L`opération de concentration Castel Frères : la première utilisation d

CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DroitlÉconomielRégulation N° 36 JUILLET-SEPTEMBRE 2013 REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE 13
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Depuis 2009, l’Autorité de la concur-
rence
(Adlc)
adopte en moyenne près de
170 décisions par an portant sur des
concentrations. Il s’agit là de l’activité
quantitativement la plus importante de
l’Adlc car dans le même temps cette dernière adopte annuel-
lement environ une soixantaine de décisions relatives aux
pratiques anticoncurrentielles et une quarantaine d’avis. De
plus, dans le cadre du contrôle des concentrations, l’Adlc ne
dispose légalement que de 25 jours ouvrés pour prendre une
décision en phase I et de 75 jours ouvrés lorsqu’elle décide
d’ouvrir une phase II. Ces deux contraintes ne sont pas spé-
ci ques à la France et semblent s’imposer mutatis mutan-
dis à presque toutes les autorités de concurrence, comme le
prouve la consultation des documents du Réseau Européen
de Concurrence ou du Réseau International de Concurrence.
C’est dans ce contexte que depuis 2008, à la suite d’une
contribution des économistes Joseph Farrell et Carl Shapiro
(Farrell J. et Shapiro C., Antitrust evaluation of horizontal mergers: an economic alter-
native to market de nition, University of California, Berkeley, November 28, 2008. Cette
contribution s’inscrit dans la voie proposée par les travaux de Werden G., A robust test for
consumer welfare enhancing mergers among sellers of differentiated products, Journal of
Industrial Economics, 1996, pp. 409-413, et de O’Brien D. et Salop, S.,Competitiveeffects
of partial ownership:  nancial interest and corporate control, Antitrust Law Journal, 2000,
pp. 559-614.)
, un débat s’est ouvert aux niveaux académique
et institutionnel sur l’opportunité de la mise en œuvre de
ltres permettant aux autorités de concurrence d’identi er
rapidement les affaires de concentrations horizontales suscep-
tibles de poser des dif cultés concurrentielles. Les autorités
américaines et anglaises de la concurrence ont depuis 2010
introduit la possibilité d’en utiliser certains
(au niveau américain,
cf.Horizontal Merger Guidelines publiées le 19août 2010 par l’US Department of Justice et la
Federal Trade Commission, et au niveau anglais les Merger Assessement Guidlines publiées
en septembre2010 par la Competition Commission et l’Of ce of Fair Trading)
, mais le
débat sur leur forme, leur utilisation et leur portée continuent
à se poser comme en témoignent la note de synthèse et les
contributions nationales à l’étude sur le marché pertinent
de l’OCDE (2012), mais aussi les articles académiques qui
continuent à être publiés sur ce thème
(cf.not., Jaffe S. et Weyl G.,The
rst-order approach to merger analysis, Harvard Economic Department Working Paper,
2012 ; Affeldt P., Filistrucchi L., et Klein T., Upward pricing pressure in two-sided markets,
TILEC Discussion Paper n°2012-29)
.
Notre contribution vise à présenter la première utilisation
d’un test de pression à la hausse sur les prix
(ci-après test UPP)
par
l’Autorité de la concurrence dans une affaire de concentration
horizontale. Nous commencerons par brièvement exposer
l’objet de cette opération et les principales caractéristiques
des marchés concernés. Dans un deuxième temps nous pré-
senterons l’usage de ce test dans cette affaire. En n, nous
soutiendrons que les questions qui se sont posées dans cette
affaire sont emblématiques des débats en cours concernant
l’introduction de ces tests dans la pratique des autorités de
concurrence.
