La mémoire @ L'Harmattan, 2010 5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] harmattan [email protected] ISBN: 978-2-296-13175-0 EAN: 9782296131750 Hermann Ebbinghaus La mémoire Recherches de psychologie expérimentale Introduction et traduction par Serge Nicolas L'Harmattan Collection Encyclopédie Psychologique dirigée par Serge Nicolas La psychologie est aujourd'hui la science fondamentale de l'homme moral. Son histoire a réellement commencé à être écrite au cours du XIXe siècle par des pionniers dont les œuvres sont encore souvent citées mais bien trop rarement lues et étudiées. L'objectif de cette encyclopédie est de rendre accessible au plus grand nombre ces écrits d'un autre siècle qui ont contribué à l'autonomie de la psychologie en tant que discipline scientifique. Cette collection, rassemblant les textes majeurs des plus grands psychologues, est orientée vers la réédition des ouvrages classiques de psychologie qu'il est difficile de se procurer aujourd'hui. Ouvrages sur la mémoire chez le même éditeur A. BINET, Psychologie de la mémoire (Œuvres choisies I), 2003. W. JAMES, Habitude et mémoire (1890), 2010. P. JANET, L'évolution de la mémoire (1927-1928), 2006. S. NICOLAS, La mémoire humaine, 2000. Th. RIBOT, Les maladies de la mémoire (1881), 2005. Dernières parutions A. BINET & Th. SIMON, Les enfants anormaux (1907), 2008. A. F. GATIEN ARNOULT, Programme d'un cours de philosophie (1830) V. BECHTEREV, La psychologie objective (1913), 2008. A. M. J. PUYSÉGUR, Mémoires... du magnétisme animal (1784), 2008. S. NICOLAS & L. FEDI, Un débat sur l'inconscient avant Freud, 2008. F. PAULHAN, Les phénomènes affectifs (1887), 2008. E. von HARTMANN, Philosophie de l'inconscient (1877,2 vol.), 2008. H. HELMHOLTZ, Conférences populaires I (1865), 2008. H. HELMHOLTZ, Conférences populaires II (1871), 2008. Pierre JANET, De l'angoisse à l'extase (1926-1928) (2 vol.), 2008. S. NICOLAS, Études d'histoire de la psychologie, 2009. J.-M. CHARCOT, Leçons sur les maladies du système nerveux (1872) H. HELMHOLTZ, Optique physiologique (1856-1866) (3 vol.), 2009. A. COMTE, Cours de philosophie positive (1830-1842) (6 vol.), 2009. A. BINET, Etudes de psychologie expérimentale (1888), 2009. A. M. J. PUYSEGUR, Suite des mémoires... (1785), 2009. V. COUSIN, De la méthode en psychologie (1826-1833), 2010. A. BINET, Les idées modernes sur les enfants (1909), 20 IO. W. JAMES, Habitude et mémoire (Œuvres choisies II), 2010. W. JAMES, L'intelligence (Œuvres choisies III), 2010 INTRODUCTION DE L'ÉDITEUR Hermann Ebbinghaus (1850-1909) : Vie et œuvre d'un grand psychologue expérimentalisti "Ebbinghaus est mort. Mais ses œuvres vivent" E. Dürr (1910) Dans un court chapitre consacré au psychologue allemand Hermann Ebbinghaus (1850-1909) publié dans le premier tome du Traité de Psychologie Expérimentale (Fraisse et Piaget, 1981), Paul Fraisse (1911-1996) écrit dès la première ligne: "Ebbinghaus doit sans doute son originalité à l'indépendance de sa formation" (p. 22). Cette affirmation, bien qu'étayée par quelques éléments sur sa vie et son œuvre, méritait qu'on entreprenne une analyse beaucoup plus approfondie de ce psychologue allemand dont on a tendance à oublier aujourd'hui dans les milieux scientifiques les contributions fondamentales. Si Ebbinghaus n'a pas beaucoup publié de son vivant (pour une revue bibliographique: Traxel et Gundlach, 1986) (près de 30 références contre par exemple près de 300 pour Alfred Binet) et s'il a formé peu d'élèves connus à part William Stern (1867-1947) (on dit d'ailleurs qu'il ne les recherchait pas), on doit admettre, d'une part, que ce n'est qu'un pauvre indice de son activité scientifique pour un homme de cette stature et de cette réputation I Ce chapitre introductif est la reproduction aménagée et complétée d'un article déjà publié sur le sujet par l'éditeur: Nicolas, S. (1994). Hermann Ebbinghaus (1850-1909): La vie et l'œuvre d'un grand psychologue expérimentaliste. Swiss Journal of Psychology, 53, 5-12. Nous remercions la Revue suisse de psychologie pour nous avoir donné l'autorisation de reproduire cet article. (Dallenbach, 1954) et, d'autre part, que l'influence exercée n'en a pas moins été considérable. Ses écrits ont en effet eu un grand retentissement sur ses contemporains et bien au-delà sur les psychologues expérimentalistes tout au long du XX. siècle (pour des discussions à ce sujet: Gorfein et Hoffman, 1987 ; Klix et Hagendorf, 1986 ; Roediger, 1985a). Son indépendance et son originalité de pensée se retrouvent lorsqu'on constate par exemple qu'il n'a pas créé d'école de psychologie et qu'il peut difficilement être rattaché à un courant psychologique de l'époque (Caparros et Anguerra, 1986). Pourtant, comme nous le verrons, Ebbinghaus va être influencé tout au long de sa carrière scientifique par les écrits de l'un de ses compatriotes: Gustav Th. Fechner (180 1-1887f La meilleure manière d'exposer la vie et l'œuvre de ce psychologue est certainement de prendre pour fil conducteur les