"La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge"

"La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge"
Conférence de consensus organisée par la Fédération Française de
Psychiatrie
avec l'aide méthodologique de l'ANAES et le soutien de la Direction
Générale de la santé.
Cette conférence de consensus a eu lieu :
19 et 20 octobre 2000 à Amphithéâtre Charcot
Hôpital La Salpétrière Boulevard de l'Hôpital - 75013 PARIS
1 • La crise suicidaire (Définition et limites) - Pr Pierre Moron
2 • Les étapes de la crise suicidaire - J. Vedrinne - D. Weber - CH de Lyon
3 • Quels sont les symptômes à observer à chaque étape de la crise
suicidaire ? - Dr Michel Benoit - CHU de Nice
4 • Quels sont les facteurs de risque précédant la crise suicidaire ? Le point
de vue du clinicien
Quels sont les facteurs relatifs à l'environnement (famille, travail, contexte
social) ?
Quelle est l'influence des événements de vie ?
M. Walter CHU de Brest
5 • Les facteurs de risque précédant la crise suicidaire : le point de vue du
chercheur - Agnès Battinserm
6 • Facteurs de risques relatifs à l'individu associés à la crise suicidaire :
réfléxion sur les mécanismes psychopathologiques de la crise suicidaire -
Professeur Ph. Jeammet
7 • Crise suicidaire et pathologie mentale - Jean-Marie Vanelle Professeur
de psychiatrie, SHUPPM, CHU de Nantes 44
8 • Caractéristiques favorisant le passage à l'acte dans la crise suicidaire -
Docteur Yves Lecrubier INSERM - Hôpital de la Pitié-Salpêtrière Paris
9 • Repérage du suicide en prison et éléments contextuels - Dr Sophie
Baron-Laforet Praticien hospitalier, C.H. L-J Gregory, Thuir
10 • Suicide et adolescence : acquis épidémiologiques - Marie Choquet
Directeur de Recherche, INSERM, U. 472
11 • Quelles sont les circonstances de la crise suicidaire, Y compris le
suicide en collectivité ? - Pr J.P. Soubrier Groupe Hospitalier Cochin -
Saint-Vincent-de-Paul (AP-HP) Ancien Président de l'Association
Internationale pour la Prévention du Suicide
12 • Quelles sont les relations entre crise suicidaire et alcool ? - Pr. Jean
Adès, Pr. Michel Lejoyeux. Service de psychiatrie. Hôpital Louis Mourier.
Colombes
13 •
Quels sont les éléments essentiels de l'évaluation clinique de l
a crise
suicidaire et de son intensité - Dr Louis Jehel Hôpital Pompidou
14 • Comment évaluer le risque suicidaire et notamment l'imminence ou la
gravité d'un passage à l'acte en médecine générale ? - Dr François DUMEL
Médecin généraliste, Audincourt
15 • Peut-on évaluer le rôle des services d'assistance téléphonique dans la
crise suicidaire ? - Professeur Patrick Hardy Service de Psychiatrie
d'adultes. C.H.U. de Bicêtre
16 • Risque suicidaire, crise familiale ; réfléxions générales et modalités
d'intervention - Dr Serge Kannas CHS Charcot - Plaisir
17 • Comment désamorcer une crise suicidaire avant la phase aiguë ou le
passage à l'acte? - Monique SÉGUIN, Ph.D. Directrice du programme de
psychologie - Université du Québec à Hull Directrice du Laboratoire de
recherche sur le suicide et le deuil
18 • Quelles sont les meilleures modalités d'intervention selon l'imminence
du passage à l'acte? - Monique SÉGUIN, Ph.D. Directrice du programme
de psychologie - Université du Québec à Hull Directrice du Laboratoire de
recherche sur le suicide et le deuil
19 • Quelles sont les spécificités associées à l'intervention en situation de
crise en fonction des facteurs de risque ? - Monique SÉGUIN, Ph.D. -
Directrice du programme de psychologie - Université du Québec à Hull -
Directrice du Laboratoire de recherche sur le suicide et le deuil - Centre de
recherche Fernand-Seguin Hôpital Louis-H. Lafontaine, Montréal
20 • Approche pharmacologique des conduites suicidaires - Dr Mocrane
Abbar Service de Psychiatrie A, CHU Carémeau, Nîmes
21 • Protocole de thérapie brève de familles de suicidants - Dr J.-C. Oualid
Psychiatre, Thérapeute familial, Responsable du département Impasse &
Devenir , Unité de prévention de l'association La Corde Raide. Paris.
