validation méthodologique et clinique d`un nouveau dosage

Présentation de F. ROUX
232 Revue de l'ACOMEN, 1998, vol.4, n°3
1. Introduction
Lantigène spécifique de la prostate (PSA) est une
protéinase de 240 acides aminés et dune masse molécu-
laire denviron 34 kD [15], qui joue un rôle majeur dans la
liquéfaction du liquide séminal. Cest une enzyme essen-
tiellement métabolisée par le foie [1], qui appartient au
groupe des kalicréïnes, mise en évidence par les travaux
de Wang [31] en 1979.
Un des problèmes de linterprétation des taux sériques de
PSA, en dehors de celui de la définition des standards [4,
12,28], vient du chevauchement des valeurs observées
entre cancer de la prostate ( Ca-P) et hypertrophie bénigne
de la prostate (HBP) dans une zone (la "grey zone" des
américains) allant de 4 à 10 ng/ml, pour plusieurs auteurs
[2, 7, 20], voire plus bas, jusqu'à 2,9 ng/ml pour Colberg par
exemple [10], ou 2,5 ng/ml pour Chen [8].
Dans le sérum, on sait quil est présent sous formes liées
et libres [9, 18]. On distingue effectivement trois formes de
PSA (Figure 1), le PSA libre (PSA-L) et le PSA lié à lAl-
pha-1-antichymotrypsine (PSA-ACT) retrouvés dans le
sérum et reconnus par les différentes trousses de dosa-
ges, ainsi que le PSA lié à l'Alpha-2-macroglobuline (PSA-
AM) qui est immunologiquement inactif [17].
- FIGURE 1 - Les trois formes de PSA dans le sérum
Ainsi, toutes les trousses de dosage du PSA sérique (sans
autre spécification) dosent, en fait, le PSA total (PSA-T)
[29], cest à dire la somme PSA-L + PSA-ACT. Notons à ce
sujet, mais nous ne développerons pas ce thème dans cet
article, que certaines trousses peuvent privilégier l'une ou
l'autre de ces deux formes si elles ne sont pas "équimolai-
res" [16,30].
Stenman en 1991 [29], constatait déjà que la forme liée est
prédominante en cas de Ca-P, doù lidée dutiliser le rap-
port R% = PSA-L x 100 / PSA-T pour aider, devant une
pathologie prostatique, au diagnostic différentiel entre
cancer et HBP et mieux poser l'indication des biopsies pros-
tatiques.
Dans un premier temps, nous avons effectué lexpertise
méthodologique de la trousse Tandem-R free PSA déve-
loppée par Hybritech et commercialisée en France par
Immunotech.
Ensuite, assurés des qualités analytiques de cette trousse,
nous avons entrepris la validation clinique de ce nouveau
paramètre, cest à dire une étude visant à démontrer que sa
détermination apportera effectivement un plus au clinicien
et à ses patients.
Dans la continuité des articles les plus récents [6,14,24,25],
nous ne nous sommes pas intéressés à linterprétation
des taux sériques de PSA libre mais plutôt à celle de la
proportion de PSA libre par rapport au PSA total, cest à
dire au rapport R%.
Il nous paraît essentiel de faire ce type détude avant din-
troduire un nouveau paramètre, afin de situer ses propres
résultats par rapport à la littérature, compte-tenu des con-
ditions locales : trousses utilisées, études rétrospectives
ou prospectives et surtout des conditions de recrutement
des cliniciens avec lesquels on sera amené à travailler sur
ce paramètre.
2. Matériel et Méthodes
2.1. Validation méthodologique de la trousse
Tandem-R free PSA
2.1.1. Le dosage
La trousse Tandem-R free PSA repose sur le principe de la
technique "sandwich" sur phase solide. Les échantillons
sont incubés pendant 4 heures avec une bille enrobée d'un
anticorps monoclonal spécifique dirigé contre un détermi-
nant antigénique de la molécule de PSA libre et, simultané-
ment, avec un autre anticorps monoclonal, spécifique du
VALIDATION MÉTHODOLOGIQUE ET CLINIQUE
DUN NOUVEAU DOSAGE IMMUNORADIOMÉTRIQUE
DE PSA LIBRE
Présentation de François ROUX à partir de l'article paru dans I.B.S.
