ENTRETIENS D'ORTHOPHONIE 1992 57 Évaluation fonctionnelle des troubles de la mémoire chez les personnes âgées J.-M. WIROTIUSl, B. PICHARD' Les troubles mnésiques sont fréquents chez la personne âgée. Ils sont redoutés car leur apparition est pour le sujet comme pour son entourage, l'indice d'un possible affaiblissement intellectuel dont le pronostic reste aujourd'hui grave. Nous envisageons l'évaluation selon deux points de vue, d'une part les objectifs de l'évaluation, et d'autre part les outils (examen, bilans, tests...). Les objectifs de l,évaluation sont en général multiples, il y a plusieurs domaines : la confirmation du diagnostic, le pronostic fonctionnel, la quantification du trouble, le choix des stratégies thérapeutiques... Obiectifs de l'évaluation Confirmation du diagnostic Le diagnostic des troubles de mémoire suppose.: l'on tient compte de l'âge et du niveau culturel ; - que que l'attentio4 est satisfaisante; - que les fonctions sensorielles sont correctes ; - que le sujet n'est Pas déPrimé ; - qu'il n'est pas confus ; - qu'il n'y a pas d'aphasie. -Un point relevé par de nombreux auteurs [l] est la corrélation entre dépression et auto-évaluation de la mémoire. a) Le trouble de la mémoire appartient à une pathologie connue ou non : le trouble de la mémoire peut venir s'intégrer à une maladie de Parkinson, un traumatisme crânien, une démence...). Il est alors l'un des symptômes d'une affection neurologique identifiée. Au contraire, la plainte mnésique peut être nouvelle chez un sujet sans passé pathologique ; b) le trouble de la mémoire est isolé ou non. Soit le trouble mnésique est la seule anomalie neuropsychologique, soit il s'agit d'un tableau plus complexe (déficiences intellectuelles...). l. Service de Rééducation fonctionnelle, Hôpital de Brive, 19100 Brive. ENTRETIENS D'ORTHOPHONIE 1992 5B L'évaluation aura comme objet principal de faire la part entre des troubles mnésiques isolés ou non. c'est dire que l'évaluation des troubles mnésiques de la personne âgée va toujours nécessiter un bilan psycho-intellectuel (cognitif et affectifl) complet ; c,) la typologie du trouble de la mémoire est à préciser. Il est établi [2] que le déclin des facultés mnésiques avec l'âge n'est pas homogène : par exemple, la mémoire épisodique est plus vite altérée que la mémôire sémantique. Étabtissement du pronostic fonctionnel Les troubles de la mémoire sont divers : ils peuvent être bénins ou graves. c'est un des objectifs essentiels de l'évaluation de permettre d,établir un pronostic fonctionnel, selon que le déficit s'intègre ou non à un tableau démentiel. Lors du bilan de mémoire, il est clair que l'objectif sera à la fois d'être le -plus précis possible sur le syndrome amnésique, mais aussi de balayer I'ensemble des fonctions cognitives pour intégrer ce trouble dans l,ensem6le des aptitudes psycho-intellectuelles. Il faut aussi tenir le plus grand compte de versant affectif, car on sait le -retentissement du syndrome dépressif sur la mémoire. Auantification du trouble Il est important pour l'évaluation du trouble de différencier les outils qua- litatifs et ceux qui vont mesurer des aptitudes. qualitative reste nécessaire à I'approche clinique du trou- àL'exploration ble, sa compréhension, à sa prise en compte dans le bilan du patient. quantitatif est celui de la mesure avec pour objectif la com- Le registre paraison du sujet à des témoins ou à d'autres sujets et du sujet à lui-même. Le domaine quantitatif est volontiers considéré comme réducteur et trop simplificateur. Il est pourtant indispensable, même s'il ne peut être le seul élément d'évaluation. Stratégies thérapeutiques Les thérapeutiques de la mémoire ont besoin d'être évaluées. ce point va prendre en rééducation de plus en plus d,ampleur [3]. Outils de l'évaluation Les outils d'évaluation sont nombreux. Tous ont des présupposés théori- ques avoués ou non. Les découpages les plus habituels pour les fonctions mnésiques sont : à court terme (mémoire de