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28 octobre 2009 0
le patient exprime habituellement au cours de sa vie, et
qu’elle est en accord avec son projet de vie. A titre d’exem-
ple, la décision d’un témoin de Jehova d’accepter une
transfusion sanguine pourrait être considérée comme une
action libre, mais son authenticité devrait être évaluée.
L’autonomie comme délibération «pratique»
signifie que le
patient a montré qu’il a examiné toutes les options rela-
tives à sa situation et a procédé à une délibération à l’is-
sue de laquelle il propose une argumentation rationnelle
en faveur d’une option plutôt que d’une autre.
L’autonomie comme réflexion morale
signifie que le patient
est à même de dire sur quelles valeurs il fonde sa décision
et d’affirmer qu’il accepte ces valeurs ainsi que les consé-
quences qui en découlent.
L’attention du soignant à ces quatre sphères de l’auto-
nomie en situation de prise de décision clinique est es-
sentielle pour Miller, car elle permet d’aboutir à un juge-
ment éthique circonstancié face à l’expression de la volonté
du patient et offre ainsi la possibilité d’aborder les habi-
tuels conflits entre autonomie et bienfaisance de manière
mieux adaptée à la réalité clinique. Il en découle l’impor-
tance de porter une attention particulière à la nature du
dialogue entre le médecin et le patient et plus particuliè-
rement à la manière dont l’information est recueillie et
donnée au patient. Il est dès lors indispensable de con-
naître non seulement les données purement médicales
sur lesquelles le soignant a basé sa décision, mais aussi
les valeurs personnelles du patient telles que sa vision de
vie, ses souhaits, ses motivations, et ses attentes pour
l’avenir. Prenons un exemple clinique.
situation clinique
Un patient de 38 ans, juriste de profession, marié, sans
enfant, raconte que sa mère était atteinte de la maladie
de Huntington et qu’elle est décédée à l’age de 44 ans.
Il se plaint de difficultés existentielles croissantes. Il est
suivi par un psychiatre pour troubles anxieux liés à la
peur d’être atteint de la même maladie que sa mère.
Le patient avait refusé à plusieurs reprises de faire un
test génétique à la recherche de cette maladie. Il pré-
sente durant deux semaines de légers mouvements
anormaux du membre supérieur droit, raison pour la-
quelle il finit par consulter son médecin traitant, qui lui
confirme, après des consultations spécialisées et la réa-
lisation d’un test génétique, le diagnostic de la maladie
de Huntington. Le soir même, après être rentré chez lui,
le patient avale un très grand nombre de comprimés de
benzodiazépines. Quelques heures plus tard, il est re-
trouvé inanimé par son épouse qui appelle le SMUR. A
son arrivée à l’hôpital, alors que les traitements d’ur-
gence sont effectués, l’équipe médico-soignante consta-
te la présence d’une note manuscrite, signée par le pa-
tient et collée à sa chemise, où il demande de ne pas
être réanimé, ayant appris qu’il est atteint de la mala-
die de Huntington.
Parmi les nombreuses questions qui se posent, l’équipe
soignante se demande si la décision du patient de mettre
fin à ses jours et de ne pas être réanimé, peut être consi-
dérée comme l’expression de sa pleine volonté. Qu’en est-
il de l’expression de son autonomie dans la mesure où un
refus de traitement limiterait dramatiquement la bienfai-
sance des soignants qui les pousse à agir très rapidement ?
Si nous nous référons aux quatre sens de l’autonomie
décrits ci-dessus,2 il apparaît que la demande du patient
émane d’une décision libre : nous savons par la note trou-
vée avec le patient qu’il refuse toute prise en charge. La
décision n’a apparemment pas été prise sous contrainte.
Cependant, que savons-nous sur cette déclaration d’in-
tention ? Pouvons-nous dire que le patient avait sa pleine
capacité de discernement au moment de la rédaction de
cette note ? Les réponses à ces questions, au moment de
l’évaluation du patient au Service des urgences, ne sont
pas encore claires et le patient n’est pas capable de nous
répondre. Ainsi, même si sa décision semble à première
vue libre, c’est-à-dire l’expression de sa volonté, est-elle
authentique, et est-elle issue d’une délibération ainsi que
d’une réflexion morale ?
Au plan de l’authenticité, les informations à disposition
semblent signifier que son désir de mort n’est pas en ac-
cord avec ses valeurs habituelles, mais que sa volonté de
mettre fin à ses jours est plutôt apparue à l’issue d’un épi-
sode de stress et d’angoisse qui n’a pas pu être pris en
charge adéquatement. Par ailleurs, il est possible d’inter-
préter son acte comme n’étant probablement pas issu
d’une délibération : peut-on dire que sa décision est ba-
sée sur des informations complètes et adéquates ainsi que
sur le choix d’une option ? Enfin, au plan de la réflexion
morale, il n’a probablement pas eu le temps d’évaluer ra-
tionnellement les options et de décider, après réflexion,
de l’option la plus en accord avec son plan de vie, ses sou-
haits et ses valeurs.
Ainsi, en nous basant sur les quatre sens de l’autono-
mie de Miller, nous pouvons considérer que la tentative
de suicide du patient, et sa demande de ne pas être ré-
animé, même si elle semble émaner d’un acte volontaire,
ne semble pas faire preuve d’authenticité, et ne semble
pas issue d’une délibération. Pour attester de ces catégo-
ries qui définissent, selon Miller, l’autonomie dans le champ
de la pratique clinique, l’équipe médicale doit s’en quérir
auprès de lui et de son entourage de ses réelles motiva-
tions ainsi que de la nature de sa souffrance au moment
de son arrivée aux urgences.
Dans cette perspective, il pourrait être justifié de pour-
suivre les mesures de réanimation et d’instaurer un traite-
ment en considérant qu’il existe à ce moment-là encore
des incertitudes importantes concernant l’expression de
l’autonomie du patient. Cette attitude est justifiée par la
nécessité de clarifier toutes les dimensions de son auto-
nomie et de les interpréter à leur juste mesure. Dans cette
situation précise, un traitement pourrait créer les condi-
tions nécessaires permettant de discuter en profondeur
les préférences du patient, et notamment de tenter de
comprendre si la tentative de suicide était une réaction
fortement anxieuse à l’information qu’il venait de recevoir
– n’ayant pas eu le temps de réflexion nécessaire pour
analyser toutes les conséquences à moyen terme. La ca-
tamnèse est intéressante à ce propos.
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