différentes étapes de sa formation et de sa carrière scientifique. L'avantage de ce type de présentation est qu'il nous permettra de souligner dans une perspective diachronique ses contributions essentielles dans le domaine de la mémoire humaine (et dans celui d'autres fonctions psychologiques) ainsi que son apport au niveau de la diffusion du savoir scientifique. Premiers pas dans laformation d'un psychologue expérimentaliste Hermann Ebbinghaus est né en Prusse, à Barmen aujourd'hui un quartier de Wuppertal près de Bonn, en Rhénanie, le 23 janvier 1850 de Carl Ebbinghaus (1815-1866), négociant en papier et textile, et de Juliane Ebbinghaus, née Klewitz (1815-1880). De confession luthérienne, il fit ses études primaires et secondaires dans sa ville natale (cf., Sprung et Sprung, 1986 ; Traxel, 1987). Il entreprend ses études universitaires à Bonn à l'automne 1867 et, plus tard, selon la mode du temps qui est de se rendre de ville universitaire en ville universitaire, il se rend à Berlin et à Halle pour étudier les langues classiques, l'histoire et la philologie. En 1870, il sert pendant un an dans l'armée prussienne durant la guerre contre la France (1870-1871). C'est au printemps 1871 qu'il décide de se consacrer entièrement à la philosophie. Il reçoit son grade de Docteur à Bonn le 16 août 1873 en ayant brillamment soutenu, selon Karl Marbe (1869-1953), une thèse dont le sujet était à la mode et qui avait pour titre: « Über die 2 Nicolas, S. (2002). La fondation de la psychophysique de Fechner: métaphysiques aux écrits scientifiques de Weber. L'Année Psychologique, 6 Des présupposés 102, 255-298. Hartmannsche Philosophie des Unbewussten» ("sur la Philosophie de l'Inconscient de Hartmann"). L'ouvrage philosophique d'Eduard von Hartmann sur l'inconsciene était un best-seller à l'époque (pour une analyse en français: Dumont, 1872). La première édition allemande de cette œuvre date de 1869 et fut à maintes fois rééditée durant la décennie suivante (une traduction française a même été publiée chez Félix Alcan en 18774). Dans sa thèse, Ebbinghaus se montra très critique envers l'auteur qui niait toute continuité et transition entre la conscience et l'inconscient en soutenant l'existence d'un inconscient absolu et métaphysique. Influencé par les positions de Leibniz, il devint partisan de la loi de continuité. Mais il avait bien conscience que sa prise de position ne s'appuyait pas sur des preuves objectives solides mais sur un raisonnement subjectif. Cette constatation l'amena, d'une part, à affirmer que la psychologie devrait être séparée de la philosophie et, d'autre part, que la nouvelle psychologie devrait s'appuyer sur les méthodes objectives utilisées par les sciences naturelles (Segura & Caparros, 1987). Comment mettre en place une psychologie scientifique? Ebbinghaus n'en savait encore rien à l'époque. Il lui fallut attendre quelques années pour que son projet prenne forme. D'après Boring (1957, p. 387), Ebbinghaus passa les deux années suivantes à Berlin, mais Shakow (1930, p. 510) nous dit qu'on sait seulement qu'il projetait d'aller dans cette ville. Durant les années 18751878 il étudia en auditeur libre et voyagea en Angleterre et en France où il fut précepteur et enseignant (cf., Hoffman, Bringmann, Bamberg et Klein, 1987 ; Traxel et Gundlach, 1986). C'est à cette époque qu'il se procura les "Elemente der Psychophysik" (1860) de Gustav Theodor Fechner qui devaient lui démontrer que la psychologie peut utiliser avec profit les méthodes des sciences naturelles. On a cru pendant longtemps que c'était à Paris qu'il acheta d'occasion les deux tomes de cet ouvrage (cf. Jaensch, 1909), mais cette localisation a plus récemment été remise en question (Traxel, 1985) puisqu'on admet aujourd'hui qu'il les a acquis entre avril et décembre 1875 à Londres. Cette dernière hypothèse est d'ailleurs admise maintenant (cf., Traxel, 1987 ; Traxel et Gundlach, 1986). 3 Pour une étude de la réception Fedi, L. (2008). Un débat sur Hartmann chez les psychologues 4 Pour une réédition: Hartmann, L'Harmattan. en France et en Allemagne de cet ouvrage: Nicolas, S., & l'inconscient avant Freud. La réception de Eduard von et philosophes français. Paris: L'Harmattan. E. von (2008). Philosophie de l'inconscient (2 vol.). Paris: 7 ~tbtt dit ~attmann~tht Ihilo~ophit dt~ ~nbtwu~~ttn~ 3 nang n ra f=Dijfertatio n 3ur (frlattguttg ber p~ilOro~1~ird)Ctt~olitonuürbt, gene~migt bon ber p&iCorop&ïrdim âfaftuffiit ber J.~tin. )'ritbrid}" .H~tttU!\" Initttr~tiit, unb mit den 6eigefü,gten WKeren Œm t 6. ~ u g 1tft 1 8 7 3 offentIièf) bert~eibigt 110n ~ttmauu ~b1biughaut'. ~"oueutrn : Œ. '.