un accord final (la date de fin juin 2015
est avancée) qui pourrait marquer la levée des sanctions internationales et à terme, le retour du pétrole iranien sur le marché.
Graphique 3. Production de pétrole des trois principaux producteurs
En millions de barils/jour
13
12
11
10
Arabie saoudite
Russie
9
8
Amérique du Nord*
7
6
00
01
02
03
04
* États-Unis + Canada.
Source : Energy Information Administration.
05
06
07
08
09
10
11
12
13
14
8
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Aux délais d’ajustement de l’offre comme mécanisme régulateur
du marché vient s’ajouter la rigidité de la demande pour maintenir
le prix sous son niveau de 2011-2014. D’une part, la demande de
pétrole est structurellement inélastique au prix à brève échéance.
L’intensité pétrolière, c’est-à-dire la quantité de pétrole nécessaire
pour obtenir une unité de PIB, ne répond pas aux variations de prix
à court terme car les possibilités de substitution entre les différentes sources d’énergie sont techniquement très limitées.
L’horizon d’une possible inversion de la tendance baissière de
l’intensité pétrolière des pays consommateurs, hypothèse à n’envisager que si le prix s’installe durablement à des niveaux plus bas
par rapport à ceux qui prévalaient ces dernières années, est bien
plus éloigné que celui de notre prévision. Or d’ici à la fin 2016, une
hausse importante de la demande ne semble pas envisageable.
D’autre part, même si l’horizon conjoncturel s’améliore en zone
euro en 2015 et en 2016, en raison en partie du choc positif
entraîné par la chute des prix du pétrole, la croissance mondiale
restera peu dynamique avec un tassement dans les pays émergents
gros consommateurs de produits pétroliers en 2015 (Chine notamment) et un ralentissement aux États-Unis en 2016, limitant la
progression de la demande (tableau 1).
Le prix du Brent en dollars devrait toucher le point bas de sa
phase actuelle de baisse au deuxième trimestre 2015. Une nouvelle
hausse des cours n’est pas à exclure à partir du quatrième trimestre
sous l’effet du reflux de l’excès d’offre, remontée qui se poursuivrait en 2016. À cet horizon, le prix rejoindrait les 65 dollars le
baril, ce qui représente une baisse de 40 % par rapport au prix
moyen observé entre 2011 et 2014. La baisse de l’euro (passant de
1,33 dollar en 2014 à 1 dollar en 2015) va toutefois largement
réduire l’allègement de la facture pétrolière des pays européens en
ramenant le prix du brut exprimé en euros en 2015 à 56 euros, soit
seulement 24 % sous son niveau de 2014. La baisse serait donc bien
durable et bienvenue, bien que modérée pour des pays qui
souffrent depuis plusieurs années d’un déficit chronique de croissance. En 2016, le taux de change se stabiliserait autour d’un euro à
0,95 dollar, ce qui conduirait à une appréciation du baril en euros
de 17,5 % et annulerait en partie les effets de baisse de 2015.
Tableau 1. Équilibre sur le marché pétrolier et prix des matières premières industrielles
Millions de barils/jour sauf mention contraire, cvs
2014
Demande mondiale
PIB mondial
T3
T4
T1
T2
T3
T4
T1
T2
T3
T4
91,5
91,8
92,4
92,8
93,0
93,2
93,5
93,8
94,1
94,8
95,0
94,9
1
1
1
2013
2014
2015
2016
91,2
92,1
93,4
94,7
1,7
1,0
1,4
1,4
2,7
2,7
3,0
3,2
-1,0
-1,7
-1,6
-1,8
91,9
92,5
93,4
93,9
94,1
94,3
94,3
94,2
94,1
94,1
94,2
94,4
90,9
92,9
94,2
94,2
OPEP 2
36,4
35,9
36,6
37,0
37,2
37,3
37,3
37,4
37,6
37,8
38,0
38,1
36,5
36,5
37,3
37,9
Non OPEP
55,5
56,6
56,8
56,8
56,9
57,0
57,0
56,8
56,5
56,3
56,2
56,3
54,3
56,4
56,9
56,3
0,5
0,7
1,0
1,0
1,1
1,1
0,8
0,4
0,0
-0,7
-0,8
-0,6
-0,4
0,8
0,8
-0,5
-0,2
0,4
0,4
0,8
0,6
0,3
0,0
0,3
-0,3
-0,2
-0,2
0,0
-0,1
0,3
0,3
-0,4
Intensité pétrolière
Production mondiale
Dont :
2016
T2
Variations de stocks
Dont : OCDE
Prix du pétrole Brent 3
108,3
109,7
102,0
76,2
54,1
55,0
55,0
57,0
60,0
60,0
65,0
65,0
108,7
99,0
55,3
62,5
Prix des matières
premières industrielles 1
-2,0
-1,2
0,6
-6,6
-9,9
5,0
6,3
2,4
0,6
0,6
0,6
0,6
-2,7
-4,9
-7,8
7,6
Taux de change 1 €= … $
1,36
1,38
1,34
1,25
1,13
1,00
0,95
0,95
0,95
0,95
0,95
0,95
1,32
1,33
1,01
0,95
Pétrole : du carbone pour la croissance
En taux de croissance
2015
T1
1. En %, variation par rapport à la période précédente.
2. Hors Angola et Équateur, bien que ces deux pays soient membres de l’OPEP depuis 2007, ils ne sont soumis à aucune contrainte de quota.
3. En dollars, moyenne sur la période.
Sources : EIA (pétrole), indice HWWA Hambourg (matières premières industrielles), calculs et prévision OFCE avril 2015.
9
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Encadré 1. L’impact du choc sur le pétrole de schiste
aux États-Unis
Après plus de 20 ans de déclin, la production américaine de pétrole a
connu une croissance très rapide au cours des cinq dernières années,
passant de 5,4 mbj en janvier 2010 à 9,2 mbj en janvier 2015
(graphique 4). Ces gains ont été obtenus grâce à la mise en production
des huiles de schiste (tightoil, aussi appelées pétrole de schiste) par
l’application des mêmes technologies ayant permis l’exploitation du gaz
de schiste à des gisements pétroliers – forages horizontaux et fracturation hydraulique.
Graphique 4. Production de pétrole par type au États-Unis (2000-2014)
Millions de barils par jour
10
9
Pétrole conventionnel
Pétrole de schiste
8
7
6
5
4
3
2
1
0
00
01
02
03
04
05
06
07
08
09
10
11
12
13
14
Source : US EIA.
Selon l’EIA, cette augmentation très rapide de la production domestique a conduit les États-Unis à ne plus importer que 27 % de leur
consommation de pétrole en 2014, contre 49,3 % en 2010. Au cours de
la même période, le poids dans la valeur ajoutée de l’industrie pétrolière
et des industries de supports à l’extraction est passé de 1,7 % à 2,1 %.
Ces profondes évolutions ont fait des États-Unis un pays tant consommateur que producteur de pétrole, ce qui modifie l’impact de
l’évolution des prix du pétrole sur son économie.
En particulier, l’extension rapide de la production domestique de brut
a été largement facilitée par le maintien des cours à un niveau élevé
depuis 2010. Aussi, leur chute rapide depuis l’été 2014 remet en question la rentabilité du pétrole de schiste. Son extraction se caractérise par
un cycle court : la production atteint son maximum au cours du premier
mois d’exploitation du puits, puis décline très rapidement, à des taux
variant de 60 % à 90 % dès la première année. La production d’un puits
est généralement résiduelle dès la troisième année d’exploitation. Pour
maintenir la production d’un gisement, il est donc nécessaire de forer en
11
Pétrole : du carbone pour la croissance
permanence de nouveaux puits, afin de compenser la chute de la
production des puits plus anciens.
