Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun
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Peut-on parler pour ne rien dire ?
Correction du questionnaire
I) Compréhension du sujet
a) Analysez les verbes « parler » et « dire » de l’intitulé du sujet
- « Parler » : articuler les sons d’une langue maternelle, s’exprimer en usant de ces sons. La
parole est la mise en œuvre individuelle du langage dans une langue déterminée, afin de dire
quelque chose à quelqu'un.
- « Dire » : exprimer, communiquer une pensée, produire du sens, apporter du nouveau,
exprimer adéquatement la réalité.
b) Qu’indique la préposition « pour » ?
- La préposition « pour » indique la direction, la destination, l’intention. Il s’agit ici de
l’intention de ne rien signifier. Cette préposition suggère deux choses : la parole qui ne dit
rien est-elle intentionnelle, volontaire, délibérée ? Celui qui parle pour ne rien dire le sait-il,
le fait-il exprès ? Dans l'affirmative, quelle est son intention ?
c) Dans quelle direction le verbe « pouvoir » nous oriente-t-il ?
- Le verbe « pouvoir » revêt une première acception, un premier sens : celui de
« possibilité », de « capacité ». Le verbe « pouvoir » signifie donc, en une première approche,
être capable, en état, en mesure de faire quelque chose.
- En une seconde acception, le verbe « pouvoir » signifie « avoir le droit, la permission de
faire quelque chose » et renvoie à la légitimité, aux enjeux politiques et moraux de la
parole qui ne dit rien.
d) Reformulez la question posée, en faisant apparaître le sens de chaque terme ou
expression du sujet.
- Est-il possible et légitime de faire usage individuellement d’une langue sans cependant
avoir l’intention de signifier et d’exprimer quoi que ce soit ?
II) Problématisation
a) A propos de quoi, dans quelles circonstances, peut-on en venir à se poser la
question ?
- Il est des silences éloquents qui disent plus que bien des mots, et il est aussi des paroles
vides, creuses, oiseuses (qui ne sert à rien, ne mène à rien), stériles, insignifiantes. Face à
certains événements et à leur horreur, le bavardage devient insupportable : nous recouvrons
de mots ce qui en un sens nous laisse muets ; nous parlons mais nous n’avons rien à dire ; le
bavardage est alors jugé inconvenant, immoral. N’aurait-on pas mieux fait de se taire ?
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b) Que présuppose la question ?
- Le sujet sous-entend que les termes « parler » et « dire » sont synonymes, voire équivalents.
Que l’on puisse parler pour ne rien dire revêt au premier abord une apparence de paradoxe
puisqu’on a spontanément tendance à définir l’acte de parler comme celui d’exprimer, de
signifier des choses. Comment peut-il être possible de parler pour ne rien dire, alors que toute
parole semble se définir comme ce qui « dit » quelque chose, et qu’inversement, dire, c’est
prononcer ou articuler des paroles ?
c) Quel est le problème soulevé par l’intitulé du sujet ?
- Suffit-il de parler pour dire quelque chose ? Dire de quelqu’un qu’ « il parle pour ne rien
dire », n’est-ce pas lui prêter des intentions contradictoires ? N’avait-on rien à dire ou avait-
on quelque chose à dire qu’on n’a pas trouvé les moyens d’exprimer ? La parole véhicule-t-
elle toujours de la pensée ? La parole qui ne dit rien est-elle gratuite, dénuée d’intentions ?
Enfin, ne faut-il pas envisager que la parole qui ne dit rien puisse, au-delà de l’usage pervers
qui peut en être fait, avoir une raison d’être et du coup une légitimité ?
- Il s’agit donc de réfléchir sur l’usage adéquat et légitime du langage, sur les conditions à
réunir pour qu’on puisse véritablement « dire ».
III) Recherche des éléments de réponse
a) Qu’est-ce que parler pour ne rien dire ? Donnez des exemples (bavardage,
truisme…).
