Cônes d`éboulis, de déjection, glacis et piémonts : essai de

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É
tudes de Géographie Physique, n° XXXIV, 2007
CÔNES D'ÉBOULIS, DE DÉJECTION,
GLACIS ET PIÉMONTS : ESSAI DE DÉFINITIONS
Jean-Noël SALOMON (1)
(1) : Laboratoire de Géographie Physique Appliquée (L.G.P.A.), Institut de géographie, Université Michel de
Montaigne-Bordeaux 3, Campus universitaire, 33607 PESSAC. Courriel : jnsalomon@yahoo.com .
RÉSUMÉ : Parmi les formes d'accumulation issues de l'érosion, cônes d'éboulis, de déjection, glacis et
piémonts sont souvent confondus. Pourtant leurs morphologies, parfois ressemblantes, diffèrent. Surtout, les
processus qui conduisent à leur construction et/ou à leur modelage permettent des discriminations aisées. Le
but de cet article est précisément de fournir au lecteur des définitions précises accompagnées d'exemples de
errain, l'ambition finale étant d'éviter des confusions, sources d'équivoques.t
MOTS-CLÉS : géomorphologie, cônes d'éboulis, cônes de déjection, glacis, piémonts.
ABSTRACT : Among the accumulation forms deriving from weathering, talus fans, alluvial fans, outwash
deposits, glacis and piedmont slopes are often mixed up. All the same, their morphologies, at times similar,
differ. Above all, the processes which lead to their construction and/or their modelling permit easy
discriminations. Le purpose of this paper is precisely to give to the reader exact definitions coming with
ield samples, the final ambition being to steer clear of confusions, source of ambiguity.f
KEY-WORDS : geomorphology, talus fans, alluvial fans, glacis, piedmonts.
I - INTRODUCTION
Cet article est prétexte à la révision d'un
vocabulaire largement usité, mais aussi à sa
clarification. En effet, à la lecture de nombreux
travaux, nous avons pu souvent constater
l'existence d'une certaine confusion, terriblement
gênante pour la compréhension des explications
proposées. Si la plupart des observations et
explications délivrées ci-dessous ne sont pas
nouvelles (il existe une énorme littérature sur la
question), curieusement cela n'est guère traduit
dans les ouvrages de vulgarisation géomorpho-
logique, du moins sous une forme simple. Pour
avoir fréquenté de nombreuses régions de par le
monde – Aragon (Espagne), Maghreb, Afrique de
l'Ouest, États-Unis, Madagascar, Russie, Chine et
surtout les Andes sèches du Chili et d'Argentine
où elles sont remarquablement présentes et
surtout claires – nous avons acquis une réelle
expérience comparative et une bonne connais-
sance de ces formes d'accumulation. Notre ambi-
tion ici est de mettre cet acquis à disposition du
lecteur et notamment du géomorphologue.
II - DÉFINITIONS ET MORPHOLOGIES
DESCRIPTIVES
Rappelons qu'il existe une énorme biblio-
graphie internationale concernant ces formes.
Celle que nous indiquons en fin d'article est
volontairement restreinte, car notre but est avant
tout un but de clarification.
1 ) Cônes, talus et nappes d'éboulis
Les éboulis sont formés par un ensemble de
fragments rocheux déplacés par gravité et accu-
mulés en cônes, talus ou nappes d'éboulis au pied
des versants ou des abrupts rocheux. Ces dépôts
ont la forme d'un cône s'ils sont issus d'un couloir
d'érosion concentrant leur cheminement vers le
bas (Photo 1). S'ils sont contigus (Photos 2 à 5),
ils s'étalent en nappe et l'on parle de tabliers
d'éboulis (ou nappes d'éboulis). Dans tous les
cas, leurs pentes sont souvent très fortes (moyen-
ne autour de 32° – B. FRANCOU, 1988, 1989,
1991) et peuvent aller jusqu'à plus de 40° sur
granite, du fait de la rugosité et de la grosseur des
éléments. Les matériaux les plus gros, entraînés
par leur poids et par la vitesse acquise lors de la
chute, vont généralement plus loin que les petits.
C'est le seul exemple de classement de ce type, si
bien qu'on ne peut confondre les cônes d'éboulis
avec les autres cônes d'accumulation, surtout si
l'on tient également compte de la pente topo-
graphique et des dimensions de la forme.
Les éboulis sont dits "vifs" s'ils sont actuels
et fonctionnels (talus en cours de formation). Les
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Photo 1 - Cône d'éboulis sur terrasse alluviale (Rio Mendoza , Argentine).