I. – L’OBJET DE CETTE OPÉRATION
ET LES MARCHÉS CONCERNÉS
Par sa décision du 2juillet 2012 relative à l’acquisition de six
sociétés du groupe Patriarche par la société Castel Frères SAS,
l’Autorité de la concurrence accepte à la suite d’un examen
approfondi mais sans conditions l’opération. L’acquéreur, la
société Castel Frères, appartient à un groupe présent en France
et à l’étranger et ayant principalement une activité de produc-
tion, d’embouteillage et de commercialisation de différentes
catégories de vins français et étrangers. Ce groupe possède
par ailleurs différents vignobles et il est présent au niveau de
la distribution de vin au détail avec les enseignes Nicolas et le
réseau Savour Club. Le vendeur, le groupe Patriarche, propose
2324
RLC
Par Marc
DESCHAMPS
Université de Lorraine
GREDEG-CNRS
et BETA-CNRS
PM
Et Olivier
SAUTEL
Microeconomix (**)
OFCE-DRIC
Et
O
li
i
L’opération de concentration
Castel Frères: la première
utilisation d’un test de pression
à la hausse sur les prix en France
(*)
L’Autorité de la concurrence a utilisé pour la première fois un test UPP dans sa décision
n° 12-DCC-92. Cet article présente la démarche suivie par l’Autorité de la concurrence et discute
les enseignements qui peuvent en être tirés pour de futures utilisations des tests de type UPP.
La décision illustre le débat sur le positionnement des tests UPP, qui peuvent être vus comme
un fi ltre en phase I ou comme un indice supplémentaire venant en support de l’approche
traditionnelle. Elle confi rme également les incertitudes méthodologiques concernant l’application
de ces tests, qui porte notamment sur la fi abilité des données utilisées. L’article montre ainsi
que cette première décision est à la fois une ouverture à l’utilisation des tests UPP et un appel
à clarifi er les conditions de son utilisation.
Aut. conc., déc. n° 12-DCC-92, 2 juill. 2012, relative à l’acquisition de six sociétés du groupe Patriarche par la société Castel Frères SAS
(*)
Nous remercions C. Savard-Chambard et P. Bougette pour leurs commentaires et suggestions sur une première version. Toutefois les analyses soutenues dans cet article n’engagent que leurs
auteurs.
(**)
Une équipe du cabinet Microeconomix a conseillé la partie notifi ante. Les auteurs s’expriment à titre strictement personnel et n’engagent en rien la position du cabinet Microeconomix,
ni a fortiori celle de ses clients.
14 REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE JUILLET-SEPTEMBRE 2013 N° 36 DroitlÉconomielRégulation
L’OPÉRATION DE CONCENTRATION CASTEL FRÈRES : LA PREMIÈRE UTILISATION D’UN TEST DE PRESSION
À LA HAUSSE SUR LES PRIX EN FRANCE
dimension nationale: les vins effervescents, les vins AOP
Bourgogne et les vins de consommation courante incluant les
vins SIG et IGP. On peut, à ce stade, noter que cette multipli-
cité des marchés et des analyses à mener pour les délimiter
engendre un risque accru de mauvaise appréciation de la
position concurrentielle des parties avec le critère des parts de
marchés, compte tenu de la dif culté à délimiter parfaitement
leurs frontières effectives.
II. – L’USAGE D’UN TEST DE PRESSION
SUR LES PRIX DANS L’ANALYSE
CONCURRENTIELLE DES EFFETS
HORIZONTAUX
Une fois les marchés délimités, l’analyse traditionnelle selon la
méthode du marché pertinent conduit à déterminer les parts de
marché des parties prenantes à l’opération, puis à évaluer les
effets horizontaux, verticaux et congloméraux de l’opération.
En l’espèce, compte tenu des éléments précédents relatifs aux
marchés concernés, l’Adlc consacre l’essentiel de son analyse
concurrentielle de l’opération aux effets horizontaux. A n de
suivre au mieux la décision, nous ne traiterons donc ici que de
des effets horizontaux possibles de l’opération sur le marché
des vins de consommation courante incluant les vins SIG et
IGP, qu’ils soient vendus sous marque de fabricants ou sous
marque de distributeurs
(par ailleurs, cette présentation ne modi e pas le sens de
l’analyse de l’Adlc puisque celle-ci constate que l’opération
ne portera pas atteinte à la concurrence par le biais d’effets
verticaux [§ 143], ou par
«
le biais d’effets congloméraux
entre les marchés des vins effervescents et tranquilles
»
[§148], ni par le biais des effets horizontaux sur les vins
effervescents [§ 86] et les vins AOP Bourgogne [§ 94])
.