22 • Place de l'hospitalisation sous contrainte dans la crise suicidaire.
Utilisation de la loi du 27 juin 1990. - Dr Michel BENOIT CHU de Nice
23 • Crise suicidaire : faut-il un suivi à court terme ? - Dr Xavier
Pommereau Unité médico-psychologique de l'adolescent et du jeune adulte
- Centre Abadie CHU de Bordeaux
24 • Suivi après la crise suicidaire, à moyen et long terme - Dr Alain
Braconnier Centre Philippe Paumelle, Paris
25 • Le rôle de l'entourage dans la prévention du suicide - Brian L.
Mishara, Ph.D. Directeur, Centre de recherche et d'intervention sur le
suicide et l'euthanasie Professeur, Département de psychologie -
Université du Québec à Montréal
La crise suicidaire (Définition et limites)
Pr Pierre Moron
Thématique essentielle de toute réflexion sur le suicide, la crise suicidaire a fait
l'objet d'assez nombreux travaux (24).
Sa connaissance, sa reconnaissance par tout intervenant en la matière est
indispensable afin de prévenir le passage à l'acte suicidaire, spécialement chez un
sujet "à risque", adolescent par exemple (20) dont on connaît bien maintenant les
vécus dépressifs, base usuelle de la conduite suicidaire, et la dépressivité (1).
La crise suicidaire est toujours sous-jacente à une conduite suicidaire et peut être son
aboutissement (en matière de suicide comme en psychologie générale, le terme de
conduite implique une certaine élaboration d'un comportement qui, lui, serait plus
instinctif).
Ainsi, alors qu'en créant le GEPS en 1969 nous l'avions intitulé "Groupement
d'Etudes et de Prévention du Suicide", l'Association Internationale a choisi une autre
formule : "Pour la prévention du suicide et les interventions en cas de crise", mariant
ainsi judicieusement les deux termes.
Tout d'abord pourquoi parler de crise? : "Ce terme s'est introduit en psychiatrie par
analogie au sens médical pour signifier "période de crise". Classiquement, il s'agit
d'un changement subit dans l'évolution d'une maladie qui signe une aggravation ou
une amélioration, mais aussi de l'émergence de manifestations pathologiques chez
un sujet considéré comme sain. Elle correspond à un moment d'échappement où le
patient présente un état d'insuffisance de ses moyens de défense, de vulnérabilité, le
mettant en situation de rupture, de souffrance, laquelle n'est pas obligatoirement
théâtrale ou bruyante au contraire" (35), certains l'ayant même vécue comme
moment fécond d'une vie (19).
"Cette crise constitue un moment de rupture dans l'existence d'un être vivant ou d'un
ensemble d'êtres, conséquence d'une perturbation du système de régulation assurant
leur continuité et leur intégrité. C'est donc un phénomène qui recouvre des situations
très variables dans leur nature puisqu'il peut affecter les domaines corporels,
psychiques et sociaux. Elle doit être pensée avant tout comme un phénomène où une
tension dynamique s'exerce entre les deux pôles dialectiques de l'individu et du
groupe. Elle se délimite aussi comme la vie par des critères temporels ; elle a un
début et une fin.
En même temps que le suicide se défaisait de sa conception psychiatrique
(descriptive, nosologique) où il était aliéné à la maladie mentale par sa réduction à
une composante constitutive de celle-ci, on était amené dans une conception psycho-
dynamique à mettre l'accent sur la notion de crise suicidaire (33).
