Comité scientifique des IREM, réunion du 15 décembre 2006 Débat « Relations entre enseignements de mathématiques et de physique » Contribution de Daniel DUVERNEY Quelques exemples de variations infinitésimales et de proportionnalité en physique Précision liminaire : Ces quelques exemples sont destinés à montrer au lecteur comment moi, Daniel Duverney, comprends quelques problèmes de physique élémentaire. Ils ne sont pas destinés à montrer comment ils doivent être compris par d'autres que moi, et ne prétendent en aucun cas refléter une vision correcte du phénomène physique correspondant. 1. La loi de décroissance radioactive Soit un corps radioactif contenant N = N(t) atomes d'un même matériau fissile. Cherchons la loi la plus simple possible permettant de décrire le phénomène. Pendant un temps très petit dt, le nombre de noyaux dN qui se désintègrent peut être imaginé proportionnel à dt, d'une part, et au nombre d'atomes N. Comme dN est négatif lorsque dt est positif, il n'est pas absurde de postuler qu'il existe une constante λ > 0 telle que : dN = - λ.N.dt C'est la loi de décroissance radioactive. L'expérience semble confirmer que ce raisonnement traduit une part d'une certaine "vérité". 2. Le principe fondamental de la mécanique newtonienne Voici comment Newton a pu (peut-être) découvrir le principe fondamental de la dynamique. Imaginons un point matériel M sur lequel on exerce une force F pendant un instant dt très petit, si petit que F reste constante. Cette force va induire une variation de la vitesse v du point matériel ; nous notons cette variation infinitésimale dv. Cherchons une loi simple pour dv ; il ne paraît pas illégitime de supposer que dv sera proportionnelle à F (si on double par exemple l'intensité de la force, la vitesse variera deux fois plus) et aussi proportionnelle à dt. En outre, la variation de vitesse sera colinéaire à F et de même sens (figure 1). M F dv Figure 1 Le modèle le plus simple correspondant à l'action d'une force sur un point matériel est donc : dv = k.F.dt , où k est donc une constante positive. Quelle peut être la signification physique de cette constante ? L'expérience quotidienne montre que, à F constante et dt constant, la variation dv sera très différente suivant le corps qu'on essaie de déplacer : les corps présentent une inertie au déplacement. Plus l'inertie sera grande, plus dv sera petite, si F et dt sont donnés. On définit alors la masse m comme cette mesure de l'inertie, en posant k = 1/m. Ainsi : m.dv = F.dt . C'est le principe fondamental de la dynamique newtonienne. Bien sûr, le tableau est loin d'être complet. Qu'est-ce que c'est que cette masse, et comment peut-on la déterminer ? Supposons que la relation fondamentale est vraie (raisonnement hypothético-déductif). Appliquons-la à la force la plus simple qu'on puisse étudier, le poids. Le poids accélère effectivement les corps, Galilée l'a montré et a même remarqué que cette accélération est constante. Appellons g cette accélération de pesanteur, qui est un fait expérimental, et appliquons le principe fondamental avec F = P. On obtient P = m.g ; ainsi m = P/g et m peut se mesurer, à la surface de la Terre, en divisant le poids, obtenu grâce à une balance, par l'accélération de la pesanteur, qui est une constante dont la valeur dépend du système d'unités choisi. Il reste à valider le principe fondamental de la dynamique par l'expérience et le calcul ; ceci se fait facilement par des expériences sur la chute des corps (chute libre et mouvement d'un projectile, par exemple, au niveau terminale). 3) Loi de Newton sur le transfert thermique Considérons un corps chauffé à une température T0, que l'on plonge dans un grand récipient contenant par exemple de l'eau à une température T1. A l'époque de Newton, il s'agissait d'une expérience quotidienne courante chez le maréchal-ferrant. De nos jours, le maréchal-ferrant a disparu de nos campagnes et de nos villes, mais on peut avoir une idée de l'expérience en faisant refroidir un œuf dur sous un filet d'eau fraîche. Le modèle le plus simple qu'on puisse imaginer pour la variation dT de température du corps pendant un temps dt consiste à postuler la proportionnalité de dT à dt, d'une part, et à la différence de température entre le corps et son milieu, c'est-à-dire T – T1, d'autre part. Comme la température du corps doit diminuer lorsque T > T1 (c'est une remarque de bon sens), on est donc conduit à postuler l'existence d'une constante positive λ telle que : dT = - λ.( T – T1)dt. L'équation différentielle s'intègre aisément en séparant les variables (par exemple). Compte tenu de la condition initiale, la solution du problème est : T = T1 + (T0 - T1)e- t. λ On peut déterminer expérimentalement λ en mesurant le temps pour lequel, par exemple, la température du corps est égale à la moyenne (T0 + T1)/2. 4) Une barre infiniment longue chauffée On considère une barre infiniment longue de petit diamètre, placée dans un milieu de température constante T1, et que l'on chauffe à la température T0 > T1 à une de ses extrémités (figure 2) : dx T0 x Figure 2 On s'intéresse à la température de la barre à l'équilibre thermique. Celle-ci est une fonction de la seule variable x, et il n'est pas absurde de penser que la variation de température dT entre l'abscisse x et l'abscisse x + dx est proportionnelle à la différence de température entre la barre et le milieu ambiant, d'une part, et à la surface de contact, qui est celle d'un petit cylindre et est donc proportionnelle à dx, d'autre part. On postule donc : dT = - λ.( T – T1)dx. C'est la même équation que tout à l'heure. Sauf que c'est x au lieu de t. Marrant, non ? La condition initiale est la même (admirez le choix des notations). Il vient : T = T1 + (T0 - T1)e- x. λ Cette loi bien connue a été obtenue expérimentalement par Lambert et Rutherford à la fin du 18ème siècle, puis étudiée au niveau théorique et expérimental par Biot au début du 19ème siècle1. Bien entendu, le raisonnement utilisé ici fait intervenir de manière essentielle que la barre est "infinie". Dans le cas contraire, il faut utiliser la théorie de Fourier, qui conduit en fait à une équation différentielle du second ordre à coefficients constants dont la solution générale est de la forme : T = T1 + Ae- x + B e x. λ λ On retrouve le cas de la barre de longueur infinie en remarquant que la température ne peut devenir infinie, ce qui implique B = 0. La vérification expérimentale ne présente pas de difficultés, et se fait même de manière courante en TP dans certains BTS ou DUT. 1 Biot signale même que cette loi de décroissance de la chaleur peut s'utiliser pour mesurer la température d'un four lorsque celle-ci est très élevée (voir Jean-Bernard Robert, La vie et l'œuvre de Joseph Fourier, physicien et mathématicien, Revue du palais de la découverte, Vol. 17, n° 168, 1989, p. 23-43).