êntt, stull. moo., ~. Stltftt, Dr. pkil., W. i!t8, Dr. phil. -:-~~~ l'ülTdbot't. \t)tud bon !l'r. \t)iet. 8 Quoi qu'il en soit, profondément impressionné par l'utilisation de la méthode expérimentale pour l'étude de la sensation après la lecture de l'ouvrage de Fechner (Boring, 1957 ; Roediger, 1985b), Ebbinghaus eut l'idée de l'appliquer à l'étude de la mémoire, peut être parce qu'en tant que jeune philosophe voyageant en Angleterre il s'était intéressé tout naturellement à la psychologie associationniste britannique. Ses premières recherches commencèrent avec des enfants dont il avait la charge en Angleterre (Hoffman et al., 1987) et surtout en France entre les années 1877 et 18785 (Shakow, 1930). Ces études préliminaires qui employaient des matériels d'apprentissage aussi divers que des sons, des nombres et des poèmes lui montrèrent la difficulté de travailler avec d'autres personnes ce qui l'incita à se prendre comme sujet d'expérience. Il quitte Paris le 20 juillet 1878 pour Postdam, après avoir appris sa nomination à la cours impériale de Berlin en tant que tuteur de français du Prince Waldemar von Hohenzollern (1868-1879) qui devait malheureu-sement disparaître prématurément. Ses fameuses recherches sur la mémoire ont débuté au cours de l'hiver 1878-1879 avec la construction de son matériel expérimental. Ses premières recherches expérimentales formèrent le corps de sa thèse d'habilitation (Ebbinghaus, 1880) soutenue le 23 avril 1880 à l'Université de Berlin (cf. Nicolas, 2000) puis furent complétées dans son ouvrage sur la mémoire de 1885 (cf. Nicolas, 1992). L'étude expérimentale de la mémoire (1879-1885) Depuis la rédaction de sa thèse sur von Hartmann, Ebbinghaus ne considérait plus la psychologie seulement comme la science de la conscience mais aussi celle de l'inconscient. Cette position n'allait pas réellement à contre courant des idées de l'époque puisque l'existence de l'inconscient était généralement admise dans les milieux philosophiques et scientifiques durant les dernières décennies du XIXe siècle. Il fut, on le sait, profondément influencé durant ses années de formation par les écrits d'un autre philosophe, Johann Friedrich Herbart (1776-1841 ) (cf., Boring, 5 Les premières recherches expérimentales d'Ebbinghaus sur la mémoire semblent avoir débuté en France au cours de l'hiver 1877-78 alors qu'il venait juste de quitter son emploi de précepteur chez la marquise Armande de Seguier d'Avaray (1835-1912) et de s'installer à Paris au quartier Montmartre en exerçant le métier de professeur d'allemand. L'étude expérimentale qu'il a menée fut néanmoins une tentative avortée d'améliorer par la pratique l'empan des nombres en mémoire immédiate (Bringmann & Bringmann, 1986b). Les autres travaux, qui ont été entrepris en employant des matériels d'apprentissage aussi divers que des sons et des poèmes, lui montrèrent cependant la difficulté de travailler avec les enfants. 9 1957 ; Roediger, 1985b), qui considérait que les représentations mnésiques inconscientes pouvaient agir sur la pensée et le comportement conscient. Contrairement à Herbart et aux psychologues expérimentalistes de son époque, comme le fameux Wilhelm Wundt (1832-1920), Ebbinghaus pensait pourtant qu'une science expérimentale des processus mentaux supérieurs était possible. Ainsi, il fut non seulement, d'une part, historiquement l'un des premiers à prendre en compte l'expression inconsciente des phénomènes psychiques mais aussi et surtout, d'autre part, celui qui a montré que la méthode expérimentale pouvait être utilisée pour aborder l'étude des fonctions psychologiques supérieures. Comme il soutenait depuis 1873 l'hypothèse de continuité déjà avancée par Leibniz et Herbart, on pouvait tout naturellement s'attendre à ce qu'il étudie la mémoire dans son acception globale à la fois consciente et inconsciente6. Il adopta ainsi les méthodes psychophysiques utilisées par Fechner dans le domaine de la sensation et les adapta à l'étude de cette nouvelle entité psychologique. La thèse d'habilitation (1880) S'appliquant surtout à ne pas réduire la mémoire au souvenir conscient, il décida ainsi de développer un indicateur basé sur l'économie en temps ou en nombre d'essais réalisée lors d'un second apprentissage: La méthode utilisée fut celle communément appelée l'économie au réapprentissage (pour une présentation: Nicolas, 1992). Cette méthode avait l'avantage de pouvoir aborder l'étude de cette fonction psychologique sans pour autant la réduire à son expression consciente. De plus, afin de favoriser l'étude objective de la mémoire, Ebbinghaus décida d'introduire un matériel nouveau (des séries sans signification de syllabes) qui réduise autant que possible l'influence de la signification (c'est Müller et Schumann en 1894 qui utilisèrent pour la première fois non pas des séries mais des syllabes sans signification) et des méthodes quantitatives susceptibles d'appuyer ses conclusions. Sans aide et sans laboratoire, il développa ainsi pendant plus d'une année, au cours d'un effort solitaire monumental (étant lui-même le sujet de toutes les expériences), une 6 Cette conception Ebbinghaus avait de la mémoire lu avec attention était à l'époque les écrits. 