Avant que les prix du brut n’entament leur correction brutale à l’été
2014, les seuils de rentabilité communément cités pour les pétroles de
schiste américains oscillaient entre 60 et 80 dollars le baril. Depuis que
le baril de référence du marché américain, le West Texas Intermediate
(WTI), se négocie autour de 50 dollars, certains experts avancent même
le chiffre de 40 dollars1. Cette nouvelle estimation est souvent justifiée
par des gains de productivité réalisés sur les forages, mais surtout par un
recentrage des producteurs sur les zones les plus productives d’un gisement (appelées sweet spots).
Par ailleurs, le nombre de foreuses en activité a chuté brutalement de
49 % entre novembre 2014 et début avril 2015 (graphique 5). Cette
chute s’est amorcée en décembre 2014 et coïncide avec le passage du
cours du baril sous les 70 dollars – ce qui semble confirmer que la rentabilité d’une part importante de la production ne peut plus être garantie
en deçà de ce prix.
Graphique 5. Nombre de foreuses pétrolières en activité aux États-Unis
1 600
1 400
1 200
1 000
800
600
400
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Source : Baker Hughes.
La structure de coût de production du pétrole de schiste est très majoritairement dominée par les coûts fixes de forage et de complétion des
puits. Par conséquent, les puits déjà forés peuvent continuer à dégager
des flux de trésorerie positifs au niveau actuel de prix du baril. En
revanche, la réduction précipitée du rythme de forage ne permettra pas
de remplacer l’épuisement continu des puits existants. Elle conduira
donc, avec un délai de un à deux ans – compte tenu des taux de déclin
1. Marianne Kah, Economiste en chef de ConocoPhillips, in Wall Street Journal, 29 octobre
2014.
12
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
moyens observés – à une chute toute aussi rapide de la production de
pétrole aux États-Unis, au recentrage sur les zones les plus productives.
L’exploitation rapide des gisements de pétrole de schiste est principalement le fait de producteurs dits indépendants2, focalisés sur cette
activité, et donc particulièrement vulnérables à la volatilité des cours
internationaux. Par ailleurs, cette exploitation étant intensive en
capital, ces indépendants ont eu recours à de la dette obligataire pour
financer leurs opérations – pour un montant total de 285 milliards de
dollars au 1er mars 2015 (Yozzo& Carroll, 2015), dont 119 milliards
d’obligations high-yield3. L’impact de la chute du prix du baril est particulièrement important sur ce dernier segment : la part d’obligations
« pourries » (les « junk bonds ») y est passée de 1,6 % en mars 2014 à
42 % en mars 20154, soit 50 milliards de dollars.
En plus d’un fort ralentissement de l’industrie pétrolière et d’une
réduction à venir de la production domestique de pétrole de schiste, la
chute des cours du pétrole pourrait donc également provoquer une
vague de défaut au sein du segment high-yield du marché obligataire
américain.
2. L’impact de la baisse du prix du pétrole
Dans cette partie, nous cherchons à évaluer l’impact macroéconomique de la baisse du prix du pétrole. Nous nous intéressons
dans un premier temps au cas de l’économie française. Après être
revenus sur les effets théoriques à attendre d’une baisse du prix du
pétrole, nous évaluons l’impact à attendre sur l’économie d’une
baisse de 20 % du prix du baril de pétrole (correspondant à une
baisse de 20 dollars sur 100 dollars le baril) à l’aide du modèle
macroéconomique e-mod.fr de l’OFCE. Les effets sectoriels attendus
sur l’économie française sont étudiés avec le modèle macroéconomique multisectoriel pour l’économie française ThreeMe de l’OFCE,
l’ADEME et TNO. Puis nous étendons ces résultats aux grandes
économies de la zone euro – Allemagne, Italie, Espagne – ainsi
qu’au Royaume-Uni et aux États-Unis, en adaptant les simulations
aux caractéristiques propres à chaque pays (production, importations et intensité énergétique). Nous revenons aussi sur le cas
2. Par opposition aux majors du pétrole, issus de la rupture du monopole de Standard Oil
en 1911.
3. Obligation dont la notation est inférieure à BB.
4. Source: Standard & Poor’s.
Pétrole : du carbone pour la croissance
particulier des États-Unis, et les effets à attendre sur son économie,
de l’ajustement potentiellement rapide de la production du pétrole
de schiste.
2.1. Retour sur les mécanismes de transmission à l’économie
d’une baisse des prix du pétrole
De nombreux travaux5 soulignent l’importance de l’origine
d’un choc pétrolier pour mesurer son impact sur l’économie. Si
l’on considère qu’une forte variation du prix du pétrole reflète une
situation de déséquilibre du marché pétrolier, le déséquilibre peut
provenir de la composante de la demande (choc de demande), de
celle de l’offre (choc d’offre), ou bien les deux à la fois. Ainsi, la
chute des prix du pétrole peut s’expliquer par une brutale contraction de la croissance économique mondiale (comme en 2008 par
exemple). Dans ce cas, le bas niveau des prix du pétrole provoqué
par le retournement de la croissance aura un faible effet sur la croissance. Il sera inefficace pour s’opposer au retournement et mettre
en place les mécanismes d’une reprise durable. À l’inverse, une
chute des prix du pétrole peut provenir d’un afflux d’offre sur le
marché pétrolier (venant d’une stratégie de grands producteurs ou
bien de l’exploitation de nouvelles ressources récemment découvertes et économiquement rentables) et s’avérer indépendante des
conditions de la croissance économique. Dans ce cas, la baisse des
prix du pétrole aura un impact beaucoup plus fort sur la croissance
économique du fait qu’elle n’est pas endogène au ralentissement
de la demande et qu’elle pourra au contraire s’y opposer plus efficacement en stimulant la demande.
Cependant, l’origine d’un choc pétrolier n’est pas toujours
facile à cerner. Ainsi, en décembre 2014, Arezki et Blanchard (FMI)
ont tenté l’exercice sur le choc actuel. Il s’agissait pour eux de
comprendre l’écart de prix entre leurs prévisions d’octobre 2014
(99,36 dollars le baril en 2015 après 102,76 dollars en 2014) et
l’évolution observée des prix en décomposant l’origine de l’écart.
En considérant les révisions de demande de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) entre juillet et décembre 2014 et l’évolution
des facteurs d’offre, les auteurs concluent que la baisse récente des
prix du pétrole s’expliquerait à hauteur de 20 à 35 % par des révi5.
De nombreuses références bibliographiques seront trouvées dans Archanskaïa et al., 2012.
13
14
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
sions de la demande et environ 60 % par des facteurs d’offre. Nous
ne nous livrons pas ici à cet exercice de décomposition mais il est
intéressant de montrer que la nature du choc actuel est double, et
que probablement, la composante offre est largement supérieure à
l’effet demande.
La baisse du prix du pétrole entraîne un transfert de richesse des
pays exportateurs nets de pétrole vers les pays importateurs nets de
pétrole via la balance commerciale, et globalement, une augmentation de la croissance mondiale, le surcroit de croissance engendrée
par la baisse des prix dans les pays importateurs nets étant supérieur à l’impact récessif dans les pays exportateurs nets. Arezki et
Blanchard (FMI) évaluaient à la suite de leur exercice de décomposition, le surcroit de croissance mondiale lié à la chute des prix du
pétrole, à entre 0,3 % et 0,7 % en 2015 par rapport à un scénario de
prix stables.
