La ventilation non invasive en médecine d`urgence

LA VENTILATION NON INVASIVE
EN MÉDECINE D'URGENCE
J-P. Viale, S. Duperret, P. Branche, M-O. Robert
Service d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital de la Croix-Rousse - 69317 Lyon, France.
INTRODUCTION
La ventilation non invasive (VNI), initialement réservée aux patients insuffisant res-
piratoire chroniques ventilés au domicile, est aujourd’hui pratiquée comme ventilation de
première intention pour des indications de plus en plus nombreuses. C’est dire le chemin
parcouru en peu d’années en terme de pratique médicale et de matériel utilisé. L’étape
actuelle est la sortie de cette modalité hors des services de réanimation et de pneumologie
spécialisée. En effet, des données récentes suggèrent que la VNI peut rendre service à
certains patients défaillant respiratoires quand elle est administrée dès la phase initiale
de la prise en charge. Cette revue se propose de présenter brièvement les avantages de
la VNI, ses indications en médecine d’urgence et enfin ses modalités pratiques
1. VENTILATION NON INVASIVE
Le principe même de la VNI est d’obtenir les avantages procurés par l’assistance
ventilatoire sans en avoir les effets secondaires dus à la prothèse endotrachéale. Le terme
même de VNI recouvre plusieurs modalités ventilatoires. La plus simple est la ventilation
spontanée avec pression expiratoire positive (VS-PEP), à laquelle peut être ajoutée une
pression inspiratoire positive et de niveau supérieur. Les deux pressions ont schémati-
quement un rôle bien déterminé, mais leurs effets peuvent se cumuler.
1.1. PRESSION EXPIRATOIRE POSITIVE
La pression expiratoire positive a pour conséquence une augmentation de la capacité
résiduelle fonctionnelle chez le sujet n’exprimant pas de pression expiratoire positive in-
trinsèque [1], ou une diminution de cette dernière quand elle existe [2]. Les conséquences
de cette PEP sont une augmentation de l’oxygénation par diminution de l’inhomogénéité
des rapports ventilation/perfusion, une augmentation de la compliance du système respi-
ratoire, et une diminution du travail respiratoire. D’autres effets circulatoires intéressant
la pré-charge et la post-charge peuvent être ajoutés.
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1.2. PRESSION INSPIRATOIRE POSITIVE
La pression inspiratoire positive quant à elle décharge les muscles respiratoires d’une
partie de leur travail. Cet effet survient dès la mise en place de la VNI avec pression ins-
piratoire positive, et il est proportionnel à l’amplitude de la pression positive. D’un point
de vue clinique, il s’accompagne d’une modification du profil ventilatoire caractérisée
par une diminution de la fréquence respiratoire et une augmentation du volume courant.
Les modifications enregistrées de gaz du sang sont confirmatives avec une diminution
de la PaCO2 et une augmentation du pH.
1.3. ABSENCE DE PROTHÈSE ENDOTRACHÉALE
L’absence de prothèse endotrachéale est la justification première de la VNI. Elle est
théoriquement responsable d’un meilleur confort, d’une facilité de mise en œuvre plus
importante quand elle est comparée à une procédure d’intubation et surtout d’extubation,
d’une incidence de complications plus faible. L’ensemble de ces avantages explique
probablement les effets observés sur la mortalité de groupes de patients pris en charge
par VNI comparativement à la ventilation avec prothèse endotrachéale [3-5].
2. INDICATIONS DE LA VNI EN MÉDECINE D’URGENCE
La place de la VNI est maintenant bien établie aux deux extrêmes de la chaîne de
soins de prise en charge des patients insuffisants respiratoires : la ventilation à domicile
et les premiers soins au malade défaillant respiratoire admis en service de réanimation.
En revanche, sa pratique reste tout à fait incertaine pour les soins intermédiaires qui sont
administrés entre ces deux étapes. Cette incertitude concerne aussi bien le patient insuf-
fisant respiratoire chronique auparavant stable sous VNI qui fait une décompensation,
que le patient non chronique qui entre en défaillance respiratoire aiguë hypoxémique
ou hypercapnique. La spécificité de la situation tient tout aussi bien à l’environnement
humain qu’aux indications et situation cliniques particulières.