10 défendue par Ewald Hering (1870) dont longue série d'investigations expérimentales dans ce domaine7. Il lisait chaque série de syllabes à haute voix au rythme rapide d'environ 150 unités à la minute. Après une pause de quinze secondes, une deuxième lecture commençait. Les lectures successives se poursuivaient jusqu'à ce qu'il soit certain de sa capacité à prédire les syllabes suivantes. Les lectures s'arrêtaient dès qu'il parvenait à réciter à vitesse rapide la série complète correctement deux fois consécutivement dans l'ordre de présentation. La phase de test n'était pas différente de la phase d'étude puisque Ebbinghaus répétait l'activité d'apprentissage précédente (méthode de réapprentissage) jusqu'au critère de maîtrise parfait (il n'entreprenait aucun effort de souvenir sur les séries préalablement étudiées). L'économie réalisée en durée d'apprentissage ou en nombre d'essais constituait un indicateur du taux de rétention de l'information depuis sa première présentation. C'est l'utilisation de cette ingénieuse variable dépendante qui constitue la traduction expérimentale de ses réflexions théoriques sur le problème mnésique. Il étudia ainsi: I) le nombre de répétitions nécessaires à l'apprentissage d'une série; 2) l'économie en fonction du nombre de répétitions initiales; 3) les effets de l'apprentissage répété sur l'économie au réapprentissage ; 4) mais ce sont surtout ses expériences sur l'oubli en fonction du temps qui sont au centre de son travail initial sur la mémoires. 7 L'objectif de son premier travail fut d'étudier la mémoire autrement qu'en utilisant la méthode introspective basée sur l'examen de conscience; Fechner et bien d'autres après lui avaient utilisé l'expérimentation dans le domaine des sensations élémentaires. Il écrit à propos de Herbart dans son travail de 1880 : "On se souvient des efforts de Herbart pour établir des lois mathématiques sur les événements psychiques. Il ne parvint ni à vérifier les hypothèses de ses expériences directement par des observations, ni à prouver par des mesures réelles la concordance des résultats obtenus avec les faits. Ainsi sa tentative est restée une pure spéculation théorique. Mais cela n'aurait même pas été pensable s'il ne s'était pas basé sur les caractéristiques des événements psychiques, pouvant être considérés comme appartenant à la catégorie des événements mesurables. (..) Tout l'intérêt de cette recherche se concentre sur la 'Jorce" des représentations par rapport à la conscience, l'énergie particulière ou la vivacité avec laquelle elles sont représentées." (1880, p. 4) (...) Je ne sais pas si, et de quelle manière, il sera un jour possible d'introduire dans le cercle des examens pratiques cette force des représentations de Herbart. La vivacité des images de souvenir me semble en revanche être moins inaccessible, et la persévérance dans une voie pourtant de longue haleine, amènera peut-être un jour à des conclusions exactes à son sujet". (1880, p. 9). 8 Plusieurs théories de l'oubli existaient à l'époque. Selon la première théorie, défendue à l'époque par Joseph Delboeuf (1831-1896), il n'y a pas évanouissement mais seulement une inaccessibilité temporaire des souvenirs (cf., Nicolas, 1995). Selon la seconde théorie, soutenue à l'époque par Hermann Lotze (1817-1881), l'oubli consiste en un fractionnement des souvenirs en composantes élémentaires. Selon la troisième théorie, soutenue par Herbart et ses continuateurs dont Theodor Waitz (1821-1864) était à l'époque le représentant le plus 11 Les résultats de ses expériences lui ont fourni le corps de sa thèse d'habilitation qui fut soutenue le 29 avril 1880 à la faculté de philosophie de l'Université Friedrich-Wilhelms à Berlin [cette thèse a été publiée par Traxel (1983)]. Même si les rapports du philosophe Eduard Zeller (18141908) et du célèbre physicien Hermann von Helmholtz (1821-1894) furent favorables, ils ont révélé l'attitude ambivalente envers le nouveau type de psychologie qui se développait à l'époque et qui se fondait sur l'expérience et les mathématiques9. Non seulement Ebbinghaus rompt avec les méthodes introspectives mais il ouvre aussi un nouveau champ de recherche en apportant la preuve de la possibilité d'atteindre les niveaux supérieurs de comportement humain comme la mémoire et l'apprentissage par le biais de la méthode expérimentale. La qualité de sa thèse et sa bonne prestation au cours de l'audition lui permirent de donner des cours à partir du semestre d'hiver 1880-1881 en tant que conférencier non salarié (privatdozent) à l'université Friedrich-Wilhelms de Berlin à des étudiants qui devaient payer pour y participer. Cette université, qui fut organisée par Wilhelm connu, l'oubli consiste en un obscurcissement nouveaux souvenirs. 