La conscience

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Cours Olivier Verdun
LA CONSCIENCE
(Repères : « Objectif / subjectif », « Essentiel / accidentel »)
INTRODUCTION
Le mot conscience se rencontre dans un grand nombre de phrases et d'expressions dans
lesquelles il reçoit un très grand nombre de sens différents. Ce qui s'impose donc d'abord
avec ce mot, c'est sa polysémie. Recensement des locutions et expressions employant le mot
conscience puis classement de ces locutions par champs sémantiques. On doit parvenir au
classement suivant:
a. Registre moral : avoir bonne / mauvaise conscience, avoir la conscience
tranquille, en son âme et conscience, faire appel à la conscience de quelqu’un, conscience
professionnelle, avoir un problème ou un cas de conscience, agir en son âme et conscience,
être consciencieux, avoir la conscience tranquille. Et, dans le même ordre d'idée, être
inconscient, c'est-à-dire agir au mépris de la prudence, dans l'ignorance des risques qu'on
court ou fait courir aux autres.
b. Registre psychologique : perdre conscience, être inconscient au sens
d'avoir perdu connaissance, prendre conscience de quelque chose, être conscient de
l'existence d'une chose, d'un être, d’un fait, avoir conscience de telle ou telle chose, avoir
conscience de soi.
Où l'on voit que le terme de conscience est, en français, ambigu. Lorsque je pense, j'ai
conscience de mes idées, personne ne peut les connaître à ma place, et lorsque j'ai commis
une faute morale, j'ai mauvaise conscience. Il ne s'agit manifestement pas de la même
conscience. La langue anglaise dispose de deux mots – consciousness et conscience – là où la
française n'en a qu'un. Consciousness désigne la relation qu'un sujet entretient avec une
réalité externe ou interne, tandis que conscience signifie la relation avec une valeur morale.
De même l'allemand possède-t-il deux mots pour désigner la conscience psychologique
(Bewu$tsein) et la conscience morale (Gewissen).
Chacun de ces deux types de conscience détermine une catégorie spécifique de
jugements : lorsque je dis que j'ai mal, j'énonce un jugement de fait; lorsque je dis que c'est
mal, j'énonce un jugement de valeur. Les jugements de fait se contentent de constater la
réalité telle qu'elle est (" il fait beau "), les jugements de valeur visent la réalité telle qu'elle
devrait être (" il faut respecter son prochain ").
Il s'ensuit que par conscience psychologique, il convient d'entendre la saisie
immédiate qu’un sujet a de lui-même, de ses pensées, de ses actes, la simple présence du
sujet au monde, à lui- même (à ses représentations), bref la conscience qui accompagne tout
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acte du sujet : lorsque j'ai mal, que je pense à mon enfance, je le sais immédiatement, je n'ai
pas besoin de réfléchir longuement pour le savoir. Le terme conscience vient d'ailleurs de
deux mots latins, cum et scire, qui signifient avec et savoir. Avec qui ? Avec soi-même
précisément. La conscience est ainsi, en premier lieu, présence à soi, relation intériorisée
immédiate ou médiate qu'un être est capable d'établir avec le monde où il vit ou avec luimême.
La conscience morale est la propriété qu’a l’esprit humain de porter spontanément des
jugements moraux, la faculté que possède chaque homme d’être lui-même le juge de ses
actions, comme de celles de n’importe quel être humain. Par elle, nous sommes
responsables, nous distinguons le bien du mal, et revendiquons des droits, comme la liberté
de conscience, par exemple (droit de professer les croyances de son choix).
Qu’est-ce qui distingue « conscience de soi » et « connaissance de soi » ? Lalande
définit ainsi la conscience : « La conscience est la connaissance plus ou moins claire qu’un
sujet possède de ses états, de ses pensées et de lui-même. » Ici la conscience est considérée
comme une forme de connaissance, ce que confirme l’étymologie (« cum-scientia », « avec le
savoir »). Connaissance donc se rapportant à soi-même : le fait de savoir qui l’on est, ce que
l’on pense, ce que l’on fait. La connaissance étant généralement définie comme un certain
rapport d’adéquation entre le sujet et l’objet, entre l’esprit et le monde : connaître, c’est
penser ce qui est comme cela est.
Or toute conscience est-elle vraiment connaissance ? Si toute conscience suppose une
certaine dualité, le rapport de soi à soi n’est ni d’adéquation (il y a manifestement des
consciences fausses, illusoires), ni d’identité (avoir conscience de soi n’est pas la même
chose qu’être soi), ni pourtant de pure altérité (il n’y a de conscience que pour soi). En quoi
la connaissance de soi consiste-t-elle alors ? Cette connaissance est-elle possible ? A-t-elle
des limites? Si oui, quelles sont ces limites ? A quelles conditions une conscience vraie de soi
est-elle possible ? Plutôt qu’un résultat, la connaissance de soi n’est-elle pas la quête à jamais
inachevée d’une vie ?
Dans ce cours, nous nous limiterons à l'examen de la conscience psychologique en
articulant notre réflexion autour de deux questions fondamentales :
1. Celle d'abord concernant la nature, les formes, les fonctions et les conditions de la
conscience psychologique (1ère partie du cours) : comment faisons-nous l'expérience de
la conscience ? que nous révèle-t-elle de nous-mêmes ? quelles sont les caractéristiques
fondamentales de la conscience ? que signifie être conscient et prendre conscience de
quelque chose ? quels sont les formes, les degrés, les fonctions de la conscience ? est-elle
le propre de l’homme ? les animaux en sont-ils doués ?
2. Celle ensuite relative aux rapports qu’entretient notre conscience avec le monde extérieur
et le corps : comment une conscience peut-elle « résider dans » un corps, ou émerger de
lui ? C’est tout le problème ici de l’incarnation qui n’est pas seulement un mystère
christique. La conscience n’est-elle pas également condition de la représentation du
monde ? Comme le dit Husserl, n’est-elle pas toujours conscience de quelque chose ?
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3. La troisième partie du cours sera consacrée aux limites de la conscience. La conscience
est-elle une réalité autonome ? Est-elle fondatrice ou fondée ? Quelles sont ses
déterminations ?
I) LA CONSCIENCE PSYCHOLOGIQUE
En premier lieu, quelles sont les principales caractéristiques de la conscience et de l'être
conscient ? La conscience existe sous des formes très variées, depuis les plus frustes,
communes aux hommes et aux animaux, jusqu'aux plus élaborées, privilège, semble-t-il, de
l'homme seul. Cette remarque va d'ailleurs nous permettre d'envisager la question de la
spécificité de l'homme au regard des autres êtres vivants, des animaux notamment : la
conscience est-elle la marque par excellence de la supériorité de l'homme sur l'animal, de sa
grandeur, de sa dignité ?
A) LES FONCTIONS DE LA CONSCIENCE
On peut accorder à la conscience l'extension la plus vaste, en la faisant descendre
jusqu'à l'excitabilité, le plus bas degré de la sensibilité; on peut à l'inverse, à l'instar du
philosophe Ludwig Feuerbach, en réserver la primeur aux formes les plus élaborées de la
pensée, comme la réflexion et la conscience de soi, réservées à l'homme. Aussi convient-il de
distinguer différentes formes et degrés de conscience, de même que nous nous demanderons
quelles fonctions au juste remplit la conscience.