2.1. SPÉCIFICITÉ DE L’ENVIRONNEMENT DE LA VNI EN URGENCE
2.1.1. ENVIRONNEMENT MÉDICAL SPÉCIFIQUE
En effet, la plupart de ces traitements de VNI sont conduits par des praticiens non
expérimentés, que ce soit dans une unité mobile de SMUR, ou dans un service d’accueil
des urgences. Cette difficulté est augmentée par la non disponibilité de respirateurs de
VNI d’utilisation facile ou intuitive, capable de simplifier la mise en œuvre.
2.1.2. ENVIRONNEMENT PARAMÉDICAL PARTICULIER
Quand on sait que le succès de la VNI est largement dépendant de la collaboration
de l’équipe de prise en charge, une insuffisance de formation et de motivation peut tout
à fait expliquer un échec de VNI même chez un patient pour lequel elle représentait une
bonne indication.
2.1.3. ENVIRONNEMENT SPATIAL ET HUMAIN
Enfin, un environnement spatial et humain qui est loin d’assurer la sérénité nécessaire
pour accompagner l’initialisation d’une VNI. Il est en effet nécessaire de fournir les
explications de la méthode au patient, d’assurer la démarche progressive d’adaptation
des paramètres de la ventilation, de vérifier à chaque étape la bonne tolérance, et enfin
de prendre la décision au bon moment d’arrêt (et donc d’intubation) ou de poursuite de
l’essai de VNI.
Malgré ces handicaps, la pratique montre que cette VNI tend à être utilisée dans cet
environnement à priori hostile, et qu’elle peut y rendre des services. Les succès obtenus
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alors assurent relativement rapidement sa diffusion. Cette pratique n’est donc pas hors
de portée d’un service d’urgence mobile ou d’un service d’accueil des urgences.
2.2. INDICATIONS DE LA VNI EN URGENCE
Si le problème de l’environnement est maîtrisé, les indications de la VNI se déclinent
de façon tout à fait parallèle à ce qui est observé dans un environnement de réanimation.
Ces indications peuvent être séparées en indications de première intention, qui doivent
être privilégiées, et en indications plus incertaines qui ne doivent être entreprises que
quand la technique est maîtrisée.
2.2.1. DÉCOMPENSATION DE LINSUFFISANCE RESPIRATOIRE CHRONIQUE
De nombreux travaux ont permis de documenter l’intérêt de la VNI dans la prise
en charge initiale des patients présentant une bronchopneumopahtie chronique obstruc-
tive (BPCO) [6-11]. L’indication actuellement retenue est la persistance d’une acidose
respiratoire (pH < 7,35 - [H+] > 45 mmol.l-1) malgré un traitement médical et une oxy-
génothérapie bien conduits. La dernière étude, réalisée au royaume uni, représente
probablement le travail le plus intéressant pour son application à l’urgence. En effet,
l’auteur a évalué l’effet de l’administration précoce de la VNI, dès l’admission du pa-
tient dans l’unité d’accueil. Cette VNI était administrée par des infirmières du service
qui avaient reçu une formation d’une durée de trois mois à raison d’un temps moyen
de formation de 8 heures, consolidée ensuite par une formation d’une heure par mois.
Enfin, le ratio médian du nombre d’infirmières au nombre de patients était de 1/11. Ces
caractéristiques indiquent clairement qu’il s’agit d’unités d’accueil, certes spécialisées
en soins respiratoires, mais dont la densité des ressources humaines est éloignée des
unités de réanimation ou même de soins intensifs. Dans ces conditions, et peut être
même à cause de ces conditions, notamment la précocité de l’administration de la VNI,
le pourcentage de patients BPCO compensé nécessitant une intubation passait de
27,1 à 15,3 % et celui de la mortalité hospitalière de 20,3 à 10,2 %. Ce travail devrait être
assez convaincant quant à l’intérêt de la VNI dans cette indication. Il ne permet cepen-
dant pas de conclure quant au mécanisme de cet effet puisque les modalités comparées
étaient un traitement médicamenteux standard incluant l’oxygénothérapie, à une VNI
avec pression inspiratoire positive.