(N. ROUX, E. LECHEVALIER, C. COULANGE, F. ROUX, Immunoanal. Biol. Spec. 1997 ; 12 : 89-94)
Validation méthodologique et clinique d'un nouveau dosage immunoradiométrique de PSA libre
233
Revue de l'ACOMEN, 1998, vol.4, n°3
PSA libre, marqué à liode 125. Lincubation se fait à tem-
pérature ambiante sur un agitateur horizontal pendant 4
heures.
Après lincubation, la bille est lavée pour éliminer lexcès
danticorps marqué non lié. La radioactivité liée à la phase
solide est mesurée sur un compteur γ. La courbe d'étalon-
nage, réalisée au moyen d'échantillons de PSA libre s'étend
de 0 à 20 ng/ml. L'ensemble de ces étapes est résumé sur la
Figure 2.
- FIGURE 2 -
Protocole du dosage Tandem-R free PSA
2.1.2. Le contrôle de qualité
PRÉCISION :
Classiquement, la précision [21, 26] dun dosage est esti-
mée à partir de la reproductibilité intra-essai et de la repro-
ductibilité inter-essais qui inclut, en général, la reproducti-
bilité inter-lots. Ces paramètres sont alors quantifiés par le
coefficient de variation :
CV% Ecart type
moyenne x 100 mx 100==σ
- Reproductibilité intra-essai :
Pour estimer la reproductibilité intra-essai, nous avons dosé
30 fois dans la même série, trois pools de sérums (sérum
bas, sérum moyen, sérum fort) réalisés dans notre labora-
toire. La moyenne et lécart-type, déterminés à partir de la
radioactivité mesurée, nous ont permis de calculer, pour
chacun des pools, le coefficient de variation. Nous avons
également calculé les coefficients de variation à partir des
concentrations.
- Reproductibilité inter-essais et inter-lots :
Dans 10 séries différentes, à partir de 3 lots différents,
nous avons dosé nos trois pools de sérums et les contrô-
les internes de la trousse. Nous avons déterminé la valeur
de chacun de ces pools dans chacune des séries à partir
de léquation de la courbe d'étalonnage correspondante.
La moyenne et l'écart-type, calculés cette fois-ci sur les
seules concentrations, nous ont permis de calculer pour
chaque pool, le coefficient de variation.
EXACTITUDE :
Nous lavons appréciée en déterminant lexactitude "rela-
tive" définie par Midgley [21] qui préconise pour ce faire
lutilisation du test de dilution et du test de surcharge.
- Test de dilution : suivant la méthode classique, nous
avons dosé, dans la même série, le sérum pur utilisé et ses
dilutions dans le standard zéro de la trousse. La valeur
mesurée pour le sérum pur, sert alors à la détermination
des concentrations théoriques des dilutions.
Nous avons réalisé ce test à partir d'un sérum dont la con-
centration avait été déterminée comme étant à l'intérieur de
la courbe d'étalonnage.
- Test de surcharge : le standard 0 ng/ml a été surchargé,
volume à volume, avec les différents points de gamme,
puis les échantillons ont été dosés dans une même série.
Présentation de F. ROUX
234 Revue de l'ACOMEN, 1998, vol.4, n°3
SENSIBILITÉ - LIMITE DE DÉTECTION
Le standard 0 ng/ml a été dosé 10 fois et le premier point de
gamme, de concentration (C) = 0,49 ng/ml, 4 fois dans la
même série. A partir de la moyenne des coups par minute
(Cpm) mesurés (y) on a construit la droite y = f (C) reliant
ces deux points. Alors, la limite de détection est obtenue
en reportant la moyenne calculée des Cpm pour le stan-
dard 0 ng/ml + 2 écarts-types dans l'équation de cette droite.
On obtient ainsi la plus petite concentration distincte de 0
ng/ml au risque de 5%.
STABILITÉ DU TRACEUR
Nous avons dosé les contrôles de la trousse, à réception,
à la date de péremption indiquée par le fabriquant et 18
jours après.
2.2. Validation clinique
2.2.1. Population
Nous avons inclu dans cette étude, 123 hommes dont le
taux sérique de PSA total avant traitement était compris
entre 2,5 et 10,0 ng/ml [8].