A.1) L'évanouissement (texte de Sartre, in Esquisse d’une théorie des émotions)
« Soit par exemple la peur passive. Je vois venir vers moi une bête féroce, mes jambes se
dérobent sous moi, mon cœur bat plus faiblement, je pâlis, je tombe et je m'évanouis. Rien ne
semble moins adapté que cette conduite qui me livre sans défense au danger. Et pourtant c'est
une conduite d'évasion. L'évanouissement ici est un refuge. Mais qu'on ne croie pas que ce
soit un refuge pour moi, que je cherche à me sauver, à ne plus voir la bête féroce. Je ne suis
pas sorti du plan irréfléchi : mais faute de pouvoir éviter le danger par les voies normales et
les enchaînements déterministes, je l'ai nié. J'ai voulu l'anéantir. L'urgence du danger a servi
de motif pour une intention annihilante qui a commandé une conduite magique. Et, par le fait,
je l'ai anéanti autant qu'il était en mon pouvoir. Ce sont là les limites de mon action magique
sur le monde : je peux le supprimer comme objet de conscience mais je ne le puis qu'en
supprimant la conscience elle-même. Qu'on ne croie pas que la conduite physiologique de la
peur passive soit pur désordre. Elle représente la réalisation brusque des conditions
corporelles qui accompagnent ordinairement le passage de la veille au sommeil. » (Sartre,
Esquisse d'une théorie des émotions)
1)
2)
3)
4)
Quelle situation Sartre décrit-il dans ce texte ?
Que nous dit-il sur la conscience ?
Que veut dire " situation d'évasion" ?
Pourquoi s'agit-il d'une "conduite magique" ?
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Qu’est-ce qui s’évapore quand nous perdons conscience ? On sombre dans un état qui
s'apparente au sommeil - ou à la mort. Chez les Grecs du reste Morphée personnifie le
sommeil, il est le frère de Thanatos – la mort ; tous deux sont enfants d’Hypnos, le sommeil,
et de Nyx, la nuit. Perdre conscience, c'est entrer dans le monde de la mort, du sommeil, de
l'hypnose.
Dans son texte, Sartre fait de l’évanouissement une évasion, la réponse de la
conscience à une situation invivable, difficile à voir, à supporter, à regarder (exemple de la
plaie ouverte). Faute de disparaître définitivement, la situation s'efface localement,
ponctuellement. De même face à une situation psychiquement insoutenable (une violente
déception, une maladie grave…), le corps peut soustraire à la conscience l'évidence d'une
douleur trop forte à supporter : pour ne pas avoir à faire face, la conscience anéantit, annihile
la scène et permet au corps de retrouver ses esprits dans une sorte d'endormissement
programmé. Pour récupérer ses forces, sa vitalité et ses moyens de prendre le dessus.
De sorte que la conscience disparue, on ne peut plus voir le monde, il cesse d’être
perçu, donc possible. Pour certains philosophes – les idéalistes -, il n’existe pas de réalité sans
la conscience qui fait advenir les choses à l’être; l’évanouissement, la perte de conscience,
c’est l’expérimentation par un individu d’une disparition momentanée du monde; je ne vois
que ce que la conscience me montre et, sans elle, je ne suis plus rien : là où la conscience
braque son éclairage, elle fait surgir un objet à l'être et tout ce qui n'est pas lui se trouve
plongé se trouve plongé dans le néant.
A.2) La conscience, trait d'union entre le passé et l'avenir (texte de Bergson, in L'énergie
spirituelle)
« Qu'est-ce que la conscience ?…je puis la caractériser par son trait le plus apparent :
conscience signifie d'abord mémoire. La mémoire peut manquer d'ampleur; elle peut
n'embrasser qu'une faible qu'une faible partie du passé; elle peut ne retenir que ce qui vient
d'arriver; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n'y est pas. Une conscience qui
ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à
chaque instant; comment définir autrement l'inconscience ?
(…) Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit
à n'importe quel moment : vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de
ce qui va être. L'attention est une attente, et il n'y a pas de conscience sans une certaine
attention à la vie. L'avenir est là; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui : cette traction
ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons
continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir.
Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la
première fonction de la conscience… » (Bergson, "La conscience et la vie", in L'énergie
spirituelle).
1. Quelle est la fonction de la mémoire selon Bergson ?
2. Que nous dit Bergson sur la conscience ?
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Selon Bergson, la conscience, c'est d'abord la mémoire, c'est-à-dire la conservation et
l'accumulation du passé dans le présent. La première fonction de la mémoire est de retenir et
d 'anticiper, " retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore". L'esprit
s'occupe de ce qui est, en vue de ce qui va être : " Toute action est un empiétement sur
l'avenir". "…la conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté
entre le passé et l’avenir ”.
La conscience est cette fonction qui nous permet de choisir dans la masse importante
des faits, des souvenirs, des images, des émotions qui nous assaillent, en obéissant à des lois
de conservation et d’adaptation. La faculté de choisir qui caractérise la conscience, même à
son degré le plus fruste, désigne la faculté de "répondre à une excitation déterminée par des
mouvements plus ou moins imprévus".
La conscience s'endort en quelque sorte lorsque nos actions cessent de devenir
spontanées pour devenir automatiques : exemple de l'apprentissage d'un exercice où nous
commençons par « être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce
qu'il vient de nous, parce qu'il résulte d'une décision et implique un choix; puis, à mesure que
ces mouvements s'enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les
uns les autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous e
avons diminue et disparaît » (Bergson, op.cit.).
C'est d'ailleurs dans les moments de crise intérieure, « où nous hésitons entre deux ou
plusieurs partis prendre », que notre conscience « atteint le plus de vivacité ». En somme, les
« variations d'intensité de notre conscience semblent correspondre à la somme plus ou moins
considérable de choix ou…de création, que nous distribuons sur notre conduite ».
A.3) Conscience et nature
Bergson montre que la conscience est coextensive à la vie et qu'elle est
« proportionnelle à la puissance de choix dont l'être vivant dispose » (L'évolution créatrice).
Ainsi la vie, dans son évolution, a-t-elle choisi deux directions : la première direction est
celle du monde animal qui va dans le sens du mouvement et de l'action et qui tend vers une
action de plus en plus libre. La seconde est celle des végétaux où la mobilité est possible
mais comme endormie, assoupie, inconsciente. C'est bien la liberté qui est l'essence de la
conscience, alors que la matière est tout entière nécessité. La vie est précisément "la liberté
s'insérant dans la nécessité et la tournant à son profit".
Si la conscience est théoriquement coextensive à la vie, il est cependant évident que
pour certains êtres elle est endormie, et pour d'autres simplement limitée. Aussi est-il
nécessaire de procéder à un certain nombre de distinctions : êtres inanimés, inertes / êtres
animés, vivants; au sein des êtres vivants : êtres dont la sensibilité est limitée (végétaux) /
êtres dont la sensibilité est développée (animaux); au sein des êtres dont la sensibilité est
développée : êtres capables d'éprouver leur existence et celle du monde / êtres capables de
connaître leur existence et celle du monde.
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Mais si la première frontière est clairement établie, pour les autres limites on ne peut en
aucun cas être aussi catégorique : ainsi les primates tels que chimpanzés et gorilles présentent
des aptitudes qui les placent de façon assez évidente dans une proximité avec l'homme. Les
primates supérieurs sont capables d’attribuer des états mentaux à leurs partenaires, d’être
conscients des conséquences de leurs actes, d’être ouverts à l’altruisme et de pratiquer
certaines formes d’intentionnalité (tromperie, manipulation).
On oppose généralement conscience et instinct : alors que l'instinct se définit comme
un système sensori-moteur régi par le programme génétique (le comportement instinctif est
automatique, inné et inconscient), la conscience est capable de déroger à l'instinct : la
respiration, par exemple, est un comportement automatique et inconscient : je ne peux me
suicider en retenant ma respiration; sous l'eau c'est ma conscience qui m'interdit de respirer,
alors que c'est l'instinct qui finit par me noyer en me faisant respirer.
Ici la conscience renvoie à la spécificité humaine : on dit que l'homme a une
conscience afin d'affirmer sa singularité, sa différence. Mais pour la neurobiologie
contemporaine, la conscience n'est qu'un stade très avancé du développement de l'instinct; la
conscience est-elle même quelque chose de naturel
Conclusion :
Présence à soi et au monde, la conscience est bel et bien ce trait d'union entre le passé
et l'avenir qui rend possible le comportement, c'est-à-dire l'action adaptée, orientée,
finalisée, voire anticipée. La conscience remplit donc une fonction vitale, biologique et varie
en complexité dans l'échelle des êtres vivants, de sorte qu'on ne peut observer le même degré
de conscience chez l'homme et chez l'animal. Il convient alors de différencier des degrés, des
niveaux de conscience.