- Parler pour ne rien dire, c’est proférer une parole qui n’apprend rien, comme c’est le cas
dans le truisme (vérité évidente, sans portée, banalité, lapalissade) mes paroles n’ajoutent
rien à l’évidence dans laquelle l’objet se donne à voir. Exemple, « Un quart d‘heure avant sa
mort il était encore en vie », « La plupart de nos importations viennent de l’étranger »
(George W. Bush), « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite » (Pierre Dac).
- Exemple également du bavardage : le bavard est celui qui aime à évoquer une infinité de
détails quand l’essentiel d’une chose a été dit, sans se soucier de l’intérêt que cela suscite
chez l’interlocuteur ; il aime répéter inlassablement les mêmes choses avec une débauche de
détails, n’apportant aucune information nouvelle, ne disant rien à celui qui l’écoute. Le
bavard, en ce sens, s’écoute parler, son discours a sa fin en lui-même et la vacuité du
contenu s’opère en faveur de l’habileté ou de la beauté de la forme.
- Dire une chose et son contraire, c’est également parler pour ne rien dire puisque
l’information apportée est aussitôt niée par l’information opposée.
- Le discours qui ne dit rien est encore celui qui traite de faux problèmes, qui ne peut
s’articuler à une action efficace sur le réel.
- Inutilité donc des paroles prononcées, soit qu’elles n’énoncent rien qu’on ne connaisse
déjà, soit encore qu’elles n’énoncent que des choses de peu d’intérêt pour l’interlocuteur.
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b) A quelles conditions parle-t-on pour dire quelque chose ?
- Comme nous l'avons vu, le verbe « dire » de l’intitulé du sujet reçoit trois grandes
déterminations : dire, c’est produire du sens, c’est apporter du nouveau et produire une parole
efficace, c’est exprimer adéquatement la réalité.
- La maîtrise de la langue est la première condition à aliser pour celui qui veut dire
quelque chose. Pour que le sens se fasse jour, encore faut-il que chaque mot soit emplo
correctement, dans le respect de la syntaxe de la langue dans laquelle on s’exprime.
- Dire, c’est aussi apporter une information : dire quelque chose suppose que l’on ait un
interlocuteur à qui l’on apprend un événement, à qui l’on communique ses pensées et ses
sentiments. Une parole ne dit réellement quelque chose que si elle a prise sur le réel ; une
telle parole éclaire, apporte du nouveau, donne à penser, engage un dialogue à autrui.
c) S’il est possible de parler pour ne rien dire, ne peut-on pas également dire sans les
paroles ?
- On peut alors se demander si l’inadéquation observable entre ce que disent les mots et la
réalité qu’ils sont censés représenter ne renvoie qu’à un mauvais usage de la langue, ou si,
au contraire, les mots ne manquent pas invariablement la réalité qu’ils veulent dire.
Toute pensée, toute expérience sont-elles exprimables ? Y a-t-il, en somme, de l’ineffable, de
l’indicible ?
- Si la réponse est négative, on peut concevoir que celui qui entreprend de rendre compte par
la parole de cette pensée, de ce sentiment ou de cette expérience est voué à parler pour ne rien
dire. Nous ne saisissons, en effet, de nos sentiments que leur aspect impersonnel. Parler
d’amour, de haine sur le mode du bavardage, ce sera toujours peu ou prou parler pour ne rien
dire, en ce sens que jamais les mots ne réussiront à donner la mesure de la richesse du
sentiment.
- Tout comme il est possible de parler pour ne rien dire, il est possible de dire sans les
paroles. Les silences, les gestes, les regards disent souvent plus et mieux que les mots, même
si, nous l’avons vu dans le cours, ce quelque chose que le langage semble ne pouvoir dire est
toujours lié à quelque trace ou signe.
d) Est-il innocent, inoffensif de parler pour ne rien dire ?
- Est-il légitime de parler pour ne rien dire ? Que vaut la prole qui ne dit rien ? Parler pour ne
rien dire est-il anodin ?
