14 REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET-SEPTEMBRE 2013 • N° 36 DroitlÉconomielRégulation
L’OPÉRATION DE CONCENTRATION CASTEL FRÈRES : LA PREMIÈRE UTILISATION D’UN TEST DE PRESSION
À LA HAUSSE SUR LES PRIX EN FRANCE
dimension nationale: les vins effervescents, les vins AOP
Bourgogne et les vins de consommation courante incluant les
vins SIG et IGP. On peut, à ce stade, noter que cette multipli-
cité des marchés et des analyses à mener pour les délimiter
engendre un risque accru de mauvaise appréciation de la
position concurrentielle des parties avec le critère des parts de
marchés, compte tenu de la dif culté à délimiter parfaitement
leurs frontières effectives.
II. – L’USAGE D’UN TEST DE PRESSION
SUR LES PRIX DANS L’ANALYSE
CONCURRENTIELLE DES EFFETS
HORIZONTAUX
Une fois les marchés délimités, l’analyse traditionnelle selon la
méthode du marché pertinent conduit à déterminer les parts de
marché des parties prenantes à l’opération, puis à évaluer les
effets horizontaux, verticaux et congloméraux de l’opération.
En l’espèce, compte tenu des éléments précédents relatifs aux
marchés concernés, l’Adlc consacre l’essentiel de son analyse
concurrentielle de l’opération aux effets horizontaux. A n de
suivre au mieux la décision, nous ne traiterons donc ici que de
des effets horizontaux possibles de l’opération sur le marché
des vins de consommation courante incluant les vins SIG et
IGP, qu’ils soient vendus sous marque de fabricants ou sous
marque de distributeurs
(par ailleurs, cette présentation ne modi e pas le sens de
l’analyse de l’Adlc puisque celle-ci constate que l’opération
ne portera pas atteinte à la concurrence par le biais d’effets
verticaux [§ 143], ou par
«
le biais d’effets congloméraux
entre les marchés des vins effervescents et tranquilles
»
[§148], ni par le biais des effets horizontaux sur les vins
effervescents [§ 86] et les vins AOP Bourgogne [§ 94])
.
Et c’est à ce niveau que réside la spéci -
cité de cette décision puisque c’est là, à
la suite d’une étude quantitative du ca-
binet d’analyse économique conseillant
la partie noti ante, que l’Adlc va pour
la première fois se saisir de la question
des tests de pression à la hausse sur les prix dans une affaire
de concentration.
L’analyse commence de façon très classique puisque l’Adlc
évalue les parts de marché des parties et détermine que celles-ci
seraient de l’ordre de 30 à 40 % pour la nouvelle entité (ou
de 40 à 50 % pour les vins rouges, de 30 à 40 % pour les vins
blancs et de 20 à 30 % pour les vins rosés si une segmentation
par couleur était retenue). Toutefois, contestant implicitement
une possible « présomption structurelle »
(l’expression est de Farrell et
Shapiro, op. cit.)
au terme de laquelle, du fait de l’importance des
parts de marché de la nouvelle entité, celle-ci se trouverait
en situation de pouvoir augmenter de façon signi cative et
durable le prix de ses produits, la partie noti ante « a fourni
une étude quantitative montrant que la nouvelle entité ne serait
pas incitée à augmenter ses prix à l’issue de l’opération, dans
la mesure notamment où les produits de Castel et Patriarche
ne seraient pas de proches substituts »
(§102)
.
Analytiquement, l’analyse proposée par la partie noti ante
repose sur l’utilisation du test de pression à la hausse sur le
prix de Farrell-Shapiro, dit « test UPP »
(Upward Pricing Pressure ; pour
une présentation générale de ces tests et les premiers débats autour de leurs conséquences,
on peut se reporter à l’article de Mathiesen L., Nilsen S. A & Sørgard L., A note on upward
pricing pressure: the possibility of false positives, Journal of Competition Law & Economics,
2013, 8(4), 881–887)
. Ce test a été initialement proposé sous les hy-
pothèses d’une concurrence en prix (modèle statique de Ber-
trand) où les entreprises parties à la concentration horizontale
sont mono-produit et produisent des biens différenciés (ilest
la cession de six de ses sociétés principalement actives dans
la production des différentes catégories de vins.
