Les divers sensde la notion d`autonomie en médecine et leur

M. Schwab
L. Benaroyo
introduction
Depuis l’introduction à la fin des années 1970 du principe de
respect de l’autonomie dans l’univers de l’éthique biomédi-
cale à travers les diverses éditions de l’ouvrage de Beau-
champ et Childress
Principles of biomedical ethics
,1 l’expression
de la volonté du patient a pris une place déterminante dans
la prise de décision médicale. Puisant ses sources dans la
sphère du droit de la personne notamment lors du dévelop-
pement de l’éthique de la recherche expérimentale sur l’être
humain –, le principe d’autonomie s’est très tôt heurté à des
difficultés et à des limites lors de son application à la méde-
cine clinique.2-6 Parmi les nombreuses critiques qui ont été faites, celle propo-
sée au début des années 1980 par Bruce L. Miller,2 un philosophe nord-améri-
cain, nous semble très pertinente et rite que nous y portions attention dans
le champ de la pratique médicale. Sa compréhension des diverses sphères de
l’autonomie nous permet de dépasser les conflits entre autonomie et bienfai-
sance, en les abordant de manière nuancée, et en respectant les enjeux éthiques
propres à la médecine clinique.
Miller propose d’analyser ce concept dans son épaisseur mantique, en déga-
geant ses quatre spres de signification dans le champ de la médecine clinique.
les quatre sens de lautonomie
Selon Miller, le concept d’autonomie peut être analysé sous quatre angles :
l’autonomie comme action libre
(Autonomy as free action)
, l’autonomie comme au-
thenticité
(Autonomy as authenticity)
, l’autonomie comme délibération «pratiqu
(Autonomy as effective deliberation)
, et l’autonomie comme réflexion morale
(Autonomy
as moral reflexion)
.
L’autonomie comme action libre
signifie que l’action répond à une intention qui
s’exprime par une volonté s’exerçant sans contrainte ni coercition. Elle reflète la
capaci d’autodétermination du patient qui s’exprime dans le consentement libre
et éclairé.
L’autonomie comme authentici
signifie que l’action est conforme aux valeurs que
The various senses of autonomy and their
relevance to clinical practice
Since the introduction of the principle of res-
pect of autonomy in medical ethics, the res-
pect of the will of the patient occupied a cen-
tral place in the decision-making process. To
face up to the difficulties that appeared du-
ring the application of this principle in clini-
cal medicine, Bruce Miller proposed in the
early eighties one way to clarify the signifi-
cance of this notion in the field of medical
practice. He showed that the concept of auto-
nomy can be understood under four senses
which deserve to be explored in case of ethi-
cal conflict. This article shows, through the
analysis of a clinical situation, the relevance
of the approach suggested by this author and
proposes to refer to this approach in case of
ethical dilemmas in clinical practice.
Rev Med Suisse 2009 ; 5 : 2163-5
Depuis l’introduction du principe de respect de l’autonomie
en éthique médicale, le respect de la volonté du patient a oc-
cupé une place déterminante dans la prise de décision. Face
aux difficultés apparues lors de l’application de ce principe
en médecine clinique, Bruce Miller a propoau début des
années 1980 de clarifier la signification de cette notion dans
le champ de la pratique médicale. Il a montque la notion
d’autonomie peut être comprise en quatre sens qui méritent
d’être explorés en situation de tension éthique. Cet article
montre à travers l’analyse d’une situation clinique, la perti-
nence et l’actualité de l’approche proposée par cet auteur, et
propose de s’y férer pour aborder de manière nuancée les
conflits éthiques apparaissant dans la pratique clinique.
Les divers sens de la notion
d’autonomie en médecine
et leur pertinence en clinique
réflexion
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28 octobre 2009
Dr Marcos Schwab
Service de médecine interne
et Unité d’éthique
CHUV, 1011 Lausanne
et
Service de médecine interne
et soins intensifs
Hôpital de Nyon, 1260 Nyon
Pr Lazare Benaroyo
Unité d’éthique
CHUV, 1011 Lausanne
et
Faculté de biologie et de médecine
UNIL, 1015 Lausanne
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28 octobre 2009 2163
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le patient exprime habituellement au cours de sa vie, et
qu’elle est en accord avec son projet de vie. A titre d’exem-
ple, la décision d’un témoin de Jehova d’accepter une
transfusion sanguine pourrait être considérée comme une
action libre, mais son authenticité devrait être évaluée.
L’autonomie comme délibération «pratique»
signifie que le
patient a montqu’il a examiné toutes les options rela-
tives à sa situation et a procéà une délibération à l’is-
sue de laquelle il propose une argumentation rationnelle
en faveur d’une option plutôt que d’une autre.
L’autonomie comme réflexion morale
signifie que le patient
est à même de dire sur quelles valeurs il fonde sa décision
et d’affirmer qu’il accepte ces valeurs ainsi que les consé-
quences qui en découlent.