2.2.2. ŒDÈMES CARDIOGÉNIQUES
La méthode de VNI la plus communément pratiquée en matière d’oedèmes cardio-
géniques est la ventilation spontanée avec PEP. L’augmentation de la capacité résiduelle
fonctionnelle ainsi réalisée permet une meilleure qualité d’échanges gazeux et une réduc-
tion du travail respiratoire par l’amélioration de la mécanique respiratoire [12] [13]. Il
paraissait assez logique d’envisager que l’adjonction d’une pression inspiratoire positive
déchargerait les muscles respiratoires d’une partie du travail inspiratoire. Alors qu’une
première publication indiquait que l’utilisation de VNI avec pression inspiratoire positive
diminuait l’incidence de l’intubation sans effet sur la mortalité [14], une suivante indiquait
que l’intubation et la nécrose myocardique étaient augmentées par l’utilisation de la VNI
avec aide inspiratoire (AI) [15]. Une étude antérieure avait conclut à une augmentation
de la fréquence des nécroses myocardiques par l’utilisation de la VNI avec AI [16].
L’explication alors fournie a été le faible effectif de l’étude et la fréquence plus élevée
d’œdème pulmonaire avec douleur thoracique dans le groupe traité par VNI avec AI.
Enfin, la VNI était délivrée par un appareil ne comportant pas de mécanisme de détection
de fin d’inspiration, et conduisant donc à des temps d’insufflation élevés en cas de fuite
faciale. De façon déterminante pour la pratique de la VNI, une étude récente portant sur
un collectif de patients plus important et réalisée avec des appareils évitant la prolonga-
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tion de l’inspiration en cas de fuite, infirme le risque accru de nécrose myocardique par
l’utilisation de VNI avec AI [17]. Ce même travail confirme les données antérieures :
l’utilisation de la VNI avec AI, comparativement à la VNI avec PEP, améliore le rapport
PaO2/FiO2, la fréquence respiratoire et la dyspnée de façon plus précoce. En revanche,
la nécessité d’intubation et la mortalité ne sont pas modifiées. Cependant, une analyse
de sous-groupes montre que les patients hypercapniques sont ceux qui bénéficient de la
technique en terme d’évitement de l’intubation. Ce travail lève l’hypothèque qui pesait
sur la VNI avec AI dans les essais comparatifs avec la VNI-PEP. Il présente en outre
deux intérêts majeurs :
• Le premier porte sur le mécanisme d’action de la VNI avec AI dans le traitement des
oedèmes cardiogéniques. La physiopathologie de ces oedèmes, qu’ils soient secondaires
à une décompensation aiguë d’une insuffisance cardiaque chronique ou à un accident
ischémique, fait intervenir un trouble de la fonction diastolique comme mécanisme
contributif majeur à l’augmentation de pression hydrostatique. Le niveau de PEP à
appliquer doit donc être suffisant pour assurer le recrutement alvéolaire, sans dépasser
la valeur qui entraînerait une gêne à l’expansion diastolique du ventricule gauche. Ce
niveau reste donc très incertain et patient dépendant, en pratique entre 5 et 12 cmH2O.
La pression inspiratoire positive aurait quant à elle un rôle d’aide à la vidange systolique
par diminution de la post-charge à l’insufflation.
• Le second intérêt est le lieu de réalisation de cette VNI. Cette étude multicentrique
rapporte la pratique de la VNI dans les départements d’urgence, prenant en compte la
nécessité d’un traitement précoce.
2.2.3. AUTRES INDICATIONS
A coté de ces deux indications majeures, la VNI peut être proposée dans certaines
situations, avec des probabilités de succès qui restent non documentées.
2.2.3.1. Patients souffrant de pneumopathie hypoxémiante
La VNI a été proposée chez des patients souffrant de pneumopathie hypoxémiante.
Les premiers travaux ont en fait clairement identifié les pneumopathies comme des
facteurs d’échec de la VNI [18]. Cependant, des études plus récentes ont rapporté des
succès chez des catégories de malades souffrant de pneumopathies associées ou non à
un terrain immunodéprimé [19]. L’attention s’est alors porté chez les patients porteurs de
pneumopathies communautaires. Confalioneri et al. ont montré un avantage de la VNI
en terme de fréquence d’intubation et de durée d’hospitalisation. Cependant cet avantage
n’était significatif que pour le groupe des patients hypercapniques à l’inclusion. Quand
ces patients sont exclus de l’étude comme dans le travail de Jolliet et al., les résultats ne
montrent pas clairement d’avantage à la VNI [20]. Les auteurs recommandent cependant
un essai de VNI arguant du fait que l’échec, quand il survient est précoce [21].