11 examina l'influence suivantes: 1/4 d'heure, I heure, 8 1/2 graduel des souvenirs anciens dû à l'arrivée de du temps en prenant en compte les modalités heures, I, 2, 6 et 31 jours. Ces recherches sur l'oubli ont été réalisées par Ebbinghaus pendant l'année 1879-1880 et ont été reproduites dans le chapitre VII de son fameux ouvrage de 1885 (Ebbinghaus, 1885). La technique utilisée consistait en l'apprentissage 163 séries de 13 syllabes. L'apprentissage se poursuivait jusqu'au critère de deux récitations sans erreur des séries en question. Le réapprentissage était réalisé dans les mêmes conditions; il se produisait à l'une des sept périodes de temps citées ci-dessus. Les résultats obtenus en termes d'économie au réapprentissage ont été simulés par Ebbinghaus lui-même en une formule mathématique de type logarithmique (oubli rapide dans les premières minutes et déclin progressif de la mémoire par la suite). La mathématisation des résultats était un pré-requis indispensable à l'élévation de la psychologie comme science naturelle; il reproduisait ainsi la tentative de G. T. Fechner (1801-1887) qui avait donné une formule logarithmique de la sensation en rapport avec la stimulation. 9 Faisant partie de son jury, le physiologiste Hermann von Helmholtz écrit dans son rapport (Bringmann & Bringmann, 1986a) : "Celle étude expérimentale a été intelligemment réalisée, sérieusement et patiemment conduite. La discussion des résultats expérimentaux montre un bon jugement et une solide connaissance des mathématiques. Les résultats ne sont pas très impressionnants, mais on ne pouvait pas le savoir avant d'avoir réalisé ce travail expérimental... Celle thèse m'a fait une bonne impression.. l'auteur m'a fait l'impression d'un esprit brillant, qui peut dire de manière brève et réfléchie ce qui est réellement important". Si Helmholtz avait été déçu par les résultats, il faut reconnaître qu'il ouvrait un nouveau champ de recherches spécifique à la psychologie et non importé d'une autre science (la perception et la psychophysique sensorielles ont d'abord été étudiées par des physiologistes et des physiciens, les temps de réaction par les astronomes). Les niveaux supérieurs de comportement pouvaient être atteints par le biais de la méthode expérimentale, ce que contestaient à l'époque le principal représentant de la psychologie: Wilhelm Wundt. 12 von Humboldt (1767-1835) en 1809-1810, était, après Leipzig, où enseignait Wundt, la plus grande institution académique en Allemagne à la fin du XIX. siècle dernier (pour une présentation des universités allemandes de l'époque cf., Decaisne, 1876). La Faculté à laquelle appartenait Ebbinghaus était la branche la plus hétérogène de l'université de Berlin. Elle regroupait la philosophie, les sciences naturelles, l'éducation et la pharmacie. La psychologie, spécialement la psychologie expérimentale, était seulement une sous discipline de la philosophie. Durant les quatorze années où il resta à Berlin, il prit en charge divers types d'enseignements, certains de psychologie expérimentale mais d'autres aussi qui étaient loin de ses préoccupations expérimentales (l'histoire de la philosophie et la philosophie de Schopenhauer) mais qui témoignaient de sa culture intellectuelle et de ses divers centres d'intérêt. Publication d'un ouvrage sur la mémoire (1885) Ces activités d'enseignement ne l'éloignèrent pourtant jamais de ses préoccupations expérimentales. C'est entre 1883-1884 qu'il continua ses recherches en reproduisant et en étendant ses expériences sur la mémoire de 1879-1880. Après son mariage en 1884 avec Adele Gorlitz (1857-1949) qui lui donna deux filles et deux fils, il publia en 1885 les résultats de ses travaux dans un ouvrage aujourd'hui célèbre, présenté ici en traduction française pour la première fois, et ayant pour titre: "Über das Gedachtnis : Untersuchungen zur Experimentellen Psychologie" (Sur la mémoire: une contribution à la psychologie expérimentale). C'est cet ouvrage (pour une présentation détaillée et critique: Nicolas, 1992), dont il envoya un exemplaire dédicacé à Fechner, qui fera connaître Hermann Ebbinghaus et qui devint immédiatement le détonateur des travaux sur la mémoire et l'apprentissage entrepris en Allemagne, en France et aux Etats-unis JO.Il est intéressant de souligner que sa monographie sur la mémoire fut traduite en 1913 par deux pédagogues américains A. Ruger et Clara E. Bussenius du "Teachers College" de New York. 10 Pour une anthologie de textes fondamentaux de la fin du XIX' siècle sur la mémoire en traduction française: Nicolas, premiers travaux scientifiques. S., & Piolino, P. (2011). La mesure de la mémoire humaine.' Paris: L'Harmattan (à paraître). 13 ÜBER DAS GEDAOHTN~IS~ UNTERSUCHUNGEN ZHR EXPERIMENTELLEN PSYOHOLOGIE vo~ HER1r[' EBBINGHAUS, PRlVA1'DOCE~1'E~ DEn l'11Ir.OSOI'IIIE DEI< U"'VEI<SIT:(1' JlEl<l.l~" "''' "De subjecto ,etustissim" no,"issima", prolllovemus scientiam:' VERLAG LEIPZIG, VON DUNCKER 18R5. 