Chez 29 dentre eux, le diagnostic dadénocarcinome de la
prostate (ADK) a été porté par biopsie. Leur âge était de 68
± 6 ans et leur taux de PSA-T de 6,4 ± 3,8 ng/ml.
Parmi les 94 patients souffrant dune hypertrophie béni-
gne de la prostate (diagnostic par biopsie et/ou après chi-
rurgie), lâge était de 68 ± 2 ans et le taux de PSA-T de 5,4
± 3,8 ng/ml.
2.2.2. Dosages et calculs
- PSA total
Les taux sériques de PSA total ont été déterminés avec la
trousse Tandem-R PSA produite depuis plusieurs années
par Hybritech et commercialisée en France par Immunotech.
- PSA libre
Les taux sériques de PSA libre ont été déterminés avec la
trousse Tandem-R free PSA dans le cadre de lexpertise
méthodologique et clinique qui nous avait été confiée.
- PSA libre / PSA total
Le rapport R% = PSA-L x 100 / PSA-T a été calculé pour
chaque patient à partir du même prélèvement dosé le même
jour respectivement en PSA libre et en PSA total, chacun
des résultats étant exprimé en ng/ml.
2.2.3. Sensibilité et spécificité clinique
Les vrais positifs (VP) sont les patients présentant un R%
inférieur au seuil choisi et un cancer et les vrais négatifs
(VN), les patients présentant un R% supérieur ou égal au
seuil et une HBP. Par complément, les faux négatifs (FN)
ont un R% élevé et un cancer, alors que les faux positifs
(FP) ont une HBP et un R% inférieur au seuil.
Alors, la sensibilité (probabilité de trouver R% inférieur au
seuil) si le sujet à un Ca-P est Se = VP / VP + FN tandis que
la spécificité (probabilité de trouver R% élevé si le sujet n'a
pas de Ca-P, i.e a une HBP dans notre population) est Sp =
VN / FP + VN. Ce raisonnement nous a permis de cons-
truire les courbes ROC (Receiver Operating Characteristic)
[13] Sensibilité = f(1  Spécificité), aussi bien pour PSA-T
que pour R%.
3. Résultats
3.1. Validation méthodologique
PRÉCISION :
Les coefficients de variation sont toujours inférieurs à 6%.
Les résultats obtenus en inter-essais et inter-lots pour nos
pools de sérums et pour les contrôles des trousses don-
nent des coefficients de variation qui ne dépassent pas
7%, même pour les valeurs les plus basses.
Au total, la précision des dosages de PSA libre effectués
avec la trousse Tandem-R free PSA est tout à fait satisfai-
sante.
EXACTITUDE :
Les résultats du test de dilution sont illustrés par la Figure
3, ceux du test de surcharge par la Figure 4. Ils mettent en
évidence une très bonne linéarité du test de dilution et un
pourcentage de récupération qui varie peu autour de 100%.
- FIGURE 3 - Test de dilution
- FIGURE 4 - Test de surcharge
Validation méthodologique et clinique d'un nouveau dosage immunoradiométrique de PSA libre
235
Revue de l'ACOMEN, 1998, vol.4, n°3
SENSIBILITÉ - LIMITE DE DÉTECTION :
A partir de la méthode décrite plus haut, on obtient une
droite déquation y = 666 x + 537 avec une moyenne de 537
± 54 cpm pour le standard 0.
La limite de détection calculée est de 0,02 ng/ml.
STABILITÉ DU TRACEUR :
Les résultats obtenus sur les contrôles des trousses aux
trois dates testées montrent que la date préconisée par le
fabricant est tout à fait licite.
3.2. Validation clinique
COURBES ROC :
La première question était de savoir si le PSA libre, ou plus
exactement le rapport R%, était plus efficace que ce dont
nous disposions déjà, à savoir le PSA-T, pour aider au
diagnostic différentiel entre HBP et Ca-P. Les courbes ROC
de ces deux paramètres (Figure 5) répondent clairement à
la question posée : R% est plus efficace que PSA-T pour
différencier HBP et Ca-P chez les patients ayant un taux
sérique de PSA-T compris entre 2,5 et 10,0 ng/ml. La diffé-
rence est plus nette que celle quobserve, par exemple,
Bangma [2].