travail)/mémoire à long terme - mémoire mémoire visuelle/mémoire verbale ; - ; ENTRETIENS D'ORTHOPHONIE 1992 59 procédurale déclarative/mémoire ; - mémoire mémoire épisodique/mémoire sémantique ; - mémoire incidente/mémoire intentionnelle ; - mémoire explicite/mémoire implicite. -La modélisation des troubles de la mémoire est un des points d'ancrage d'aujourd'hui de la psychologie cognitive. Clinique La clinique ne saurait être oubliée tant elle reste un élément essentiel du diagnostic des troubles neuropsychologiques, à côté des tests [4]. L'oppréciation de la plainte est le point clé avec I'avis du patient et de sa famille. Les fests Les tests, pour être de véritables outils d'évaluation doivent être standardi<< son >» test, en alignant un item après l'autre... Le test doit répondre aux critères scientifiques sés, validés et largement répandus. Chacun ne peut faire d'évaluation et nécessite un travail de mise au point considérable. Les tests doivent tenir compte de l'âge et du niveau socio-culturel. On peut considérer les outils de l'évaluation selon plusieurs critères de passation ; - temps validité reconnue ou non ; : - diffusion du test; - cohérence théorique avec sa propre approche; - approche spécifique vs non spécifique des troubles de mémoire ; - tests directs ou indirects. -Les tests pour les personnes âgées doivent répondre, pour certains, à des critères singuliers [5] : avoir des durées de passation brèves, ne pas être trop abstraits, être proches des activités de la vie quotidienne. La mode des << /eslsminute r> est considérée comme légitime, avec la réserve de la nécessité d'une exploration psychométrique détaillée pour comprendre le trouble [5, 6]. Les tests qui restent la base des outils d'évaluation sont : I L'échelle de mémoire de lYechsler (1945) C'est l'outil le plus ancien et le plus commun. L'échelle a été publiée en 1945. Elle est rapide et simple à administrer. Elle se compose de 7 subtests. I - Renseignements personnels et informations générales. II - Orientation immédiate. III - Contrôle mental (compter à rebours de 20 à 1 ; réciter I'alphabet ; compter de 3 en 3). IV - Mémoire logique (deux textes sont à mémoriser). V Mémoire de chiffres. VI-- Reproduction visuelle (figures géométriques à reproduire). VII - Mots couplés. 60 ENTRETIENS D'ORTHOPHONIE 1992 r Les épreuves de Rey (profil de rendement mnésique, épreuve des 15 mots, figure de Rey). Le profil de rendement mnésique comprend des items de reconnaissance et des items de rappel. Le << Rey ouditory verbal learning test » Ul 0970). te test présente 15 mots pour un rappel immédiat avec 5 essais. Le score est le nombre de mots rappelés. Les 15 mots sont alors inclus dans un texte avec 15 distracteurs. Le score de reconnaissance est le nombre de mots bien identifiés moins les erreurs. TABLEAU I Les 15 mots de Rey (apprentissage) [8] Âs, Moyenne Ecart type 20-30 50-60 60,9 58,4 7,86 8,9 La figure de Rey (1942) peut être reproduite de mémoire. Les erreurs peuvent aussi être le fait de troubles perceptifs. r La batterie 144 de J.-L. signoret (1991). La batterie 144 a été étalonnée sur une population de 326 sujets de 16 à 85 ans. EIle est composée de deux séries selon que le matériel est verbal ou non. pour chaque série, on retrouve un rappel immédiat et différé, un apprentissage sériel et associatif, une tâche de reconnaissance différée. sa passation est longue, environ une heure et néces- site une très bonne attention du sujet. r Le test de rétention visuelle de Benton (1943). Le sujet doit reproduire de mémoire les figures géométriques présentées sur des planches. r Les épreuves de fluence verbale [9] : ces épreuves sont d'un grand intérêt par leur simplicité. La variante orale du test de Thurstone a été proposée par Benton (1968). Dans la modalité proposée par A.