C
ommunément, la représentation du
vieillissement individuel sorga n i s e
autour des notions de perte et de clin.
Cette assertion, pour le moins ductrice,
recèle néanmoins une part d’authentique en
r e gard du strict cadre de cet article. Dans la
foison des études portant sur le vieillisse-
ment cognitif, se dégage un large consensus
en faveur d’un effet létère de l’âge sur la
p e r f o r mance des fonctions cog n i t ives [1].
Plus spécifiquement, la mémoire serait la
composante la plus vulnérable [2] et sa per-
f o r mance déclinerait dès la cinquième
cennie. Le problème est dimport a n c e
puisque mis en exe rgue par l’augmentation
de la longévité et de la proportion de sujets
âgés [3]. Si, à la fin du siècle prochain, l’hy-
pothèse d’une lonvité moyenne de 130 ans
s ’ a vère vérifiée, cela permet de convenir que
les véritables effets du vieillissement de la
population reste encore à couvrir. En l’état
actuel, lépidémiologie appliquée aux
t r o u bles de lamoire ls à l’âge offre des
conclusions parcellaires, floues, vo i r e
contradictoires. Selon certains auteurs, [4] la
p r é valence des troubles msiques liés à
l’âge serait de 38,4 %, et celle du clin
c ognitif de 26,6 %. Pour d’autres [5] le taux
de sujets âgés présentant une atteinte mné-
sique ne serait que de 5,8 %. Dans une étude
française récente [6], il est fait état d’une
p r o p o r tion de 60,8 % de personnes âgées
ressentant un trouble mnésique et de 15,5 %
d’entre eux l’ayant exprimé sous forme de
plainte à leur médecin généraliste. L’ i m p o r-
tante variabilité de ces résultats s’ex p l i q u e
i n c o n t e s t a blement par la non-prise en
compte de nombreux biais composites qui
c o rroborent la difficulté à appréhender le
processus de vieillissement. De fait, l’étude
du potentiel mnésique de la personne
22 - 29 avril 2000 / 29 / 15 La Presse Médicale 8 4 9
Mémoire et vieillissement
Effet du vieillissement cognitif
sur les performances mnésiques
M.C. Gély - N a rgeot, C. Mure, C. Guérin-Langlois, K. Martin, I. Descours
Institut de Psychologie de la Sorbonne (MCG N ) ,
Centre Universitaire de Boulogne, Boulogne-
B i l l a n c o u rt .
La Triade (CM), Hôpital Charles Foix, Ivry sur Seine.
Service de Réadaptation gérontologique (CG L ) ,
Hôpital Notre Dame, Pa r i s .
Unité de Neurologie comportementale (KM), Service
de Neurologie A (ID), Hôpital Gui de Chauliac,
C H U de Montpellier.
Correspondance : M. C. Gely-Nargeot, Institut de Psycho-
l o gie de la Sorbonne, Centre Universitaire de Boulogne,
71, avenue Edouard Vaillant, F 92100 Boulogne-Billancourt .
T E L / F AX : 04 67 02 09 29 .
e-mail : chris•nargeot@wanadoo•fr
Reçu le 17 novembre 19 9 9; accep le 31 mars 20 0 0 .
● ● ●
L’ E SS E N T I E L
P s y c h o l o gie du vieillissement : L e
vieillissement est un concept multifactoriel,
dont l’étude ne peut se réduire à l’analyse
isolée d’une seule de ces composantes.
crire les effets de l’âge sur les fonctions
mnésiques ne peut faire l’économie d’évo-
quer en préalable les limites et difficultés
conceptuelles, théoriques et méthodolo-
giques qui lui sont inhérentes.
Mémoire et cognition : Lesprit,
système de traitement, est devenu un
modèle de fonctionnement. C’est pourquoi,
dans cet article, l’identification et l’interpréta-
tion de la nature des troubles mnésiques liés
à l’âge s’opèrent enférence aux modèles
théoriques actuels de la mémoire, approche
systémique empruntée à la Psychologi e
C o g n i t i v e .
Clinique du vieillissement cognitif de
la mémoire et conséquences : Il en
résulte que les effets de l’âge sur la mémoire
ne correspondraient pas à une détérioration
mais à des modifications de l’architecture
fonctionnelle, interne, de la cognition. Celles-
ci doivent cependant s’interpréter en regard
de la singularité du sujet. L’examen psycholo-
gique prend en compte le fractionnement de
la mémoire, mais intègre également la part i-
cularité psychologique de l’individu â. En
cela il permet d’affiner une décision diagnos-
tique et d’apprécier l’occurrence du risque
démentiel sous-jacent.