Et c’est à ce niveau que réside la spéci -
cité de cette décision puisque c’est là, à
la suite d’une étude quantitative du ca-
binet d’analyse économique conseillant
la partie noti ante, que l’Adlc va pour
la première fois se saisir de la question
des tests de pression à la hausse sur les prix dans une affaire
de concentration.
L’analyse commence de façon très classique puisque l’Adlc
évalue les parts de marché des parties et détermine que celles-ci
seraient de l’ordre de 30 à 40 % pour la nouvelle entité (ou
de 40 à 50 % pour les vins rouges, de 30 à 40 % pour les vins
blancs et de 20 à 30 % pour les vins rosés si une segmentation
par couleur était retenue). Toutefois, contestant implicitement
une possible « présomption structurelle »
(l’expression est de Farrell et
Shapiro, op. cit.)
au terme de laquelle, du fait de l’importance des
parts de marché de la nouvelle entité, celle-ci se trouverait
en situation de pouvoir augmenter de façon signi cative et
durable le prix de ses produits, la partie noti ante « a fourni
une étude quantitative montrant que la nouvelle entité ne serait
pas incitée à augmenter ses prix à l’issue de l’opération, dans
la mesure notamment où les produits de Castel et Patriarche
ne seraient pas de proches substituts »
(§102)
.
Analytiquement, l’analyse proposée par la partie noti ante
repose sur l’utilisation du test de pression à la hausse sur le
prix de Farrell-Shapiro, dit « test UPP »
(Upward Pricing Pressure ; pour
une présentation générale de ces tests et les premiers débats autour de leurs conséquences,
on peut se reporter à l’article de Mathiesen L., Nilsen S. A & Sørgard L., A note on upward
pricing pressure: the possibility of false positives, Journal of Competition Law & Economics,
2013, 8(4), 881–887)
. Ce test a été initialement proposé sous les hy-
pothèses d’une concurrence en prix (modèle statique de Ber-
trand) où les entreprises parties à la concentration horizontale
sont mono-produit et produisent des biens différenciés (ilest
la cession de six de ses sociétés principalement actives dans
la production des différentes catégories de vins.
L’opération était susceptible de concerner un grand nombre
de marchés pertinents. Les parties fournissant à la fois des
boissons destinées à la consommation hors domicile (circuit
on-trade) et des boissons destinées à la consommation à
domicile (circuit off-trade). Les vins concernés appartenaient
aux deux catégories distinctes: vins tranquilles (c’est-à-dire
ceux qui ne forment pas de bulles lors de l’ouverture de la
bouteille) et vins effervescents (lesquels comprennent les vins
perlants, les vins pétillants et les vins mousseux ; compte tenu
des leurs caractéristiques spéci ques, les vins de champagne
forment un marché distinct des vins effervescents, tant du
point de vue de l’offre que de la demande). En n, l’Adlc
rappelle que les vins tranquilles pourraient être différenciés
selon trois critères: la couleur du vin (rouge, blanc, rosé), la
catégorie de vin (AOP, IGP, SIG ; AOP: appellation d’origine
protégée [les AOC], IGP: indication géographique protégée
[les vins de pays], SIG: sans indication géographique [les
vins de table]) et le positionnement de ces vins dans la vente
pour la consommation à domicile (vente aux GMS [dans
cette décision, l’acronyme GMS correspond à l’ensemble
des grandes et moyennes surfaces de vente à l’exception du
hard discount puisque le groupe Patriarche n’y est pas pré-
sent et que l’opération de concentration ne peut donc avoir
d’effet à ce niveau] –amont–, vente au consommateur  nal
–aval–). La combinatoire associant ces
différents critères de segmentation (vins
tranquilles/vins effervescents, on trade/
off trade, couleur du vin, catégorie de vin
et positionnement) aurait alors conduit
l’Adlc à envisager l’examen des effets de
cette opération sur au moins 30 marchés
pertinents distincts.
Mais l’essentiel de l’analyse de l’Adlc se
concentre sur les marchés amont de l’ap-
provisionnement en vins tranquilles de
consommation courante, compte tenu
de l’absence ou de la faiblesse de l’une ou l’autre des parties
sur la vente au détail, les vins effervescents et les vins AOP.