-M. Ramier et H. Hecaen (1977), le sujet doit dire en une minute autant de mots commençant par une lettre (P, F, L). Le score est obtenu en additionnant le nombre de mots obtenus pour chaque lettre. I Le « Short Inventory of Memory Experience » [10] (SIME), lg7g, est souvent utilisé comme test bref. Il a des qualités psychométriques raisonnables, il est fréquemment cité dans la littérature, il est assez bref et utilisable chez l'adulte et le sujet âgé. r Le test élémentaire de concentration, orientation et mémoire [ll] (Katzman, 1983). L'adaptation française du test a été proposée par p. Davous. Il comprend 6 items avec un score de « 0 >» à << 28 >». La passation demande 5 minutes. Lorsque le score est supérieur à 10, il indique qu'il existe des troubles mnésiques. ENTRETIENS D'ORTHOPHONIE 1992 TABLEAU 61 II Le test élémentaire de concentration, orientaüon et mémoire. Evaluation Question luste Faux 1. En quelle année sommes-nous ? 2. Quel mois ? 3. Faire répéter I'adresse suivante : « Mr Jean Dubois, 42, rue du Marché, à Bordeaux » 4. Quelle heure est-il ? 5. Compter à rebours de 20 à 0. 6. Dites les mois de I'année à I'envers. 7. Répéter I'adresse que je vous ai dite. 0 0 4 Score normal Score maximal d'erreurs 0 0 0 0 0 3 J 2ou4 2ou4 2oul0 28 [Question«4»:fauxsierreurdeplusd'uneheure;Questions<<5>>et«6»:2pointssierreurs, 4 si l'épreuve est irréalisable ; Question << 7 >> : on compte deux points par item oublié (prénom, nom! numéro et nom de rue, ville)l I Le « Shopping list task » [l2]. On lit au sujet une série de l0 mots. Il doit en répéter le plus possible. La notation consiste à compter le maximum de mots évoqués en 5 essais. I Les tests analogiques. Comme toujours, on peut recourir à des tests d'évaluation globale avec des échelles graduant le trouble. Exemple : tableau [II. TABLEAU Score de mémoire de I 2 J 0 >» à << 3 >» Mémoire Score 0 III << Mémoire intacte. Défauts de mémoire intermittents. Oublis intermittents de faits récents Perte de mémoire invalidante. Autres aspects de l'évaluation I L'entourage du patient : les informations apportées par l'entourage proche du patient sont essentielles à l'appréciation des troubles mnésiques. L'entourage est la famille, les soignants, le médecin traitant... I Les critères de diagnostic Le DSM-Lil: le DSM-III-R U3l dans sa version française donne les repères cliniques pour le diagnostic de syndrome amnésique. 62 ENTRETIENS D'ORTHOPHONIE 1992 Critère I : altération de la mémoire à court et à long terme. - Critère 2 : ne survient pas au cours d'un délirium et ne répond pas au critère de la démence. critère 3 : mise en évidence de facteurs organiques liés à la perturbation. L'oubli bénin de la sénescence ll4l : des troubles après 50 ans; - début oubli portant sur des détails de la vie, des dates, des noms propres ; - plainte subjective sans retentissement social ; - pas d'anomalie aux tests ; - pas de dépression. -L'âge << associated memory impairment >» : sujet de plus de 50 ans; - plaintes mnésiques concernant la vie quotidienne (noms propres, numéros- de téléphone, la place des objets, les courses...); altération modérée des tests de mémoire ; - préservation des fonctions intellectuelles ; - absence de démence. Syndrome amnésique sénile : des troubles après 50 ans ; - début oubli du passé récent; - trouble de I'orientation temporo-spatiale ; - réponses fausses (fabulations); des tests mnésiques ; - altération absence de perturbation des autres fonctions supérieures. - Validité écologique Depuis quelques années, on évoque l'utilité de tester les sujets en situation de vie ordinaire. cette dynamique est très honorable surtout en milieu de réé- ducation. on souhaite évaluer les fonctions mnésiques dans les activités de la vie quotidienne. Dans cette optique, de nombreux auteurs ont étudié la mémoire prospective. Elle est celle qui permet d'organiser la vie pratique individuelle, de ne pas oublier le prochain rendez-vous... C'est la mémoire que l,on peut le mieux aider par les divers outils de rappel (agenda, aide-mémoire...). Le Rivermead Behavioural Memory Test (RBMT) de Wilson [15], Cockburn et Baddeley (1985), a été développé pour tester la mémoire dans les situations de la vie quotidienne (everyday memory). Il consiste en 13 items : se rappeler 1. 