La baisse des prix du pétrole se transmet aux ménages via la
baisse du prix des produits pétroliers entrant dans le panier de
biens consommés (soit 5 % du panier en France), ce qui permet
d’accroître le pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages et
d’encourager des dépenses supplémentaires. Les entreprises, quant
à elles, vont bénéficier d’une baisse du prix de leurs consommations intermédiaires, et donc des coûts de production, d’abord
dans les branches très utilisatrices de pétrole puis par des effets de
diffusion à l’ensemble de l’économie. Selon le degré de concurrence sur les marchés, ces baisses vont provoquer une baisse des
prix de vente ou une augmentation du taux de marge. Si la reconstitution des marges des entreprises peut modérer l’impact
désinflationniste, les effets sur les prix finaux vont malgré tout être
de nature à détendre davantage les progressions salariales, ce qui à
son tour va peser sur les hausses de prix à la consommation. C’est
l’effet de deuxième tour via la dynamique de la boucle prix-salaire
qui viendra s’ajouter à la baisse initiale des prix à la consommation. Cette décélération des salaires nominaux n’empêchera pas
malgré tout une hausse du coût réel du travail par salarié pour
l’entreprise (le prix du PIB baissant plus vite que les salaires nominaux), que celle-ci compensera par un surcroît de productivité. En
effet, la demande supplémentaire en provenance principalement
des ménages, mais aussi des entreprises, amenées à investir davantage, encourage les entreprises à embaucher davantage mais
Pétrole : du carbone pour la croissance
permet également des gains de productivité. Ce choc de demande
positif peut être renforcé par un effet psychologique non négligeable affectant la confiance des consommateurs et des entreprises
et qui peut renforcer la volonté de consommer des ménages (et
donc à réduire leur épargne de précaution). Les entreprises, qui
sont conduites à réviser en hausse leurs anticipations de débouchés
et dont les capacités de financement augmentent du fait de la
hausse de leurs marges, peuvent réviser également à la hausse leurs
projets d’investissement.
À cet effet direct de la baisse du prix du pétrole sur l’économie
d’un pays, s’ajoute l’effet indirect via les exportations. Le choc
étant symétrique, toutes les économies importatrices vont voir leur
croissance s’accélérer selon les mêmes mécanismes. L’impact sera
d’autant plus fort que l’intensité pétrolière de leur appareil
productif est élevée. Ce surcroît de croissance va donner lieu à des
besoins en importations accrus, et donc une demande étrangère
adressée au pays plus élevée. Les exportations vont augmenter et
amplifier le mouvement positif de soutien à la demande interne.
Pour les pays exportateurs, et notamment ceux qui sont lourdement dépendants de la rente pétrolière, la situation est inverse.
L’impact du choc pétrolier est clairement négatif. La baisse du prix
de vente sur les marchés mondiaux entraîne une dégradation du
rendement de l’industrie pétrolière, de moindres rentrées de
devises et une baisse des recettes fiscales. Le choc peut conduire à
un brutal ralentissement de l’activité économique. Cette récession
aggrave encore la réduction des rentrées fiscales et peut conduire à
accentuer la rigueur budgétaire rendue nécessaire par la chute des
revenus pétroliers – qui renforce à son tour la récession. Ce risque
est particulièrement grand dans nombre de pays de l’OPEP qui, au
cours de la période 2010-2013 – où le baril est resté en permanence
au-dessus de 100 dollars – ont mené des politiques budgétaires
particulièrement expansionnistes (tableau 2). Il s’ensuit une baisse
de la demande et des importations des pays exportateurs de pétrole
en provenance du reste du monde. Cette moindre demande
adressée des pays exportateurs de pétrole n’est pas suffisante
cependant pour neutraliser l’impact positif sur la croissance des
économies importatrices.
Les conséquences en termes d’équilibre des finances publiques
peuvent toutefois être absorbées par la présence d’un fonds souve-
15
16
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
rain. À ce titre, des pays comme le Koweït, les Émirats Arabes Unis,
ou encore la Norvège sont relativement protégés par la taille de leurs
fonds souverains, qui représentent chacun plus de deux fois le PIB
de leurs pays respectifs. L’Arabie saoudite, avec plus de 732 milliards
de dollars investis via son fonds souverain, est elle aussi largement
protégée à court terme des impacts de la chute des cours.
Tableau 2. Prix du pétrole et équilibre budgétaire des pays producteurs
Prix du pétrole en
dollars nécessaire
à l’équilibre des
finances publiques
(2014)
Rente
pétrolière*
en % du PIB
(2012)
Part des
exportations
d’hydrocarbures
dans les exportations totales (2012)
Part des
exports
dans le PIB
(2012)
Libye
184
52
98
—
Iran
130
22
70
—
Nigeria
123
15
84
31
Russie
118
14
71
30
Venezuela
118
27
95
26
Algérie
113
17
97
38
Iraq
109
46
—
45
Arabie saoudite
86
46
88
54
Émirats Arabes Unis
74
22
—
98
Norvège
40
9
70
41
* Rente pétrolière : exportations de pétrole évaluées au prix de vente moyen du baril.
Sources : World Development Indicators (Banque mondiale), Deutsche Bank, Fitch Ratings.
Pour résumer, à court terme, une baisse des prix du pétrole est
donc doublement positive dans les pays importateurs. Elle tend à
faire baisser les prix à la consommation et à stimuler la demande
intérieure. La croissance bénéficie également d’une demande extérieure plus élevée, malgré la baisse émanant des pays exportateurs
de pétrole frappés par la baisse de leurs revenus, et donc d’exportations plus soutenues. Cette hausse de la demande finale créé un
cercle vertueux de hausse de la production, de l’investissement et
de l’emploi.
Dans le cas d’un scénario normal où la baisse des prix du pétrole
se transmet à l’inflation sous-jacente et éloigne l’inflation de la
cible définie par la banque centrale, la politique monétaire peut
renforcer son caractère accommodant et baisser ses taux d’intérêt
réels. L’assouplissement de la politique monétaire s’ajoute alors à
l’effet expansionniste du contre-choc pétrolier. Dans la situation
actuelle de la zone euro où les taux d’intérêt sont déjà à un niveau
Pétrole : du carbone pour la croissance
plancher et où le risque porte davantage sur une entrée en déflation
que sur le développement de tensions inflationnistes, la baisse des
prix du pétrole peut renforcer encore davantage les tendances
déflationnistes en cours par des effets de second tour. Les anticipations d’inflation à 1 et 2 ans, en baisse depuis le début de 2013, ont
accéléré leur chute depuis juin 2014, et malgré les efforts de la BCE
pour lutter contre ce risque déflationniste, les anticipations d’inflation à moyen terme demeurent anormalement faibles, comme si les
agents doutaient de la capacité de la BCE à ramener l’inflation vers
sa cible de 2 % à moyen terme. Dans ce contexte très particulier où
la BCE est activement engagée dans la lutte contre la déflation, une
politique encore plus accommodante au sein de la zone euro n’aura
pas les effets escomptés sur les prix et sur la croissance. La situation
est différente aux États-Unis où le risque de déflation est écarté et
où la Réserve fédérale s’apprête à sortir de sa politique de taux 0. Ici,
la baisse des prix du pétrole devrait permettre de différer le relèvement prévu du taux des fonds fédéraux.
2.2. Quel impact sur l’économie française ? Variantes avec le modèle
e-mod.fr
À l’aide du modèle e-mod.fr – modèle macro-économétrique de
l’OFCE pour l’économie française – nous étudions l’impact d’une
baisse de 20 % du prix du baril de pétrole, qui passe de 100 dollars à
80 dollars, pendant 5 ans. Précisons tout d’abord que les simulations sont réalisées à politiques monétaire et budgétaire
inchangées. Les raisons évoquées précédemment justifient l’inertie
de la politique monétaire. À partir d’une matrice de demande
mondiale, nous avons intégré la hausse de la demande mondiale
adressée à la France en calculant l’impact attendu de la baisse du
prix du pétrole sur les économies partenaires de la France et son
impact sur sa demande adressée. Nous avons réalisé les simulations
en faisant l’hypothèse que la France maintient constante la compétitivité-prix de ses exportations par rapport à l’ensemble de ses
concurrents sur ses marchés à l’exportation6.