B) LES NIVEAUX DE CONSCIENCE
Parler de niveaux de conscience revient à envisager différents états, différents degrés
de conscience, depuis la simple sensation jusqu'à la conscience réflexive, propre à l'homme,
de sorte qu'il y a plus ou moins de conscience dans ce que nous faisons. Demander aux
élèves de donner des exemples mettant en évidence ces différents degrés de conscience
(coma, sommeil, attention, prise de conscience…).
B.1) La conscience irréfléchie
D'abord, comme nous allons le voir d'une façon plus approfondie dans le cours sur
l'inconscient, la conscience n'est pas nécessairement liée à la volonté et encore moins à la
réflexion : nombre de phénomènes physiologiques échappent à notre volonté tout en étant
conscients. Entre l'état de veille, accompagné de l'attention la plus vive, et le sommeil
profond, existent toute une série d'états intermédiaires, correspondant à des périodes d'activité
spécifiques du cerveau.
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Sartre parle de « conscience irréfléchie ». Avec la mauvaise foi, la conscience s'abuse
elle-même, il y a un jeu possible entre soi et soi, une distance, une contradiction qui sont la
conscience même (les attitudes de dissimulation, par exemple : le mensonge à soi,
l'hypocrisie qui consiste à déguiser son véritable caractère, à manifester des opinions, des
sentiments et des vertus qu'on n'a pas).
A ceci près que la simulation est toujours peu ou prou une situation limite que la
conscience n'atteint jamais tout à fait : il faut être fou pour jouer au fou, malade pour feindre
la maladie, de même que le malade imaginaire de Molière est un malade de l'imaginaire
(l'hypocondrie) - et c'est du reste en jouant son propre personnage de malade imaginaire que
Molière est pris d'une attaque dont il mourra peu après, en coulisses.
B.2) Conscience errante et altérée
La conscience varie en intensité comme une lampe halogène et va même jusqu'à
divaguer, errer, flotter. Nous faisons tous l'expérience de la rêverie à l'occasion d'un voyage,
lorsque nous nous ennuyons et que nous voulons nous abstraire par la pensée du réel.
Exemple du voyage en train que relate Michel Butor (manuel de philo, p.19).
La plupart des cultures non occidentales valorisent les états de conscience extrêmes
comme l'extase - expérience mystique par excellence -, la transe, la catalepsie. Dans la
pratique de la méditation, en Inde par exemple ou dans le bouddhisme zen, la pensée en tant
que telle abolit tout objet autre qu'elle-même.
La conscience peut être altérée sous l'effet de substances chimiques (drogues) ou de
l'autosuggestion. Dans les états de transe (exemple, au Brésil, de la cérémonie du
Candomblé), le transi est celui qui est allé au-delà et manifeste à la fois la douleur de la
dépersonnalisation et l'extase de la soumission à la force divine qui l'habite; la transe,
sauvage, doit être récupérée par le groupe dans un rite de possession, bien réglé, qui canalise
et libère les tensions émotionnelles (catharsis) et facilite une sorte de communion entre les
participants.
Dans toutes les cultures existent des personnages qui, cultivant des états altérés de la
conscience (adeptes du vaudou en Haïti, chamanes de Sibérie, moines zen du Japon, sorciers
africains…), étaient réputés comme étant parvenus au-delà de la réalité ordinaire des autres
hommes. Etats de conscience altérée certes mais accrue.
La conscience est un pays que l'on peut quitter (exemple extrême de la folie), de sorte
que revenir à soi c'est reprendre conscience, comme si l'on avait voyagé hors d'elle.
B.3) La conscience réfléchie
On peut ainsi être plus ou moins conscient, avoir plus ou moins de conscience,
comme on peut être plus ou moins attentif. La conscience est non seulement la faculté de se
représenter soi-même, de se faire une image de soi - on parle de conscience de soi - et du
monde alentour - on parle de perception - mais encore de se réfléchir, de se prendre pour
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objet : on parle alors de conscience réfléchie ou réflexive - de réflexion ! La réflexion
désigne, en une première approche, un retour de la pensée sur elle-même, une conscience au
carré en quelque sorte : comme un dédoublement de la conscience par lequel le sujet prend
conscience ou a conscience de ce qui se trouve dans sa conscience.
Questions aux élèves : quelle différence faites-vous entre une main et un oeil ? A
quoi un miroir vous fait-il penser ? Quel rapport peut-on établir entre le miroir et la
conscience ?
Une main ne se prend pas elle-même, un estomac ne se digère pas, la pensée, la
conscience, si. L'oeil également – et c'est pourquoi la conscience a souvent été figurée par le
regard. Lorsque je me regarde dans un miroir, j'existe en quelque sorte deux fois, en tant que
sujet regardant et en tant qu'objet regardé – ce que le français exprime bien par les deux
pronoms différenciés je, me. Exemple également de la mémoire : lorsque je me souviens de
mon enfance, je suis à la fois mémoire et souvenir : c'est moi qui me souviens, le " quelque
chose " dont je me souviens, c'est encore moi-même.
Le miroir est donc bel et bien le symbole de la conscience de soi.. Le même verbe
réfléchir renvoie du reste à l'action physique du reflet et à l'opération mentale de la pensée.
Réfléchir, c'est un peu user de son esprit comme d'un miroir. Dans La Belle et la Bête de Jean
Cocteau, la Belle, découvrant le château enchanté de la Bête, prend le fameux miroir et
entend : « Je suis le miroir, la Belle, réfléchis pour moi et je réfléchirai pour toi » (Cocteau a
écrit également que « Les miroirs feraient bien de réfléchir avant de nous renvoyer notre
image »).
La conscience de soi suppose ainsi l'écart de soi à soi, elle n'est pas originaire mais
acquise : dans la réflexion, j'accède à la vérité de ma subjectivité, je parviens à en savoir un
peu plus sur moi. Dès lors, il n'y a pas de construction de soi sans travail d'une conscience
claire. La conscience est au service de l'édification de soi, elle permet d 'être à soi-même
l'objet et le sujet de son travail. Elle rend également possible le mécontentement de soi si
l'écart demeure ou semble impossible à combler. En somme, la conscience est l'instrument de
la connaissance de soi, de l'autobiographie.
Conclusion :
Si la conscience nous est apparue comme étant coextensive à la vie, la conscience
humaine est ce par quoi nous nous forgeons une représentation du monde et de nous-même.
Elle fait de nous des sujets et se caractérise essentiellement par la réflexivité puisque la
conscience peut se prendre elle-même comme objet de pensée ou de connaissance. Cette
conscience est donc d'abord mise à distance de soi et du monde, écart de soi à soi. Elle
n'est pas donnée mais s'acquiert progressivement, de sorte que la conscience n'est pas simple
repli ou clôture du sujet sur lui-même mais relation au monde, ouverture sur autrui.
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C) LA CONSCIENCE ET LE MONDE
A la question de savoir ce qu'est " être normal ", Freud avait répondu : « Aimer et
travailler ». Aimer renvoie au rapport entre les consciences, travailler, au rapport entre la
conscience et la réalité. Le fou, en effet, n'est plus capable ni de l'un ni de l'autre. Toute
conscience est à la fois conscience de quelque chose, comme le dit Husserl, mais aussi
conscience pour quelque chose et pour quelqu'un.
C.1) L'intentionnalité
La conscience peut-elle n'avoir aucun objet, peut-elle être vide ? Peut-on ne penser à
rien ?
Au premier abord, il semble que oui : ne dit-on pas quelquefois que l’on ne pense à
rien, voulant dire par là que notre conscience est vide, qu’elle n’a aucun objet, aucun contenu
? Mais cela est-il exact ? Lorsqu’on dit qu’on ne pense à rien, pensons-nous vraiment à rien ?
