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Document destiné principalement à des professionnels
Stratégie et recherche économique
Regards sur les marchés
Hebdomadaire 12 avril 2010 nº2010-# 14
Dette émergente : un enthousiasme (toujours)
non dissimulé
Malgré la montée du risque souverain due aux craintes de dé-
fauts de certains pays d’Europe périphérique, les marchés de la
DE se sont bien comportés au premier trimestre 2010. Avec une
performance de plus de 8 %, les titres à haut rendement ont
largement surperformé les autres catégories de titres souve-
rains (2,5 à 3,0 %). Bénéficiant d’un résultat électoral positif et
de la reprise des discussions avec le FMI, l’Ukraine a enregistré
la plus forte hausse. Les obligations d’entreprises des pays
émergents (PE) n’ont pas été en reste avec une progression de
4,9 % de l’indice dédié, surperformant ainsi les actions émer-
gentes et les obligations américaines à haut rendement. Les
obligations émergentes en devise locale ont quant à elles gagné
quasiment 5 % en dollar US. Dans cette note, nous nous inter-
rogeons sur les perspectives de la dette émergente.
> Les économies émergentes continuent à surperformer
Ces dix dernières années, les PE ont enregistré une croissance
supérieure à celles des pays développés (PD). Cette tendance
devrait s’accélérer dans les prochaines années. Selon le FMI,
les pays en développement représenteront 75 % de la crois-
sance mondiale entre 2007 et 2012, contre 55 % entre 2002 et
2006. Si un découplage total des taux de croissance est impos-
sible compte tenu des liens commerciaux et financiers, un nom-
bre croissant de PE ont acquis un rythme de croissance auto-
nome et dynamique, grâce à une démographie favorable,
l’urbanisation et l’amélioration de leurs fondamentaux de crédit.
L’un des principaux facteurs expliquant les écarts de croissance
à venir entre PD et PE est la solidité de la situation financière
des seconds. Les problèmes de dette souveraine affectent
aujourd’hui surtout les PD. Pour quelle raison ? D’abord, les
comptes budgétaires des PE étaient bien plus robustes au
début de la crise, du fait des réformes de nombreux PE après
les crises asiatique/ russe (1997-98). Ensuite, les déficits bud-
gétaires des PE sont nettement inférieurs à ceux de leurs ho-
mologues développés, et cette solidité va être renforcée par leur
taux de croissance plus élevé. Enfin, si les gouvernements des
PD et émergents appliquent des politiques contra-cycliques
pour compenser les effets de la Grande récession, ces mesures
non-conventionnelles ont été bien plus utilisées par les PD.
Selon le FMI, les mesures par les PD ont dépassé 15 % de leur
PIB, contre seulement un peu plus de 1 % du PIB pour les PE.
Cela est dû au fait que les banques des PE étaient en meilleure
santé que celles des PD lorsque la crise a éclaté.
> La solvabilité des PE s’améliore par rapport aux PD
Au cours des dix dernières années, l’amélioration importante de
la qualité de crédit des PE s’est répercutée dans la hausse
régulière de leurs notes. Les trois indices de DE– EMBI Global
(titres souverains en dollar), CEMBI (obligations d’entreprises
en dollar) et GBI-EM (titres souverains en devise locale) – ap-
partiennent presque tous à la catégorie investment grade. Cette
tendance favorable devrait se poursuivre dans les prochaines
années. En revanche, la dynamique de crédit des PD est net-
tement moins positive. Malgré la solidité des fondamentaux, les
investisseurs institutionnels sous-pondèrent fortement les obli-
gations des marchés émergents. Le cabinet Watson Wyatt a
calculé en 2009 que l’allocation des fonds de pension à la DE
était inférieure à 0,5 %, alors qu’une pondération neutre dans
un portefeuille mondial devrait être proche de 4-5 %. Cette
sous-pondération, malgré sa persistance, semble s’atténuer.
Alors que la qualité de crédit des émetteurs émergents
s’améliore, les investisseurs ont largement amplifié leurs inves-
tissements au T1.10. Par rapport à la période pré-faillite de
Lehman, les spreads de la DE se sont resserrés de plus de
900pb, à environ 250pb, mais ils restent au-dessus de leur plus
bas historique (environ 150pb). Les spreads devraient continuer
à diminuer à court terme. Toutefois, nous voyons moins de
potentiel de hausse des obligations en dollar des émetteurs de
première qualité, en raison des perspectives de hausse des
taux d’intérêt aux Etats-Unis. Nous décelons cependant toujours
de la valeur dans la dette en dollar des titres souverains à ren-
dement élevé dont les fondamentaux de crédit s’améliorent,
dans la dette en dollar de nombreuses sociétés émergentes et
dans les obligations émergentes en devise locale offrant des
rendements élevés et dont la devise devrait s’apprécier.
> Les risques sont surtout liés aux marchés développés
Si le dollar poursuit sa hausse grâce à une croissance plus
soutenue qu’en Europe et au Japon, son impact se fera surtout
sentir par rapport aux devises d’autres PD (EUR et JPY) et non
vis-à-vis des devises émergentes. Nous identifions donc des
opportunités à court terme dans divers instruments de dette
libellés en devise locale. A plus long terme, les facteurs pesant
sur le dollar devraient se réaffirmer et ainsi favoriser les déten-
teurs de dette émergente. En outre, les banques centrales des
PE devraient commencer à relever leurs taux bien avant leurs
homologues du G3, ce qui amplifiera les flux d’investissement
dans les devises émergentes, les investisseurs cherchant à
diversifier leurs placements au détriment des obligations du G3.
Les investisseurs en DE restent bien entendu confrontés à des
risques. Nous en voyons quatre : 1) des erreurs de politique lors
du retrait des mesures censées améliorer la liquidité, prises fin
2008 et début 2009 afin de lutter contre les tendances défla-
tionnistes; 2) une amplification des tensions commerciales entre
les Etats-Unis et la Chine ; 3) un risque événementiel souverain,
probablement dans l’univers des PD, se répercutant sur les
marchés internationaux du crédit ; et 4) une hausse chaotique
du dollar liée à celle de l’aversion pour le risque. Même si ces
risques ne constituent pas notre scénario de base, chacun
d’entre eux pourrait renforcer la volatilité à court terme. Nous
estimons toutefois que tout mouvement de fuite vers la qualité
déclenché par un choc sur les PD constituerait une opportunité
d’achat sur le segment de la dette émergente.
Blaise Antin