Presse Med 20 0 0 ; 29 : 8 4 9 - 57
© 2000, Masson, Pa r i s
M A I N P O I N T S
P s y c h o l o gy of agi n g : This article sums
up studies on influence of normal aging in
m e m o r y. Aging is a process involving many
dimensions: Psychological, Biological and
Social. These elements interact with each
other and needed to be considered in the
description of human memory aging.
Cognitive approach of human
m e m o r y : M o r e o v e r, researches on human
memory have been conducted within the fra-
mework of current theoretical views of
m e m o r y. The present review provides an out-
line of the cognitive neuropsychology models
of memory, its nature, components and orga-
nization.
Clinical approach of aging and
m e m o r y, consequences: This introduction
may help the reader to understand more
clearly empirical evidence of age-related dif-
ferences in memory and attentional functio-
ning. In closing, the human factors psycholo-
gists must be take in account while adopting
a global approach of the understanding of
memory aging. Psychological field provides a
complete structure for assessing human
being and is helpful before to conclude bet-
ween normal or pathological memory agi n g .
M . C .G é ly - N a rgeot, C. M u re,
C . Guérin-Langlois et al.
Effect of normal aging on memory
p e rf o r m a n c e
8 5 0 La Presse Médicale 22 - 29 avril 2000 / 29 / n° 15
âgée impose en préalable une réflexion sur
les difficultés de son approche.
Les effets de l’âge
sur la mémoire :
difficultés de son approche
Difficultés conceptuelles : où se situe
la normali pour un sujet âgé ?
L’étude du déclin mnésique met à l’épreuve ,
implicitement, la classification des troubl e s
de la moire associés à l’âge et renvo i e ,
fatalement, à la définition du normal et du
p a t h o l o gique [7], chez la personne âgée tant
elle est équivoque [8]. La définition courante
de la normalité comme état de pleine santé,
a c c e p t a ble pour les sujets jeunes, dev i e n t
caduque avec l’avancée en âge. En effet, lors
du vieillissement usuel, on assiste à l’instal-
lation progr e s s ive dun grand nombre de
p a t h o l ogies mineures et non cérébrales, dont
l’incidence s’amplifie avec l’âge. On peut
donc affi rmer qu’en regard de cette défi n i-
tion binaire stricte, il n’y a plus de sujets
n o rmaux au-delà de 70 ans.
Selon une autre conception moins mani-
chéenne [9], on peut considérer la popula-
tion des sujets âgés comme une entité origi-
nale qui se distribue de façon « normale »,
c’est-à-dire selon une distribution Gaus-
sienne. Est alors normal ce qui se rencontre
dans la majorides cas. Cette conceptuali-
sation a pour avantage d’inclure tous les
sujets et, ainsi, de ne pas restreindre l’étude
des modifications mnésiques liées à lâge à
un échantillon constitué de sujets supranor-
maux, non représentatifs de la population
générale des personnes âgées. À l’inverse, le
risque en est d’introduire des individus aux
p e r f o rmances sub-pathologiques et ainsi
d’abraser la distinction « norm a l / p a t h o l o-
gique », corroborant la notion contestée d’un
continuum entre ces 2 pôles [10].
En conclusion, le vieillissement ainsi
opérationnalisé met en exe rgue une pluralité
de genres : il n’existe pas un vieillissement
au singulier mais des vieillissements car
fonction des individualités. Le vieillissement
i n d i viduel peut ainsi être qualifié de
p a t h o l o gique, dusuel, doptimal et de
ussi [11].
Difficultés théoriques :
pluralité des déterminismes
a gissant sur la cognition
D i fférents travaux ont insisté sur la néces-
saire prise en compte des va r i a b les non
c og n i t ives qui influent indirectement sur la
c ognition [12] et en particulier sur le fonc-
tionnement de lamoire [13].
Il est fait allusion ici aux déterm i n i s m e s
b i o l ogiques, affectifs, sociaux [14].