- La parole peut parfois devenir un instrument de domination sur autrui. C’est l’art des
faiseurs de discours, des sophistes pour lesquels tout peut être dit, y compris les choses les
plus absurdes, du moment que cela peut séduire et convaincre l’auditoire. Parole qui se
transforme en éristique : l’éristique est l’art de la controverse ou plutôt un type
d’argumentation critique, qui tend moins à établir une vérité qu’à réfuter la position d’un
adversaire ; elle est un moyen de triompher de son adversaire et de le réduire au silence par
une rhétorique spécieuse. Discours vides mais séduisants.
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- Pouvoir et parole sont liés, l’homme de pouvoir est l’homme qui parle mais aussi la seule
source de parole légitime. Dans les sociétés sans État, comme les sociétés indiennes
d’Amérique du Sud par exemple, le chef indien est celui qui détient le monopole de la parole,
au sens la parole est pour lui un devoir. La parole du chef n’est pas faite pour être écoutée
en réalité ; le chef ne dit rien et personne ne prête attention au discours du chef. Son discours
est inlassablement consacré à la célébration des normes de la vie traditionnelle. Ce n’est pas
un discours de pouvoir. La parole qui ne dit rien, celle qui répète, est liée au refus de
l’Etat.
e) Parler pour ne rien dire, est-ce réellement ne rien dire du tout ? Que nous apprend
Freud à ce sujet (cf. cours sur l’inconscient) ?
- Celui qui parle pour ne rien dire ne veut-il pas, malgré tout, dire quelque chose ?
- Un discours dit quelque chose quand il a un sens qui est compréhensible pour nous. C’est
l’auditeur qui toujours juge qu’une parole est vide. L’auditeur n’est pas à l’abri d’une
méprise et peut décider à tort qu’un discours ne dit rien, qu’il n’a aucun sens. Platon souligne,
dans le livre VI de République, que les philosophes sont souvent considérés comme des êtres
inutiles qui parlent pour ne rien dire. Mais cela ne signifie pas pour autant que leur discours
ne soit qu’un bavardage. De sorte que l’inintelligibilité apparente de certaines phrases
n’implique pas toujours qu’elles ne soient pas porteuses de sens.
- L’absence apparente de sens peut masquer, qui plus est, un sens caché. Comme dans
les rêves, il peut arriver qu’on parle en ne disant rien d’intelligible sans cependant que ce soit
pour ne rien dire. Exemple des lapsus qui conduisent souvent à rendre la proposition énoncée
dénuée de sens, alors qu’ils ont une signification puisqu’ils révèlent un désir inconscient de la
part du locuteur. C’est ce que montre Freud dans Psychopathologie de la vie quotidienne :
dire signifie exprimer, signifier, faire connaître, ce qui renvoie nécessairement à un
contenu. Dire, c'est toujours dire quelque chose, émettre une intention de signification.
C’est toujours « pour » dire quelque chose que celui qui parle pour ne rien dire prend la
parole. Le bavardage, le discours incohérent sont vélateurs et disent de manière
détournée quelque chose du locuteur.
IV) Recherche des références philosophiques
a) Cherchez, dans votre manuel de philosophie et dans le cours, les éléments qui pourraient
vous aider à traiter la question posée.
b) Les références suivantes sont également utiles :
Alain, Propos sur l’éducation, par. 40, PUF, p.102 (à propos du bavardage).
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p.123-124 (les
mots sont inaptes à exprimer l’essence me des choses, comme on peut
l’expérimenter concernant la sphère des sentiments ou des états de conscience).
Platon, L’Euthydème, 298b-e et 300b, GF (l’effet pervers des discours vides).
Platon, Gorgias, 452d, GF (le pouvoir des mots).
Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Payot (exemples des lapsus, des
rêves : c’est toujours « pour » dire quelque chose que celui qui parle pour ne rien dire
prend la parole).
Pierre Clastres, La Société contre l'État, chap.7, « Le devoir de parole », Les Éditions
de Minuit (l’enjeu politique du discours vide : le chef, dans les sociétés indiennes
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d’Amérique du Sud, a le devoir de parler pour ne rien dire précisément parce qu’il
n’incarne pas de pouvoir séparé).
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