Cependant, même en se restreignant aux seuls marchés des
vins de consommation courante, plusieurs questions quant à
la délimitation des marchés pertinents ont dû être tranchées
par l’Adlc, laquelle approfondit l’analyse de la substituabilité
des différents types de vins proposés par les parties et retient
nalement les conclusions suivantes:
– l’étude quantitative soumise par la partie noti ante (laquelle
comporte néanmoins selon l’Adlc des limites méthodolo-
giques) et les éléments qualitatifs retenus « montrent que la
substituabilité entre les vins SIG et IGP est désormais acquise
en raison notamment de la possibilité pour les vins SIG de
mentionner le cépage, et du fait de l’évolution structurelle
des habitudes de consommation »
(§ 49)
;
– il existe un marché des vins SIG premier prix distinct de celui
des vins SIG vendus sous marque de fabricant et marque
de distributeurs ;
– effectuer (ou non) une distinction entre un marché des vins
SIG vendus sous marque de distributeurs et un marché des
vins SIG vendus sous marque de fabricant ne modi e pas
les conclusionsde l’analyse concurrentielle ;
– les vins IGP vendus sous marque de fabricant et les vins
IGP vendus sous marque de distributeurs appartiennent au
même marché.
L’Adlc conclut donc son analyse des marchés amont de l’ap-
provisionnement en vins en distinguanttrois marchés de
Cette multiplicité
des marchés et des
analyses à mener pour
les délimiter engendre un
risque accru de mauvaise
appréciation de la
position concurrentielle
des parties.
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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DroitlÉconomielRégulation N° 36 JUILLET-SEPTEMBRE 2013 REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE 15
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également aujourd’hui développé pour d’autres contextes,
notamment par ses deux initiateurs). Il vise à déterminer de
façon transparente, simple, rapide et avec peu d’informations
si la nouvelle entité sera (ou non) incitée à augmenter son
prix. Son résultat porte uniquement sur l’ampleur de l’incita-
tion à augmenter les prix: soit la nouvelle entité sera incitée
à augmenter son prix (la nouvelle entité échoue donc à ce
test), soit la nouvelle entité n’est pas incitée à augmenter son
prix (la nouvelle entité réussit le test).
Sous l’angle concurrentiel, ce test consiste à faire l’hypothèse
que lors d’une concentration horizontale seules les parties
prenantes à l’opération seront affectées et que l’impact de
cette opération sur la  xation des prix par la nouvelle entité
résulte de l’addition de deux effets. Le premier effet provient
du constat que les entreprises parties prenantes à l’opération ne
sont plus à l’issue de celle-ci en concurrence pour attirer vers
elles les consommateurs puisqu’il n’existe plus qu’une seule
entité. Dès lors, compte tenu de cette diminution de la rivalité
concurrentielle, la nouvelle entité sera incitée à augmenter
les prix des biens qu’elle vend. Le second effet provient du
fait que la nouvelle entité va gérer conjointement l’ensemble
des actifs des parties prenantes à l’opération et donc être en
capacité d’être plus ef ciente que celles-ci. Cette ef cience peut
notamment se matérialiser sous la forme d’une diminution des
coûts marginaux, ce qui incitera la nouvelle entité à baisser les
prix des biens qu’elle vend. Dans le cas d’une concentration
entre une entreprise produisant un bien A et une entreprise
produisant un bien B on a la formule suivante:
Avec:
RDAB: ratio de diversion du produit A vers le produit B EA: gains d’ef cacité mesuré comme une réduction des coûts
de production du produit A
mB: marge réalisée sur le produit B pA: prix du produit A
pB: prix du produit B mA: marge réalisée sur le produit A
Incitation à la hausse du prix du
bien A pour la nouvelle entité du
fait de la disparition de la riva-
lité concurrentielle provenant de
l’existence de la  rme B
Incitation à la baisse du prix du
bien A pour la nouvelle entité
du fait des gains d’ef cacité que
l’opération de concentration per-
met de réaliser
Pression à la hausse
sur le prix du bien A
=+
ce qui correspond formellement à:
Le test mobilise donc des données relativement simples à ap-
préhender analytiquement: les prix des produits, les marges
réalisées sur chacun des produits, les ratios de diversion
(c’est-à-dire les reports de consommation d’un produit vers
l’autre suite à une hausse modérée –5 à 10 % – et dé nitive
du prix du produit considéré) et les gains d’ef cacité. S’agissant
de ces derniers, Farrell et Shapiro proposent que ceux-ci ne
soient pas démontrés par les parties prenantes à l’opération
mais  xés de manière générale et constante par l’Autorité de
concurrence (ces auteurs proposent de retenir un taux standard
d’ef cacité de 10 %). Leur test est donc paramétrable selon
la politique de concurrence pratiquée, tout comme dans le
cadre de la méthode standard du marché pertinent les seuils
de concentration sont paramétrés.