En réalité, nous avons encore des pensées, quelque chose à l’esprit, mais ces pensées
ne font que nous traverser l’esprit sans qu’on fixe sur elle notre attention. Un flux de pensées
confuses nous passe par la tête et notre attention est flottante. Lorsqu’on dit qu’on ne pense à
rien, on pense encore à quelque chose !
Husserl en conclut qu'il n'existe pas de pure pensée qui serait pensée de rien. Toute
conscience est conscience de quelque chose; elle est réflexive en ce sens qu'elle instaure une
relation entre un sujet et l'objet de sa conscience. L'intentionnalité est ainsi le caractère
essentiel de la conscience. Par intentionnalité, il faut entendre l'acte par lequel la conscience
se rapporte à l'objet qu'elle vise. La conscience est une visée, de sorte qu'on ne peut pas
saisir la conscience comme telle, c’est-à-dire isolément, comme une chose ou un objet.
La conscience ne se rencontre qu’en train d’avoir conscience d’un objet, que prenant
conscience d’un objet et cela de diverses manières. Tout ce que l’on peut saisir d’elle, ce
n’est pas un quelque chose, mais différents actes de conscience en rapport avec différents
objets : perception, jugement, représentation, etc. Lorsque nous pensons, nous pensons
toujours à quelque chose : je perçois tel arbre, j’en ai conscience parce que je le perçois; je
me souviens de telle chose passée, j’ai conscience de cette chose en tant que je fais l’effort de
m’en souvenir; je crois en telle chose, j’ai conscience de cette chose en tant que j’y crois…
Husserl montre donc que la structure même de la conscience est d’être ouverte sur
le monde et d’inclure en elle le sens de chacun des objets auxquels elle a affaire. Que le
monde existe ou qu’il n’existe pas, qu’il existe tel que je le pense ou non, la conscience ne se
réduit jamais à une conscience pure de tout contenu, elle est toujours conscience de quelque
chose, visée de quelque chose qui se distingue d’elle, d’un objet.
Présence à soi de l’esprit ou de l’âme, la conscience est comme une pensée qui se
pense. En cela elle suppose une certaine dualité, un écart de soi à soi, de soi au monde, de
soi aux autres. Toute conscience est médiation, comme une fenêtre qui ne s’ouvre sur le
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monde qu’en se faisant d’abord regard. La conscience n'a pas de dedans, elle n'est rien que
le dehors d'elle-même.
Sartre en conclut qu'exister, pour la conscience, c'est être hors de soi, se projeter en
avant vers les choses, vers l'avenir, sous la forme de projets. Le corrélat de la conscience est
alors la liberté : exister, pour la conscience humaine, c'est orienter par son projet le sens de
l'avenir. C'est ainsi que Sartre distingue l'en soi et le pour soi : l'en soi est le mode d'être des
choses qui sont ce qu'elles sont, dans une parfaite coïncidence avec elles-mêmes; le pour soi
est le mode d'être de l'existant humain qui, toujours à distance de lui-même, n'est jamais tout
à fait soi.
Mais vivre dans le monde, s’extirper hors de soi n'est pas seulement le fait de la
conscience, la condition propre de l'homme, cela devient même un devoir, une règle de vie.
C’est ainsi qu’apparaît dans la philosophie de Sartre le thème de l’engagement - engagement
dans l’histoire, la politique (une cause, un parti), l'écriture, une relation amoureuse, etc. La
conscience est plus que jamais activité et non passivité, exigence envers soi et non jouissance
de soi, résistance et non soumission, fidélité aux autres et aux événements vécus en
commun.
C.2) La négation
Avoir conscience de, ce n'est pas seulement représenter le réel, le réfléchir en quelque
sorte; c'est aussi présenter l'irréel, nier la réalité présente, de sorte que la conscience ne
photographie pas la réalité, elle dessine ou peint la sienne. La conscience réplique au
monde, elle n'est pas une réplique du monde. La négativité, entendue comme capacité qu'a
la conscience de mettre à distance, d'annuler le monde, est alors le corrélat de
l'intentionnalité, caractéristique essentielle de la conscience.
Cette négation revêt de multiples formes : imaginaires (l'art, par exemple, qui donne
à l'artiste le moyen d'exprimer ce qu'il n'est pas, une oeuvre d'art étant un puissant moyen
pour donner une forme concrète ), psychologiques (la psychose, la déception où la
conscience éprouve la chute que le réel lui inflige et réagit à la brutalité massive des êtres et
des choses), religieuses ou spirituelles (détachement à l'égard du monde dans l'extase
mystique, la transe chamanique, la méditation du bouddhiste zen…), etc.
Conséquence : je suis moi et en même temps toujours plus et autre que ce que je suis;
je puis, à tout moment, dépasser mes déterminations, échapper à toutes les définitions. Par la
négativité, l'homme se saisit comme liberté entendue comme pouvoir de s'arracher au monde,
de se soustraire aux déterminations. Certes la liberté est toujours en situation et le sujet ne
choisit pas la situation dans laquelle surgit la liberté. Mais il choisit le sens qu'il lui donne, le
rapport que la liberté entretient avec une situation est toujours un choix : je décrète
impossible ce que je refuse de rendre possible, je juge intolérable la situation que je décide de
ne plus tolérer. Or on peut toujours reculer les limites de l'intolérable…
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C.3) La projection
La conscience est une projection tout autant qu'un écran.
Ambivalence d'abord de l'écran qui à la fois fait voir (l'écran de projection) et
empêche de voir (faire écran). L'idée de séparation domine : écran vient d'un mot francisque
qui signifie bouclier; l'écran est originellement un pare-feu. La conscience, comme le cinéma,
s'impose contre le feu du réel.
Nous ne voyons pas le monde tel qu'il est mais tel que nous sommes. C'est sans doute
ce qui est à l'origine de l'anthropomorphisme. L'anthropomorphisme est la propension à se
représenter toutes les réalités – choses, animaux, univers, Dieu, etc. – sur le modèle de la
réalité humaine.
Nous projetons sur la réalité des affects qui ne sont jamais détachés de soi. S'investir,
c'est mettre quelque chose de soi-même hors de soi-même. L'investissement se distingue de
la réserve, où la distance demeure, et du don de soi, où elle est annulée. Et c'est d'ailleurs
lorsque le sujet se perd ou s'oublie lui-même (on ne pense plus à soi quand on est absorbé par
son travail), qu'il se gagne : cette sortie hors de soi est une retrouvaille !
Freud parle également d'un mécanisme de défense puissant à l'oeuvre surtout dans la
paranoïa et dans la phobie - la projection : le sujet attribue au monde extérieur des pensées,
des désirs, des sentiments qu'il ne peut reconnaître comme siens. Il s'agit d'un processus
psychique inconscient par lequel un sujet détache de soi un désir ou un sentiment qu'il
éprouve à son insu (souvent un sentiment d'hostilité) et l'attribue à d'autres. Ce mécanisme
s'opère aussi dans la superstition.
CONCLUSION :
Représentation, intentionnalité, négation ou négativité, projection sont les modes
principaux de cette relation complexe que nous nouons avec les choses, les autres qui nous
entourent et qui nous constituent en même temps. Comment envisager alors la question de
l'identité du sujet ou de la personne, si la conscience de soi n'est possible que médiate,
éclatée, projetée, altérée ou aliénée ? Ne sommes-nous pas condamnés à l'extériorité
permanente qui semble en contradiction avec le sentiment, vécu par le sujet, d'une intériorité
irréductible, voire d'une clôture du sujet sur lui-même (notion de solitude ontologique) ?
II) LA QUESTION DE L'IDENTITE PERSONNELLE ET LES LIMITES DE LA
CONSCIENCE
Lorsque je dis « je », j'établis implicitement une identité entendue comme le
caractère de ce qui est le même, la permanence ou la constance dans le temps; il s'agit du
fait banal qu'un homme reste le même homme, que son identité est continue et permanente.