14 & nUMBLOT. Dans son ouvrage de 1885, Ebbinghaus complète son travail de 1880 sur bien des points. D'abord, on trouve dès les premières pages de sa monographie une réflexion très approfondie sur le concept de mémoire. Ce chapitre justifie ici pleinement la méthode expérimentale qu'il va utiliser pour mesurer la mémoire (méthode d'économie au réapprentissage). Ensuite, dans toute une série de chapitres, il prend beaucoup de temps et d'espace pour justifier, d'une part, l'utilisation des statistiques (moyennes et indices de variation) en psychologie de la mémoire et, d'autre part, pour informer le lecteur de la méthode de construction de son matériel et des procédures utilisées. Enfin, il complète ses expériences originales de 1880 sur l'apprentissage (effet du nombre de répétitions, de l'espacement des répétitions, etc.) et entreprend d'aborder un sujet d'étude tout à fait original qui n'avait pas du tout été traité dans sa thèse de 1880 : l'étude des lois d'association, en employant la méthode des séries dérivées. En fait, Ebbinghaus tente délibérément ici de tester pour la première fois l'hypothèse de Herbart selon laquelle lorsqu'une série d'items est mémorisée, l'union entre la première représentation et la seconde représentation sera plus fusionnelle qu'entre la première représentation et la troisième. Il montre ainsi qu'il existe une association, non seulement d'un terme au suivant, mais même au-delà de plusieurs termes intermédiaires. La force des connexions augmente aussi en fonction du nombre de répétitions. Si Ebbinghaus n'a jamais tenté de suivre rigoureusement la psychologie de Herbart, ses travaux expérimentauxs'inspirentdirectementde cette philosophieIl. Ebbinghaus a très certainement exercé une puissante influence sur les recherches psychologiques dans le domaine de la mémoire dans les années qui ont suivi la publication de sa monographie (Schacter, 1982) et bien au-delà (Slamecka, 1985a, 1985b) même si ses continuateurs ont délibérément préféré aborder l'étude de la mémoire avec des méthodes classiques (rappel et reconnaissance) qui ne mesurent que l'aspect conscient de l'expression mnésique (cf., Nicolas, 1992 pour une discussion à ce sujet). Parmi tous les sujets qu'il a traités, les résultats obtenus sur l'apprentissage et l'oubli contribuèrent de manière décisive à encourager de nouvelles recherches dans le domaine de la mémoire. Cependant, si ses travaux ont été le point de départ de nombreuses I] Cf. Nicolas, S. (2005). L'influence de la psychologie de Herbart sur l'étude de la mémoire par Ebbinghaus. ln 1. C. Dupont (Ed.), Histoires de la mémoire (pp. 173-185). Paris: Vuibert. 15 investigations expérimentales, sa contribution scientifique à l'étude de ce concept fut inexistante par la suite, si l'on excepte celle de 1902 publiée dans son Traité de Psychologie sur les gains au réapprentissage de strophes, et concernèrent principalement d'autres aspects de la vie mentale. L'étude expérimentale des sensations, des perceptions et de l'intelligence (1886-1887) et la création du journal de psychologie et de physiologie des organes des sens (1890) C'est durant l'année 1886 qu'il fut promu Professeur extraordinaire à l'Université de Berlin avec enfin un salaire régulier et avec l'obligation de donner des cours en psychologie ainsi que des exercices de laboratoire en psychologie expérimentale. 11fonda ainsi à Berlin en 1886, un laboratoire de psychologie expérimentale (celui de Leipzig fut crée par Wundt en 187912; pour une description de l'ensemble des laboratoires allemands de psychologie à cette époque: Henri, 1893). Toujours aussi influencé par les travaux de Fechner, Ebbinghaus s'intéressa aux questions psychophysiques. A partir de cette période il entreprit des recherches sur les lois des contrastes de brillance (1887), la loi de Weber (1889), les images consécutives en vision binoculaire (1890), les sentiments de sensation négative (1890) et la perception des couleurs (1893). Ces deux derniers travaux furent d'ailleurs publiés dans la nouvelle revue qu'il venait de fonder en 1890 en collaboration avec Arthur Konig (1856-1901) : le "Zeitschrift für Psychologie und Physiologie der Sinnesorgane" (Journal de Psychologie et de Physiologie des Organes des Sens" qu'il édita pendant presque 20 ans et que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de "Zeitschrift für Psychologie"). Cette revue se voulait un organe indépendant qui acceptait des travaux en histoire de la psychologie, en psychologie expérimentale et en méthodologie. 11sut s'entourer de chercheurs de renom comme le toujours influent Helmholtz mais aussi Exner (1846-1926), Hering (1834-1918), Preyer (1842-1897), Müller (1850-1934) et Stumpf (1848-1936) qui 12 Pour une présentation du laboratoire de Wundt à cette époque: Nicolas, S., Gyselinck, V., Murray, D. 1., & Bandomir, C. A. (2002). French descriptions of Wundt's laboratory in Leipzig in 1886. Psychological Research, 66,208-214. - Nicolas, S. (2005). Wundt et la fondation en 1879 de son laboratoire. Histoire documentaire de la création et du développement de l'Institut de psychologie expérimentale de Leipzig. L'Année Psychologique, 105,133-170. 