L’attention du soignant à ces quatre sphères de l’auto-
nomie en situation de prise de décision clinique est es-
sentielle pour Miller, car elle permet d’aboutir à un juge-
ment éthique circonstancié face à l’expression de la volon
du patient et offre ainsi la possibilid’aborder les habi-
tuels conflits entre autonomie et bienfaisance de manière
mieux adaptée à la réalité clinique. Il en coule l’impor-
tance de porter une attention particulière à la nature du
dialogue entre le médecin et le patient et plus particuliè-
rement à la manière dont l’information est recueillie et
donnée au patient. Il est dès lors indispensable de con-
naître non seulement les données purement médicales
sur lesquelles le soignant a basé sa décision, mais aussi
les valeurs personnelles du patient telles que sa vision de
vie, ses souhaits, ses motivations, et ses attentes pour
l’avenir. Prenons un exemple clinique.
situation clinique
Un patient de 38 ans, juriste de profession, marié, sans
enfant, raconte que sa mère était atteinte de la maladie
de Huntington et qu’elle est décédée à l’age de 44 ans.
Il se plaint de difficultés existentielles croissantes. Il est
suivi par un psychiatre pour troubles anxieux liés à la
peur d’être atteint de la même maladie que sa mère.
Le patient avait refusé à plusieurs reprises de faire un
test génétique à la recherche de cette maladie. Il pré-
sente durant deux semaines de légers mouvements
anormaux du membre supérieur droit, raison pour la-
quelle il finit par consulter son médecin traitant, qui lui
confirme, après des consultations spécialisées et la réa-
lisation d’un test génétique, le diagnostic de la maladie
de Huntington. Le soirme, aps être rentré chez lui,
le patient avale un très grand nombre de comprimés de
benzodiazépines. Quelques heures plus tard, il est re-
trouvé inanimé par son épouse qui appelle le SMUR. A
son arrivée à l’hôpital, alors que les traitements d’ur-
gence sont effectués, l’équipe médico-soignante consta-
te la présence d’une note manuscrite, signée par le pa-
tient et collée à sa chemise, il demande de ne pas
être réanimé, ayant appris qu’il est atteint de la mala-
die de Huntington.
Parmi les nombreuses questions qui se posent, l’équipe
soignante se demande si la décision du patient de mettre
fin à ses jours et de ne pas être réanimé, peut être consi-
rée comme l’expression de sa pleine volonté. Qu’en est-
il de l’expression de son autonomie dans la mesure où un
refus de traitement limiterait dramatiquement la bienfai-
sance des soignants qui les pousse à agir très rapidement ?
Si nous nous référons aux quatre sens de l’autonomie
décrits ci-dessus,2 il apparaît que la demande du patient
émane d’une décision libre : nous savons par la note trou-
vée avec le patient qu’il refuse toute prise en charge. La
décision n’a apparemment pas été prise sous contrainte.
Cependant, que savons-nous sur cette déclaration d’in-
tention ? Pouvons-nous dire que le patient avait sa pleine
capacité de discernement au moment de la rédaction de
cette note ? Les réponses à ces questions, au moment de
l’évaluation du patient au Service des urgences, ne sont
pas encore claires et le patient n’est pas capable de nous
répondre. Ainsi, même si sa décision semble à première
vue libre, c’est-à-dire l’expression de sa volonté, est-elle
authentique, et est-elle issue d’une délibération ainsi que
d’une réflexion morale ?
Au plan de l’authenticité, les informations à disposition
semblent signifier que son désir de mort n’est pas en ac-
cord avec ses valeurs habituelles, mais que sa volonté de
mettre fin à ses jours est plutôt apparue à l’issue d’un épi-
sode de stress et d’angoisse qui n’a pas pu être pris en
charge adéquatement. Par ailleurs, il est possible d’inter-
préter son acte comme n’étant probablement pas issu
d’une délibération : peut-on dire que sa décision est ba-
e sur des informations complètes et adéquates ainsi que
sur le choix d’une option ? Enfin, au plan de la réflexion
morale, il n’a probablement pas eu le temps d’évaluer ra-
tionnellement les options et de décider, après réflexion,
de l’option la plus en accord avec son plan de vie, ses sou-
haits et ses valeurs.
Ainsi, en nous basant sur les quatre sens de l’autono-
mie de Miller, nous pouvons considérer que la tentative
de suicide du patient, et sa demande de ne pas être ré-
animé, même si elle semble émaner d’un acte volontaire,
ne semble pas faire preuve d’authenticité, et ne semble
pas issue d’une délibération. Pour attester de ces catégo-
ries qui définissent, selon Miller, l’autonomie dans le champ
de la pratique clinique, l’équipe dicale doit s’en quérir
auprès de lui et de son entourage de ses réelles motiva-
tions ainsi que de la nature de sa souffrance au moment
de son arrivée aux urgences.