éboulis anciens sont en général fixés (Photo 6),
parfois encroûtés (Photo 7). De nombreuses
nuances existent en fonction de l'origine des
matériaux, de leur granulométrie, de leur couleur,
de leur pente, etc., mais aussi de leur genèse. À
cet égard, il convient de distinguer les éboulis
gravitaires et les éboulis de fluage dans lesquels
la solifluxion joue une part (cas de certains "chi-
rats", ou tabliers de blocs, du Massif Central).
Lorsque le talus d'éboulis est affecté par la neige
et/ou le ruissellement, cela peut aboutir à la
formation d'éboulis plus ou moins lités. Dans ce
cas, on parle de grèzes.
2 ) Cônes de déjection torrentiels
Les matériaux de toutes tailles transportés
par un torrent peuvent être momentanément dé-
posés dans le lit, mais ils sont repris à chaque
crue pour être finalement déposés dans un secteur
où la vitesse du courant diminue fortement, c'est
à dire quand le cours d'eau aborde une pente
moins accusée. Ainsi les matériaux se déposent-
ils au débouché du torrent (pérenne) ou de l'oued
(intermittent), à l'endroit où le cours d'eau quitte
la montagne pour rejoindre la vallée principale ou
la plaine. Là ils forment un éventail lobé : le cône
de déjection torrentiel (ou alluvial, ou d'épan-
dage). Chaque lobe correspond à l'étalement des
matériaux d'une crue ; ceux-ci sont granoclassés
d'amont en aval, les éléments fins étant emportés
le plus loin (L. MARCHI et S. BROCHOT, 2000).
Il s'agit donc d'une accumulation en éventail,
élargi vers le bas, des matériaux transportés par
les torrents dès que leur écoulement perd de la
vitesse et que leur compétence diminue.
Les cônes de déjection sont très largement
répandus dans les zones arides et semi arides,
mais on les observe aussi en régions de systèmes
morphogénétiques de type glaciaire et périgla-
ciaire (Spitzberg) ou tempéré (montagnes notam-
ment). On peut distinguer les "cônes actifs" et les
"cônes morts", selon qu'ils sont construits par un
cours d'eau pérenne ou intermittent.
Les données utilisées pour l'analyse des
caractéristiques des cônes alluviaux viennent le
plus souvent des cartes topographiques ou mieux
des photographies aériennes. De là trois caracté-
ristiques sont régulièrement mises en avant qui
permettent de discriminer les cônes entre eux :
-La forme. Elle est en éventail, avec un apex à
l'amont et une limite arquée à l'aval. Plusieurs
tentatives ont même été effectuées pour définir
la forme au travers d'équations mathématiques.
Par exemple, on compare la surface d'un cône à
la concavité d'un profil transversal. Ces essais
permettent de caractériser approximativement
la forme des cônes et donc de mener des com-
paraisons au niveau local, voire régional.
-La surface. Il a souvent été démontré que la
surface d'un cône était en rapport avec celle du
bassin de réception. Mais la surface dépend de
nombreux autres paramètres : l'érodibilité des
roches du bassin versant, la tectonique locale,
les précipitations (quantité et surtout intensité),
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Photo 2 - Éboulis de pentes
dans les Rocheuses
canadiennes.
Photo 3 - Versants d'éboulis
dans le massif du
Vignemale (Pyrénées).
Photo 4 - Vastes voiles
d'éboulis dans le Valle
Hermoso (Andes de
Malarguë, Argentine).
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Photo 5 - Tablier d'éboulis autour d'une doline d'effondrement : le Pozo de las Animas,
Andes de Malarguë (Argentine).
Photos 6 - Cônes d'éboulis en partie couverts, à droite, dans la Vallée de Sales (Haute-Savoie)
et, à gauche, au Van d'en Haut (Valais suisse). [clichés : M. G
ENIER
-R
OSSET
et C. L
AMBIEL
]
Photo 7 - Une "demoiselle" taillée dans une brèche (éboulis consolidés) en Briançonnais.
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la couverture végétale, l'espace disponible pour
l'accumulation des dépôts, et le facteur temps.
Comme on le voit, le problème est complexe,
car les cônes sont tout à la fois des milieux de
sédimentation, de remaniement et d'érosion.
