Sortie de l'euro : et si on écoutait les entreprises ?, Etienne Lefebvre, Rédacteur en chef
"International - Politique et Économie générale" Les Échos
Il aura fallu attendre qu'il soit près de minuit lundi soir sur TF1 pour voir les candidats à la
présidentielle aborder l'avenir de l'Europe et la question clef d'une sortie de la zone euro, projet au
cœur du programme économique de Marine Le Pen. Avec un François Fillon alertant de manière
pertinente sur les conséquences d'un retour au franc pour l'économie française, et en particulier les
risques liés à une inflation galopante. Il restera deux débats télévisés d'ici au premier tour et plus
d'un mois de campagne pour aborder et aborder encore ce thème crucial, qui dépasse les clivages
habituels entre la droite et la gauche, et qui obsède à juste titre nos voisins européens. Au-delà des
réponses des candidats et des argumentaires nourris des différents think tanks (Terra Nova,
Institut Montaigne, etc.) sur l'impact macroéconomique désastreux d'une sortie de l'euro, il faut
écouter les chefs d'entreprise exposer très concrètement les problèmes insolubles auxquels ils
seraient confrontés si les électeurs français optaient pour l'aventure frontiste. Patrons du CAC 40
ou de grosses PME, certains commencent à le faire dans nos colonnes (lire page 9), et espérons que
d'autres sortiront de leur habituelle réserve. Renchérissement massif des produits qu'ils importent
pour faire tourner leurs usines hexagonales, qui ne pourrait être répercuté sur les prix de vente ;
dettes de leurs entreprises à rembourser avec des francs dévalués ; désorganisation complète de
schémas de production intégrés à l'échelle de l'Europe ; machines-outils devenant hors de prix ;
investisseurs se tournant vers d'autres pays ; pagaille du retour au franc dans le commerce... Les
chefs d'entreprise, quand ils parlent de leur quotidien, n'ont pas besoin de grandes équations pour
démontrer à quel point la déflagration serait forte. Et ne croyons pas que les entreprises qui ont fait
de l'Europe un marché domestique, grâce à la monnaie unique, représenteraient une part
marginale. L'étude de Business France publiée mardi rappelle à quel point l'économie française n'a
plus rien d'un village gaulois isolé, mais est aujourd'hui ouverte et mondialisée : plus de
30.000 entreprises françaises ont une implantation à l'étranger et plus de 20.000 sociétés
étrangères ont investi en France dans des activités créatrices d'emplois, les filiales de groupes
étrangers employant par exemple plus de 20 % des effectifs salariés dans l'industrie.
L'appartenance à la zone euro, contrairement à ce qu'affirme Marine Le Pen, ne condamne pas la
France au déclin, au contraire. Les projets d'investissements étrangers qui créent ou maintiennent
des emplois en France ont atteint l'an dernier un niveau record. C'est cette attractivité qu'il s'agit de
renforcer. Et surtout pas de détruire.