Or l'instabilité et la multiplicité du moi sont les obstacles qui se présentent sur le chemin de
l'identité personnelle. Existe-t-il dès lors quelque chose qu'on appelle le moi, qui resterait
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permanente ou constante dans le temps et qui résisterait aux changements multiples qui
l'affectent ? Dans l'affirmative, quelle est la nature de ce moi ? Que pouvons-nous
véritablement connaître de nous-même, si tant est qu'il y ait réellement quelque chose à
connaître ?
A) LE MOI SUBSTANTIEL (texte de Descartes, in Discours de la méthode, IVe par.)
« Je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait
nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité : je
pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions
des sceptiques ne pouvaient l 'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour
le premier principe de la philosophie que je cherchais.
Puis, examinant avec attention ce que j'étais, et voyant que je pouvais feindre que je
n'avais aucun corps et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse, mais que je ne
pouvais pas feindre pour cela que je n'étais point, et qu'au contraire, de cela même que je
pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement
que j'étais, au lieu que, si j'eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que
j'avais jamais imaginé eût été vrai, je n'avais aucune raison de croire que j'eusse été, je connus
de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour
être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle; en sorte que ce moi, c'està-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même
qu'elle est plus aisée à connaître que lui, et qu'encore il ne fût point, elle ne laisserait pas
d'être tout ce qu'elle est. » Descartes, Discours de la méthode, IVe partie
Le moi désigne-t-il une réalité indubitable ? La pensée consciente d'elle-même estelle vraiment ce qui définit le moi ? Dans ce texte célèbre, Descartes montre que je ne puis
jamais douter de moi sans en même temps supposer mon existence. En même temps que je
pense que je suis, je suis. Le texte se déploie en deux paragraphes. Le premier établit que le "
Je pense " est une vérité première et le fondement de la philosophie (" Mais…cherchais "). Le
deuxième examine la nature de la pensée et du sujet pensant : l'âme est une substance
distincte du corps (" Puis…ce qu'elle est ").
A.1) L'expérience du doute
C'est dans et par l'exercice du doute que Descartes va mettre en évidence le
caractère irréductible et fondamental de la conscience. Descartes entend reconstruire le
monde de la connaissance en un moment culturel de doute et de crise. En quête du vrai, c'està-dire d'une certitude inébranlable, Descartes cherche à discerner ce qui est indubitable et se
propose pour cela de réévaluer les connaissances en leur principe même.
Il commence par considérer comme faux tout ce en quoi il pourrait imaginer le
moindre doute. Le doute est le commencement obligé de la philosophie. Non plus le doute
sceptique, passif, sans issue, mais le doute actif, méthodique, c'est-à-dire l'examen critique
destiné à faire table rase des superstitions, des dogmes, des préjugés. Avant de rechercher la
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vérité, il faut d’abord purger l’esprit de nos préjugés installés par les nourrices, les éducateurs
et les opinions douteuses attachées aux sens. L'examen critique est un acte de liberté, il est
l'affirmation de la possibilité de juger par soi-même.
Dans l'expérience du doute, je me découvre moi-même comme ce qui résiste au
néant, comme un subsistant, un reste, ce qui résiste en dernier appel, par delà toutes les
destructions que l'on peut tenter.
En effet, une fois que j'ai douté de tout, y compris de moi-même, apparaît une
première certitude : je peux douter de tout, mais je ne peux douter de la condition inhérente
à l'acte même de douter; il faut bien que moi qui me persuade que je rêve ou que je suis fou,
moi qui veux douter, je pense et que je sois ou j'existe, justement pour pouvoir penser. Au
moment où je doute, je pense et au moment où je doute, je suis.
En clair, l'existence de la pensée est avérée par son activité même. Mon
inexistence est impensable au présent. Si je n'existais pas, je ne pourrais pas penser, pas
même mon inexistence : " Pour penser, il faut être; or je pense, donc je suis ". Si Je suis,
j’existe, et ceci, pour autant et aussi longtemps que je pense. Même si toutes mes
représentations sont fausses, elles ne cessent pas pour autant d'être mes représentations.
Même si je pense le faux, je pense effectivement : le "je pense" conditionne le doute luimême; il est hors de doute parce qu'il est hors du doute.
Descartes passe donc de la considération de la vérité ou de la fausseté des
représentations à leur caractéristique commune d'être des représentations, c'est-à-dire des
événements mentaux connus d'une conscience. La conscience apparaît comme donc
comme la condition nécessaire de toute représentation : il n'y a de représentation et de
doute possibles que dans et pour une conscience.
A.2) Le cogito
A la question : " »Mais qu'est-ce donc que je suis ? », Descartes répond : « Une
chose qui pense » (res cogitans). Or, pourquoi la pensée, selon Descartes, relève-t-elle de la
catégorie de la "chose", de la substance, avec le modèle matériel que cela comporte ?
La pensée est un attribut essentiel du "Je". Cet attribut essentiel, Descartes le
nomme "substance", dans la mesure où il suffit à définir le moi. Le "Je" est la substance
pensante, c'est-à-dire l'âme ou l'esprit. Cette conscience est réalisée dans une chose, un être,
doté d'une essence (la pensée) et d'une existence propres. Il s'agit d'une substance, condition
sine qua non de la conscience.
La notion d'identité renvoie, en effet, à l'idée d'un être ou d'une existence continue,
à celle de chose (ou de substance) et son symétrique, l'idée du moi.
Par chose ou substance, il convient d'entendre un pôle identique ou permanent de
variations et de changements successifs. Une chose est ce qui peut changer d'aspect, une
substance peut recevoir une diversité changeante d'accidents, sans que la chose ou la
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substance change elle-même et devienne une autre chose. Par substance, il faut entendre ce
qui demeure sous les changements de qualités. Alors que la substance est ce qui subsiste en
soi et par soi, l'accident est ce qui peut s'affirmer d'un sujet, mais n'est ni nécessaire ni
constant.
On peut dès lors rattacher cette définition de la substance ou de la chose au Moi
qui jouerait le rôle d'une entité irréductible, d'un pôle auquel se rattacherait toutes les
représentations du sujet et qui constituerait par là même un principe d'identité. Définissons le
Moi comme la conscience de la permanence et de l'unité des divers états affectifs,
intellectuels, successifs.
A.3) Le dualisme cartésien
Le réel existe sous deux formes : la substance étendue (matière : corps,
phénomènes physiques, monde) et la substance pensante (esprit ou âme, pensée). L’âme est
pensée, c’est-à-dire conscience ; donc tout phénomène psychique est nécessairement
conscient ; la conscience ou pensée est l’essence même de la vie psychique. Ainsi un
comportement humain trouve-t-il sa source ou bien dans le corps (mécanisme corporel,
involontaire) ou bien dans l’esprit (processus intentionnel, volontaire). Comme la pensée est
identifiée à la conscience, tout ce qui en moi échappe à la pensée, à la conscience,
appartient au corps et s’explique, par conséquent, par des mécanismes physiologiques.
La pensée se définit par la conscience et n'existe comme pensée que pour autant
qu'elle est consciente : " Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle
sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement
entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir est la même chose ici que penser." (Descartes,
Article 9 des Principes de la philosophie), " Par le nom de pensée, je comprends tout ce qui
est tellement en nous que nous en sommes immédiatement connaissants " (Réponses aux
secondes objections).
Penser, c’est savoir que l’on pense, sinon on ne pense pas du tout. Etre conscient
ou penser, c’est simultanément et indissolublement, penser à quelque chose et savoir qu’on y
pense. Il faut noter aussi, pour comprendre l’apparent paradoxe qui consiste à dire que sentir,
c’est aussi penser, que c’est l’aperception immédiate qui permet de définir l’ensemble des
actes de la pensée. On pourrait renverser la formule et dire : on a affaire à la pensée ou à la
conscience chaque fois qu’il y a aperception immédiate de quelque chose qui se passe en
moi. Ainsi, digérer n’est pas penser, parce que si cela se passe en moi, je n’en ai aucune
aperception immédiate. Mais sentir, c’est bien penser parce que j’en ai une aperception
immédiate.
