BO, SP 2010, Analyse des entretiens biographiques 3
Suzanne8 qui met en lumière tout un monde social, d’autres s’en inspirant avec des objectifs plus
cliniques9 ou de formation continue10. Mais il serait erroné de se limiter à un cercle qui défend un
« label biographique », car c’est en fait déployé un véritable « espace des récits de vie »11 qui ne
se limite pas aux sociologues. Prendre en compte cette diversité permet de mieux apprécier la
continuité des sciences sociales dans cet accès par le biographique à des situations qu’elles
cherchent à comprendre et à restituer dans leur contexte. Ainsi, ceux qui ont attaqué le plus
sévèrement cette approche ne se sont pas refusés complètement cette entrée.
Pierre Bourdieu12 notamment porta loin la critique en parlant d’illusion biographique.
Stigmatisant l’oubli des relations objectives et des structures, il considérait que la relation du
chercheur et de l’enquêté méritait un peu plus d’approfondissements sur les conditions de
production de ce matériau particulier. D’autres encore soulignent la fragilité du mode de recueil
et discutent le contrôle sur le discours (re)produit, alors que celui-ci donne lieu à des analyses de
contenu et à une exploitation linguistique parfois poussées jusqu’au raffinement. S’appuyant sur
des analyses de Paul Ricoeur13, de nombreuses publications se sont penchées sur les enjeux,
inhérents à cette approche, de la narration et du récit. Le terme « histoire de vie » prêtant à
confusion entre l’histoire vécue par une personne et le récit qu’elle pouvait en faire, on lui préféra
alors celui de « récit de vie »14, ce qui n’épuise aucunement les débats. En rappelant que la
méthode biographique peut aussi être d’abord conçue comme un moyen d’accès aux situations
réelles traversées, Jean Peneff15 tient à rajouter dans cette nébuleuse bien d’autres chercheurs, en
premier lieu ceux qui se réclament avec lui de la tradition de l’Ecole de Chicago, mais aussi
certains proches de Pierre Bourdieu. Ce dernier approfondit d’ailleurs ses recommandations dans
La Misère du monde16, livre best-seller qui s’appuie sur des entretiens biographiques.
Ce n’est pas tomber dans la naïveté ni l’œcuménisme que de constater que cet accès au social par
le biographique est une pratique en sociologie qui s’est finalement imposée, en précisant que cela
8 CATANI M. & MACE S., Tante Suzanne, une histoire de vie, Paris, Éditions Klincksieck, 1982.
9 DE GAULEJAC V., L’Histoire en héritage. Roman familial et trajectoire sociale, Paris, Éditions Desclée de
Brouwer, 1999.
10 PINEAU G., Produire sa vie : autoformation et autobiographie, Montréal, Éditions Edilig, 1983.
11 PUDAL B., « Du biographique entre science et fiction, quelques remarques programmatiques » in Politix, volume 7,
no 27, 1994, pp. 5-24.
12 BOURDIEU P., « L’illusion biographique » in Actes de la recherche en sciences sociales, no 62-63, 1986, pp. 69-72.
13 RICOEUR P., Temps et récit, Tome III : le temps raconté, Paris, Éditions Le Seuil, 1985.
14 BERTAUX D., Les Récits de vie, Paris, Éditions Nathan, 1997.
15 PENEFF J., « Les grandes tendances de l’usage des biographies dans la sociologie française » in Politix, Volume 7,
no 27, 1994, pp. 25-31.
16 BOURDIEU P. (éd.), La Misère du monde, Paris, Éditions Le Seuil, 1993.