Dans cette perspective, il pourrait être justifié de pour-
suivre les mesures de réanimation et d’instaurer un traite-
ment en considérant qu’il existe à ce moment-là encore
des incertitudes importantes concernant l’expression de
l’autonomie du patient. Cette attitude est justifiée par la
nécesside clarifier toutes les dimensions de son auto-
nomie et de les interpréter à leur juste mesure. Dans cette
situation précise, un traitement pourrait créer les condi-
tions nécessaires permettant de discuter en profondeur
les préférences du patient, et notamment de tenter de
comprendre si la tentative de suicide était une réaction
fortement anxieuse à l’information qu’il venait de recevoir
n’ayant pas eu le temps de réflexion nécessaire pour
analyser toutes les conséquences à moyen terme. La ca-
tamnèse est intéressante à ce propos.
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L’équipe médicale des urgences a décidé de traiter le
patient pour sa tentative de suicide avec un lavage gas-
trique et une hydratation intraveineuse. Ce dernier a
bien évolué et a été évalué le lendemain par le psy-
chiatre. Il a précisé que sa tentative était liée à l’angois-
se de savoir qu’il était atteint de la maladie de Hunting-
ton et qu’après avoir appris la nouvelle, il s’est souvenu
avec beaucoup d’émotions du décès de sa mère, ce qui
l’a fortement angoissé. Au moment de sa décision, il
était seul et n’a pas osé demander de l’aide. Il a aussi
exprimé à son psychiatre, qu’il serait prêt à vivre avec
sa maladie, mais qu’il ne voudrait pas faire souffrir ses
proches.
conclusion
A l’aune de l’analyse de Miller, il apparaît que le res-
pect de l’autonomie basé essentiellement sur l’expression
de la volonté du patient ne suffit pas à justifier un arrêt de
traitement sans que cette prise de décision ne soit accom-
pagnée d’une réflexion critique. En accord avec cet auteur,
il nous paraît essentiel de collecter tous les éléments né-
cessaires à une compréhension adéquate de l’autonomie
dans chaque situation singulière.2,7 Ainsi, respecter l’auto-
nomie ne signifie pas seulement respecter le fait que le
patient ait refusé un traitement ou une procédure, mais
également comprendre les raisons de son refus, telles
qu’ils les expriment et les justifient, ainsi que les valeurs
sur lesquelles sa décision est fondée et assumée.
Comme l’a écrit Daniel Callahan au début des années
80, l’autonomie est un principe éthique certes important
mais qui ne doit pas devenir une obsession pour le soi-
gnant.5 Dans certaines situations cliniques, il est essentiel
d’évaluer de manière plus approfondie et critique la de-
mande et la volondu patient. Cette posture réflexive at-
teste d’une attitude morale responsable, dans la mesure
la maladie peut affecter l’une ou l’autre des sphères de
l’autonomie et que la visée éthique du soin – notamment
en situation d’incertitude concernant l’expression de la
volonté – consiste avant tout à restaurer l’autonomie bles-
sée du patient pour lui permettre de retrouver un sens à
son existence.2,4,6,8-11 C’est probablement la manière la
plus authentique pour un soignant de respecter la dignité
de la personne malade qui lui confie son existence.
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1 Beauchamp TL, Childress J. Principles of biomedi-
cal ethics. New York : Oxford University Press, 1st ed,
1979 ; 6th ed 2004.
2 ** Miller BL. Autonomy and the refusal of lifesaving
treatment. Hastings Cent Rep 1981;11:22-8.
3 Komrad MS. A defence of medical paternalism :
Maximizing patients’ autonomy. J Med Ethics 1983;9:
38-44.
4 Ackerman TF. Why doctors should intervene. Has-
tings Cent Rep 1982;12:14-7.
5 * Callahan D. Autonomy : A moral good, not a mo-
ral obsession. Hastings Cent Rep 1984;14:40-2.
6 * Brody H. Autonomy revisited : Progress in medical
ethics : Discussion paper. J R Soc Med 1985;78:380-7.
7 McKnight C. Autonomy and the akratic patient. J
Med Ethics 1993;19:206-210.
8 Gillon R. Autonomy, respect for autonomy and
weakness of will. J Med Ethics 1993;19:195-6.
9 Pellegrino ED, Thomasma DC. A Philosophical ba-
sis of medical practice, New York : Oxford University
Press, 1981.
10 Clements CD, Sider RC. Medical ethics’ assault
upon medical values. JAMA 1983;250:2011-5.
11 * Benaroyo L. Ethique et responsabilien méde-
cine. Genève : Médecine et Hygiène, 2006.
* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
Implications pratiques
Le devoir de respect de l’autonomie mérite d’être compris
de manre plus approfondie, que le devoir de respect de la
volon du patient
L’autonomie peut être comprise sous quatre angles : l’action
libre, lauthenticité, la liration pratique et la réflexion morale
Respecter l’autonomie signifie dès lors non seulement res-
pecter la volonté du patient, en cas de refus de traitement
par exemple, mais également comprendre les raisons de ce
refus, telles qu’elles sont exprimées et justifes par ce der-
nier, ainsi que les valeurs sur lesquelles sa décision est fondée
et assumée
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