- FIGURE 5 -
Courbes ROC du PSA total et du rapport PSA-L x 100 / PSA-T
SEUIL DE DÉCISION :
Bien conscients que nos échantillons sont de taille ré-
duite, compte tenu de notre volonté de travailler de ma-
nière prospective et du court délai imparti à une expertise,
nous avons choisi, sans aménagement "le point le plus
près du coin gauche du diagramme" représentant la courbe
ROC de R%. Ainsi, le meilleur compromis mathématique
entre sensibilité et spécificité apparaît être une valeur de
R% = 17 qui correspond à une sensibilité de 79% pour une
spécificité de 84% [27].
Cest cette valeur que nous avons fait ressortir sur les
Figures 6 et 7 qui représentent la répartition des valeurs
de R% obtenues chez les 123 patients testés : pour un R%
< 17 on trouve essentiellement des Ca-P, au dessus sur-
tout des HBP.
- FIGURE 6 -
Répartition des valeurs de R% par ordre chronologique
- FIGURE 7 -
Répartition des valeurs de R% dans les HBP et les Ca-P étudiés
Présentation de F. ROUX
236 Revue de l'ACOMEN, 1998, vol.4, n°3
4. Discussion
Nous lavons déjà souligné, ce seuil est très dépendant
des conditions de notre étude. On peut noter cependant
qu'il se situe dans la fourchette des valeurs déjà publiées
[7, 23, 32]. Il sera probablement modifié et affiné dans les
mois à venir lorsque la taille de nos échantillons sera plus
importante et, ainsi, suffisante pour nous permettre de stra-
tifier en fonction de lâge, du stade ou dautres paramètres
cliniques.
Il dépendra, bien évidemment, du compromis entre sensi-
bilité et spécificité que lon recherchera, cest à dire de la
stratégie associée à ce nouveau paramètre [19]. R% doit-il
être un facteur de diagnostic précoce du cancer ou, au
contraire, éviter des investigations coûteuses telles que la
biopsie, en orientant, de manière fiable, vers le diagnostic
de HBP ? Quel que soit le choix stratégique, le seuil de
décision dépendra aussi du recrutement de la population,
de lâge [3, 22], du stade des cancers [11], du volume des
hypertrophies [25] au moment de la consultation chez luro-
logue qui demandera le premier dosage et enfin, il sera
plus ou moins puissant en fonction de la taille des échan-
tillons testés.
A lheure actuelle, la tendance de notre équipe est de se
limiter à remarquer, comme Albert Luderer [20], que lon ne
trouve aucun cancer au delà de R% = 25 et, par consé-
quent, à ne pas proposer de biopsie au delà de cette va-
leur, étant bien entendu par ailleurs que le PSA total se
situe entre 2,5 et 10 ng/ml. Sur notre population, cela éco-
nomiserait 33% d'investigations complémentaires.
5. Conclusion
La trousse Tandem-R free-PSA, produite par Hybritech,
pour le dosage du PSA libre dans le sérum, présente sur le
plan analytique, toutes les qualités que lon peut attendre
dune bonne trousse de radioimmunodosage : la précision
avec des coefficients de variation largement inférieurs à
10% aussi bien en intra-série qu'en inter-séries et en inter-
lots, l'exactitude, avec une parfaite linéarité des tests de
dilution et de surcharge, la sensibilité estimée à 0,02 ng/ml
et une bonne stabilité du traceur.
Sur le plan clinique, le dosage du PSA libre associé à celui
du PSA total sous la forme du rapport R% = PSA-L x 100 /
PSA-T, pour des patients dont le PSA-T est compris entre
2,5 ng/ml et 10 ng/ml, semble pouvoir contribuer efficace-
ment au diagnostic différentiel entre cancer et hypertro-
phie bénigne de la prostate. Dans ces conditions, nous
avons déterminé pour R% une valeur de 17 au dessous de
laquelle, on trouve la majorité des Ca-P. Cependant, cette
valeur ne représente, pour linstant, que le meilleur com-
promis mathématique entre sensibilité et spécificité. Elle
évoluera probablement, en fonction de la stratégie adop-
tée par les cliniciens : favoriser le dépistage des Ca-P ou
éviter des explorations inutiles.
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