L’opération était susceptible de concerner un grand nombre
de marchés pertinents. Les parties fournissant à la fois des
boissons destinées à la consommation hors domicile (circuit
on-trade) et des boissons destinées à la consommation à
domicile (circuit off-trade). Les vins concernés appartenaient
aux deux catégories distinctes: vins tranquilles (c’est-à-dire
ceux qui ne forment pas de bulles lors de l’ouverture de la
bouteille) et vins effervescents (lesquels comprennent les vins
perlants, les vins pétillants et les vins mousseux ; compte tenu
des leurs caractéristiques spéci ques, les vins de champagne
forment un marché distinct des vins effervescents, tant du
point de vue de l’offre que de la demande). En n, l’Adlc
rappelle que les vins tranquilles pourraient être différenciés
selon trois critères: la couleur du vin (rouge, blanc, rosé), la
catégorie de vin (AOP, IGP, SIG ; AOP: appellation d’origine
protégée [les AOC], IGP: indication géographique protégée
[les vins de pays], SIG: sans indication géographique [les
vins de table]) et le positionnement de ces vins dans la vente
pour la consommation à domicile (vente aux GMS [dans
cette décision, l’acronyme GMS correspond à l’ensemble
des grandes et moyennes surfaces de vente à l’exception du
hard discount puisque le groupe Patriarche n’y est pas pré-
sent et que l’opération de concentration ne peut donc avoir
d’effet à ce niveau] –amont–, vente au consommateur nal
–aval–). La combinatoire associant ces
différents critères de segmentation (vins
tranquilles/vins effervescents, on trade/
off trade, couleur du vin, catégorie de vin
et positionnement) aurait alors conduit
l’Adlc à envisager l’examen des effets de
cette opération sur au moins 30 marchés
pertinents distincts.
Mais l’essentiel de l’analyse de l’Adlc se
concentre sur les marchés amont de l’ap-
provisionnement en vins tranquilles de
consommation courante, compte tenu
de l’absence ou de la faiblesse de l’une ou l’autre des parties
sur la vente au détail, les vins effervescents et les vins AOP.
Cependant, même en se restreignant aux seuls marchés des
vins de consommation courante, plusieurs questions quant à
la délimitation des marchés pertinents ont dû être tranchées
par l’Adlc, laquelle approfondit l’analyse de la substituabilité
des différents types de vins proposés par les parties et retient
nalement les conclusions suivantes:
– l’étude quantitative soumise par la partie noti ante (laquelle
comporte néanmoins selon l’Adlc des limites méthodolo-
giques) et les éléments qualitatifs retenus « montrent que la
substituabilité entre les vins SIG et IGP est désormais acquise
en raison notamment de la possibilité pour les vins SIG de
mentionner le cépage, et du fait de l’évolution structurelle
des habitudes de consommation »
(§ 49)
;
– il existe un marché des vins SIG premier prix distinct de celui
des vins SIG vendus sous marque de fabricant et marque
de distributeurs ;
– effectuer (ou non) une distinction entre un marché des vins
SIG vendus sous marque de distributeurs et un marché des
vins SIG vendus sous marque de fabricant ne modi e pas
les conclusionsde l’analyse concurrentielle ;
– les vins IGP vendus sous marque de fabricant et les vins
IGP vendus sous marque de distributeurs appartiennent au
même marché.
L’Adlc conclut donc son analyse des marchés amont de l’ap-
provisionnement en vins en distinguanttrois marchés de
Cette multiplicité
des marchés et des
analyses à mener pour
les délimiter engendre un
risque accru de mauvaise
appréciation de la
position concurrentielle
des parties.