Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
LA CONSCIENCE
(Repères : « Objectif / subjectif », « Essentiel / accidentel »)
INTRODUCTION
Le mot conscience se rencontre dans un grand nombre de phrases et d'expressions dans
lesquelles il reçoit un très grand nombre de sens différents. Ce qui s'impose donc d'abord
avec ce mot, c'est sa polysémie. Recensement des locutions et expressions employant le mot
conscience puis classement de ces locutions par champs sémantiques. On doit parvenir au
classement suivant:
a. Registre moral : avoir bonne / mauvaise conscience, avoir la conscience
tranquille, en son âme et conscience, faire appel à la conscience de quelqu’un, conscience
professionnelle, avoir un problème ou un cas de conscience, agir en son âme et conscience,
être consciencieux, avoir la conscience tranquille. Et, dans le même ordre d'idée, être
inconscient, c'est-à-dire agir au mépris de la prudence, dans l'ignorance des risques qu'on
court ou fait courir aux autres.
b. Registre psychologique : perdre conscience, être inconscient au sens
d'avoir perdu connaissance, prendre conscience de quelque chose, être conscient de
l'existence d'une chose, d'un être, d’un fait, avoir conscience de telle ou telle chose, avoir
conscience de soi.
l'on voit que le terme de conscience est, en français, ambigu. Lorsque je pense, j'ai
conscience de mes idées, personne ne peut les connaître à ma place, et lorsque j'ai commis
une faute morale, j'ai mauvaise conscience. Il ne s'agit manifestement pas de la même
conscience. La langue anglaise dispose de deux mots consciousness et conscience où la
française n'en a qu'un. Consciousness désigne la relation qu'un sujet entretient avec une
réalité externe ou interne, tandis que conscience signifie la relation avec une valeur morale.
De même l'allemand possède-t-il deux mots pour désigner la conscience psychologique
(Bewu$tsein) et la conscience morale (Gewissen).
Chacun de ces deux types de conscience détermine une catégorie spécifique de
jugements : lorsque je dis que j'ai mal, j'énonce un jugement de fait; lorsque je dis que c'est
mal, j'énonce un jugement de valeur. Les jugements de fait se contentent de constater la
réalité telle qu'elle est (" il fait beau "), les jugements de valeur visent la réalité telle qu'elle
devrait être (" il faut respecter son prochain ").
Il s'ensuit que par conscience psychologique, il convient d'entendre la saisie
immédiate qu’un sujet a de lui-même, de ses pensées, de ses actes, la simple présence du
sujet au monde, à lui- même ses représentations), bref la conscience qui accompagne tout
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acte du sujet : lorsque j'ai mal, que je pense à mon enfance, je le sais immédiatement, je n'ai
pas besoin de réfléchir longuement pour le savoir. Le terme conscience vient d'ailleurs de
deux mots latins, cum et scire, qui signifient avec et savoir. Avec qui ? Avec soi-même
précisément. La conscience est ainsi, en premier lieu, présence à soi, relation intériorisée
immédiate ou médiate qu'un être est capable d'établir avec le monde il vit ou avec lui-
même.
La conscience morale est la propriété qu’a l’esprit humain de porter spontanément des
jugements moraux, la faculté que possède chaque homme d’être lui-même le juge de ses
actions, comme de celles de n’importe quel être humain. Par elle, nous sommes
responsables, nous distinguons le bien du mal, et revendiquons des droits, comme la liberté
de conscience, par exemple (droit de professer les croyances de son choix).
Qu’est-ce qui distingue « conscience de soi » et « connaissance de soi » ? Lalande
définit ainsi la conscience : « La conscience est la connaissance plus ou moins claire qu’un
sujet possède de ses états, de ses pensées et de lui-même. » Ici la conscience est considérée
comme une forme de connaissance, ce que confirme l’étymologie (« cum-scientia », « avec le
savoir »). Connaissance donc se rapportant à soi-même : le fait de savoir qui l’on est, ce que
l’on pense, ce que l’on fait. La connaissance étant généralement définie comme un certain
rapport d’adéquation entre le sujet et l’objet, entre l’esprit et le monde : connaître, c’est
penser ce qui est comme cela est.
Or toute conscience est-elle vraiment connaissance ? Si toute conscience suppose une
certaine dualité, le rapport de soi à soi n’est ni d’adéquation (il y a manifestement des
consciences fausses, illusoires), ni d’identité (avoir conscience de soi n’est pas la même
chose qu’être soi), ni pourtant de pure altérité (il n’y a de conscience que pour soi). En quoi
la connaissance de soi consiste-t-elle alors ? Cette connaissance est-elle possible ? A-t-elle
des limites? Si oui, quelles sont ces limites ? A quelles conditions une conscience vraie de soi
est-elle possible ? Plutôt qu’un résultat, la connaissance de soi n’est-elle pas la quête à jamais
inachevée d’une vie ?