Du point de vue neurobiologique, diff é-
rents travaux [15, 16] rapportent, chez les
sujets âgés, une hy p o - a c t ivité du cort ex pré-
frontal lors du traitement d’inform a t i o n s
mnésiques. Or, l’implication du cort ex pré-
frontal, dans l’encodage et le rappel de ces
i n f o rmations, est un fait reconnu [17, 18].
Les déficits mnésiques des sujets âgés s’ex-
pliquent ainsi et en partie, par une réorga n i-
sation fonctionnelle de l’activité rébrale
sous leffet de lâge [19]. De plus, le
vieillissement des organes sensoriels entrave
indirectement la saisie correcte de l’infor-
mation et restreint ainsi l’efficience de sa
mémorisation. Selon une étude récente, les
va r i a bles sensorielles sont fortement corr é-
es avec l’état cognitif des sujets âgés [20].
E n fin, la prévalence de la consommation de
médicaments prescrits et non prescrits aug-
mente considérablement avec l’âge [21].
Les sujets de plus de 65 ans font l’objet, en
m oyenne, d’une douzaine de prescriptions
par an. Pa rmi celles-ci, les psychotropes y
figurent majoritairement. Outre les interac-
tions médicamenteuses possibles, l’impact
n é g atif des psychotropes sur les per-
f o rmances mnésiques et attentionnelles
est actuellement un fait démontré et
avéré [22].
D’autre part, l’idée d’une influence de
facteurs environnementaux sur le cerve a u ,
tant dans sa structure que dans son fonc-
tionnement, a été rationalisée ces dern i è r e s
années puis largement validée [23]. Le
concept de plasticité cérébrale ainsi s’est
t r a n s f o rmé peu à peu, sous l’influence de
t r avaux en psychobiologie, en notion de
capacité de réserve cog n i t ive [24]. Le poten-
tiel des habilités cog n i t ives évolue ainsi
sous l’effet de l’entraînement. En part i c u-
l i e r , un degré d’exercice élevé dans une acti-
vi cog n i t i ve donnée (U s e - D e p e n d e n c y
C o n c e p t) [25] mobilise et engage l’utilisa-
tion de compétences antérieures sur-
apprises, ritables schémas de connais-
sances automatisés. Ce pnomène ex p l i q u e
les capacités de compensation liées à l’âge
ainsi la mémoire des chiffres d’un ancien
c o m p t a ble demeurerait plus performante au
cours des ans que celle d’un musicien. Le
paramètre de réserves cog n i t ives, plus pré-
cis que la notion globalisante de niveau cul-
turel, doit donc être impérative m e n t
contdans toute étude abordant les rela-
tions âge et mémoire [26].
Lêtre humain étant un tout indiv i s i bl e ,
les va r i a bles agissant sur la cognition peu-
vent être également d’origine aff e c t ive. Pe u
d’écrits ont por sur la personnalité du sujet
vieillissant. Toutefois, un de ses traits carac-
téristiques serait de devenir plus attentif à ce
qui se passe en lui, il passerait ainsi du
monde extérieur à un univers dava n t a g e
intérieur [27]. Selon la perspective psycho-
dynamique, la personnalité de la personne
âgée se caracriserait par un manque
d ’ é n e rgie imputable au refoulement. On
peut ainsi, en regard de la théorie freu-
dienne, comprendre aisément que les mani-
festations ficitaires de la mémoire, dues à
l’âge, ne puissent être dissociées de la dyna-
mique aff e c t ive. De plus, le travail psy-
chique du sujet vieillissant [28] est reconnu
pour se centrer sur un travail de deuil inhé-
rent aux pertes subies (perte de soi, perte de
fonction, perte d’objets). Ce mouvement de
deuil, sans cesse réactivé par la réalité de la
p e rte, a pour corollaire la dépression. La
vieillesse s’accompagne ainsi très fréquem-
ment dun syndrome dépressif [29] dont
les effets détères sur la mémoire sont
notoires [30].
En conclusion, la réponse au vieillisse-
ment nest donc qu’individuelle. Elle est
fonction des réserves cog n i t ives, des res-
sources biologiques, env i r o n n e m e n t a l e s ,
p s y c h o l ogiques. Comment peut-on alors
prétendre lobserver d’un point de vue
unique et monolithique ?
Difficultés thodologiques :
comment appréhender le vieillisse-
ment cognitif ?