6. Ce point est discuté dans le rapport du Conseil d’analyse économique (2010). Les variantes
réalisées à partir du modèle NIGEM du NIESR montrent un effet défavorable de la baisse du prix
du pétrole sur la compétitivité-prix des exportations françaises, celles-ci étant moins intensives
en pétrole que les exportations des concurrents de la France.
17
18
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
L’impact d’une baisse de 20 dollars des prix du pétrole sur l’économie
française
En France, une baisse durable du prix du pétrole de 20 dollars
entraîne une hausse du PIB de 0,2 point la première année
(tableau 3). L’effet maximum est atteint au bout de 2 ans et atteint
0,3 point de PIB. Très rapidement la baisse du prix du pétrole se
transmet aux prix à la consommation : l’inflation en France
ralentit en moyenne de 1,2 point la première année.
Tableau 3. Impact d’une baisse de 20 dollars du prix du pétrole à partir
du modèle emod.fr
En %, en écart au compte central
Année
PIB total en volume (en%)
1
2
3
4
5
0,2
0,3
0,3
0,3
0,2
Contributions à la croissance (en %)
Importations
-0,1
-0,2
-0,1
-0,1
-0,1
Dépenses des ménages
0,2
0,3
0,3
0,3
0,2
Dépenses des administrations
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
Investissement des entreprises
0,1
0,1
0,1
0,0
0,0
Exportations
0,0
0,1
0,1
0,0
0,0
Variations de stocks
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,3
Demande intérieure
0,3
0,4
0,4
0,3
Solde extérieur
-0,1
-0,1
-0,1
0,0
0,0
Prix de la consommation des ménages
-1,2
-1,5
-1,3
-1,1
-0,8
Salaire nominaux
-0,5
-0,8
-0,7
-0,4
-0,1
Prix du PIB
-0,6
-0,9
-0,7
-0,4
-0,1
Salaire réel
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
Productivité horaire (secteur marchand)
0,2
0,2
0,1
0,0
0,0
Effectifs totaux (en milliers, en moyenne)
14
36
46
44
40
Effectifs salariés marchand (en milliers, en moyenne)
15
35
44
43
40
Effectifs totaux (en %, en moyenne)
Taux de chômage BIT (en point, en moyenne)
0,1
0,1
0,2
0,2
0,2
-0,1
-0,1
-0,2
-0,2
-0,1
Taux d'épargne des ménages (en point, en moyenne)
0,1
0,0
-0,1
-0,1
0,0
Taux de marge des SNF (en point, en moyenne)
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
Source : e-mod.fr, calculs OFCE.
Dans les entreprises, la baisse du prix du pétrole se traduit par
une baisse du prix des consommations intermédiaires. Cette baisse
va favoriser une restauration rapide des marges, mais permettre
aussi une baisse des prix de vente, ce qui renforce la baisse des prix à
la consommation (-1,5 point deux ans après le choc). Les salaires
nominaux ne s’ajustant qu’imparfaitement au prix de consommation, le salaire réel net augmente. Le pouvoir d’achat des ménages
19
Pétrole : du carbone pour la croissance
s’en trouve amélioré, ce qui stimule la consommation et par conséquent l’investissement et l’activité. Celle-ci se traduit par une hausse
de l’emploi, qui augmente aussi le pouvoir d’achat du revenu disponible brut via la hausse de la masse salariale réelle. À l’horizon de
2 ans, ce sont 36 000 emplois qui sont créés. La baisse du chômage
favorise une baisse du taux d’épargne qui stimule la consommation.
La hausse de la demande mondiale adressée à la France accentue
les effets positifs de la baisse du prix du pétrole sur l’activité. Cet
effet indirect augmenterait de près de 20 % environ la réaction de
l’activité pendant les deux premières années (tableau 4). La stimulation des exportations contribue au rebond de l’investissement.
En revanche, le dynamisme de la demande intérieure se traduit par
une hausse plus rapide des importations, et le solde du commerce
extérieur contribue négativement à la croissance du PIB les trois
premières années.
Tableau 4. Décomposition de l’impact sur le PIB de l’économie française
En %, en écart au compte central
Année
Effet direct
1
2
3
4
5
0,20
0,28
0,28
0,23
0,20
Effet via la demande adressée
0,04
0,05
0,05
0,04
0,03
Total
0,24
0,34
0,32
0,27
0,22
Source : e-mod.fr, calculs OFCE.
Ces simulations ont été reprises pour mesurer l’impact cumulé
des variations passées depuis 2011 et prévues des prix du pétrole
sur l’économie française. Les résultats sont présentés à taux de
change constants dans le tableau 3 de la synthèse France : la reprise,
enfin ! La chute des prix du pétrole constitue un soutien majeur à la
croissance du PIB en 2015 puisqu’elle devrait participer à hauteur
de 0,5 point de pourcentage. En 2016, la légère remontée des prix
fait que l’impact sera plus faible (0,1 point) et tiendra davantage à
la diffusion de la baisse passée. L’impact est essentiellement lié aux
effets directs sur l’économie nationale.
2.3. Les impacts sectoriels du choc sur l’économie française :
variantes avec le modèle ThreeME
En complément des variantes réalisées avec le modèle e-mod.fr,
nous évaluons également l’impact d’une baisse du prix du pétrole à
20
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
l’aide d’un autre modèle macroéconomique, ThreeME, développé
depuis 2008 dans le cadre d’un partenariat entre l’OFCE, l’ADEME
et TNO.
ThreeME est un modèle néo-keynésien multisectoriel spécialement conçu pour l’évaluation des impacts macroéconomiques des
politiques énergétiques et environnementales. L’économie française y est décomposée en 20 secteurs d’activité et 17 sous-secteurs
énergétiques, produisant 24 matières premières (dont 4 secteurs
énergétiques, électricité, pétrole, gaz et charbon). Dans le cadre
d’un scénario de baisse de prix du pétrole, cette approche multisectorielle permet de faire apparaître des transferts d’activité d’un
secteur à l’autre, en particulier en fonction de leur intensité énergétique et de leur mix énergétique.
ThreeME est également un modèle dit hybride qui adjoint à un
modèle macroéconomique de l’économie française une représentation explicite des flux énergétiques, ainsi qu’une représentation
explicite des parcs de véhicules privés et de bâtiments. Cette dimension du modèle nous permet donc d’évaluer l’impact de la baisse du
prix du pétrole sur la transition énergétique, principalement au
travers de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les résultats macroéconomiques obtenus (tableau 5) pour une
baisse durable du prix du pétrole de 20 dollars sont comparables à
ceux du modèle e-mod.fr (sans prise en compte des effets sur la
demande mondiale adressée, voir précédemment). L’impact est de
0,31 point de PIB dès la deuxième année, et augmente à 0,37 point
de PIB si la baisse est maintenue cinq années consécutives. Au-delà
des cinq premières années, on retrouve bien un retour à l’équilibre
similaire à celui observé dans les résultats d’e-mod.fr – la force de
rappel s’exerce toutefois de façon plus lente dans ThreeME. La
baisse du prix du pétrole se traduit par une diminution simultanée
de l’indice des prix à la consommation des ménages et de l’indice
du prix de production marchande. Cela conduit à une augmentation de la consommation des ménages, principale source du
surplus de croissance, ainsi qu’à une amélioration du taux de
marge des entreprises.
