Pollak, qui dressera en 1987 dans un des cahiers de l’IHTP un inventaire des études
relevant de cette démarche ; lui qui consacrera par la suite une bonne part de ses
recherches au travail de mémoire autour de « l’expérience concentrationnaire ». Dans
une optique sensiblement différente de celle de Bertaux, un certain nombre de
recherches ont été menées se réclamant de ou mobilisant la «méthode biographique»,
comme celles de Jean Peneff s’appuyant sur des autobiographies de militants CGT ou
CFDT (1979-80) ou celle de Jean-Michel Chapoulie sur les enseignants du secondaire
(1987). Jean Peneff estime que le cycle de vie de « l’histoire de vie » s’achève l’année
de la publication de l’ouvrage qu’il consacre lui-même à la méthode, 1990 (« La
méthode biographique.. »). Pourtant d’autres courants s’en feront les fers de lance
comme la sociologie clinique animée par Vincent de Gaulejac et d’autres études
seront encore menées sous son égide, comme celles de Didier Demazière et de
Claude Dubar sur les chômeurs (« Analyser les entretiens biographiques. L’exemple
des récits d’insertion » - 1997), de Bernard Lahire (« Portraits sociologiques » - 2005)
ou encore de Danielo Martuccelli (« Forgé par l’épreuve » - 2006).
Le séminaire que le centre METICES organise cette année académique 2013-2014 sera
l’occasion de débusquer les recherches qui s’autorisent aujourd’hui de cette
démarche et de faire le point sur l’état des débats méthodologiques et
épistémologiques qu’elle continue de susciter, entre courants sociologiques mais
aussi au plan transdisciplinaire, principalement entre sociologie et histoire, dans la
lignée de celui qui a réuni dans la revue Genèses (2006/1, 62) l’historienne Florence
Descamps et l’anthropologue Florence Weber.
Ces débats ont principalement opposé les tenants d’un courant objectiviste pour
lequel la validité historique des récits de vie constitue un enjeu majeur de
connaissance et qui, de ce point de vue fragilise ce type de sources, et un courant
herméneutique où la question de la vérité historique est sans objet puisque ce qui est
visé a trait à l’interprétation faite par les acteurs sociaux des situations auxquelles ils
se trouvent confrontés. Ce qui est néanmoins toujours en cause mais selon un
équilibre bien différent c’est le jeu entre individu et contraintes, le poids des normes,
les possibilités de choix et la contribution du micro-social à l’évolution normative.
D’autres discussions comme celles que l’on retrouve rassemblées dans l’ouvrage
dirigé par Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grosseti (« Bifurcations. Les sciences
sociales face aux ruptures et à l'événement », 2010) portent sur les façons d’analyser
les moments où les parcours de vie bifurquent (les turning points conceptualisés par
Andrew Abbott). Sont alors interrogées les manières dont le temps court de
l’événement imprévisible influe sur, voire bouleverse le temps long de la trajectoire
structurée. Et, à nouveau, se rejoue la tension entre les tenants d’une approche
objectiviste – craignant les versions héroïques des récits biographiques – et les
tenants d’une approche centrée sur l’interprétation que les acteurs donnent aux
changements qui marquent leur vie.
Par ailleurs les remarques de Pierre Bourdieu, bien qu’elles-mêmes fortement
bousculées par la critique, restent, pour partie au moins, interpellantes, comme le
risque d’assigner au récit de vie une unité, une cohérence qui ne pourrait alors
renvoyer qu’à une essence dont il serait la manifestation ou à une fin dont il
composerait une généalogie. Et par ailleurs le récit – la signification intime - ne doit-il
pas beaucoup au(x) rôle(s) qu’on lui demande de jouer dans nos rapports aux
institutions, singulièrement en ces temps d’injonction récurrente à la « mise en récit
de soi ». La double question de Jean-Claude Passeron est bien toujours d’actualité :
une vie comment ça s’analyse ? Est-ce que ça s’analyse comme ça se raconte ?