2.2.3.2. Décompensations respiratoires
Les décompensations respiratoires de patients souffrant de pathologies neuromuscu-
laires, en restant vigilant quant à la présence éventuelle de troubles de déglutition.
2.2.3.3. Traumatisés thoraciques
Les traumatisés thoraciques peuvent bénéficier d’un essai initial de traitement par
VNI. Il est alors nécessaire de surveiller ces patients pour la survenue de pneumothorax,
toujours possible dans ce contexte.
2.2.3.4. Autres indications
Les autres indications proposées sortent du cadre des préoccupations de la médecine
d’urgence, que ce soient les décompensations respiratoires postopératoires [22] ou la
période de sevrage [23].
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2.2.3.5. Catégories de patients particuliers
Enfin, une catégorie de patients particuliers peut bénéficier de la VNI aux urgences.
Ce sont ces patients pour lesquels une intubation trachéale est l’objet d’une interrogation
de type éthique. La prise en charge en VNI peut permettre de gagner du temps sur une
pratique invasive, de prendre contact avec la famille, d'évaluer les antécédents et les
éventuelles décision de limitation de soins [23].
3. PRATIQUE DE LA VNI EN MÉDECINE D’URGENCE
La pratique de la VNI en médecine d’urgence doit faire envisager les questions sui-
vantes : quel matériel et quelle interface choisir, comment initialiser et surveiller une VNI
en médecine d’urgence, enfin, comment introduire une pratique dans un environnement
qui n’est à priori pas favorable.
3.1. CHOIX DU MATÉRIEL
Concernant les ventilateurs susceptibles d’être utilisés pour la pratique de la VNI, ils
peuvent être classés en trois catégories
3.1.1. RESPIRATEURS
3.1.1.1. Respirateurs de ventilation à domicile
Ils présentent l’avantage de la simplicité et du faible encombrement. En revanche,
ces respirateurs sont en général insuffisants pour des situations d’urgence, en raison
de l’imprécision de la FiO2 délivrée. En effet, la plupart du temps, l’enrichissement en
oxygène du mélange gazeux inhalé est assuré par un apport latéral d’un débit d’oxygène,
rendant la maîtrise de la FiO2difficile. Quelques respirateurs de dernière génération
proposent un réglage direct de la FiO2sur une échelle de 21 à 100 % et représentent un
apport important.
3.1.1.2. Respirateurs de transports
Longtemps jugés insuffisants, les respirateurs de transport récents proposent une
modalité de ventilation en VNI sous un mode barométrique ou volumétrique.
3.1.1.3. Respirateurs des services de soins intensifs
Enfin, les respirateurs des services de soins intensifs ou de réanimation qui ont une
modalité de ventilation en VNI, en mode barométrique ou volumétrique.
Il est maintenant habituel que les industriels de la ventilation proposent des «modules
VNI». En fait, ces modules sont implantés dans les respirateurs pour gérer automa-
tiquement ce que fait la personne qui surveille une VNI : compensation des fuites et
adaptation des triggers inspiratoire et expiratoire. Ces modules sont en réalité plus ou
moins performants, n’annulent pas toutes les difficultés de la VNI, et sont surtout utiles
lors de VNI au long cours. On peut parfaitement réaliser une VNI avec un respirateur
qui n’a pas de module spécifique sous réserve d'une surveillance rapprochée.
3.1.2. INTERFACE
Pour l’urgence, deux interfaces sont disponibles : le masque facial ou le masque na-
sal. Aucune étude ne documente sérieusement l’avantage de l’un sur l’autre. Le masque
nasal apparaît volontiers plus confortable, en revanche, il demande une coopération plus
importante du patient, notamment pour maintenir la bouche fermée et éviter les pertes
de volume. Il apparaît donc plus facile de commencer par un masque facial, dont il faut
posséder plusieurs taille.
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