prescripteur. Les médecins vont être notamment sensibles à la
contrainte temporelle que représente le protocole thérapeu-
tique, qui empiétera bien souvent sur le temps dévolu aux
autres activités de soins, et se fera donc potentiellement au
détriment d’autres personnes malades. En outre, il peut exis-
ter des difficultés de fonctionnement d’équipe, mettant en
cause la capacité à gérer la lourdeur logistique des proto-
coles : manque d’habitude des équipes, manque de person-
nel dédié, manque d’expérience dans la recherche.
La question de la responsabilité n’est pas neutre, dans un
contexte de judiciarisation des pratiques, la crainte de telle
ou telle considération ou l’interprétation qu’on peut en faire,
pourra nous amener à prendre la décision que nous jugeons
la plus propre à nous apporter la sécurité médico-légale. La
rigueur et le formalisme du protocole pourraient donc appa-
raître sécurisants, mais il faut bien avoir en tête que ni le
consentement, ni la collégialité, ne peuvent en aucun cas
délester le médecin de sa responsabilité propre. A contrario,
certains médecins particulièrement attachés à leur liberté de
prescription pourraient vivre l’inclusion dans un protocole
comme une entrave, avec la perte du pouvoir de décision,
la nécessité d’adhérer à des procédures rigides avec l’obliga-
tion de rendre des comptes à des tiers. Par ailleurs, la place
essentielle de la recherche en général, et en l’occurrence
clinique dans l’évolution carriérale hospitalière, est certaine-
ment un facteur nous poussant à inclure le plus grand nombre
de patients possible dans des protocoles. L’impression est
grande que bien plus que notre capacité clinique ou de péda-
gogie, c’est la capacité que nous aurons à mener, ou tout du
moins à participer, à des publications qui sera le moteur de la
carrière universitaire ou parfois même hospitalière. Dans ce
contexte, le choix d’inclure ou non un patient sera souvent
entaché de mobiles propres.
Dans d’autres cas, nous pouvons nous trouver dans une situa-
tion où il est difficile d’allier à la fois le rôle de thérapeute et
celui d’investigateur avec un possible conflit entre ces deux
aspects de la pratique médicale. Des exemples illustrant ces
situations sont la possibilité d’inclusion dans un protocole
dont la question posée nous semble désuète, l’inquiétude
que nous pouvons avoir concernant la toxicité d’un traite-
ment, la préférence personnelle pour l’un des traitements, la
réticence à recruter des patients dans un essai comprenant un
bras sans traitement, la restriction de la capacité d’individua-
lisation du soin, ou encore l’inflation d’examens sans bénéfice
direct pour la personne malade.
Difficultés pour le malade
Le risque serait que la décision thérapeutique soit plus orien-
tée vers le bénéfice de la recherche que celui de la personne
malade. Dans toute recherche il y a une certaine instrumenta-
lisation du sujet de recherche, qui risque d’être traité comme
un simple objet, et non pas comme une personne [5]. Une
partie de la solution pourrait se trouver dans la règle
kantienne absolue, selon laquelle l’autre doit être toujours
traité « comme une fin en soi, et jamais comme un moyen ».
La déclaration d’Helsinki qui édicte les principes éthiques
applicables aux recherches médicales sur des sujets humains
affirme : «Dans la recherche médicale sur les sujets humains,
les intérêts de la science et de la société ne doivent jamais
prévaloir sur le bien-être du sujet » [6].
De plus, l’inclusion dans un essai nécessite de pouvoir donner
un consentement libre, mais les fortes implications de la rela-
tion thérapeutique et le sentiment de dépendance ressenti par
une personne malade vis-à-vis de son médecin, font qu’il est
difficile d’exercer sa liberté de choix quand soins et recherches
sont aussi étroitement liés. Le consentement est un élément
fondateur de l’éthique de la recherche clinique. Celle-ci est
apparue indispensable dans les suites de la seconde guerre
mondiale et s’est construite en réaction aux atrocités commises
lors d’expérimentations humaines passées. Elle s’est imposée
comme une mesure éthique indispensable au respect de la per-
sonne impliquée dans une recherche biomédicale, lui rendant
la parole, de façon à ce qu’elle puisse exercer son autonomie.
Tous les codes éthiques et les recommandations l’édictent
comme principe essentiel à toute démarche expérimentale
impliquant des êtres humains. Le premier principe du Code
de Nuremberg est rédigé dans les termes suivants : « le consen-
tement volontaire de l’être humain est absolument essentiel ».
Il a même été complété en spécifiant qu’« il faut que la volonté
soit pleine et autonome, que la personne soit parfaitement
consciente des implications de sa participation à la recherche.
Le consentement le plus authentique est donc celui qui est
donné en pleine connaissance des objectifs, des méthodes et
des effets possibles de la recherche » [7]. Mais bien souvent,
nous nous retrouvons face à des personnes en situation de
grande fragilité, pour lesquelles « consentir à un acte thérapeu-
tique se fait dans l’émotion, la souffrance, le désarroi et
l’urgence, sans véritable compréhension de la portée de la
décision » [8]. Peut-on alors parler de consentement ? Et quel-
les sont donc les raisons qui poussent quelqu’un à participer à
une recherche ? « Parce qu’il a confiance en ce médecin ou en
la médecine ? Par désir de plaire au médecin ? Par désir de
contribuer à l’avancement de la science ? Par goût du
risque ? » [9]. En outre, la recherche clinique constitue la voie
privilégiée d’accès à l’innovation. Pour une personne qui pré-
sente une pathologie pour laquelle il n’existe pas de traitement
de référence et dont la seule possibilité thérapeutique se trouve
dans l’accès à un protocole, peut-on encore parler de liberté
de participation, si on ne lui offre pas la possibilité d’accès
àl’innovation en dehors de ce protocole ? [10].
Nous nous retrouvons donc certainement, malgré les énoncés
déontologiques, dans une situation d’asymétrie ; et bien sou-
vent on se rend compte que dans le cadre de la relation
thérapeutique, le principal n’est pas le consentement lui-
même, l’accord ou le refus, mais la parole rendue et échan-
gée. L’avantage pour la personne malade pourra pourtant se
retrouver dans la sécurité méthodologique liée au protocole,
sécurité d’une étude multicentrique sur les motivations des
Hématologie, vol. 16, n° 2, mars-avril 2010
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