Dans ce cours, nous nous limiterons à l'examen de la conscience psychologique en
articulant notre réflexion autour de deux questions fondamentales :
1. Celle d'abord concernant la nature, les formes, les fonctions et les conditions de la
conscience psychologique (1ère partie du cours) : comment faisons-nous l'expérience de
la conscience ? que nous révèle-t-elle de nous-mêmes ? quelles sont les caractéristiques
fondamentales de la conscience ? que signifie être conscient et prendre conscience de
quelque chose ? quels sont les formes, les degrés, les fonctions de la conscience ? est-elle
le propre de l’homme ? les animaux en sont-ils doués ?
2. Celle ensuite relative aux rapports qu’entretient notre conscience avec le monde extérieur
et le corps : comment une conscience peut-elle « résider dans » un corps, ou émerger de
lui ? C’est tout le problème ici de l’incarnation qui n’est pas seulement un mystère
christique. La conscience n’est-elle pas également condition de la représentation du
monde ? Comme le dit Husserl, n’est-elle pas toujours conscience de quelque chose ?
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3. La troisième partie du cours sera consacrée aux limites de la conscience. La conscience
est-elle une réalité autonome ? Est-elle fondatrice ou fondée ? Quelles sont ses
déterminations ?
I) LA CONSCIENCE PSYCHOLOGIQUE
En premier lieu, quelles sont les principales caractéristiques de la conscience et de l'être
conscient ? La conscience existe sous des formes très variées, depuis les plus frustes,
communes aux hommes et aux animaux, jusqu'aux plus élaborées, privilège, semble-t-il, de
l'homme seul. Cette remarque va d'ailleurs nous permettre d'envisager la question de la
spécificité de l'homme au regard des autres êtres vivants, des animaux notamment : la
conscience est-elle la marque par excellence de la supériorité de l'homme sur l'animal, de sa
grandeur, de sa dignité ?
A) LES FONCTIONS DE LA CONSCIENCE
On peut accorder à la conscience l'extension la plus vaste, en la faisant descendre
jusqu'à l'excitabilité, le plus bas degré de la sensibilité; on peut à l'inverse, à l'instar du
philosophe Ludwig Feuerbach, en réserver la primeur aux formes les plus élaborées de la
pensée, comme la réflexion et la conscience de soi, réservées à l'homme. Aussi convient-il de
distinguer différentes formes et degrés de conscience, de même que nous nous demanderons
quelles fonctions au juste remplit la conscience.
A.1) L'évanouissement (texte de Sartre, in Esquisse d’une théorie des émotions)
« Soit par exemple la peur passive. Je vois venir vers moi une bête féroce, mes jambes se
dérobent sous moi, mon cœur bat plus faiblement, je pâlis, je tombe et je m'évanouis. Rien ne
semble moins adapté que cette conduite qui me livre sans défense au danger. Et pourtant c'est
une conduite d'évasion. L'évanouissement ici est un refuge. Mais qu'on ne croie pas que ce
soit un refuge pour moi, que je cherche à me sauver, à ne plus voir la bête féroce. Je ne suis
pas sorti du plan irréfléchi : mais faute de pouvoir éviter le danger par les voies normales et
les enchaînements déterministes, je l'ai nié. J'ai voulu l'anéantir. L'urgence du danger a servi
de motif pour une intention annihilante qui a commandé une conduite magique. Et, par le fait,
je l'ai anéanti autant qu'il était en mon pouvoir. Ce sont les limites de mon action magique
sur le monde : je peux le supprimer comme objet de conscience mais je ne le puis qu'en
supprimant la conscience elle-même. Qu'on ne croie pas que la conduite physiologique de la
peur passive soit pur désordre. Elle représente la réalisation brusque des conditions
corporelles qui accompagnent ordinairement le passage de la veille au sommeil. » (Sartre,
Esquisse d'une théorie des émotions)
1) Quelle situation Sartre décrit-il dans ce texte ?
2) Que nous dit-il sur la conscience ?
3) Que veut dire " situation d'évasion" ?
4) Pourquoi s'agit-il d'une "conduite magique" ?
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Qu’est-ce qui s’évapore quand nous perdons conscience ? On sombre dans un état qui
s'apparente au sommeil - ou à la mort. Chez les Grecs du reste Morphée personnifie le
sommeil, il est le frère de Thanatos la mort ; tous deux sont enfants d’Hypnos, le sommeil,
et de Nyx, la nuit. Perdre conscience, c'est entrer dans le monde de la mort, du sommeil, de
l'hypnose.
