
investissements étatiques en infrastructures ahurissants. Sur le plan social et politique : un pacte non-
écrit de « croissance contre obéissance », dans une remarquable opacité verrouillée par le Parti-unique-
qui-sait-tout. La religion de la croissance à tout prix a produit le « syndrome de la bicyclette » : tant que
l’on pédale vite, la bicyclette avance, les problèmes sont brassés par la vitesse, les projets publics ou
privés foisonnent, l’optimisme règne, entraîné par le tourbillon du « toujours plus » qui sert de
programme à tous les échelons du pays, sans que l’on se pose trop de questions sur les voies et moyens.
La quantité seule compte. Pour la qualité, on verra plus tard. Gros avantage : tant que l’opium du peuple
est l’argent, on ne parle pas de politique, sinon pour vénérer le leadership éclairé des sages dirigeants :
tels les empereurs d’hier, ces derniers peuvent faire accroire qu’ils détiennent le « mandat du ciel » cher
à la tradition chinoise, puisqu’ils sont capables de fabriquer de la prospérité et de l’espoir en des
lendemains qui chantent. Sans vérification par la voie des urnes, il va sans dire.
On sait aujourd’hui que cette course en avant inouïe – dont la réussite globale, une fois encore,
est brillante et incontestable – est terminée. On s’achemine vers des taux de croissance durablement
amputés, pour l’instant, d’au moins trois points pour les années qui viennent. La bicyclette commence à
tanguer. On peut se poser la fameuse question de la « convergence » avec les taux des pays matures. Et
rien ne dit – mais c’est encore un tabou - que ces taux ne vont pas s’éroder encore plus, ou subir des
chocs spéculatifs d’amplitude similaire au grand voisin japonais, ou des accidents de parcours à la
brésilienne. Cela nous concerne directement : une baisse de deux points de croissance des BRICS
(comme en 2013 par exemple) rabote la croissance des pays occidentaux de 0,5 point. Attention:
l’histoire économique démontre constamment que le seuil des 6.000 dollars de PIB par habitant est un
tournant capital, où des questions qualitatives graves commencent à se poser. C’est le seuil que vient
d’atteindre la Chine, multiplié – doit-on le marteler ? – par la masse inouïe d’1,4 milliards d’habitants.
Les projections mécaniques des grandes institutions doivent donc être prises avec des pincettes.
2. Le développement se mange-t-il lui-même ?
Les dommages collatéraux de la croissance folle s’étalent sous nos yeux. Les atteintes à
l’environnement ont atteint des sommets. La pollution de l’air et de l’eau affecte vertigineusement la
santé publique. Le Nord-est du pays est en situation de sécheresse critique permanente. Les accidents
industriels et miniers sont récurrents. Les embouteillages sont devenus dirimants dans toutes les villes
chinoises (180 villes de plus d’un million d’habitants !). Les problèmes de sécurité alimentaire défrayent
la chronique, avec d’autant plus de charge émotionnelle lorsqu’il s’agit de lait infantile contaminé. Les
scandales majeurs sont quotidiens. On en parle et c’est très nouveau : la littérature en la matière
devient foisonnante. Le quotidien en Chine a toujours été âpre, il est en train de devenir invivable. On
en débat, on tente d’y apporter des correctifs. On punit durement et publiquement les responsables. Le
crime de pollution peut entraîner désormais la peine de mort. Mais ce gâchis est-il rattrapable ?
Sur un autre point, plus technique, on réalise que le développement s’est fait à crédit, avec une
puissante drogue : l’addiction à l’investissement. Bon an mal an, l’investissement fixe bat des records du
monde : 70% du PIB ! S’il s’agit de construire des infrastructures (7.000 Kilomètres d’autoroutes
nouvelles l’an dernier !), pourquoi pas ? Dans ce registre, la Chine dame largement le pion à l’Inde par
exemple. Mais la fièvre du béton emporte tout. La construction de bâtiments nouveaux représente 10%
du PIB. Comme les autorités locales continuent à être jugées sur la quantité, elles doivent produire des
statistiques mirobolantes, sans calcul économique sérieux, et peu leur chaut les surcapacités. Le
rendement des investissements s’effondre : Il fallait 2 Yuans investis pour produire un Yuan de richesse
supplémentaire il y a quinze ans. Il en faut 7 aujourd’hui. Pas moins de 8.000 projets pharaoniques sont
programmés. Les banques locales (d’Etat bien entendu) sont priées d’abonder le tiroir-caisse, sans
souci de rentabilité. L’endettement local est devenu une bombe à retardement qui avoisine sans doute
50% du PIB. Et encore, on ne compte pas le shadow banking privé opaque, dont la masse de manœuvre
est sans doute le double de tous les dépôts bancaires officiels. C’est, bien au-delà d’un problème
financier, un défi structurel majeur. La mue de cette économie du gaspillage n’a pas encore
sérieusement commencé.