Si la baisse du prix du pétrole entraîne une relance de la croissance, il faut toutefois noter que cette croissance n’est pas verte :
une réduction du prix de baril cinq années durant conduirait à un
21
Pétrole : du carbone pour la croissance
surcroît d’émissions de 2,94 MtCO2, soit près d’1% du total émis
par la France en 2013.
Tableau 5. Impact d'une baisse de 20 dollars du prix du pétrole à partir
du modèle ThreeMe
En %, en écart au compte central
1 an
2 ans
3 ans
5 ans
0,37
PIB en volume
0,23
0,31
0,35
VA du secteur marchand
0,24
0,32
0,36
0,38
Consommation des ménages
0,39
0,49
0,54
0,53
Investissement
0,10
0,20
0,26
0,33
0,38
Investissement des SNF et SI
0,12
0,22
0,30
Exportations
0,08
0,18
0,27
0,43
Importations
0,18
0,27
0,35
0,44
Prix à la consommation des ménages
-0,60
-0,74
-0,83
-0,99
Prix de production marchande
-0,93
-0,43
-0,60
-0,73
Salaire réel net
0,62
0,62
0,54
0,40
Coût réel du travail
0,01
0,07
0,04
-0,01
Emplois salariés en milliers
17,99
36,43
53,01
75,28
Taux de chômage (en points)
-0,36
-0,07
-0,15
-0,23
Balance commerciale (en points de PIB)
0,36
0,31
0,28
0,25
Émissions de CO2 (en MtCO2)
0,92
1,45
1,99
2,94
Source : modèle ThreeME, OFCE.
La structure multisectorielle du modèle permet également
d’étudier l’impact différencié de la baisse du prix du pétrole sur
chacun des secteurs de l’économie et d’en identifier ainsi les principaux bénéficiaires. Nous présentons ci-dessous l’impact moyen
d’une réduction de 20 % du prix du pétrole pendant les deux
années qui suivent la baisse, sur l’emploi, la valeur ajoutée et la
production (tableau 6).
On observe que les secteurs grands consommateurs de pétrole et
de produits raffinés sont les principaux bénéficiaires de la chute des
cours du brut : la chimie organique, le transport routier de marchandises, l’industrie agro-alimentaire ou encore le transport aérien
connaissent les plus fortes progressions en production. On note
également que pour ces secteurs où les intrants pétroliers représentent une part importante du total des consommations
intermédiaires, la baisse du prix du pétrole permet une restauration
plus rapide des marges. À l’inverse, le secteur des services marchands,
22
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
bien positionné pour bénéficier du regain de pouvoir d’achat des
ménages mais très peu consommateur de produits pétroliers voit sa
production augmenter sans pour autant améliorer ses marges.
On remarquera enfin que seul le secteur du transport ferroviaire
est impacté négativement : la chute du prix de l’essence consécutive à celle du baril réduit le coût du transport par route, ce qui rend
l’alternative ferroviaire moins attractive. Ce résultat confirme à
l’échelon sectoriel l’observation faite au niveau macro sur les émissions de GES : la baisse des prix du pétrole constitue également un
frein à la transition énergétique, en réduisant le coût d’utilisation
de biens et de services plus riches en intrants pétroliers.
Tableau 6. Impacts sectoriels d'une baisse de 20 % du prix du pétrole,
en écart au compte central
En %
Impact moyen sur deux ans
Emploi
VA
Agriculture, sylviculture et pêche
0,1
0,3
Industrie agro-alimentaire
0,2
Automobile
0,0
Verre
Production
Marges
0,2
0,0
0,5
0,4
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,3
0,2
0,3
Céramique
0,0
0,1
0,1
0,1
Papier et carton
0,1
0,3
0,2
0,3
Chimie minérale
0,1
0,7
0,2
4,3
Chimie organique
0,5
1,5
0,7
3,5
Matières plastiques
0,1
0,2
0,2
0,1
Sidérurgie
0,1
0,2
0,2
0,1
Métaux non ferreux
0,0
0,1
0,1
0,1
Autres
0,1
0,2
0,2
0,1
BTP
0,0
0,1
0,1
0,0
-0,2
Transports ferroviaires
-0,4
-0,5
-0,5
Transport routier de marchandises
0,4
0,8
0,7
0,3
Transport par voie fluviale
0,5
1,1
0,8
0,4
Transport aérien
0,2
0,5
0,4
0,4
Services marchands
0,2
0,3
0,3
0,0
Source : modèle ThreeME, OFCE.
2.4. Une comparaison de l’impact de la baisse du prix du pétrole :
des résultats contrastés entre les États-Unis et les pays européens
Dans cette section, nous décrivons les caractéristiques d’autres
pays quant à la place tenue par le pétrole et les autres formes
Pétrole : du carbone pour la croissance
d’énergie. Puis nous détaillons les effets attendus d’une baisse du
prix du pétrole sur les pays suivants : Allemagne, Italie, Espagne,
Royaume-Uni et États-Unis. Nous comparons enfin ces effets avec
ceux obtenus dans la littérature empirique.
Des caractéristiques énergétiques différentes selon les pays
Le tableau 7 distingue le pétrole des autres types d’énergie
produits et importés, ainsi que les intensités énergétiques et pétrolières pour les principaux pays et zones économiques mondiales.
Les données proviennent de l’AIE et sont calculées comme des
moyennes annuelles par unité de PIB sur la période 2000-2010. Le
rôle du pétrole est clairement différent entre les pays. Les ÉtatsUnis, le Japon, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la France, le
Royaume-Uni ainsi que les pays asiatiques – Chine incluse – sont
importateurs nets de pétrole7, tandis que le Moyen-Orient,
l’Amérique du Sud, l’Afrique et aussi l’Europe et l’Eurasie nonOCDE sont exportateurs nets. L’intensité pétrolière est globalement proche entre les pays et les zones, excepté au Moyen-Orient
où elle est deux fois plus élevée que la moyenne mondiale. Toutes
énergies comprises, les pays de la zone euro et le Japon ont une
intensité énergétique plus faible que les autres pays et zones. Aux
États-Unis, elle est très proche de la moyenne mondiale mais bien
plus élevée que celle des autres pays développés, tandis que les pays
d’Afrique, la Chine, le Moyen-Orient et les pays d’Europe et
d’Eurasie non-OCDE ont l’intensité énergétique la plus élevée.
Le rôle des autres formes d’énergie peut être important pour
comprendre les différences de réaction des pays à un choc sur le
prix du pétrole. En cas de forte variation du prix du pétrole, les prix
des autres sources d’énergie telles que le gaz naturel, peuvent aussi
varier de concert du fait d’une variation de la demande pour ces
autres formes d’énergie. C’est très clairement le cas quand la variation du prix du pétrole provient de l’accélération ou du
ralentissement de l’activité économique mondiale. Ces variations
concomitantes dépendent aussi du degré de substituabilité entre le
pétrole et les autres sources d’énergie.
7.
Depuis 2011, les États-Unis sont devenus exportateurs nets.