Dans son texte, Sartre fait de l’évanouissement une évasion, la réponse de la
conscience à une situation invivable, difficile à voir, à supporter, à regarder (exemple de la
plaie ouverte). Faute de disparaître définitivement, la situation s'efface localement,
ponctuellement. De même face à une situation psychiquement insoutenable (une violente
déception, une maladie grave…), le corps peut soustraire à la conscience l'évidence d'une
douleur trop forte à supporter : pour ne pas avoir à faire face, la conscience anéantit, annihile
la scène et permet au corps de retrouver ses esprits dans une sorte d'endormissement
programmé. Pour récupérer ses forces, sa vitalité et ses moyens de prendre le dessus.
De sorte que la conscience disparue, on ne peut plus voir le monde, il cesse d’être
perçu, donc possible. Pour certains philosophes les idéalistes -, il n’existe pas de réalité sans
la conscience qui fait advenir les choses à l’être; l’évanouissement, la perte de conscience,
c’est l’expérimentation par un individu d’une disparition momentanée du monde; je ne vois
que ce que la conscience me montre et, sans elle, je ne suis plus rien : la conscience
braque son éclairage, elle fait surgir un objet à l'être et tout ce qui n'est pas lui se trouve
plongé se trouve plongé dans le néant.
A.2) La conscience, trait d'union entre le passé et l'avenir (texte de Bergson, in L'énergie
spirituelle)
« Qu'est-ce que la conscience ?…je puis la caractériser par son trait le plus apparent :
conscience signifie d'abord mémoire. La mémoire peut manquer d'ampleur; elle peut
n'embrasser qu'une faible qu'une faible partie du passé; elle peut ne retenir que ce qui vient
d'arriver; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n'y est pas. Une conscience qui
ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à
chaque instant; comment définir autrement l'inconscience ?
(…) Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit
à n'importe quel moment : vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de
ce qui va être. L'attention est une attente, et il n'y a pas de conscience sans une certaine
attention à la vie. L'avenir est là; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui : cette traction
ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons
continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir.
Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la
première fonction de la conscience… » (Bergson, "La conscience et la vie", in L'énergie
spirituelle).
1. Quelle est la fonction de la mémoire selon Bergson ?
2. Que nous dit Bergson sur la conscience ?
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Selon Bergson, la conscience, c'est d'abord la mémoire, c'est-à-dire la conservation et
l'accumulation du passé dans le présent. La première fonction de la mémoire est de retenir et
d 'anticiper, " retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore". L'esprit
s'occupe de ce qui est, en vue de ce qui va être : " Toute action est un empiétement sur
l'avenir". "…la conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté
entre le passé et l’avenir ”.
La conscience est cette fonction qui nous permet de choisir dans la masse importante
des faits, des souvenirs, des images, des émotions qui nous assaillent, en obéissant à des lois
de conservation et d’adaptation. La faculté de choisir qui caractérise la conscience, même à
son degré le plus fruste, désigne la faculté de "répondre à une excitation déterminée par des
mouvements plus ou moins imprévus".
La conscience s'endort en quelque sorte lorsque nos actions cessent de devenir
spontanées pour devenir automatiques : exemple de l'apprentissage d'un exercice nous
commençons par « être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce
qu'il vient de nous, parce qu'il résulte d'une décision et implique un choix; puis, à mesure que
ces mouvements s'enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les
uns les autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous e
avons diminue et disparaît » (Bergson, op.cit.).
C'est d'ailleurs dans les moments de crise intérieure, « où nous hésitons entre deux ou
plusieurs partis prendre », que notre conscience « atteint le plus de vivacité ». En somme, les
« variations d'intensité de notre conscience semblent correspondre à la somme plus ou moins
considérable de choix ou…de création, que nous distribuons sur notre conduite ».
A.3) Conscience et nature
Bergson montre que la conscience est coextensive à la vie et qu'elle est
« proportionnelle à la puissance de choix dont l'être vivant dispose » (L'évolution créatrice).
Ainsi la vie, dans son évolution, a-t-elle choisi deux directions : la première direction est
celle du monde animal qui va dans le sens du mouvement et de l'action et qui tend vers une
action de plus en plus libre. La seconde est celle des végétaux la mobilité est possible
mais comme endormie, assoupie, inconsciente. C'est bien la liberté qui est l'essence de la
conscience, alors que la matière est tout entière nécessité. La vie est précisément "la liberté
s'insérant dans la nécessité et la tournant à son profit".
Si la conscience est théoriquement coextensive à la vie, il est cependant évident que
pour certains êtres elle est endormie, et pour d'autres simplement limitée. Aussi est-il
nécessaire de procéder à un certain nombre de distinctions : êtres inanimés, inertes / êtres
animés, vivants; au sein des êtres vivants : êtres dont la sensibilité est limitée (végétaux) /
êtres dont la sensibilité est développée (animaux); au sein des êtres dont la sensibilité est
développée : êtres capables d'éprouver leur existence et celle du monde / êtres capables de
connaître leur existence et celle du monde.
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