Au  nal, lorsque ce test est utilisé, seules deux conclusions sont
possibles: soit le test conduit à une valeur négative et il est
conclu que la nouvelle entité ne sera pas incitée à augmenter
le prix, soit le test conduit à une valeur positive et il est conclut
que la nouvelle entité a une incitation à augmenter le prix.
En l’espèce, la partie noti ante a proposé l’estimation de
différents ratios de diversion sur la base de données fournies
par une étude Kantar, calculé des tests UPP pour les différents
produits appartenant au marché des vins de consommation
courante et a conclu que « la nouvelle entité n’aurait aucune
incitation à augmenter le prix des différents vins tranquilles
de Castel et de Patriarche »
(§ 111)
.
Il revenait donc à l’Adlc de déterminer à la fois la pertinence et
la portée de cette étude, pivot central de la position de la  rme
noti ante à ce niveau. À cette  n, dans des développements
extrêmement clairs mais sans omettre une certaine technicité,
l’Adlc présente successivement les principes de l’étude, ses
principaux résultats et les critiques qui peuvent lui être por-
tées. Nonobstant les différences de résultats qu’elle trouve
par rapport aux résultats fournis par la partie noti ante et les
réserves méthodologiques exprimées
(voir section suivante)
, l’Adlc
conclut que l’utilisation de test de pression à la hausse sur les
prix démontre qu’il n’existerait pour la nouvelle entité qu’une
« incitation faible à modi er les prix des produits Patriarche
tant à la hausse qu’à la baisse »
(§ 122)
.
L’Adlc bien qu’ayant validé la pertinence de l’utilisation de
ce type de test dans cette affaire souligne toutefois qu’une
décision d’autorisation ne peut être prise sur cette seule base.
16 REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE JUILLET-SEPTEMBRE 2013 N° 36 DroitlÉconomielRégulation
L’OPÉRATION DE CONCENTRATION CASTEL FRÈRES : LA PREMIÈRE UTILISATION D’UN TEST DE PRESSION
À LA HAUSSE SUR LES PRIX EN FRANCE
particulièrement justi és « lorsque les produits concernés par
l’opération ne sont pas homogènes »
(Projet, §333)
. Reste alors
à préciser le positionnement de ce test et ses modalités de
mises en œuvre.
Quels enseignements quant au positionnement
de ce test et son intérêt ?
Il faut souligner que, dans le cadre de cette affaire, le test de
pression à la hausse sur les prix n’a pas été utilisé comme
mécanisme de  ltrage permettant à l’Adlc d’accepter cette
opération sans dé nir les marchés concernés, mais comme un
outil central dans le cadre d’une analyse approfondie (phase
II) des effets horizontaux de l’opération sur le marché des
vins de consommation courante SIG et IGP. Que peut-on en
déduire quant au positionnement et à l’intérêt de ces tests ?
Une première question soulevée est le positionnement du test
dans la procédure. Il semble clair que l’utilisation d’un test
UPP en phase II dans cette affaire séminale ne préjuge pas de
son utilisation future. Il existe un consensus entre autorités
et économistes quant à l’intérêt d’utiliser ces tests le plus en
amont possible, en vue d’éviter une phase II. L’utilisation plus
tardive dans ce cas rappelle plutôt que les discussions métho-
dologiques relatives aux données utilisées et aux hypothèses
retenues peuvent prendre un certain temps et ainsi empêcher
le test de jouer son rôle de prévention d’une phaseII. À ce
titre, le cas d’espèce légitime la recommandation des lignes
directrices qui proposent aux conseils des parties noti antes
de se rapprocher au plus tôt des services
de l’Adlc et de réaliser en amont les
études économiques susceptibles de les
convaincre de l’innocuité de l’opération.