Les modifications du potentiel mnésique
sont, le plus souvent, mises en évidence par
des études transversales. Dans ce dessein, les
D O SS IE R Mémoire et vieillissement
22 - 29 avril 2000 / 29 / 15 La Presse Médicale 8 5 1
p e r f o r mances mnésiques de groupes de
sujets d’âges contrastés (jeunes-vieux),
o b s e r vées conjointement à un moment
résolu, sont mises à l’épreuve de la compa-
raison. Cette méthode a pour inconv é n i e n t
majeur dêtre biaisée par un effet dit de
c o h o rte puisque l’on compare des sujets pos-
sédant un bagage antérieur culturel, socioé-
conomique, nutritionnel etc., différent et
propre à chaque génération. L’idéal serait
d ’ e m p l oyer une méthode longitudinale per-
mettant de suivre dans le temps un me
groupe d’individus. Toutefois, cette méthode
s ’ avère trop coûteuse en nombre de sujets,
du fait des sorties détude par abandon
(baisse de la motivation…) ou par décès. La
fiabilité des résultats est également mise en
cause, puisqu’en règle générale la méthode
t r a n s versale tendrait à exagérer les effets
de l’âge, la thode longitudinale à les
m i n i m i s e r.
Actuellement, 2 thodes d’approche
p e rmettent de mieux comprendre le vieillis-
sement cognitif [31]. L’approche analy t i q u e
qui décompose le fonctionnement cog n i t i f
en systèmes de traitement autonomes, agis-
sant sur des types d’informations part i c u-
liers. Cependant, on ne peut prétendre avo i r
i d e n t i fié, de façon ex h a u s t ive, l’intégr a l i t é
des composantes de la mémoire. Deux
concepts récents, celui de moire impli-
cite et de moire prospective, montrent
que les limites de la connaissance peuve n t
encore être reculées L’autre approche,
dite globale, repose sur une vue plus holis-
tique du fonctionnement cognitif. Dans
cette seconde perspective, les effets de l’âge
s ’ expliquent par une altération de fa c t e u r s
généraux (vitesse de traitement ) qui
a ffectent indirectement certaines des com-
posantes précitées. Néanmoins, les
recherches actuelles font état de dive rg e n c e s
quant à la prépondérance de ces fa c t e u r s ,
pour expliquer les effets de l’âge sur la
c og n i t i o n .
En conclusion, l’opérationnalisation de
l’étude de vieillissement humain n’est donc
pas chose aisée. En mesurer pleinement les
d i fficultés conceptuelles et méthodolo-
giques, se souvenir de leurs limites, est le
p r é a l a ble indispensable à une approche des
e f fets liés à lâge sur les performances mné-
siques, qui se doit de ne pas être univo q u e .
La multitude des facteurs co-pendants
tend à éclipser la prétention à vouloir appré-
hender l’effet de lâge sur la mémoire par un
éclairage unique. En réponse à cela se déve-
loppe actuellement une double approche
combinée, systémique et holistique [32], au
but heuristique de saisir les relations d’inter-
pendance structurelles et fonctionnelles du
p s y c h o l ogique, du biologique et du social.
Une telle approche multifactorielle contex-
tuelle interactive constitue, pour notre
domaine, une voie de recherche prometteuse
pour le futur.
Les effets de l’âge sur la
moire : aspects théoriques
Le concept de mémoire
Il semble important de rappeler ce qu’est la
fonction elle-même avant d’en aborder son
fonctionnement. Pa rmi les habiletés cog n i-
t ives, lamoire occupe une place centrale,
elle tient son nom de Mnémosyne, déesse
Grecque fécondée par Zeus qui enfanta les
9 muses. Depuis l’Antiquité, la moire
préside ainsi à la connaissance, à la création,
à la prophétie. Sa conception na cessé
d ’ é voluer au fil du temps. Depuis Ribot, elle
est devenue un fait biologique ; avec Char-
cot et Fr e u d, ses relations avec la conscience
sont explicitées ; pour Bergson, elle est
Habitude et Proust, quant à lui, reve r a
l ’ i m p o rtance du contexte. Mais l’avancée la
plus remarq u a b le dans le champ de la
connaissance de la mémoire humaine s’ex-
plique par l’apport des sciences cog n i t ives et
principalement celui de la Neuropsycholo-
gie cog n i t ive.