16 avaient en commun le fait d'être des éminents spécialistes sur les questions de psychophysique. Ebbinghaus écrivit dans le premier volume que Fechner pouvait être considéré comme le co-fondateur de cette revue. En fait, le "Journal" rassemblait une coalition de personnalités venant de divers horizons qui voulaient sortir de ou ne pas adhérer à la psychologie de Wilhelm Wundt qui neuf ans auparavant (1881) avait créé sa propre revue, les "Philosophische Studien" (Etudes Philosophiques), dans laquelle il publiait les travaux de ses élèves (en philosophie et en psychologie) ainsi que les résultats expérimentaux obtenus dans son laboratoire de Leipzig. C'est certainement l'originalité et la diversité de ses travaux qui inclina Jacob G. Schurman (1854-1942) à proposer à Ebbinghaus de s'établir outre-atlantique dans l'Etat de New York en 1890. Ce philosophe nord-américain, qui semblait connaître personnellement Ebbinghaus pour avoir passé quelques mois à Berlin au début des années 1880, lui demanda en effet de fonder à l'Université Cornell un Institut de psychologie expérimentale. Si la position et le salaire étaient attrayants, des considérations d'ordre personnel influencèrent sa décision de rester à Berlin (Bringmann et Bringmann, 1986a ; Traxel, 1987). D'autres chercheurs allemands à la même époque ont pourtant tenté l'aventure américaine tels Hugo Münsterberg (1863-1916) et Max Meyer (18731962). A partir de cette date (1890), malgré son activité scientifique soutenue et le succès de son enseignement, ses relations avec quelquesuns de ses collègues dont le philosophe Wilhelm Dilthey (1833-1911) et les instances universitaires de la Faculté de Berlin commencèrent à notablement se détériorer (Sprung et Sprung, 1986 ; Traxel, 1987). Cette dégradation était surtout liée au fait qu'Ebbinghaus voulait fonder une nouvelle psychologie à laquelle certains de ses contemporains n'étaient pas encore préparés et qui consistait à employer les méthodes expérimentales et les instruments mathématiques déjà utilisés dans les sciences naturelles. N'ayant pas obtenu en été 1893 le poste vacant de professeur ordinaire en philosophie qu'il escomptait (lequel fut par ailleurs attribué à Carl Stumpf qui venait de Munich), il décida de quitter Berlin en acceptant un poste équivalent à Breslau, une université plus petite dans la province prussienne de Silésie, dans la Pologne d'aujourd'hui. Les années passées à Breslau (1894-1905) ont cependant été bénéfiques puisqu'elles lui ont permis d'aborder l'étude d'autres 17 aspects de la vie mentale avec, entre autres, l'étude de l'intelligence: un sujet à la mode à cette époquel3. C'est en 1895, à la demande des échevins de Breslau qui se préoccupaient de mieux distribuer les heures de travail des enfants, qu'Ebbinghaus fut sollicité par les membres de la commission chargée d'étudier la fatigue chez les écoliers dont les cours étaient regroupés le matin de 8h à 13h. Une tentative avait déjà été faite de mesurer la fatigue mentale, en utilisant la méthode psychophysique de discrimination de points, mais Ebbinghaus sentait bien que ce test n'était pas une mesure appropriée. C'est dans ce contexte qu'il inventa la méthode de complètement de phrases (qu'il avait lui-même appelée "méthode des combinaisons") présentée pour la première fois au Congrès International de Psychologie de Berlin en 1896. Selon Woodworth (1909), la méthode de complètement, destinée à apprécier les capacités intellectuelles des écoliers, était probablement le meilleur test d'intelligence disponible à cette époque. Cette épreuve fut d'ailleurs adoptée quelques années plus tard par Binet et Simon (1905)14 dans leur échelle métrique originale. Si cette très intéressante étude fut à l'origine publiée dans sa propre revue en 1897, la même année une version française abrégée fut éditée par la Revue Scientifique (Ebbinghaus, 1897). Ce dernier fait souligne, si besoin en est, la place importante que tenait encore la France dans cette discipline comme en témoignait l'une des premières revues de psychologie expérimentale publiées dans le monde, L'Année Psychologique15 (1895) et dirigée à l'époque par Alfred Binet (1857-1911). Outre ses études sur l'intelligence, on sait qu'Ebbinghaus travailla aussi à l'Université de Breslau dans le champ de la psychophysique et des illusions d'optique ainsi qu'en témoignent ses communications dans les congrès de psychologie (Sprung et Sprung, 1986). Pourtant sa véritable activité scientifique lors des années passées dans cette ville fut la rédaction d'ouvrages généraux de psychologie qui eurent à l'époque un succès pour le moins retentissant. 13 Cf. Nicolas, S., & Andrieu, B. (Eds.) (2005). La mesure de l'intelligence. Paris: L'Harmattan. 14Binet, A., & Simon, Th. (2004). L'élaboration (Œuvres choisies Il). Paris: L'Harmattan. 15 du premier test d'intelligence Nicolas, S., Segui, J., & Ferrand, 1. (2000a). L'Année Psychologique: (1904-1905) History of the founding of a centenarian journal. History of Psychology, 3, 44-61. - Nicolas, S., Segui, 1., & Ferrand, 1. (2000b). Les premières revues de psychologie: La place de L'Année Psychologique. L'Année Psychologique, 100,71-110. 