Dans son récent projet de révision des
lignes directrices, l’Adlc ne tranche pas
en tant que telle la question. Mais elle
rappelle à juste titre que « les tests UPP
ne mesurent pas l’amplitude de la hausse
des prix possibles mais se contente d’indi-
quer si une hausse des prix est à craindre
ou non »
(Projet, §403)
. Une conséquence
logique de ce rappel est qu’un test UPP est plutôt destiné à
éclairer l’opportunité d’une analyse approfondie, plutôt qu’à
constituer un élément central d’appréciation en phase II.
Une seconde question concerne l’articulation entre la réalisa-
tion d’un test UPP et la démarche de délimitation des marchés
pertinents. Le test UPP a été conçu à l’origine comme substitut
à la délimitation des marchés pertinents, alors qu’il apparaît
dans la décision comme une démarche additionnelle ou com-
plémentaire. Mener simultanément les deux approches ôte-t-il
tout intérêt à la démarche du test UPP ? Dans un sens, l’Adlc
envoie en effet le signal que pour le moment au moins, elle
n’est pas prête à s’exonérer d’une démarche traditionnelle
de délimitation des marchés pertinents. Cependant, l’intérêt
d’un test UPP demeure bien réel. Compte tenu des nombreux
débats sur les frontières des marchés en particulier lorsque
les produits sont différenciés, il existait un risque élevé de
surestimation ou de sous-estimation des parts de marché.
L’utilisation de la proximité concurrentielle n’est pas sujette
aux effets de seuil qui caractérisent les marchés pertinents.
Le test UPP fondé sur cette proximité concurrentielle consti-
tue donc un indice supplémentaire qui peut aider l’Adlc à
trancher dans le sens d’une délimitation moins conservatrice,
ou qui lui permet de faire pencher la balance du côté d’une
autorisation pour les cas où les parts de marché se situe-
raient dans une « zone grise ». Le test entre donc ici comme
faisant partie d’un faisceau d’indices permettant d’apprécier
En effet, l’Adlc retient d’une part que du fait des limites mé-
thodologiques liées principalement « àla nature des données
utilisées pour estimer les ratios de diversion »
(§ 125)
et, d’autre
part, de « la nature même du test »
(§ 125)
, les conclusions four-
nies par cette analyse quantitative doivent être recoupées par
d’autres éléments de nature plus « qualitative ». Dans ce but,
elle examine successivement le rôle des concurrents actuels
et potentiels, puis le contre-pouvoir de la demande. À l’issue
de l’examen de ces éléments classiques et des conclusions de
l’étude quantitative elle conclut que: « compte tenu de l’incré-
ment de parts de marché limité, de l’existence de concurrents
actuels susceptibles de répondre à une hausse de la demande,
notamment en matière de vins IGP vendus sur MDD, l’opération
n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais
d’effets horizontaux sur le marché des vins de consommations
courante »
(§ 137)
.
III. – QUELS ENSEIGNEMENTS
QUANT À L’UTILISATION FUTURE
DES TESTS DE PRESSION SUR LES PRIX ?
Les questions posées par l’utilisation d’un test UPP dans cette
première affaire s’inscrivent parfaitement dans les débats en
cours autour de cet outil, respectivement quant au futur de son
utilisation, au positionnement de ce test s’il était utilisé et aux
modalités de sa mise en œuvre. La décision de l’Adlc fournit
d’intéressants éléments de ré exions sur chacun de ces points.
Quels indices quant à l’utilisation
future des tests UPP ?