Modélisations de la mémoire
h u m a i n e
Le courant cog n i t iviste actuellement domi-
nant stipule que la mémoire ne constitue pas
une fonction unitaire, quelle est une
c o n s t ruction complexe et composite de sys-
tèmes agissant sur des formes part i c u l i è r e s
de souve n i r. Cette énumération de compo-
santes peut être représentée sous forme de
modèles théoriques et sert, en neuropsycho-
l o gie, de cadre doctrinal pour l'analyse des
t r o u bles présentés par le sujet [33].
Modélisation selon l’approche
a n a l y t i q u e
D i frents travaux ont permis de déga g e r
une conception dualiste de la moire :
mémoire à court terme (MCT), et mémoire à
long terme (MLT). Récemment [34], il fut
sugré de remplacer le concept demoire
à court terme par celui de mémoire de tra-
vail, afin de souligner la richesse de sa fonc-
tionnalité. Cette mémoire, toujours en trava i l
mais de capacité limitée, permet de dépasser
l’instant psent grâce à un stockage actif de
l ’ i n f o rmation. Elle a donc une double fonc-
tion : traiter les informations et maintenir le
résultat des opérations effectuées. Elle eff e c-
tue ces opérations grâce à l'association de
sous-systèmes esclaves qui interagissent.
L'administrateur central, système de contrôle
attentionnel, en est la composante majeure.
Il supervise et coordonne l'information issue
de deux systèmes asservis : la boucle art i c u-
latoire et le calepin visuo-spatial.
Ladministrateur central contrôle les
actions selon 2 voies indépendantes. La pre-
mière, automatique, concerne les compé-
tences rodées qui renvoient à des schémas
p r é é t a blis. La seconde, volontaire et inten-
tionnelle, intéresse le contrôle des opérations
non routinières par le biais du Système
Attentionnel de Supervision (SAS) [35]. La
boucle phonologique comprend un stock
p h o n o l o gique qui supporte, de façon brève ,
la trace mnésique et une boucle art i c u l a t o i r e
qui permet le maintien temporaire de l'infor-
mation par auto-récapitulation le temps
qu’elle soit traitée. Le calepin visuo-spatial
s t o c ke et contrôle l'information visuo-spa-
tiale. Toutefois, peu de données sont dispo-
n i b les sur cette composante difficile d'accès.
Pour une bonne gestion de linform a t i o n
n o u velle, cette mémoire de travail utilise des
i n f o rmations du contexte présent, mais va
é g alement chercher, en mémoire à long
t e rme, toutes les connaissances antérieures
et informations utiles par le biais de proces-
sus inférentiels.
Lamoire à long terme permet à la fois
le maintien et la récupération d’inform a t i o n s
sur une due de quelques minutes à plu-
sieurs années. Elle se décompose éga l e m e n t
en sous-systèmes différenciés. Cert a i n s
auteurs ont mili pour une organisation de
la mémoire à long terme constituée
● ● ●
M . C .Gély-Nargeot et al.
8 5 2 La Presse Médicale 22 - 29 avril 2000 / 29 / n° 15
de systèmes parallèles et indépendants [36].
Ils distinguent ainsi une mémoire déclara-
t i ve, qui permet de récupérer de façon inten-
tionnelle et consciente l'information, d'une
moire procédurale non volontaire. La
mémoire clarative se divise, elle-même, en
2 composantes : la mémoire épisodique et la
moire mantique. La mémoire épiso-
dique re les événements biogr a p h i q u e s
vécus dans un contexte temporo-spatial sin-
g u l i e r. L'utilisation du contexte va perm e t t r e
de spécifier avec précision l'inform a t i o n
n o u velle, afin de la rendre singulière et ainsi
p o u voir mieux la récupérer. La moire
mantique dépasse un épisode part i c u l i e r
de la vie du sujet, elle résulte en fait de l'ac-
cumulation de différents épisodes. To u t e f o i s ,
elle transcende un contexte particulier pour
ne retenir que ce que ces épisodes ont en
commun. Elle en retire alors un savoir uni-
versel et stocke ainsi des connaissances
générales sur le monde environnant. La
représentation de ces connaissances s’orga-
nise sous forme de modèles mentaux qui
p e rmettent alors à l'esprit de reconstruire la
réalité, d'en concevoir les altern a t ives, d'en
v é r i fier les hypothèses. Ainsi, grâce à cette
mémoire, les événements ex t e rnes sont tra-
duits en modèles internes, afin d'être mani-
pulés pour comprendre et raisonner.
