A l`intersection des dynamiques personnelles et collectives

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A l’intersection des dynamiques personnelles et collectives, et du
monde du travail
Développement de l’éthique et de la réflexivité du conseiller par la
supervision et l’autosupervision.
Intervention à l’AIOSP Québec, vendredi 6 juin 2014.
Alain LEU
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, Sylvie GRAULLE
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vous proposent une intervention à deux voix.
En guise d’introduction
Le 6 juin 1944, à 9h, il ya exactement 70 ans, mis à part le décalage horaire (les commémorations ont
lieu en ce moment en Normandie) des canadiens débarquaient à Juno beach (la plage de la ville de
Courseulles, située à 15 Km de CAEN, là où j’habite) pour participer à la libération de la France. C’était
un moment décisif dans la lutte contre le fascisme, le totalitarisme, le racisme, l’intolérance. Ces
hommes à qui, nous français, sommes redevables de notre liberté, sont pour nous un exemple de
solidarité, de don de soi pour préserver des valeurs de respect de l’humain, de créativité, de diversité.
Je souhaite que cette liberté pour laquelle ils ont lutté, qui n’est jamais acquise, qui est toujours à
conquérir, soit présente et s’exprime à travers notre intervention.
Courage, Liberté, refus de se soumettre, refus de l’impuissance, possibilité d’un choix (même petit)
face à l’adversité, fraternité et force du collectif, ces idées, ces valeurs, sont au centre du counseling
tel que nous le concevons.
De la grande histoire à la petite : quelques mots pour vous éclairer sur l’histoire de notre
Association TRAVERSES.
En 1989, un certain nombre de conseillers d’orientation travaillant au sein du système scolaire
français et des conseillers de la formation continue des adultes ont débuté leur formation au
counseling et à l’entretien de conseil sous la houlette de Conrad Lecomte et de son équipe
québécoise (Annette Richard, Mireille Sire, René Lecomte et bien sûr Réginald Savard). Ils nous
ont accompagnés plusieurs années.
Pour beaucoup c’était la première fois que nous entendions parler de counseling, approche
peu développée en France…
Cette rencontre fut importante pour moi, pour nous,
- d’un point de vue professionnel : elle a provoqué un regain de mon plaisir à travailler, m’a
permis de mettre de la cohérence dans mes activités professionnelles et aussi, je l’espère, de
proposer une aide mieux adaptée à « mes » consultants,
- d’un point de vue personnel : elle m’a permis de mieux faire face aux difficultés de ma vie.
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Conseiller d’Orientation-Psychologue, Psychologue spécialisé en counseling, formateur superviseur association
TRAVERSES. Les propos d’Alain LEU sont retranscrits en italique.
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Conseillère d’Orientation-Psychologue, Psychologue spécialisée en counseling, formatrice superviseure
association TRAVERSES. Les propos de Sylvie GRAULLE sont retranscrits en police normale.
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Ensuite, nous sommes devenus formateurs. En 1995, nous avons créé l’association
TRAVERSES, et TRAVERSES FORMATION, organisme de formation.
Une évolution des formations que nous proposons
Nos activités de formateurs ont débuté par des interventions auprès de Conseillers
d’Orientation-Psychologues, en formation continue : formations à l’entretien de conseil et de
relation d’aide, caractérisées par leur irremplaçable méthodologie expérientielle permettant aux
conseillers stagiaires de développer voire de s’initier à un travail de réflexivité professionnelle. Un
premier public de psychologues.
Dans un deuxième temps, nous sommes intervenus auprès d’autres publics : conseillers
d’insertion professionnelle, enseignants, travailleurs sociaux, bénévoles, personnels paramédicaux,
étudiants en 5ème année de formation de psychologie… Des professionnels en situation
d’accompagnement psychologique et social travaillant le plus souvent en institution mais aussi à
titre libéral, hors institution.
Nous avons diversifier, adapter nos formations. Mais elles ont gardé des
« caractéristiques » centrales pour nous :
- être centrée sur la personne, sa subjectivité et l’intersubjectivité ;
- permettre au stagiaire de faire des liens entre nos apports théoriques et son vécu ;
- accompagner le professionnel, acteur de sa formation, dans sa prise ou reprise de pouvoir
sur sa façon d’aider, pour mieux se mettre au service du consultant.