-La pente. Le profil d'un cône s'apparente le
plus souvent à une courbe de type légèrement
exponentiel déterminée par les variables sui-
vantes : taille des sédiments, débit et charge
véhiculée par les eaux, taux de fourniture en
matériaux et morphologie du bassin versant.
D'une façon générale, la pente du cône est
inversement proportionnelle à la surface et au
rayon du cône, et au débit. On observe que les
cônes qui présentent une forte proportion de
sédiments à granulométrie grossière sont les
plus pentus.
Dans le détail, les dépôts torrentiels sont
représentés par des matériaux généralement gros-
siers (blocs, galets, sables) disposés en lentilles
juxtaposées et superposées qui montrent des
litages obliques en cuillère ("stratification entre-
croisée"). Les galets sont souvent émoussés, car
ce sont généralement des blocs anguleux d'ébou-
lis qui ont été usés pendant le transport (une
dizaine de km suffit). Ils sont inclinés par rapport
au sens du courant et se recouvrent en formant
des imbrications (comme les tuiles d'un toit). Les
grains de sable sont anguleux et mal classés. Les
grains de quartz montrent des traces de chocs en
"coup d'ongle" et des cassures conchoïdales de
forte énergie. Les parties fines constituant la ma-
trice du dépôt sont abondantes.
Des études, dans les Alpes, se sont penchées
sur les relations entre, d'une part, la superficie et
la pente des cônes de déjection et, d'autre part, les
caractéristiques morphométriques des bassins
versants (superficie et dénivelée spécifique) ou la
typologie des processus torrentiels (transport
solide par charriage, laves torrentielles). Elles
montrent que la superficie des cônes de déjection
est très peu reliée à celle du bassin versant, alors
qu'elle dépend fortement de la largeur disponible
dans le fond de la vallée principale. La relation
entre la dénivelée spécifique du bassin versant
et la pente du cône de déjection est mieux défi-
nie. Les investigations effectuées permettent, en
outre, de mettre en exergue le caractère parti-
culier des cônes de déjection à forte pente,
présents à l'exutoire de bassins versants petits et
à forte dénivelée, où les transports solides sont
en grande partie réalisés sous forme de laves
torrentielles.
Les cônes torrentiels anciens sont identifiés
par des conglomérats à matrice abondante et dont
les galets sont plus ou moins imbriqués, à la
différence de ceux des dépôts glaciaires et des
coulées boueuses, associés à des grès en lentilles
constitués de litages entrecroisés. Les parties
fines, limons et argiles, peuvent montrer des hori-
zons pédogénétiques : ces sols anciens sont des
paléosols.
Au pied d'un relief, les cônes de déjection de
torrents voisins peuvent se joindre et contribuer
à constituer un glacis de piémont continu (cf.
infra).
3 ) Les glacis
Le terme de glacis est issu du latin glacies
(= glace) dans le sens de : qui glisse. À l'origine,
il a surtout été utilisé par les textes d'architecture,
notamment ceux relatifs aux châteaux-forts. Le
glacis était la partie généralement cimentée et
lisse faisant transition entre le pied des murailles
d'une place forte et les douves. L'intérêt du glacis
était double : non seulement il fortifiait la base
des remparts, mais surtout, en cas d'assaut par des
échelles, il rendait l'utilisation de ces dernières
dangereuse, car elles glissaient facilement sur le
plan incliné. La similitude de forme a intéressé
les géomorphologues qui l'ont utilisé pour
désigner le plan incliné qui raccorde le bas d'un
versant à la plaine environnante (Colloque de
Tours, 1975). En géomorphologie, ce sont des
versants à faible pente qui se développent sur le
piémont. Selon la Commission du vocabulaire de
géomorphologie (Conseil international de la
langue française), un glacis est une "surface
proche d'un plan, à profil concave (1 à 12°),
dominé par un système de versants raides". Le
glacis est une forme de relief non structurale qui
affecte des roches aussi variées que les granites
ou les grès tendres, et on les observe un peu
partout et pas seulement en zones arides même, si
leur fréquence y est plus grande (J. TRICART,
1970 ; R.U. COOKE et A. WARREN, 1973).
D'après les auteurs, les glacis ont des su-
perficies très variables : de moins de 1 km2 à
plus de 600 km2 pour les plus grands (désert de
Sonora, par exemple). Dans les Andes de Men-
doza et de San Juan (Argentine), leur dimension
d'amont en aval peut dépasser 30 km. Mais le
plus notable est que, contrairement à celui des
cônes, le profil longitudinal des glacis est rigou-
reusement droit ou très légèrement concave. Sa
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