Les systèmes mnésiques se diff é r e n c i e n t
é g alement selon les procédures et tâches
expérimentales utilisées afin de les éva l u e r .
Dans ce cadre précis, la mémoire ex p l i c i t e
réfère au système mesu par des tâches
directes qui requièrent des processus actifs
et conscients de récupération (rappel, recon-
naissance). La mémoire implicite est la com-
posante estimée par des tâches qui ne
demandent pas le rappel intentionnel ou
conscient (effet d’amorçage, apprentissage
de procédures).
L’architecture de la mémoire ne cesse de
p r ogresser ; actuellement, un nouve a u
modèle propose une organisation hrar-
chique commune à ces systèmes. Les diff é-
rentes composantes sont enchâssées les unes
aux autres et ne sont donc pas indépendantes
comme ce fut décrit auparavant [37].
E n fin, à ces différentes mémoires impli-
quées dans les souvenirs rétrospectifs, fut
opposée la mémoire prospective, véritabl e
mémoire du futur… Cette mémoire se défi-
nit par rapport au souvenir d’actions à eff e c-
tuer à un temps donné : transmettre un mes-
sage, prendre un dicament, gler ses
impôts, passer chez son boucher. Elle pré-
side à l'établissement d'un programme d'ac-
tions et est fondamentale dans la gestion du
q u o t i d i e n .
Outre ces sysmes, différents processus
p a rticipent aux opérations mnésiques. Le
processus d’encodage intègre à la trace m-
sique les caractéristiques d’un événement.
C’est dire qu’il porte non seulement sur l’in-
f o rmation « cible » mais également sur le
c o n t exte dans lequel cette information a été
présentée. Le contexte saisit les dimensions
c og n i t ives, environnementales, émotion-
nelles de la situation de mise en mémoire, il
o ffre ainsi un caractère distinctif à l’infor-
mation lors de sa saisie, la rend unique, non
i n t e r c h a n g e a ble. Le niveau de traitement de
la saisie de l’information s’effectue selon un
c o n t i n u u m allant d’une analyse sensorielle
s u p e r ficielle jusqu’au niveau plus profond
qui autorise l’accès au sens : le nive a u
sémantique. Cette notion de profondeur du
traitement [38] est fondamentale, car plus
l ’ i n f o r mation est traitée en profondeur,
mieux elle est morisée. Une trace mné-
sique forte et durable caractérise donc une
i n f o rmation traitée à un niveau sémantique.
Au moment de la saisie de l’information, les
opérations d'encodage peuvent s’eff e c t u e r
soit sur un mode automatique ou, au
contraire, exiger de l'attention (e ffo r t f u l) .
Plus le niveau de traitement est profond,
d avantage il est exigeant en ressources atten-
tionnelles. La récupération a pour fonction
de rechercher l'information stockée en
mémoire. Elle peut se faire selon plusieurs
modalités de rappels : évocation libre, rap-
pel indicé, reconnaissance. De nombreux
a r guments empiriques ont permis d'opposer
l ’ é v ocation à la reconnaissance. L’ é vo c a t i o n
désigne la situation l'individu doit récu-
pérer une information par une stricte réacti-
vation mentale coûteuse en énergie mentale
(e f fo r t f u l). La reconnaissance, au contraire,
est une décision mnésique qui porte sur les
conditions d'occurrence d'une inform a t i o n
en la présence de son équivalent perceptif au
moment de sa curation. Elle s'av è r e
donc beaucoup plus aisée que le rappel libre
puisqu’elle se fonde sur le même contex t e
que celui de l’encodage, y partage des d’in-
dices communs, sollicite moins les res-
sources attentionnelles que dans la première
condition.
La mémoire de travail, les processus
d’encodage et de récupération de l’inform a-
tion, sont des systèmes de gestion et de
traitement de l’information alimentés par
l’attention.
Modélisation selon l’approche globale
Lapproche globale est la plus utilie actuel-
lement car elle fournit l’explication la plus
économique et la plus intégrée des effets de
l’âge sur le fonctionnement cognitif en géné-
ral et sur la mémoire en part i c u l i e r.