Ces formations avaient pour objet essentiel la conduite de l’entretien de conseil.
Puis TRAVERSES s’est engagée, suite à des demandes qui lui ont été faites, à développer des
interventions d’analyse de pratiques (nous préférons le terme d’analyse de situations afin de
mieux pointer la singularité de ce qui y est travaillé) permettant aux participants d’explorer
différentes situations professionnelles qui leur sont problématiques. Mais il s’agit toujours de
réfléchir à une problématique d’accompagnement contextualisée pour ensuite agir avec plus de
professionnalité.
Ce que nous avons entendu
Ainsi, petit à petit, nous avons été amenés à découvrir différents contextes de travail,
différentes organisations professionnelles, différentes logiques institutionnelles. Et nous avons
entendu de petites ou grandes souffrances au travail : urgence, efficacité à court terme,
responsabilisation excessive, discours contradictoires ( l’on réclame l’autonomie des
professionnels, alors qu’on veut avant tout qu’ils suivent des procédures), non reconnaissance.
Souvent la relation conseiller/consultant était mise à mal au profit de dispositifs
Nos stagiaires ont partagés avec nous leurs difficultés voire leurs souffrances. Et nous nous
sommes demandés :
- comment étayer des conseillers dont le contexte professionnel les met en difficulté, à mettre en
acte les valeurs du counseling humaniste ?
- Comment les aider à mieux accompagner des consultants qui vivent eux-mêmes dans un monde
du travail où les situations sociales se dégradent ?
Alors nous avons réfléchi et nos formations ont évolué, évoluent
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Ce que nous voulons apporter
Mais nos objectifs « centraux » restent identiques :
- diffuser et partager, à notre mesure, la démarche d’un counseling humaniste en France.
- permettre aux professionnels de l’accompagnement de devenir de véritables professionnels
de l’entretien d’aide, ce qui passe pour nous par, inévitablement, le développement de sa
réflexivité et de la conscience réflexive de soi en relation. L’objectif est de mieux accompagner le
consultant dans sa démarche d’orientation, d’insertion, de développement de carrière, et aussi de
permettre au professionnel de travailler plus comme « le conseiller qu’il veut être » face aux
contraintes, aux injonctions de son institution, et plus généralement face à l’évolution du travail
social dans notre société libérale. La supervision, l’autosupervision sont des moments
d’apprentissages en lien avec soi-même, des moments de développement de ses compétences.
Mais dans un contexte social « de crise » qui touche consultant et conseiller, elles deviennent
indispensables à la défense de sa professionnalité et de son éthique.
A l’intersection des dynamiques personnelles, collectives, et du monde du travail, nous nous
centrons sur les personnes.
Nous ne souhaitons pas, lors de cette intervention, nous focaliser sur un débat qui pourrait rester
théorique et qui réfléchirait, comme c’est indiqué dans la présentation de ce colloque, à
« l’exploration de l’orientation et du développement de carrière, considérer l’interdépendance entre
ces dimensions… »,. Nous souhaitons nous centrer sur les personnes qui vivent concrètement leur
orientation, leur développement (ou non) de carrière, leurs difficultés d’insertion… Notre objectif est
d’être au service de ces personnes. Notre travail consiste, en lien avec ces personnes, à voir comment
il est possible pour elles-mêmes et dans leur perspective, à partir de leur subjectivité, de les aider à
comprendre pour agir en trouvant au mieux leur degré de liberté dans un monde difficile… Il faut
préciser que notre travail s’effectue auprès de consultants que nous recevons mais surtout auprès de
conseillers que nous formons ou supervisons.
La problématique que nous souhaitons développer avec vous et telle qu’elle a été énoncée dans le
projet d’intervention est la suivante : « L’efficacité et l’éthique professionnelle du conseiller, qui a à
charge d’aider ses consultants, se construisent sur une conscience de soi en relation mais aussi sur
une conscience du poids des normes sociales (société de la performance, norme d’internalité,
responsabilisation, individualisation, culpabilisation) et sur une connaissance des contextes,
éventuellement défavorables, afin de permettre à la personne de trouver sa véritable marge de
liberté ».
