8 5 0 ➞La Presse Médicale 22 - 29 avril 2000 / 29 / n° 15
âgée impose en préalable une réflexion sur
les difficultés de son approche.
Les effets de l’âge
sur la mémoire :
difficultés de son approche
Difficultés conceptuelles : où se situe
la normalité pour un sujet âgé ?
L’étude du déclin mnésique met à l’épreuve ,
implicitement, la classification des troubl e s
de la mémoire associés à l’âge et renvo i e ,
fatalement, à la définition du normal et du
p a t h o l o gique [7], chez la personne âgée tant
elle est équivoque [8]. La définition courante
de la normalité comme état de pleine santé,
a c c e p t a ble pour les sujets jeunes, dev i e n t
caduque avec l’avancée en âge. En effet, lors
du vieillissement usuel, on assiste à l’instal-
lation progr e s s ive d’un grand nombre de
p a t h o l ogies mineures et non cérébrales, dont
l’incidence s’amplifie avec l’âge. On peut
donc affi rmer qu’en regard de cette défi n i-
tion binaire stricte, il n’y a plus de sujets
n o rmaux au-delà de 70 ans.
Selon une autre conception moins mani-
chéenne [9], on peut considérer la popula-
tion des sujets âgés comme une entité origi-
nale qui se distribue de façon « normale »,
c’est-à-dire selon une distribution Gaus-
sienne. Est alors normal ce qui se rencontre
dans la majorité des cas. Cette conceptuali-
sation a pour avantage d’inclure tous les
sujets et, ainsi, de ne pas restreindre l’étude
des modifications mnésiques liées à l’âge à
un échantillon constitué de sujets supranor-
maux, non représentatifs de la population
générale des personnes âgées. À l’inverse, le
risque en est d’introduire des individus aux
p e r f o rmances sub-pathologiques et ainsi
d’abraser la distinction « norm a l / p a t h o l o-
gique », corroborant la notion contestée d’un
continuum entre ces 2 pôles [10].
En conclusion, le vieillissement ainsi
opérationnalisé met en exe rgue une pluralité
de genres : il n’existe pas un vieillissement
au singulier mais des vieillissements car
fonction des individualités. Le vieillissement
i n d i viduel peut ainsi être qualifié de
p a t h o l o gique, d’usuel, d’optimal et de
réussi [11].
Difficultés théoriques :
pluralité des déterminismes
a gissant sur la cognition
D i fférents travaux ont insisté sur la néces-
saire prise en compte des va r i a b les non
c og n i t ives qui influent indirectement sur la
c ognition [12] et en particulier sur le fonc-
tionnement de la mémoire [13].
Il est fait allusion ici aux déterm i n i s m e s
b i o l ogiques, affectifs, sociaux [14].
Du point de vue neurobiologique, diff é-
rents travaux [15, 16] rapportent, chez les
sujets âgés, une hy p o - a c t ivité du cort ex pré-
frontal lors du traitement d’inform a t i o n s
mnésiques. Or, l’implication du cort ex pré-
frontal, dans l’encodage et le rappel de ces
i n f o rmations, est un fait reconnu [17, 18].
Les déficits mnésiques des sujets âgés s’ex-
pliquent ainsi et en partie, par une réorga n i-
sation fonctionnelle de l’activité cérébrale
sous l’effet de l’âge [19]. De plus, le
vieillissement des organes sensoriels entrave
indirectement la saisie correcte de l’infor-
mation et restreint ainsi l’efficience de sa
mémorisation. Selon une étude récente, les
va r i a bles sensorielles sont fortement corr é-
lées avec l’état cognitif des sujets âgés [20].
E n fin, la prévalence de la consommation de
médicaments prescrits et non prescrits aug-
mente considérablement avec l’âge [21].
Les sujets de plus de 65 ans font l’objet, en
m oyenne, d’une douzaine de prescriptions
par an. Pa rmi celles-ci, les psychotropes y
figurent majoritairement. Outre les interac-
tions médicamenteuses possibles, l’impact
n é g atif des psychotropes sur les per-
f o rmances mnésiques et attentionnelles
est actuellement un fait démontré et
avéré [22].
D’autre part, l’idée d’une influence de
facteurs environnementaux sur le cerve a u ,
tant dans sa structure que dans son fonc-
tionnement, a été rationalisée ces dern i è r e s
années puis largement validée [23]. Le
concept de plasticité cérébrale ainsi né s’est
t r a n s f o rmé peu à peu, sous l’influence de
t r avaux en psychobiologie, en notion de
capacité de réserve cog n i t ive [24]. Le poten-
tiel des habilités cog n i t ives évolue ainsi
sous l’effet de l’entraînement. En part i c u-
l i e r , un degré d’exercice élevé dans une acti-
vité cog n i t i ve donnée (U s e - D e p e n d e n c y
C o n c e p t) [25] mobilise et engage l’utilisa-
tion de compétences antérieures sur-
apprises, véritables schémas de connais-
sances automatisés. Ce phénomène ex p l i q u e
les capacités de compensation liées à l’âge
ainsi la mémoire des chiffres d’un ancien
c o m p t a ble demeurerait plus performante au
cours des ans que celle d’un musicien. Le
paramètre de réserves cog n i t ives, plus pré-
cis que la notion globalisante de niveau cul-
turel, doit donc être impérative m e n t
contrôlé dans toute étude abordant les rela-
tions âge et mémoire [26].
L’être humain étant un tout indiv i s i bl e ,
les va r i a bles agissant sur la cognition peu-
vent être également d’origine aff e c t ive. Pe u
d’écrits ont porté sur la personnalité du sujet
vieillissant. Toutefois, un de ses traits carac-
téristiques serait de devenir plus attentif à ce
qui se passe en lui, il passerait ainsi du
monde extérieur à un univers dava n t a g e
intérieur [27]. Selon la perspective psycho-
dynamique, la personnalité de la personne
âgée se caractériserait par un manque
d ’ é n e rgie imputable au refoulement. On
peut ainsi, en regard de la théorie freu-
dienne, comprendre aisément que les mani-
festations déficitaires de la mémoire, dues à
l’âge, ne puissent être dissociées de la dyna-
mique aff e c t ive. De plus, le travail psy-
chique du sujet vieillissant [28] est reconnu
pour se centrer sur un travail de deuil inhé-
rent aux pertes subies (perte de soi, perte de
fonction, perte d’objets). Ce mouvement de
deuil, sans cesse réactivé par la réalité de la
p e rte, a pour corollaire la dépression. La
vieillesse s’accompagne ainsi très fréquem-
ment d’un syndrome dépressif [29] dont
les effets délétères sur la mémoire sont
notoires [30].
En conclusion, la réponse au vieillisse-
ment n’est donc qu’individuelle. Elle est
fonction des réserves cog n i t ives, des res-
sources biologiques, env i r o n n e m e n t a l e s ,
p s y c h o l ogiques. Comment peut-on alors
prétendre l’observer d’un point de vue
unique et monolithique ?
Difficultés méthodologiques :
comment appréhender le vieillisse-
ment cognitif ?
Les modifications du potentiel mnésique
sont, le plus souvent, mises en évidence par
des études transversales. Dans ce dessein, les
D O SS IE R Mémoire et vieillissement