Dans cette perspective, les effets de l’âge
sur une performance s’expliquent par l’al-
ration d’un nombre restreint de mécanismes
néraux, véritables médiateurs entre la
va r i a ble « âge » et la fonctionnalité de la
c o gnition. Trois facteurs généraux sont
aujourd’hui identifiés : la vitesse de traite-
ment de l’information, lescanismes din-
hibition, lamoire de travail. Tel un prisme
d é f o rmant, ils affecteraient indirectement
l ’ e fficience du fonctionnement mnésique.
Cette approche n’est pas antinomique de la
précédente, elle privilégie seulement une
i n t e r prétation plus intégrée des modifi c a-
tions liées à l’âge sur les tâches à eff e c t u e r
au détriment d’explications locales in-
rentes à l’altération spécifique des multiples
processus impliqués dans la alisation de
ces tâches.
Concept et modélisation
de l’atte n t i o n
L’attention est ainsi reliée directement aux
systèmes et aux processus mnésiques. Elle
se définit par rapport à la conscience :
« C’est la sélection dun événement ou
dune pensée et son maintien dans la
conscience » [39]. L’attention est une fonc-
tion mentale aux processus multiples et à
l’architecture hiérarchisée. Quatre princi-
paux processus la composent : l’attention
s é l e c t ive (dirigée et partagée), l’attention
soutenue, les ressources attentionnelles, le
contrôle de l’activi mentale. L’ a t t e n t i o n
s é l e c t ive correspond à la capaci à ex t r a i r e
une information pertinente d’un « bruit de
fond ». Ceci sous-tend 2 types de méca-
D O SS I E R Mémoire et vieillissement
22 - 29 avril 2000 / 29 / n° 15 La Presse Médicale 8 5 3
nismes : un premier qui « rehausse » l’in-
f o rmation à traiter, un second qui inhibe les
i n f o rmations distractrices [40]. L’ a t t e n t i o n
soutenue est de nature continue et corr e s-
pond à la vigilance : elle a une fonction
d ’ a l e rte et offre une résistance à la distrac-
tion. Lattention c’est également un réser-
voir de ressources attentionnelles plus ou
moins sollicitées selon le type d’opération
mentale à réaliser. Plus l’analyse d’un sti-
mulus est profonde et ex t e n s ive, plus l’in-
vestissement attentionnel (donc la quantité
de ressources mobilisée) est élevé. Enfi n ,
l ’ a c t ivité mentale est part i c u l i è r e m e n t
contrôlée puisqu’elle oscille sans arrêt entre
la flexibilité cog n i t ive et la distraction. Le
contrôle attentionnel pside à l’équilibre de
ces deux processus antagonistes mis en
balance. La flexibilité est nécessaire au
maintien cohérent d’une activiorientée
vers un but, et procède d’opérations telles
q u ’ a j u s t e r, comparer, réactualiser, élaborer
une stratégie nouvelle, vérifier le sultat
atteint. Ces activités cog n i t ives, regr o u p é e s
sous le terme de fonctions ex é c u t ives sont
sous le contrôle, quant à elles, du Système
S u p e rviseur Attentionnel (SAS) ciplus
haut. Ce modèle stipule une double orga n i-
sation du contrôle de l’action. Le premier
n i veau concerne l’activation de routines
s p é c i fiques, sur-apprises. Ces séquences
d'action se déroulent en l’absence de tout
processus attentionnel délibéré, leurs réso-
lutions se font sur un mode automatique.
Toutefois, la confrontation à la réalité
fait que le sujet ne doit pas être prisonnier
de ses programmes habituels, être asservi
à des réponses devenues stéréotypées.
Alors entre en jeu un second système
attentionnel de supervision de capacité limi-
tée, pour la gestion de tâches nouve l l e s ,
inhabituelles, nécessitant une certaine
p l a n i fi c a t i o n .
En conclusion, la mémoire n’est pas une
fonction unitaire. Elle engage une série de
processus séquentiels indépendants qui,
cependant, interagissent les uns avec les
autres. L’attention lui est intimement liée et
en est la ritable cheville ouvrre. Po u r
comprendre et interpréter le ou les dysfonc-
tionnements de la mémoire, on doit en son-
d e r, non seulement chacune de ses compo-
santes, mais également en explorer les inter-
actions qui les relient. Cest cette démarche
pour laquelle nous avons opté.