2. 3. 4. 5. un prénom, un nom, un objet caché et réclamé en fin de test, un rendez-vous en réponse à une sonnerie qui sonne 20 minutes après, reconnaître des photos d'objets familiers, présentés brièvement, et tes- tés avec des distracteurs, 6. immédiatement après présentation, 7. et après un délai de 20 minutes, ENTRETIENS D'ORTHOPHONIE 1992 8. reconnaître 63 des photos de visages inconnus présentés brièvement et t€stés avec des distracteurs, f. immédiatement après la démonstration, 10. après un délai de 20 minutes, 11. se souvenir de délivrer un message sur un trajet, 12. orientation dans le temps et l'espace, 13. la date. Pour chaque item, un score de << 2 » est un succès complet, << I >» pour une simple erreur, « 0 » pour plus d'une erreur. La validation de ce test a été réalisée sur ll8 sujets âgés de 16 à 69 ans (score moyen: 22, 19 écart-type: 1,74). TABLEAU IV Le Rivermead Behavioural Memory Test (RBMT) Age t6-69 70-93 1989 t99t 22,19 (1,74) 16,3 (s,2\ Année ll8 Nombre Score (*\ (*) Moyennes et écarts 94 types. Gonclusion L'évaluation des troubles de la mémoire chez la personne âgée fait appel à la clinique et aux tests psychométriques. Les objectifs de l'évaluation sont multiples : la reconnaissance des troubles mnésiques vrais, leur dépistage précoce, la quantification du trouble, la définition du trouble selon la modélisation de la fonction'mnésique, l'approche des conséquences fonctionnelles, l'évaluation des pratiques thérapeutiques. RÉFÉRENCES l. Van Der Linden M. Zes troubles de lo mémoire, Bruxelles, Mardaga, 1989. 2. Hultsch D.F., Masson- M.E., Small B.J. age differences in direct and - Adult indirect tests of memory. J. Gerontol, 1991, 46, l, 22-30. 3. Wilson B. Recovery and compensatory strategies in head injured manory impai/. Neurol. Neurosurg. Psychiatry., 1992, 55, years after insult. red people several 177-180. 4. Signoret J.-L., Benoit N. 866-868. - Examen de la mémoire. Rev. 5. Poitrenaud J., Piette F., Sebban C., Forette B. Prat., 1991,41, 10, batterie de tests psycho- Unechez métriques pour l'évaluation du fonctionnement cognitif les sujets âgés. Rev. Gériotr., 1990, 15, 2, 57-68. 6. Mazaux J.-M., Feldman D., Rabourdin J.-P. Les troubles de la mémoire des personnes àgées. In : Rééducation en gériatrie, -pp.126-134, Paris, Masson, 1989. ENTRETIENS D'ORTHOPHONIE 1992 64 7. Taylor A.E., Saint-Cyr J.A., Lang E. Parkinson's disease, cognitive changes - 1987, 110, 35-51in relation to treatment response. Brain, Mémoire et spécialisation hémisphérique. 8. Lanares J., Waeny 4.C., Assal G. Rev. Psychol. Appl., 1987, i7, l, 13-25. Le débit verbal, son intérêt en rééducatiot. In : Rééducation 89, pp.216-221. -Paris, Expansion Scientifique Française, 1989. Beliefs about memory changes across the adult life span. "I. Geron10. Ryan E.B. 9. Wirotius J.-M. tol., 1991, 47, son, 1989. l, 4l-46. de concentration, orientation et Davous P., Lamour Y. - Le17,téstll,élémentaire 513-515. mémoire. Presse Méd., 1988, et entraînement mnésiques, 12. Giacomini V., Grab 8., Rapin C.H. - Evaluation Hôp. Paris, 1990, 66, 12, 617-622. une expérience en milieu gériatrique. Sem. 13. DSM-III-R, Manuel diagnostique et stotistique des troubles mentaux. Paris, Masll. 14. Derouesne C., Bakchine S. 1989, 4, l, 23-32. 15. Cockburn J., Smith P. memory. - Les troubles de mémoire du sujet àgé. Neuro-Psy, The relative influence of intelligence and age on everyday J. Gerontol., -1991, 46, l, 3l-36. Adresses pour les tests Iiditions du Centre de Psychologie appliquée, 3, rue de Liège, 75009 Paris. Té1. (l) 42.85.71.88, Fax: l6 (l) : 16 48.74.32.72. Erablissements d'Applications psychotechniques, 6 bis, rue André-Chénier, 92130 Issy40-95.73.32. les-Moulineaux. Té1. 16 (1) 46.45.38.12, Fax 16 Elsevier,29, rue Buffon, 75005 Paris. Pour la Batterie 144 (J.-L. Signoret). Té1. : 16 (l) 47.07.11.22, Fax: 16 (l) 43.36.80.93. : : (l)