23
24
En tonnes équivalent pétrole / PIB en millions de dollars ppa 2005
Pétrole
Import.
nettes
Monde
Production
Énergie hors pétrole
Total
Import.
nettes
Production
Total
Énergie totale
Import.
nettes
Production
Intensité énergétique
Total
Pétrole
Autres
Total
0
68
70
0
128
127
0
197
197
0,07
0,13
0,20
OCDE
35
28
63
15
83
98
50
111
161
0,06
0,09
0,16
France
44
1
45
30
72
102
74
73
147
0,05
0,10
0,14
Allemagne
41
2
42
39
50
90
80
52
132
0,04
0,08
0,13
Italie
54
3
58
39
13
53
94
17
110
0,05
0,06
0,11
Espagne
51
0
51
46
27
73
97
27
124
0,06
0,06
0,11
Royaume-Uni*
-4
50
46
13
60
73
8
110
119
0,04
0,08
0,11
États-Unis
46
28
73
8
108
116
53
136
189
0,07
0,11
0,19
Japon
Afrique
54
0
54
57
25
82
111
25
136
0,06
0,07
0,13
-149
211
63
-52
267
215
-201
479
278
0,06
0,22
0,27
Asie (hors Chine)
35
28
63
-5
143
138
29
171
200
0,06
0,13
0,19
Chine (RPC et HK)
20
32
53
2
240
242
22
273
295
0,05
0,23
0,29
Amériques non OCDE
Moyen-Orient
Europe et Eurasie
non OCDE
-33
112
79
-21
92
71
-54
204
149
0,06
0,08
0,14
-435
637
201
-79
138
59
-514
775
261
0,13
0,12
0,25
-80
193
113
-86
355
270
-166
548
383
0,08
0,30
0,38
* Le Royaume-Uni est importateur net de pétrole depuis 2005.
Source : AIE, calculs OFCE.
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
Tableau 7. Différences structurelles de production d’énergie, d’importations d’énergie et d’intensité énergétique, moyenne 2000-2010
Pétrole : du carbone pour la croissance
L’Espagne est le pays qui a le plus à gagner du choc pétrolier,
les États-Unis sont ceux qui en bénéficient le moins
Compte tenu des différences de caractéristiques énergétiques
observées sur la période récente, on s’attend à obtenir des effets
différenciés entre les économies d’une baisse du prix du pétrole.
Pour les pays importateurs nets et non producteurs de pétrole tels
que l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne, l’effet attendu sera
d’autant plus positif que l’intensité pétrolière est élevée.
Concernant le Royaume-Uni, importateur net depuis 2005 mais
toujours producteur de pétrole brut, les effets négatifs d’une baisse
des revenus pétroliers devraient être assez faibles, compte tenu du
faible niveau des exportations nettes de produits pétroliers, et qui
peuvent être compensés par une baisse du prix des autres types
d’énergie importée. Mais aussi parce que la situation de ce producteur de pétrole est bien différente de celle des États-Unis. D’une
part, la production britannique est en déclin structurel, pour cause
d’épuisement des gisements exploités. La production dans les
champs de pétrole de Mer du Nord a été pratiquement divisée par
trois depuis 1999 – date du pic de production –, alors même que
l’investissement dans l’exploitation des gisements de la Mer du
Nord avait, jusqu’à la chute récente des prix du pétrole, fortement
augmenté – passant de 6 milliards de livres en 2010 à 14,4 milliards
en 20138. Le doublement des investissements sur la période 20102013 n’est parvenu ni à inverser cette tendance ni à découvrir de
nouvelles réserves significatives9. Le pétrole produit en Mer du
Nord y est extrait sur des plateformes pétrolières qui constituent
chacune un investissement de plusieurs milliards de livres, et sont
donc amorties sur des périodes beaucoup plus longues que les puits
forés pour 3 à 10 millions de dollars au sein des gisements de
pétrole de schistes américains10. Ceci concourt à créer un cycle
d’investissement bien plus long, et donc bien moins réactif qu’aux
États-Unis. D’autre part, le secteur minier dans son ensemble ne
représente plus que 2 % de la valeur ajoutée en 2014. Nous avons
donc considéré que l’impact négatif sur le secteur pétrolier serait
négligeable au niveau macroéconomique à court terme, et que
8. Oil and Gas Analytical Bulletin, Scottish Government, Mai 2014.
9. The Activity Survey 2015, Oil & Gas UK.
10. Statistical Review of World Energy 2014, British Petroleum.
25
26
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
l’économie britannique réagirait positivement à une baisse du prix
du pétrole via les mécanismes décrits plus haut.
Le cas américain est particulier puisque le pays est à la fois
importateur net de pétrole et gros producteur de pétrole, notamment de pétrole de schiste. Or l’extraction de pétrole de schiste est
réalisée sur des cycles de production assez courts, un puits ayant
une durée de vie moyenne de l’ordre de 2 ans. Par ailleurs l’investissement dans les pétroles de schiste paraît largement relié à court
terme au prix du pétrole et apparaît très réactif. L’effet attendu sur
l’économie américaine est donc plus complexe, puisqu’il doit être
positif via la hausse du pouvoir d’achat des ménages, la consommation et l’investissement des entreprises. Par contre, l’effet sectoriel
attendu sur la production de pétrole de schiste et son effet sur
l’ensemble de l’économie devrait être négatif à court terme via une
baisse de l’investissement d’une part et, avec la baisse rapide
attendue du nombre de puits de forage en activité, une baisse de la
production et de la valeur ajoutée du secteur pétrolier d’autre part.
Le graphique 6 présente les résultats des variantes à la suite
d’une baisse de 20 % du prix du baril de pétrole, qui passe de
100 dollars à 80 dollars, pendant 5 ans. Ces variantes sont obtenues à l’aide du modèle e-mod.fr. Dans le modèle, le pétrole
intervient via le prix de l’énergie importée, qui évolue à long terme
comme le prix du pétrole. Pour chaque pays, nous avons calculé
une part d’énergie importée corrigée de telle sorte que l’intensité
pétrolière corresponde à celle de chaque pays considéré.
Parmi les pays européens importateurs nets, l’Espagne gagne le
plus du fait d’une intensité pétrolière plus élevée, tandis que le
Royaume-Uni y gagne le moins. Les intensités pétrolières étant très
proches d’un pays à l’autre, les différences ne sont pas très importantes. Les États-Unis gagnent bien moins que les autres pays de la
baisse du prix du pétrole, la contraction de l’investissement et de la
production de pétrole de schiste pesant sur la croissance, particulièrement les deux premières années.
Les simulations tiennent aussi compte du bouclage macroéconomique mondial via une matrice de commerce mondial. De fait,
la croissance dans les pays importateurs nets de pétrole doit
stimuler leurs importations de biens et services, tandis que l’effet
récessif sur les pays exportateurs nets de pétrole doit diminuer la
27
Pétrole : du carbone pour la croissance
demande adressée à leurs pays partenaires. Le tableau 8 décompose
l’effet sur le PIB en un effet interne et en un effet dû à la variation
de la demande adressée, auxquels se rajoute l’effet sectoriel pour les
États-Unis. Globalement, la demande adressée ajoute un peu de
croissance aux pays européens, puisque ceux-ci commercent majoritairement entre eux. Pour les États-Unis, la demande adressée n’a
pas d’effet, la hausse de la demande des pays importateurs nets de
pétrole étant compensée par une baisse de la demande adressée des
pays exportateurs nets. L’effet sectoriel joue par contre un rôle très
important (encadré 2).
Graphique 6. Impact sur le PIB d’une baisse de 20 dollars du prix de pétrole
En %, en écart au compte central
0,40
0,35
0,30
ESP
ITA
DEU
FRA
GBR
0,25
0,20
0,15
0,10
0,05
USA
0,00
1
2
3
4
5
Année
Source : e-mod.fr, calculs OFCE.
Comme pour la France, on pourra retrouver les résultats de ces
simulations appliquées aux variations observées et cumulées des
prix du pétrole, à taux de change constant, pour les différents pays
présentés dans l’étude spéciale : « Le rôle des chocs économiques
dans les performances de croissance depuis 2011 dans les pays
développés ». Il ressort de ces calculs que la croissance des pays
européens devrait gagner environ 0,6 point de pourcentage en
2015 et encore 0,1 point en 2016 tandis que la croissance des
États-Unis n’en bénéficiera qu’à hauteur de 0,3 point en 2015.
L’impact cumulé sera même négatif en 2016, de l’ordre de 0,2 point de pourcentage.