Les effets de l’âge
sur la mémoire :
aspects empiriques et cliniques
Selon lapproche analyt i q u e
Dans une perspective analytique, les eff e t s
de l’âge sur la performance mnésique sont
r a p p o rtés aux différents systèmes et proces-
sus du fonctionnement mnésique. Les
t r o u bles de la mémoire trouvent ainsi leur
explication en regard des modèles stru c t u-
raux et processus de traitements énumérés
au paragraphe pcédent. Ce type d’ap-
proche rend intelligible l’atteinte sélective de
c e rtaines composantes ou opérations mné-
siques et met en exe rgue les capacités épar-
gnées par l’âge.
De nombreux travaux ont souligné l’eff e t
délétère du processus de vieillissement sur
la mémoire de travail. Cette moire, ri-
t a ble pce maîtresse du fonctionnement
c ognitif, serait particulièrement sensible aux
e f fets de l’âge. Cependant, son ex p l i c a t i o n ,
loin d’être univoque, reste part i c u l i è r e m e n t
c o n t r overe [41]. Selon certains auteurs
[42], l’effet de l’âge réduit les capacités de
stockage de cette mémoire. Pour d’autres
[43], il affecte davantage les capacités
de ladministrateur central donc les res-
sources attentionnelles imparties aux opéra-
tions de stockage et de traitement de l’infor-
mation.
E n fin, il est raisonnable de penser que
l’altération de cette moire puisse être liée
indirectement à un problème touchant à la
c o n t r i bution de la moire à long term e
pour la récupération de l’information [44].
La mémoire à long terme sémantique est,
quant à elle, spécialement résistante aux
e f fets négatifs de l’âge [45]. L'orga n i s a t i o n
et la manipulation des concepts ne sembl e n t
pas être altérées par l’âge et expliquent la
bonne préservation de cette moire. D'un
autre point de vue, l’accès aux connais-
sances mantiques serait également pré-
s e rlors du vieillissement normal. Il en est
autrement lors du vieillissement patholo-
gique, offrant là une dissociation intéres-
sante à exploiter aux fins de diagnostic dif-
f é r e n t i e l .
Les déficits liés à l’âge, de la mémoire à
long terme épisodique sont notables et part i-
culièrement étayés par la littérature actuelle.
L’altération de cette composante résulterait
non pas d’une atteinte du sysme épiso-
dique en lui-même, mais serait le reflet de
m o d i fications fonctionnelles portant sur les
opérations d’encodage et de récupération
(pour revue [46]).
Les sujets âgés éprouveraient dava n t a g e
de difficultés que les sujets jeunes à mettre
en œuvre spontament les opérations d’en-
codage sémantique du fait d’un amoindris-
sement de leurs ressources attentionnelles
[47]. En part i c u l i e r, des capacités dattention
s é l e c t ive moins opérantes entraveraient la
saisie des principaux aspects de l’encodage,
rendant alors la trace mnésique plus labile et
moins spécifique. Du fait de cette atteinte
des processus d’encodage sémantique, l’in-
f o rmation saisie incomplètement dev i e n d r a i t
d avantage interchangeable et serait alors
moins accessible [48]. Selon dautres
auteurs, les sujets âgés psenteraient un
d é ficit dans l’encodage des inform a t i o n s
c o n t e xtuelles, associées à l’information cibl e
[49]. En vieillissant, les inform a t i o n s
c o n t extuelles ne jouent plus leur rôle d’in-
dice pour la récupération de l’inform a t i o n
c i ble.
Les personnes âgées, à l’instar des sujets
jeunes, rencontrent également des diffi c u l-
s dans le rappel des informations. En par-
t i c u l i e r, elles deviennent moins aptes à auto-
i n i t i e r, de façon active, les opérations de
cupération. Le rappel libre, le plus coûteux
en eff o rt attentionnel puisque sans aide pos-
s i ble, est le plus affecté ; en reconnaissance,
la performance mnésique se normalise car
facilitée par lapport de l’information liv r é e .
Le poids de l’effet de l’âge sur la sensibilité
de la cupération épisodique varie donc
selon la nature plus ou moins contrôlée de la
tâche à effectuer [50]. Il a été éga l e m e n t
démontré que la recherche de l’inform a t i o n
stoce dépend, non seulement de la mise en
œuvre contrôlée de ces processus actifs,
mais est relative également à un accès auto-
matique basé sur un sentiment de fa m i l i a r i t é .
Cette voie directe et automatique, sollicitant
peu les ressources attentionnelles, est
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M . C .ly-Nargeot et al.
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