Si nous avons des pensées inconscientes, c’est-à-dire des pensées que nous ne
connaissons pas, comment pourrions-nous savoir que nous les avons ? Si quelque chose
affecte notre esprit sans que nous le pensions, en ignorant que c’est en notre esprit, ce n’est
en rien de la pensée. La pensée consciente est la pensée présente à l’esprit à l’instant où il
pense. Les autres pensées ne sont pas des pensées actuelles, mais des pensées passées, c’est-
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à-dire des pensées qui ont existé mais qui, présentement, n’existent plus. Il n’y a pas non plus
de pensée latente, possible, virtuelle. Le “je pense” n’est légitime qu’au présent de l’indicatif.
Ainsi, l'automate le plus semblable à l'homme ne pourrait jamais rapporter ses
"pensées" à l'unité du " Je pense ". En ce sens, il ne peut exister de "machine pensante" : un
automate parlant ne pense pas ce qu'il dit, et c'est du reste pourquoi il faut le programmer. Et
c'est pour cela que la conscience, qui caractérise toute pensée, ne dérive pas du
mécanisme.
Conclusion :
Que suis-je donc ? Une chose pensante, autrement dit, absolument tout, sauf une
chose : je suis ma conscience, je suis mon esprit, mon âme. Je suis donc assuré d'être grâce
à la conscience que j'ai d'être une chose qui pense. Or, si de tout ce que je fais, je peux dire
que c'est moi qui le fais, le moi est-il pour autant quelque chose qui existe à part ou pour luimême ? Désigne-t-il réellement une substance ? Faut-il conclure, en somme, à l'existence
de quelque chose comme une "subjectivité" ?
B) LES IMPASSES DE L'IDENTITE (textes de Hume et de Nietzsche)
La philosophie de Descartes fonde la souveraineté du sujet qui ne va pas sans
quelques ombres. Hume et Nietzsche s'attaquent ainsi à l'idée cartésienne que ce moi se
compose d'un seul élément pour établir que nous sommes au contraire multiples, de sorte que
l'identité personnelle se résoudrait en une pure fiction langagière ou grammaticale : nous ne
nous croyons possesseurs d'une subjectivité que par habitude de langage.
B.1) L'illusion substantialiste (texte de Hume)
« Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience
intime de ce que nous appelons notre moi; que nous sentons son existence et sa continuité
d'existence; et que nous sommes certains, plus que par l'évidence d'une démonstration, de son
identité et de sa simplicité parfaites (…) Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement
dans ce que j'appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de
chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne
peux me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la
perception. » Hume, Traité de la nature humaine (Livre 1, IVe partie, section VI).
Dans son Traité de la nature humaine, Hume cherche à expliquer la croyance en
un être nommé " moi ", c'est-à-dire la tendance de l'esprit à forger la fiction de l'identité
personnelle. Hume remet ici en cause la réalité même du moi. Si l'on accepte la définition
classique du moi comme support stable et continu de toutes nos expériences, force est de
constater qu'il contredit notre expérience intime. Celle-ci est faite d'une multiplicité de
perceptions qui ne laisse place à aucune permanence.
Aussi Hume est-il conduit à réfuter l'emploi du mot "moi" et à lui préférer
l'expression "ce que j'appelle moi", comme s'il voulait dénoncer dans cette subjectivité une et
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cohérente une simple habitude de langage, de sorte que le langage jouerait un rôle essentiel
dans la construction du moi
Qu'est-ce que l'esprit ou le moi ? « Rien qu'un faisceau ou une collection de
perceptions différentes qui se succèdent les unes aux autres avec une rapidité inconcevable et
qui sont dans un flux et un mouvement perpétuels » (Hume, ibid.). Quand je regarde ce qui se
passe en moi, en effet, je tombe toujours sur une perception particulière : chaleur, froid,
amour, haine, plaisir, douleur. Je ne peux me saisir moi-même sans une perception. Nous
sommes un faisceau de perceptions différentes qui se succèdent; pensées, sens, facultés
changent constamment : « L'esprit est une sorte de théâtre, où des perceptions diverses font
successivement leur entrée, passent, repassent, s'esquivent et se mêlent en une variété infinie
de positions et de situations » (op.cit., p 344). Il n'y a pas dans notre esprit d'identité.
La croyance en l'identité est le fruit de l'imagination et de l'esprit qui ont
naturellement tendance, que ce soit pour les choses extérieures ou les perceptions intérieures,
à associer les impressions toujours distinctes, à unir ce qui est séparé, à rassembler nos
multiples expériences discontinues. C'est notre esprit qui imagine que les objets se
ressemblent, bien qu'en réalité ils sont toujours distincts. Notre esprit procède toujours
suivant le principe d'union avec régularité, avec méthode. En réalité, les objets sont distincts
les uns des autres, les événements ne se répètent pas, notre esprit ne sait rien des lois qui les
régissent. L'individu n'a, en somme, que des sensations externes ou internes reliées par des
associations contingentes, et non par un sujet. Il n'est que la constatation d'un défilé
d'images et de sensations.
Au total, cette identité semble se résoudre en une pure illusion, un effet de
croyance. On aboutit à l'idée d'une conscience illusoire, - l'illusion fondamentale consistant,
pour la conscience, à se croire autonome et rattachée, nous l'avons vu, à une réalité
substantielle, pôle de l'identité personnelle, que l'on nomme cette réalité le moi, l'âme, l'ego
ou l'esprit.
B.2) L'identité personnelle, une fiction langagière (texte de Nietzsche)
« (…) une pensée vient quand "elle" veut et non quand "je" veux, en telle sorte que c'est
falsifier les faits que de dire que le sujet "je" est la détermination du verbe "pense". Quelque
chose pense, mais que ce soit justement ce vieil et illustre "je", ce n'est là, pour le dire en
termes modérés, qu'une hypothèse, une allégation; surtout ce n'est pas une "certitude
immédiate". Enfin c'est déjà trop dire que d'affirmer que quelque chose pense, ce "quelque
chose" contient déjà une interprétation du processus lui-même. On raisonne selon la routine
grammaticale : "penser est une action, toute action suppose un sujet actif », Nietzsche, Par
delà le Bien et le Mal.
Nietzsche va encore plus loin sur le chemin de la démolition du "je pense"
cartésien. Dans ce texte, le philosophe remet en cause l'ensemble des présupposés de l'analyse
cartésienne, c'est-à-dire la maîtrise de la pensée par la conscience et l'unité inaltérable dont le
moi est censé être le siège. Il n'y a que dans le langage que c'est moi qui pense : en réalité,
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nos idées ne sont pas de nous, nous ne sommes pour elles que des lieux de passage, comme le
suggère l'expression : une idée m'a traversé l'esprit…
Affirmer, en effet, que l'acte de penser est l'opération d'un sujet "je", c'est raisonner
selon la routine grammaticale. Pour tout verbe d'action, il faut un sujet. Il se pourrait donc
que ce soit la grammaire qui nous fasse croire à l'existence du sujet.
Que veut dire la phrase : « une pensée vient quand elle veut et non pas quand je
veux » ? D'abord il s'agit d'un constat des plus banals : bien des pensées nous traversent
l'esprit sans que gnous sachions exactement pourquoi elles nous viennent et comment elles
nous viennent. Plus profondément, nous ne nous mettons à penser qu'au sein d'une pensée
déjà faite, véhiculée par les discours que nous lisons ou entendons. Nous pensons dans un
champ conceptuel que nous n'avons pas engendré et qui forme le cadre de notre pensée.