Cette première utilisation d’un test de
pression sur les prix par l’Adlc est-il le
premier pas vers un usage régulier de ce
type d’outils ? La seule lecture de la dé-
cision ne permet pas de trancher. D’une
part, cette décision pourrait seulement
s’inscrire dans le cadre de l’Annexe B
des lignes directrices de l’Autorité de
la concurrence relatives aux concentra-
tions, c’est-à-dire dans l’engagement pris par l’Adlc de discuter
les résultats d’une étude économique fournie par la partie
noti ante. Elle ne présumerait pas alors de la volonté de l’Adlc
de se saisir de cet outil dans sa pratique régulière. Toutefois,
l’Adlc semble faire un pas de plus et accepter explicitement
le principe de ces tests, tout en posant les conditions sous
lesquelles elle accepterait ces derniers: « L’Autorité souligne
l’intérêt de ce type d’études quantitatives mais à la condition
de disposer de données appropriées à la mesure de véritables
ratios de diversion. Elle considère également indispensable
de fournir les intervalles de con ance associés aux ratios de
diversion de façon à pouvoir apprécier la précision des résultats
puisque ces derniers sont estimés sur la base d’un échantillon
de la population »
(§ 124)
.
Il faut alors conclure de cette affaire que l’Adlc manifeste son
intérêt pour ce type d’outil lorsque son application est perti-
nente, factuellement justi ée, et réalisée selon les règles de
l’analyse économique. Cet intérêt se voit d’ailleurs con rmé
par le récent projet de révision des lignes directrices concen-
tration de l’Adlc
(ci-après Projet ; Projet révisé des lignes directrices de l’Autorité
de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, en ligne à l’adresse suivante:
<http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/projet_ld_concen_22fev13.pdf>)
. L’Adlc
mentionne en effet l’existence de ces tests et y consacre un
développement détaillé
(Projet, §400 à §410)
. Elle note que ces
tests présentent l’avantage « de ne nécessiter que des données
concernant les produits des parties »
(Projet, §406)
et qu’ils sont
Les questions posées
par l’utilisation d’un test
UPP dans cette première
affaire s’inscrivent
parfaitement
dans les débats en cours
autour de cet outil.
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la position des parties en complément à la délimitation des
marchés, plutôt que comme un safe harbor ou qu’un substitut
à l’approche traditionnelle.
Cet enseignement de l’affaire Castel se voit con rmé par le
projet de révision des lignes directrices. Certes, l’Adlc recon-
naît que les tests de type UPP sont des outils « ne nécessitant
pas de dé nir précisément les marchés pertinents »
(Projet, §333)
.
Mais si cette caractéristique peut être intéressante dans des
situations où cette délimitation est dif cile, les tests en question
n’ont visiblement pas vocation à se substituer aux marchés
pertinents, ce qui ressort clairement du communiqué: « ce-
pendant, l’identi cation des biens et services substituables
à ceux vendus par les entreprises concernées par l’opération
constitue toujours une étape nécessaire au raisonnement de
l’Autorité »
(Projet, §333)
. En fait l’Adlc semble considérer les
tests type UPP comme un outil d’appréciation des effets de
l’opération, à utiliser en complément d’autres tests et outils
(
«
ces résultats quantitatifs ne peuvent à eux seuls permettre à l’Autorité de conclure sur les
effets de l’opération
»
, Projet, §410)
, en particulier lorsque la délimitation
de marchés pertinents s’avère problématique.
Quels enseignements quant aux modalités précises
de ce test ?
L’utilisation possible d’un test UPP nécessitera également un
travail d’harmonisation des positions quant aux modalités
précises d’implémentation de ces tests. La décision Castel-
Patriarche fournit un bon exemple de ces questions métho-
dologiques encore en suspens.
Un premier débat d’ordre méthodologique porte sur la dé-
limitation des intervalles de con ance associés aux ratios
de diversion, que l’Adlc présente explicitement comme une
condition d’acceptation de ces tests
(
«
LAutorité souligne l’intérêt de
ce type d’études quantitatives mais à la condition de disposer de données appropriées à la
mesure de véritables ratios de diversion. Elle considère également indispensable de fournir
les intervalles de con ance associés aux ratios de diversion de façon à pouvoir apprécier la
précision des résultats puisque ces derniers sont estimés sur la base d’un échantillon de la
population
»
, §124 ; cf. aussi le débat sur les modalités de délimitation de ces intervalles,
§119-120)
, ce qu’elle con rme dans son projet de communiqué
(Projet, §409)
.