28
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
Tableau 8. Décomposition de l’impact d’une baisse de 20 dollars du prix du pétrole
sur le PIB de différents pays
En %, en écart au compte central
France
Année
1
2
3
4
5
Effet direct
0,20
0,28
0,28
0,23
0,20
Effet via la demande adressée
0,04
0,05
0,05
0,04
0,03
Total
0,24
0,34
0,32
0,27
0,22
Allemagne
Année
Effet direct
1
2
3
4
5
0,21
0,29
0,28
0,24
0,20
Effet via la demande adressée
0,04
0,05
0,05
0,04
0,03
Total
0,25
0,35
0,33
0,27
0,23
Italie
Année
1
2
3
4
5
Effet direct
0,21
0,30
0,29
0,24
0,20
Effet via la demande adressée
0,04
0,05
0,05
0,04
0,03
Total
0,25
0,35
0,33
0,28
0,23
Espagne
Année
1
2
3
4
5
Effet direct
0,23
0,32
0,31
0,26
0,22
Effet via la demande adressée
0,04
0,05
0,05
0,04
0,03
Total
0,27
0,38
0,36
0,30
0,25
Royaume-Uni
Année
1
2
3
4
5
Effet direct
0,19
0,27
0,26
0,22
0,18
Effet via la demande adressée
0,04
0,05
0,05
0,04
0,03
Total
0,23
0,32
0,30
0,25
0,21
États-Unis
Année
1
2
3
4
5
Effet direct
0,25
0,36
0,34
0,29
0,24
Effet via la demande adressée
0,00
0,00
0,00
0,00
0,00
-0,09
-0,16
-0,25
-0,25
-0,25
0,16
0,11
0,09
0,04
-0,01
Effet sectoriel
Total
Source : e-mod.fr, calculs OFCE.
29
Pétrole : du carbone pour la croissance
Encadré 2. L’impact sectoriel de la baisse du prix du baril
de pétrole aux États-Unis
Le développement de l’industrie pétrolière américaine autour de
l’exploitation des pétroles de schiste se caractérise par la rapidité des
cycles de production : la production atteint son maximum au cours du
premier mois d’exploitation du puits, puis décline très rapidement, et
devient généralement résiduelle dès la troisième année d’exploitation.
Le maintien de la production d’un gisement nécessite donc de forer en
permanence de nouveaux puits pour compenser la chute de la production des puits plus anciens. La baisse brutale du prix du baril de pétrole
peut dès lors avoir un impact rapide sur la production de pétrole et la
valeur ajoutée du secteur si le nombre de puits en activité est sensible à
court terme aux variations du prix du pétrole. Or ce nombre de puits
dépend du nombre de foreuses pétrolières en activité, qui a fortement
chuté récemment (voir encadré 1). En 2014, l’investissement dans
l’exploration et le forage représente 5,2 % de l’investissement privé
total. La chute du prix du baril pourrait donc se traduire par une
contraction des investissements à court terme, qui viendrait grever la
progression de l’investissement global.
Effet sur l’investissement sectoriel
L’investissement dans le secteur minier représente 0,8 % du PIB. Il est
corrélé au nombre de foreuses pétrolières en activité, lui-même corrélé
avec le prix passé du baril de pétrole11 (graphiques 7 et 8). Pour estimer
l’impact de la baisse du prix du pétrole sur l’activité, on estime donc
l’impact du prix du pétrole sur le nombre de foreuses en activité et
l’investissement dans l’exploration et le forage. On en déduit l’impact
sur le PIB à partir du poids de l’investissement dans le PIB. On estime
ainsi qu’une baisse de 20 dollars du prix du baril se traduirait par une
baisse de l’investissement dans le secteur minier de 6,4 % la première
année (de 18,1 % la deuxième année), avec pour conséquence une
baisse du PIB de 0,07 point la première année et de 0,17 point la
deuxième année (tableau 9).
Tableau 9. Effet d’une baisse de 20 dollars du prix du pétrole
sur l’investissement et le PIB
En %, en écart au compte central
Année 1
Année 2
Nombre de foreuses pétrolières en activité
-9,4
-16,3
Investissement dans l’exploration et le forage
-6,4
-18,1
Investissement privé
-0,3
-0,9
-0,07
-0,17
PIB
Source : calculs OFCE.
11. Voir aussi le post du blog de la Réserve fédérale d’Atlanta : « Could Reduced Drilling Also
Reduce GDP Growth? » et « L’économie américaine à l’arrêt au premier trimestre : l’impact du
pétrole de schiste », sur le blog de l’OFCE.
30
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
Graphique 7. Nombre de foreuses pétrolières en activité et prix du baril
retardé d’un trimestre
Glissement annuel en %
120
Nombre de foreuses pétrolières en activité (ga)
100
80
60
40
20
0
-20
-40
Prix du baril - trimestre précédent (ga)
-60
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
Sources : EIA, Datastream, calculs et prévisions OFCE avril 2015.
Graphique 8. Investissement dans le secteur minier et nombre de foreuses
pétrolières en activité
Glissement annuel en %
120
100
Nombre de foreuses pétrolières en activité (ga en %)
80
60
40
20
0
-20
Formation brute de capital-fixe non résidentiel pour :
exploration minière, les puits, les derricks
-40
-60
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Sources : EIA, NIPA, calculs OFCE.
Production de pétrole de schiste et VA sectorielle
En 2013, la production de pétroles de schiste représentait 45 % de la
production totale de pétrole américain et représentait donc près de 1 %
du PIB réel total. À partir des données de production, on calcule l’élasticité de la production des pétroles de schiste au prix du baril de pétrole
sous la forme d’un modèle à correction d’erreur en données mensuelles,
sur la période 2011-2014. L’élasticité estimée s’élève à 0,34. Compte
tenu du retard estimé de 6 mois entre la variation du prix du pétrole et la
variation de la production de pétrole de schiste, on estime qu’une baisse
de 20 dollars du prix du baril se traduirait par une baisse de la produc-
Pétrole : du carbone pour la croissance
tion de pétrole de schiste de 1,6 % la première année, de 5,9 % la
deuxième année, et de 6,8 % dès la troisième année par rapport au
scenario avec prix du pétrole constant (graphique 9). L’impact sur le PIB
serait de -0,02 point la première année, et de -0,04 point la deuxième
année, soit un impact cumulé de -0,06 point au bout de deux ans.
Graphique 9. Effet d’une baisse de 20 dollars du prix sur la production
de pétrole de schiste
En %, en écart au compte central
0
-1
-2
-3
-4
-5
-6
-7
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
Mois
Source : Calculs OFCE.
Emod.fr et les autres modèles : des résultats qui restent relativement
proches
Nous comparons les résultats de nos simulations avec les résultats
d’études et de modèles principalement utilisés dans les institutions
internationales (OCDE, FMI, Commission européenne) et les banques centrales (BCE). Les résultats sont corrigés pour que la taille des
chocs soit d’ampleur comparable (baisse de 20 dollars du prix du
baril), mais les comparaisons doivent être interprétées avec prudence.
Le premier point porte sur l’intégration ou non de la réaction
des autorités monétaires. On s’attend ainsi à un effet plus fort sur le
PIB en cas de réaction de la banque centrale, ce qui n’est pas
toujours le cas. Par exemple pour la zone euro les simulations avec
Quest, Multimod et Nigem, qui incluent une réaction de la banque
centrale donnent un effet moyen sur trois ans plus faible que celui
obtenu par la BCE (2010) sans réaction de la politique monétaire12.
12. C’est également le cas, non présenté ici, avec le modèle emod.fr qui montre qu’au bout de la
quatrième année, l’impact sur le PIB est plus faible avec réaction de la politique monétaire que
sans réaction.