Dès lors, ce qui pense, ce n'est pas tellement le sujet mais quelque chose. Et ce
quelque chose qui pense en nous est sans doute le système du langage tel qu'il est pratiqué à
un moment donné. De sorte que chaque langue véhicule un mode de pensée qui lui est propre
(cf. cours sur le langage).
Ce texte constitue donc une mise en question radicale du sujet. La pensée est le
résultat d'un système - social et historique. Le sens des mots est non une décision de l'esprit
mais le produit de l'usage - de l'histoire, de la collectivité, de la vie en société et donc du
besoin. La pensée consciente serait alors ce qu'il y a de plus superficiel en nous; elle
constituerait un effet de surface provoqué par la vie en communauté et par ce qui rend la vie
en communauté : le langage. Ainsi, ce que nous appelons l'autonomie du sujet est une
fabrication de la vie en commun traduite par le système des signes.
Conclusion :
Le langage joue donc un rôle essentiel dans la construction de soi et dans la
croyance en l'existence du moi. L'unité et la stabilité du moi sont inaccessibles, de sorte que
la question de l'identité personnelle semble se résoudre en une pure illusion, un effet de
croyance, - l'illusion fondamentale consistant, pour la conscience, à se croire autonome et
rattachée à une réalité substantielle, pôle de l'identité personnelle, que l'on nomme cette
réalité le moi, l'âme, l'ego ou l'esprit. N'est-ce pas alors réduire la conscience à un
phénomène?
C) LA CONSCIENCE COMME PHENOMENE
Nous avons vu que la position cartésienne confère à la conscience une position
fondatrice. Or pour les sciences, certains courants de la philosophie contemporaine et
certaines spiritualités, la conscience ne constitue pas un phénomène originaire mais un
phénomène de surface, une hypothèse superflue, un fait dépendant de tout un faisceau de
déterminations physiques, sociales et psychiques (question qui sera approfondie dans le cours
" la matière et l'esprit") dont il convient de se passer pour expliquer les conduites humaines.
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Foyer d'illusions, la conscience nous donnerait alors à voir un sujet multiple, fragmenté,
relatif, insaisissable, cela même dont il conviendrait de se libérer.
C.1) Les déterminations de la conscience
Les déterminations physiques de la conscience d'abord.
L'univers a connu trois sauts qualitatifs : du néant à l'être, de la matière à la vie et
de la vie à la conscience. Si la vie est un effet émergent d'un processus de complexification
croissante de la matière, la conscience est un effet émergent d'un processus de
complexification croissante de la vie. Bergson nous dit que la "conscience est coextensive à a
vie" et qu'elle se place dans le dynamisme évolutif de la vie. La physiologie et la
paléontologie font de la conscience un phénomène tardif émergent après une et lente
évolution. La nature a produit le cerveau, lequel produit la pensée. La conscience est une
surface, un effet, il y a toujours quelque chose derrière elle - une histoire, des besoins, des
antécédents.
Les déterminations sociales de la conscience ensuite.
« Ce n'est pas la conscience des hommes qui déterminent leur être; c'est inversement
leur être qui détermine leur conscience » (Marx, L'idéologie allemande). La conscience est
envisagée ici comme un produit social. De sorte que l'homme ne vit pas ce qu'il pense mais
pense ce qu'il vit. La culture, la société, la religion, le langage, etc. constituent des
déterminations sociales.
La sociologie tend à transférer à l'organisation sociale les contenus de la
conscience individuelle. Les contenus de la conscience individuelle sont transférés à une
subjectivité sociale. Ainsi Durkheim, dans Règles de la méthode sociologique, souligne-t-il
que la conscience est par essence un phénomène social. La conscience représente ce qui est
conforme aux fins de la classe, de la société, de la profession auxquelles l'individu appartient,
et ce à travers les croyances, les idées morales, esthétiques, religieuses, etc. La conscience
morale, par exemple, n'est pas individuelle mais sociale, en ce sens que les commandements
moraux s'imposent aux individus qui les a intériorisés au point qu'il a l'illusion de n'obéir qu'à
lui-même. Le bien et le mal sont déterminés pour les hommes, non de toute éternité, mais par
chaque société particulière, par chaque classe sociale, etc., en fonction e sa constitution
particulière. Et c'est précisément ce qui explique la variation dans l'espace et le temps des
idées morales.
Les déterminations psychiques de la conscience, enfin. Ce point sera approfondi
dans le cours sur l'inconscient.
Chez l'homme, l'inné et l'acquis, le biologique et le psychologique se mêlent
inextricablement. Chaque âge, chaque étape de notre existence laisse des sédiments
psychiques (souvenirs, désirs refoulés, projets divers…) qui constituent la fondation même du
présent.
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Phénomène de surface ou phénomène spécifique relevant d'un faisceau de
déterminations physiques, biologiques, sociales, psychologiques, la conscience s'illusionne
donc lorsqu'elle se pose comme principe alors qu'elle n'est qu'un effet, un produit. S'il y a
bien un déterminisme pour les phénomènes humains, il convient toutefois de préciser qu'il
s'agit d'un déterminisme statistique et non pas absolu.
La conscience est capable, en effet, d'échappement et de renversement d'intentionalité (cf.Husserl). Aucune situation objective n'est assez forte par elle-même pour
déterminer nécessairement un mode de conscience défini. Les circonstances et les mobiles
n'ont sur nous que l'importance que nous voulons bien leur accorder. La conscience n'est pas
entièrement soumise au déterminisme extérieur, même si elle l'est en partie: la preuve en
est que la même situation provoque soit la révolte, soit la soumission, soit le découragement,
soit un surcroît d'activité. Cette échappée est l'autre nom de la liberté.
C.2) Se sauver du moi ?
Pour le bouddhisme, se détacher de l'illusion du moi est la condition de la
libération, du nirvana (délivrance du temps, béatitude définitive). Nécessité d'un regard
désillusionné sur l'existence, d'un renoncement à la quête de la vie éternelle et à celle d'un
sens transcendant, d'un détachement apaisé par rapport à tous les liens qui peuvent nous
aliéner, ce qui n'exclut nullement bienveillance et compassion. La désillusion sur soi est la
condition de la liberté et du bonheur. Une telle libération ne peut s'obtenir qu'au terme d'un
long travail de méditation.
L'idée essentielle du bouddhisme est celle de " l'impermanence" : rien n'est stable,
tout change et doit disparaître; le monde est comme une maison en feu dans laquelle l'homme
comme un enfant joue avec insouciance; et ce feu est celui du désir qui mène à la mort. Il n'y
a donc pas derrière les phénomènes de substance permanente, mais seulement des
combinaisons provisoires de forces. Cela est non seulement vrai pour les choses autour de
nous, mais aussi pour notre moi.
En effet, nous sommes pour la plupart convaincus de notre identité : nous
avons une personnalité, des souvenirs, des projets, etc., qui semblent se rassembler en un
centre à partir duquel nous observons le monde, bref un soi ou moi unique réellement
existant. En même temps, nous observons que notre expérience se modifie sans cesse et est
toujours tributaire d'une situation particulière, d'un contexte.
L'expérience bouddhiste de la méditation révèle au début l'activité tumultueuse de
l'esprit du méditant : perceptions, pensées, sentiments, désirs se pourchassent à l'infini. Le
méditant prend conscience d'une fugacité intime qui pénètre l'activité de son esprit. Les
bouddhistes appellent " absence de soi " ou " absence de moi " le sentiment concrètement
vécu de n'avoir aucun refuge unique, stable, précis.
Nous observons aussi que l'esprit tente de rejeter sa propre impression de fugacité,
d'absence de soi, en recherchant toutes les distractions mentales susceptibles d'interrompre
l'attention, et voler d'une préoccupation à l'autre. Ce courant d'agitation, d'anxiété,
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d'insatisfaction qui envahit l'expérience est appelé Dukka – souffrance ou malaise. La
souffrance se développe à mesure que l'esprit cherche à nier qu'il est par nature pétri de
fugacité et dénué de soi.