Un deuxième débat méthodologique relatif aux tests UPP
concerne la prise en compte des gains d’ef cacité. L’Adlc re-
lève que la « méthode de calcul des UPP utilisée ne tient compte
que des gains d’ef cacité qui affectent le produit étudié »
(Projet,
§118)
. L’Adlc reprend ici la critique formulée par Schmalensee
à l’égard de Farrell et Shapiro. En effet, dans le cadre du test
UPP, il est supposé que les gains d’ef cacité engendrés n’ont
un impact que sur un seul produit. Or, Schmalensee soutient
qu’il est plus cohérent de considérer que ces gains affectent
les coûts de production de l’ensemble des produits des  rmes
parties prenantes à l’opération, ce qui accroît l’incitation à
augmenter les prix. En effet, « une augmentation du prix du
produit en question engendre une diminution de ses ventes qui
est compensée non seulement par un report des ventes vers les
produits de la nouvelle entité mais aussi par l’augmentation
des marges réalisées sur la vente de ces produits résultant
des gains d’ef cacité réalisés »
(§ 118)
. L’Adlc va alors sur la
base des données fournies par l’étude de la partie noti ante
recalculer les tests UPP en prenant en compte l’impact des
gains d’ef cacité sur l’ensemble des produits, c’est-à-dire en
calculant des tests UPP multi-produits
(ou
«
UPP à la Schmalensee
»
)
,
qui dans le cas d’espèce con rment les analyses initiales.
En n, un troisième débat méthodologique a concerné les
données à utiliser pour mesurer les ratios de diversion. L’Adlc
pointe un problème potentiel de  abilité des données, compte
tenu du fait que le panel reste « imparfaitement représentatif de
la situation concurrentielle sur le marché des vins tranquilles »
(§ 113)
et que certains résultats apparaissent très surprenants
(la
«
faible pression concurrentielle entre Vieux Papes et les produits Patriarche qui ressort de
l’étude est très étonnante, compte tenu de la proximité tant en prix qu’en qualité des produits
concernés
»
, § 116)
. Ces dif cultés sur les données sources limitent
ainsi la portée probatoire de ces tests, quand bien même les
parties ont utilisé les meilleures sources disponibles, comme
le reconnaît l’Adlc: « La faiblesse des ratios de diversion
pourrait s’expliquer, au moins pour partie, par le fait que
les données utilisées pour les estimer ne sont pas pertinentes
(…). Néanmoins, dans la mesure où il n’existe pas de source
d’information alternative disponible, les estimations présentées
ci-dessus restent les meilleures que l’on puisse raisonnablement
obtenir »
(§ 117)
. Cette réserve vis-à-vis des données issues de
panels de consommateurs est rappelée et précisée dans le
projet de révision des lignes directrices
(Projet, §408)
, mais l’Adlc
ne donne aucune indication ferme sur les meilleures données
à mobiliser. Le débat reste donc ouvert sur les meilleures mé-
thodes de collecte de données permettant de déterminer les
ratios de diversion (panel de consommateurs de prestataire
externe, sondages spéci ques, utilisation de données propres
aux parties, etc.).
CONCLUSION
La première mise en œuvre d’un test de pression à la hausse
sur les prix en France dans une décision de l’Autorité de la
concurrence est emblématique des vifs débats actuels concer-
nant la généralisation possible de ces tests. Si ces tests sont
susceptibles de dépasser certaines des limites de l’approche par
les marchés pertinents et de fournir un éclairage complémen-
taire important quant à l’effet prévisible d’une concentration,
ils ne semblent pas aujourd’hui être en mesure de se substituer
à toute autre analyse des effets d’une concentration, et doivent
encore être af nés dans leurs modalités d’implémentation. La
prochaine révision des lignes directrices sur les concentrations
paraît un terrain idéal pour reconnaître et délimiter l’apport de
ces tests et préciser, dans la lignée de cette première décision,
les conditions sous lesquelles l’Adlc les acceptera.
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