31
32
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
Ensuite, les modèles peuvent intégrer une modélisation plus ou
moins détaillée de l’énergie et isoler ou non le pétrole des autres
énergies. Dans les simulations d’e-mod.fr, nous avons supposé que
la baisse du prix du pétrole importé se diffuse intégralement à
l’ensemble de l’énergie importée, ce qui amplifie l’effet du choc
comparé au cas sans diffusion aux autres types d’énergie.
Enfin, les modèles multinationaux peuvent intégrer un effet
compétitivité différentiel entre pays dû aux intensités énergétiques
différenciées. Une baisse de prix du pétrole favorise ainsi les économies ayant une forte intensité pétrolière puisque ceux-ci bénéficient
d’une baisse du prix de leurs consommations intermédiaires plus
importante relativement aux pays à faible intensité pétrolière.
Globalement, malgré ces écarts possibles entre les modèles et les
chocs simulés, les résultats sont proches pour les pays européens et
la zone euro dans son ensemble (graphiques 10 et 11). Pour les
États-Unis, l’intégration d’un effet sectoriel via la production de
pétrole de schiste implique un effet plus faible dans nos simulations que dans les autres modèles. Ceci s’explique par le fait que les
modèles utilisés en comparaison datent du début des années 2000,
bien avant le boom des pétroles de schiste, période durant laquelle
les États-Unis importaient plus des deux-tiers de leur pétrole contre
28 % aujourd’hui.
Graphique 10. Impact moyen (3 ans) sur le PIB d’une baisse de 20 dollars
du prix du pétrole
En %, en écart au compte central
0,7
0,6
Multimod* (FMIHunt et al. 2002)
Nigem*
(Barrel et al. 2004)
Quest* (CE 2011)
OFCE
BCE* (Jiménez-Rodriguez et al. 2004)
BCE (Strauch et al. 2010)
BCE (Monthly Bull. août 2010)
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0,0
FRA
DEU
ITA
* Simulation avec réaction de la politique monétaire.
Source : Calculs OFCE.
ESP
GBR
USA
EUZ
33
Pétrole : du carbone pour la croissance
Graphique 11. Impact sur le PIB de la zone euro d’une baisse de 20 dollars
du prix du pétrole
En %, en écart au compte central
0,6
0,5
BCE (Strauch et al. 2010)
Quest* (CE 2011)
0,4
Nigem* (Barrel et al. 2004)
0,3
OFCE
0,2
BCE* (Jiménez-Rodriguez et al. 2004)
0,1
Multimod* (FMI-Hunt et al. 2002)
0,0
1
2
3
4
5
Année
* Simulation avec réaction de la politique monétaire.
Source : Calculs OFCE.
Graphique 12. Impact sur le prix de la consommation de la zone euro d'une baisse
de 20 dollars du prix du pétrole (variantes France pour l'OFCE)
En %, en écart au compte central
0,0
Nigem* (Barrel et al. 2004)
-0,5
BCE (Strauch et al. 2010)
-1,0
Quest* (CE 2011)
OFCE,
e-mod.fr
OFCE, ThreeMe
-1,5
-2,0
Multimod* (FMI-Hunt et al. 2002)
-2,5
1
2
3
4
5 Année
* Simulation avec réaction de la politique monétaire.
Source : Calculs OFCE.
Concernant l’impact sur les prix de consommation (graphique 12), les différences sont plus marquées pour la zone euro
entre les modèles des institutions internationales. Pour la France,
l’impact sur les prix à la consommation dans le modèle e-mod.fr est
34
Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay
plus élevé que dans le modèle ThreeMe. Cela provient du fait que
dans ThreeMe, le choc porte exclusivement sur le prix des produits
pétroliers, alors qu’implicitement il porte aussi sur le prix du gaz
importé dans e-mod.fr. Par ailleurs, le modèle e-mod.fr peut surestimer l’impact sur l’indice des prix à la consommation, puisque la
TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), qui est un droit d’accise ne dépendant pas du prix du
pétrole13, n’est pas explicitée dans le modèle, de même que le
comportement de marge des distributeurs.
Pour le Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre a produit dans
son Inflation Report de février 2015 une simulation de l’effet sur
l’économie anglaise d’un choc de -10 % sur le prix du baril de
pétrole (tableau 10). À taille de choc comparable (-20 dollars sur le
prix du baril), l’effet calculé par la Banque d’Angleterre est plus
faible, de -0,13 point de PIB la première année (-0,06 point la troisième année). Cet écart peut s’expliquer en partie par le fait que la
baisse du prix du pétrole ne semble pas se répercuter intégralement
sur les prix des autres énergies importées. Il provient aussi de la
réaction de la Banque centrale : dans la simulation, la politique
monétaire réagit positivement à l’effet net des effets indirects et de
prix relatifs sur l’inflation, mais pas à l’effet direct du choc sur les
prix de consommation14.
Tableau 10. Effet comparé d’une baisse de 20 % du prix du pétrole
pour le Royaume-Uni
En %, en écart au compte central
Année 1
Année 2
Année 3
Modèle Banque centrale d’Angleterre
Effet direct
0,06
0,14
0,16
Effet via la demande adressée
Total
0,04
0,06
0,08
0,10
0,20
0,24
Simulations OFCE
Effet direct
0,19
0,27
0,26
Effet via la demande adressée
0,04
0,05
0,05
Total
0,23
0,32
0,30
Sources : Bank of England Inflation Report (février 2015), calculs OFCE.
13. En conséquence, la baisse du prix du pétrole n’a d’effet que sur une portion du prix des
carburants.
14. « Monetary policy responds to the net impact of indirect and relative price effects on
inflation, but not to the direct effects of the shock », Bank of England Inflation Report, février
2015, page 33.
Pétrole : du carbone pour la croissance
3. Conclusion
La baisse récente et importante du prix du pétrole aura un effet à
court terme sur la croissance dans les pays développés, structurellement importateurs nets de pétrole. Il se traduira par une poussée de
la consommation des ménages, favorisée par la hausse de leur
pouvoir d’achat à court terme, et un effet favorable sur les marges
des entreprises. Cet effet sera d’autant plus fort que les économies
ont une intensité pétrolière élevée et que les banques centrales
assouplissent leur politique monétaire à la suite de l’impact baissier
sur les prix à la consommation. Les pays européens gagneraient
ainsi 0,2 à 0,3 point de croissance la première année pour une
baisse de 20 % du prix du baril de pétrole. Les simulations sectorielles sur l’économie française indiquent que les principaux
bénéficiaires seront les secteurs grands consommateurs de pétrole
et de produits raffinés – la chimie organique, le transport routier de
marchandises, l’industrie agro-alimentaire, le transport aérien. Ce
regain de croissance focalisé sur les secteurs les plus intensifs en
carbone de l’économie se traduira toutefois par une augmentation
d’1 % des émissions de GES en France et ralentira, s’il se prolonge,
la réalisation de la transition énergétique.
L’incertitude plane néanmoins sur le caractère du choc qui
touche le prix du pétrole. En cas d’offre durablement supérieure à
la demande et du maintien de stocks abondants, un faible prix du
baril pourrait persister. Cependant la réaction rapide du secteur
producteur de pétroles de schiste aux États-Unis indique qu’une
baisse de la production pétrolière américaine est probable à un
horizon de 1 à 2 ans. Celle-ci aurait deux conséquences principales : un effet moins favorable de la baisse du prix du pétrole sur
la croissance américaine ainsi que la résorption du déséquilibre
offre-demande sur le marché pétrolier mondial entraînant une
remontée plus rapide du prix du baril de pétrole, ce qui limiterait
l’impact positif sur la croissance des pays importateurs nets.
Références
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