Ainsi l'origine de la souffrance humaine réside-t-elle dans cette tendance à
construire un sentiment de soi, un moi, là où il n'y en a pas. La souffrance a pour origine
l'obsession du sujet à s'agripper à lui-même. On pense, agit, sent comme si l'on avait un
soi à protéger et à préserver. L'espoir le plus intime de se mettre en valeur par le profit, les
éloges, la célébrité suscite l'avidité. C'est cette illusion d'être un moi qui engendre la volonté
de l'affirmer, de l'imposer égoïstement aux autres et celle d'exister indéfiniment.
Il n'existe rien qui corresponde réellement à un soi permanent. Ce que nous
nommons le soi n'est qu'une combinaison de forces ou d'énergies physiques entremêlées,
en état de changement constant. L'erreur est de surimposer à ces agrégats l'idée d'un soi
permanent qui les tiendrait ensemble ou les gouvernerait.
L'ego n'existe donc pas comme substance, comme entité indépendante, même si,
cela va sans dire, il existe comme structure de l'existence humaine. De cette croyance en
l'ego viennent les réactions néfastes telles que " ceci m'appartient ", " je suis ", ainsi que les
différentes manières qu'a l'homme d'affirmer son moi, souvent aux dépens d'autrui. . Là se
trouve justement la source même de tout malheur et de toute souffrance. L'illusion que le soi
existe donne naissance à l'avidité, à l'attachement aux choses.
Mais il ne s'agit pas de vaincre l'ego, de le réprimer ou de le dominer, voire de
l'humilier : il s'agit plutôt de l'ouvrir au monde , de le dilater, de l'étendre, de l'épanouir au
point de le dissoudre, d'habiter l'univers qui nous contient, qui nous traverse. On retrouve la
notion husserlienne d'intentionnalité : la conscience n'a pas de dedans, elle n'est rien que le
dehors d'elle-même.
La spiritualité est le contraire de l'introspection : il n'y a pas de vie intérieure, pas
de monde intérieur, sinon pour la tristesse, l'ennui et la souffrance. Sortir de soi, le plus qu'on
peut, s'ouvrir à la vie, au réel. Ouvrir l'ego jusqu'à ce qu'il devienne comme « un cercle
devenu si large qu'il ne peut plus rien entourer, un cercle d'un rayon infini : une ligne droite »
(Swami Prajnanpad). Le moi n'est rien que l'ensemble des illusions qu'il se fait sur luimême. On peut en sortir par la connaissance, par l'action, et c'est ce qu'on appelle l'esprit.
L'ego est esclave et enferme, tandis que l'esprit libère.
- Misère de l'homme, grandeur de l'homme, disait Pascal. Misère du moi, grandeur
de l'esprit. Sagesse de l'ouverture plutôt que de l'intériorité…
CONCLUSION GENERALE
Que conclure de ce tour d'horizon à propos de la conscience ? Nous nous étions
demandés ce que pouvait bien signifier cette expérience singulière de la conscience : quelle
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est la nature de la conscience ? Quelles sont ses fonctions ? La conscience renvoie-t-elle à
l'existence d'une entité qu'on appellerait le moi ou le sujet ? La conscience est-elle
absolument souveraine ?
Nous avons vu que la conscience désigne la relation intériorisée immédiate ou
médiate qu'un être est capable d'établir avec le monde où il vit ou avec lui-même. Elle
est incontestablement la condition sans laquelle rien ne peut être rationnellement pensé,
connu ou voulu. la conscience est bien d'emblée dans le monde et dans les choses, elle n'y
advient pas comme les autres événements : la conscience réfléchit le monde, le nie en
produisant le sens, forme un espace du possible.
Mais cette conscience ne constitue pas pour autant une entité métaphysique, une
substance. La conscience, en effet, malgré sa spécificité, ne fait pas exception au
déterminisme du monde, même si, le plus souvent, elle ignore son propre déterminisme et se
croit absolument souveraine. Cela ne signifie pas que la conscience soit tout à fait
impuissante.
Si je ne suis pas ce que je crois ou pense être, si je suis encore plus opaque à moimême que je ne le suis à autrui, je peux néanmoins me donner pour tâche d'éclairer les zones
d'ombre de mon être par un travail sur soi. L'absolue transparence n'est pas possible - ni
même souhaitable ! A défaut d'être identiques à notre conscience, nous sommes pour une part
obscurs, pour une part lucides et la part de l'ombre peut petit à petit être réduite. Relever les
illusions que génère la conscience invite à la vigilance, à la connaissance, à la construction de
soi. On ne naît pas sujet, on le devient par la compréhension de son histoire, non plus subie
mais reconquise.
Tout le problème de la conscience tient donc dans ce trajet qui part du rapport
immédiat à soi-même qu’on peut appeler simplement « conscience de soi », qui transite par
une étape de « reconnaissance de soi » à travers l’action et la reconnaissance d’autrui, et qui
débouche finalement dans une sorte d'extériorisation de soi, de « conscience-hors-de-soi».
Cela définit, d’une part, l’existence comme ouverture et engagement dans un monde où il
s'agit moins pour le sujet de se connaître que d'être efficace, et, d’autre part, cela concerne
des formes quasiment « objectives » de la conscience - sociales et collectives - qui
déterminent au moins partiellement la conscience individuelle. Finalement, se connaître soimême reviendrait surtout à connaître les facteurs extérieurs qui nous déterminent en nous
laissant l'illusion d'être une conscience individuelle maîtresse d'elle-même. « Se connaître
soi-même » reviendrait-il, comme avait lui-même ironisé Socrate, à « savoir qu’on ne sait
rien » ?
LA CONSCIENCE - SUJETS DE DISSERTATION
- La conscience de soi suppose-t-elle autrui ?
- Suis-je responsable de ce que je suis ?
- La conscience de soi est-elle une connaissance ?
- Suis-je ce que j’ai conscience d’être ?
Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
- Est-on d’autant plus libre qu’on est plus conscient ?
- La connaissance de soi peut-elle être sincère ?
LA CONSCIENCE - DEFINITIONS A CONNAITRE
Les termes soulignés renvoient aux repères du programme (à connaître sur le boit des
doigts).
- La conscience (sens psychologique) : connaissance, intuition, sentiment qu’a l’homme de
ses pensées, de ses sentiments, et de ses actes. Capacité de faire retour sur ses pensées ou
actions, de les analyser, voire de les juger (conscience réfléchie).
- Conscience morale : faculté que possède chaque homme d’être lui-même le juge de ses
actions, comme de celles de n’importe quel être humain.
- Le moi : au sens psychologique, conscience que possède le sujet de son individualité.
- L’identité : l’identité du sujet, c’est d’abord son altérité, c’est-à-dire ce qui fait que chacun
est un individu unique, autre que les autres. L’identité, c’est ensuite ce qui fait que, bien
qu’en constante évolution, je suis toujours le même, au fil du temps.
- Le sujet : le terme de sujet vient du latin subjectum, « ce qui est soumis, subordonné à ». Le
terme a d’abord une signification politique : le sujet est l’individu qui est soumis à l’autorité
de quelqu’un. En logique, il désigne ce qui, dans une proposition, constitue le support
d’attribution des prédicats. Dans le vocabulaire de la métaphysique et de la philosophie, le
sujet est l’être réel, par opposition à l’objet, la substance ou le principe unificateur de toutes
nos représentations.
- Essence / accident : l’essence est ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est, ce qui ne peut
être retranché de sa définition sans perdre la chose elle-même. Une caractéristique
accidentelle d’une chose pourrait ne pas être sans que la chose dont on parle en soit
fondamentalement changée. En ce sens, l’accidentel est contingent (= non nécessaire).
- Objectif / subjectif : est objectif ce qui existe en dehors de nous et subjectif, ce qui n’existe
qu’en nous. Le subjectif et l’objectif, nous l’avons vu, ne s’opposent pas nécessairement.
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