Se centrer sur les personnes qui vivent dans des contextes défavorables, c’est s’adresser à leur
subjectivité. Nous reprendrons ici une définition empruntée à Mireille CIFALI : « En parlant de
subjectivité, nous optons pour une définition du sujet comme ne pouvant exister sans
intersubjectivité, d’un sujet constamment fabriqué par le monde et ses énements, mais pas
déterminé au point de n’être qu’une pâle réplique des mouvements qui le dépassent. Nous
rejoignons des hypothèses des psychosociologues cliniciens, qui à la fois acceptent la détermination
sociale mais postulent la possibilité pour un sujet de s’en écarter, de se positionner. Non pas
seulement un « être parlé par », mais un « être parlant », réagissant aux forces de destruction,
transgressant des normes même douces qui entraîneraient sa trop grande soumission. Un être
mettant en œuvre sa liberté négative, suffisamment passionné par le monde pour s’y situer et
vouloir l’influencer, bien loin d’être perdu dans son quant à soi. »
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Nous nous centrons sur les personnes, certes, mais dans une attitude « citoyenne ». Cette intervention
se situe dans la suite de celle que nous avons faite l’an dernier au congrès de l’AIOSP de Montpellier,
intitulée « Counseling et droits de l’homme et du citoyen ». Notre vision du counseling se réfère à une
posture philosophique et politique qui tente de mettre en acte la question suivante : comment offrir à
chaque humain, l’espace mental, le temps, le support relationnel, qui vont l’aider à devenir capable
de s’approprier ses décisions, face aux choix et aux difficultés qu’il rencontre, tout en comprenant et
respectant les autres dans une attitude citoyenne. Nous ne sommes pas pour un développement
individualiste des personnes, tel qu’il est parfois prôné, quel qu’en soit le prix pour les autres, pour le
lien social et finalement pour la personne elle-même.
Counseling et relation
Mireille CIFALI redonne certaines valeurs de base de la psychologie humaniste : la personne est
experte pour elle-même (nous sommes des experts dans notre champ d’intervention le système
de formation par exemple mais pas experts du problème vécu par le consultant), il existe toujours
un certain degré de liberté quelles que soient les contraintes du contexte. Et ces croyances, ces
valeurs nous pensons que c’est dans le cadre d’une démarche de counseling humaniste qu’elles
peuvent le mieux s’actualiser.
Un counseling humaniste
Nous voudrions revenir, rapidement, sur notre positionnement dans notre travail de
formation et de supervision de conseillers, de psychologues et donc sur l’esprit du counseling tel
que nous l’a transmis Conrad Lecomte.
Pour nous le counseling est une approche psychologique et sociale :
- Psychologique car centrée sur la personne (et non sur le problème), sur sa subjectivité, sur le
rapport qu'entretient la personne à sa difficulté, sur le vécu qu’elle en a, l’interprétation qu’elle en
fait. C’est une approche clinique par l’importance donnée à la parole singulière et à la complexité
de la personne, par la proximité et par la recherche de solutions à deux.
- d'autre part la personnalité n’est pas une entité mais un rapport, en perpétuel changement, entre
soi, les autres et le milieu. La dimension psychique de la personne s’est construite, s’actualise,
évolue dans des interactions avec soi même, avec les autres, dans l’intersubjectivité mais aussi
dans des interactions avec un contexte aux multiples dimensions (historique, culturel, sociétal,
professionnel..), contexte vécu subjectivement.
Aussi le counseling « s'adresse » à la personne singulière, dans sa singularité psychique, sa
subjectivité et dans sa totalité, c’est à dire à une personne située dans une société, autrement dit à
la personne « en situation ».
- Sociale donc puisqu’elle prend en compte une réalité sociale qui peut, à elle seule, être cause de
souffrance les champs d'application du counseling désignent souvent des réalités sociales productrices à elles-
seules chez les individus d'un ensemble de troubles ou de difficultés." Tourette Turgis 1996)
C’est donc la personne du consultant, ou du conseiller en supervision, prise dans sa
globalité et donc dans son contexte qui est au centre de notre démarche.