18 La rédaction d'ouvrages généraux de psychologie (1897-1909) Peu de psychologues savent actuellement qu'Hermann Ebbinghaus a contribué à la diffusion du savoir psychologique en écrivant des ouvrages généraux de psychologie. C'est en 1897 qu'Ebbinghaus commença à publier la première partie du volume I de ses "Grundzüge der Psychologie" (Traité de Psychologie). Dans le premier chapitre (87 p.), l'auteur détermine le point de vue auquel il se place, il discute le but de la psychologie, ses méthodes et ses moyens. Le second chapitre (72 p.) est relatif aux fonctions des centres nerveux. Le troisième chapitre (161 p.) traite des sensations visuelles et auditives. Victor Henri 16(1872-1940), collaborateur de Binet, soulignait déjà dans une critique de l'ouvrage parue dans L'Année Psychologique (1897, p. 691) que la psychologie développée par Ebbinghaus promettait de devenir d'un volume et d'une qualité égale à la grande psychologie de Wundt. Il fallut attendre 1902 pour que ce volume soit complété (pour une revue critique et détaillée de l'ouvrage en français, cf. Foucault, 1903). En 1908, Ebbinghaus publia une partie du volume II de son Traité mais sa mort prématurée n'a pas permis qu'il le complète. Leur réimpression a été poursuivie par Ernst Dürr (1878-1913) (troisième éd. du vol. 1 et seconde éd. du vol. Il) et à la mort de ce dernier par Karl Bühler (1879-1963) (quatrième éd. du vol. I) qui ont étendu et complété ses écrits. Il faut savoir que ce traité était considéré à l'époque comme un excellent ouvrage à recommander aux étudiants de langue allemande en psychologie et en philosophie (Cunningham, 1986). Titchener (1910) jugeait même que ce traité deviendrait à terme beaucoup plus important que les textes de psychologie générale écrits par Wundt ou Brentano. Ebbinghaus devait largement le succès de ce travail à son style clair et attrayant ainsi qu'à sa rigueur d'exposition, qualités qu'on lui reconnaissait aussi dans son enseignement. Quand il eut achevé la première révision de son ouvrage en 1905, il accepta la proposition de l'Université de Halle où il enseigna aussi comme professeur ordinaire. Suite à la rédaction d'un article en 1907 dans la "Kultur der Gegenwart", une revue pluridisciplinaire sur le savoir contemporain dans divers domaines de la connaissance, Ebbinghaus en fit paraître une version plus étoffée sous le titre: "Abriss der Psychologie" (Précis de 16 Nicolas, S. (1994). Qui était Victor Henri (1872-1940) 402. 19 ? L'Année Psychologique, 94, 385- psychologie). Après une courte introduction historique et un exposé de la structure du système nerveux, on trouve dans l'ouvrage les questions générales que la psychologie à l'époque ne pouvait se dispenser de poser: rapport de l'âme et du corps, nature de l'âme, et ainsi de suite. Les formations élémentaires (sensations, représentations, sentiments, instinct et volonté) sont ensuite examinées, puis les lois fondamentales de l'activité de l'esprit (attention, mémoire, habitude, fatigue). Les formes complexes (perception, abstraction, langage, pensée, croyance, sentiments) sont enfin abordées et l'ouvrage se termine par le développement des manifestations supérieures de l'esprit dans les faits sociaux, l'art et la religion. Ce manuel de psychologie eut un succès considérable comme en témoignent ses nombreuses rééditions successives corrigées et complétées par Dürr et plus tard par Bühler (1909, 1910, 1911, 1912, 1914, 1919, 1920, 1922, 1932) ainsi que ses traductions américaine (1908) et française (1910) plusieurs fois rééditées. La traduction américaine fut l'œuvre de Max Meyer (1873-1967), professeur de psychologie à l'Université du Missouri, qui souligna dans la préface que la valeur de cet ouvrage résidait surtout dans son côté synthétique et objectif. La traduction française à partir de la seconde édition allemande de 1909 fut l'œuvre de G. Raphael, professeur agrégé d'allemand, et celle de la troisième édition allemande de G. Revault D'Allonnes, directeur adjoint du laboratoire de psychologie pathologique à la clinique des maladies mentales de la Faculté de médecine de Paris et secrétaire de rédaction au Journal de Psychologie Normale et Pathologique fondé en 1904 par Pierre Janet (1859-1947) et Georges Dumas (1866-1946). Le psychologue suisse Jean Larguier des Bancels 17 (1876-1961) résume parfaitement l'impression que l'on peut avoir après la lecture de l'ouvrage lorsqu'il écrit dans L'Année Psychologique en 1910 (p. 494) : "L'abrégé de psychologie présente, au plus haut degré, les qualités d'ordre et de clarté qui appartiennent à l'auteur. Il représente certainement un des meilleurs manuels que nous possédions". Ce manuel d'introduction est en effet aujourd'hui considéré comme un classique à succès de l'époque et contient une locution restée célèbre: "La psychologie a un long passé mais une courte histoire". C'est à Halle, aussi, qu'Ebbinghaus eut l'idée de commencer une "série de monographies", à laquelle Max Dessoir (1867-1947), Oswald ]7 Nicolas, S. (200 I). Le collaborateur Cahiers Alfred Binet, n° 668, 95-109. suisse d'Alfred 20 Binet: Jean Larguier des Bancels.