Depuis un demi-siècle, l’information médicale
fournie aux patients fait l’objet de nom-
breuses recherches dans le domaine des
sciences humaines et sociales, et en particu-
lier, dans le champ de la psychologie clinique
et celui de la sociologie de la santé [14, 18]. Ainsi, «la place
croissante occupée par les questions du corps, de la santé et
de la vie, dans les affaires humaines »[8] a contribué à une
réévaluation des informations transmises ou non aux patients
par les médecins [6, 13], et à des changements dans la fac¸on
d’annoncer le diagnostic de cancer. Informer les patients du
diagnostic de leur cancer et de leur pronostic vital devient
l’objet de débats politiques et citoyens : celui d’une démo-
cratie sanitaire [21]. Si, jusqu’à la fin des années 1970, la
circulation partielle de l’information médicale concernant le
diagnostic de ces patients était valorisée, progressivement,
cette pratique a été abandonnée au profit d’une valorisation
de l’information donnée dans le cercle de la relation singu-
lière médecin-patient. De la question récurrente, «Faut-il, ou
non, informer les patients de leur état de santé lorsqu’ils sont
atteints d’une maladie grave ? », nous sommes passés, au
début des années 1990, par une sorte de glissement théma-
tique, à d’autres interrogations : «Faut-il tout dire aux patients
de leur état de santé ? »,«Que doit-on dire, ou cacher, et à
qui (patient ou proche) ? de quelle manière ? »,«Comment
les médecins se justifient-ils ? »[6, 13].
Que ce soit lors de la concertation nationale sur le cancer,
organisée en 1982 par Jack Ralite, ministre de la Santé, ou
lors des États Généraux des malades du cancer organisés
par la Ligue nationale contre le cancer en 1998 ou encore
des états généraux de la santé organisés par Bernard Kouch-
ner, des patients se sont plaints de la fac¸on dont leur médecin
leur avait appris, ou non, l’existence de leur cancer. Ainsi,
le dispositif d’annonce du diagnostic de cancer (mesure 40
du Plan cancer 2003, www.e-cancer.fr/soins/parcours-de-
soins/dispositif-dannonce/) a été instauré avec pour objectif
de «donner l’accès à l’information pour que les patients qui
le souhaitent puissent être acteurs de leur combat contre la
maladie ».Le dispositif d’annonce est défini par une circu-
laire qui prévoit quatre temps.
– Le premier est un temps d’annonce médicale, qui peut
se dérouler sur plusieurs consultations. C’est le moment où
la stratégie thérapeutique est proposée au patient afin de
lui permettre de participer aux décisions qui concernent sa
santé. Ceci fait suite à une réunion de concertation pluridis-
ciplinaire (RCP), qui détermine le traitement et propose un
programme personnalisé de soin (PPS).
– Le deuxième temps est celui de l’accompagnement soi-
gnant, visant à aider les patients à comprendre leur maladie
et à les orienter, si besoin est, vers les services de support
(troisième temps).
– Le quatrième et dernier temps est celui de d’articulation
avec le médecin de ville.
Le dispositif d’annonce représente donc une nouvelle struc-
turation des relations soignants-malade. Cependant, ce
dispositif d’annonce conc¸u initialement pour les patientes
atteintes de cancer du sein n’est peut-être pas généralisable
à tous les cancers et à la diversité des patients atteints.
L’analyse d’un cas particulier nous permettra, grâce à une
revue de littérature, de discuter de la fac¸on dont les termes
utilisés lors de l’annonce d’une hémopathie sont perc¸us par
les patients et par les médecins en cancérologie et en héma-
tologie.
Cas clinique
Nous menons une étude soutenue par l’INCa et la Ligue
contre le cancer, analysant l’impact de la mise en place
du dispositif d’annonce du cancer, auprès de patients,
proches et soignants. Lors de la phase exploratoire de l’étude
[15], 29 patients ont été interrogés. Les patients devaient
connaître leur pathologie et consentir à l’enquête préala-
blement à l’entretien. Ces entretiens, menés en face à face
par des enquêteurs ayant une formation en psychologie,
s’appuyaient sur des questionnaires semi-directifs. Ils étaient
enregistrés, retranscrits puis analysés. L’un des points abor-
dés était l’utilisation du mot «cancer »durant l’annonce. Tous
les patients interrogés ont pu discuter de cette question sans
difficulté particulière. En revanche, un patient atteint d’un lym-
phome non Hodgkinien est apparu profondément troublé par
l’utilisation du terme «cancer »durant l’entretien.
Nous rapportons cet entretien effectué auprès d’un patient
de 74 ans hospitalisé pour une chimiothérapie afin de traiter
un lymphome non Hodgkinien de phénotype T diagnostiqué
sept mois plus tôt. Il n’avait pas répondu à la première ligne
de traitement et était hospitalisé pour recevoir un traitement
de rattrapage. L’entretien avec l’enquêtrice débute sereine-
ment. Lorsque l’enquêtrice le questionne sur le moment où
le mot «cancer »a été prononcé pour la première fois, le
patient précise que les mots «lymphome »et «chimiothéra-
pie »ont été dits, mais que le mot «cancer »n’a, par contre,
pas été prononcé («Non, non, non. »). Il précise que les
questions qu’il a posées aux soignants concernant sa patho-
logie et son évolution ont trouvé des réponses précises. Dans
un premier temps, il estime avoir eu assez d’informations et
ne pas désirer en avoir plus. Puis dans un second temps
il exprime des regrets, les exprimant sous la forme d’une
ambivalence certaine, ajoutant : «On m’a dit que j’avais
un lymphome. (...) Si on l’avait prononcé [le mot cancer],
j’aurais peut-être été plus... plus éclairé »: il a compris qu’il
était atteint d’un cancer. Sa maladie a continué à progresser
malgré le traitement, le patient est apparu découragé, il est
décédé quelques semaines après. Interrogés, les soignants
qui avaient pris en charge le patient, se sont dits persuadés
qu’ils avaient bien informé le malade, qu’il savait que sa
pathologie était maligne. Il avait subi de nombreuses hospi-
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ematologie, vol. 18, n o1, janvier-février 2012
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