La relation est au cœur de cette démarche
La démarche de counseling humaniste met la relation au cœur du changement.
Dans un accompagnement de conseil, conseiller, consultant peuvent s’appuyer sur des tests, des
questionnaires, une méthodologie expérientielle style ADVP, de l’information, du travail de
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groupe, mais les évaluations d’impact et d’efficacité indiquent clairement que l’entretien de face à
face est la forme d’accompagnement qui est la plus aidante et la plus validée par toutes les études
(et ce même pour un seul entretien). La situation d’entretien, situation princeps, va permettre
d’établir un lien bien particulier conseiller/consultant. L’entretien de conseil se doit d’être, pour le
consultant, une expérience émotionnelle validante et soutenante dans un processus de
changement, d’évolution, de choix souvent difficile pour lui.
Nous sommes dans une relation de proximité et d’implication régulée. Nombreuses sont
les études qui mettent en avant que, quelques soient les approches, c’est un lien de confiance, de
fiabilité, de juste investissement qui va permettre au consultant de s’engager dans une démarche
de changement, d’évolution personnelle qui est bien souvent coûteuse pour lui. Le conseiller
« efficace » ajoute à ses savoirs et compétences d’expert en orientation des compétences
relationnelles qui vont permettre de mettre en œuvre une rencontre authentique avec son
consultant.
« On sait que plus une personne a connu des liens fiables d’attachement, des expériences de validation
empathique et de mentalisation, plus elle manifeste des capacités de prise de décision, d’adaptation personnelle,
professionnelle et sociale » (Sroufe, 2005). « Or, 50% des personnes environ ne connaissent pas suffisamment de
telles expériences émotionnelles et vivent, souvent, doute, indécision et anxiété dans leurs processus d’adaptation.
Quand elles viennent consulter un conseiller ou un psychologue du conseil en orientation, créer un lien fiable de
confiance se révèle alors déterminant » (Masdonati, Massoudi, & Rossier, 2009 ; Massoudi et al. 2008).
Cette relation se caractérise également par une alliance de travail, un lien émotif de
collaboration, de négociation, de partenariat. C’est la capacité du conseiller à établir, maintenir et
à restaurer cette alliance (fluctuations relationnelles, tensions, ruptures) qui va être déterminante.
« Sa vie durant, l’être humain cherche, au travers de multiples expériences interactives de communications explicites
et implicites, des relations fiables et significatives pour se construire, développer ses valeurs, intérêts et compétences,
s’intégrer socialement. L’établissement d’une alliance de travail est en effet un enjeu fort du processus de conseil en
orientation, de réadaptation ou de réinsertion professionnelle (Lecomte, Savard, & Guillon, 2011). » Savard
Lecomte Montpellier 2013.
Aussi, c’est dans le cadre de cette relation de co-réflexion et de co-construction le
conseiller cherche à être proche du vécu de son consultant tout en lui permettant de s’ouvrir à
d’autres perspectives que le professionnel utilise son expertise de l'information et des épreuves
normalisées. Mais c’est en étant sensible à l’impact de ces données (parfois extérieures au champ
de conscience du consultant) sur la personne accompagnée que le conseiller va les proposer tout
en étant vigilant à ce que le consultant reste l’expert de lui-même.
Maintenir cette relation à la fois sécure et « invitante à aller plus avant » est un enjeu
fondamental de la qualité de l’aide apportée. Il amène le professionnel à travailler en supervision.
La supervision :
C’est un espace de réflexion pour le professionnel il n’est pas seul dans son
questionnement, il peut multiplier les perspectives dans l’analyse de sa difficulté, il peut
reprendre du pouvoir sur sa pratique et développer sa créativité professionnelle.
La supervision permet :
- de développer sa capacité de contact avec sa propre expérience,
- d’être dans la préoccupation d’une meilleure appréciation, appréhension de la complexité
de l’autre,
- de prendre de la distance pour mieux sentir, analyser les processus d’interinfluence
conseiller-consultant mais aussi conseiller-contexte.
Pour le superviseur, il s’agit d’étayer dans sa réflexivité « un professionnel en situation ».
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