Quant au suicidaire, c'est celui "qui sans réaliser un geste directement auto-agressif
multiplie par ses comportements les situations de risque où parfois sa vie, en tout cas
sa santé, peut être mise en jeu"(13). Il convient classiquement de l'opposer certes au
suicidé, mort par suicide, mais aussi au suicidant qui s'est manifesté concrètement
dans un comportement dont la finalité autolytique n'est pas tant s'en faut toujours
majeure. "Si ces trois catégories ne peuvent se confondre, elles ont à l'évidence un
fond commun, celui qui consiste pour une personne à remettre en cause ce qui la fait
vivante, agissante" (13). A signaler que l'appellation bien désagréable de suicidards
a pu être attribuée à des sujets à comportement suicidaire répétitif (pouvant
présenter un véritable "état de mal suicidaire" : 21) par telle équipe de service
d'urgence ayant à s'occuper de ce qu'elle estime "des patients plus gravement
atteints"(29).
Il est classique de décrire : la tentative de suicide, acte incomplet se soldant par un
échec, dont l'intentionnalité suicidaire est donc souvent discutable ou de toute façon
à discuter ; la velléité suicidaire, acte plus ou moins ébauché ; l'idée du suicide,
simple représentation mentale de l'acte, voire le chantage au suicide dont il faut
savoir aussi se méfier de l'apparence. Est exclu volontairement le concept de
"parasuicide", pas forcément aussi négligeable qu'il est décrit (32). En tout espèce de
cause, la bénignité apparente du geste (type phlébotomie : 31) ne doit pas faire
exclure la prudence. Au total, se pose classiquement la question du dit et du non-dit
dans les conduites suicidaires (18).
A ce sujet, on ne peut négliger ce qu'il est convenu d'appeler les fonctions
suicidaires :à la suite de E. Stengel et N.G. Cook (40), nous nous sommes intéressé
comme d'autres à cet aspect de la crise suicidaire très lié à l'intentionnalité d'un geste
éventuellement mortel(28). C'est ainsi que si l'auto-agressivité est logiquement à la
base de la suppression de soi, il convient, comme l'ont fait nombre de
psychanalystes, de rappeler l'existence fréquente de l'hétéro- agressivité (base entre
autres du chantage) ; sont également décrites la catastrophe, la fuite, la grande
majorité des comportements suicidaires étant sous-tendue par la fonction d'appel
justifiant la nécessité d'intervention systématique en matière de crise suicidaire.
Cette dernière peut aussi se masquer sous une attitude de jeu, correspondre à un
anniversaire ou dans le passage à l'acte à venir répondre à une attitude ordalique ou
oblative…
Cette approche plus psychologique n'exclut naturellement pas l'importance de tel ou
tel déterminant psychopathologique de la crise suicidaire.
N'y-a-t-il pas bien souvent derrière ces intentionnalités variées, constitutives de la
crise suicidaire, un désir de vivre mieux (7), autrement (27) ou bien un désir
d'absolu (10)?
"L'émergence de la crise suicidaire, véritable dérèglement du sens de l'auto-
conservation trouve son moteur dans l'envahissement soudain du psychisme par une
passion de destruction plus que par un désir de mort qu'on serait en peine de définir.
Une des fonctions de la crise suicidaire est bien de court-circuiter l'espace et le
temps inhérent à la communication. La crise suicidaire, quand elle devient publique
constitue l'urgence par excellence, un moment décisif qui mobilise impérieusement
l'autre" (33).
C'est dire les difficultés que peuvent éprouver en face d'elle l'omnipraticien ou le
médecin hospitalier (39), en fait toute personne confrontée à sa reconnaissance chez
l'autre, l'écoute du désir du suicide mettant en cause la position personnelle de
l'écoutant, praticien ou pas (42). Si un dialogue ne s'instaure pas, le geste suicidaire
qui risque de survenir peut avoir alors comme signification un acte de
communication …(41). Les écoutes du suicidant furent d'ailleurs le thème de la
huitième réunion du G.E.P.S. en 1976 à Reims .
On doit à ce sujet évoquer le rôle important des associations, s'efforçant de prévenir
le suicide, dont les pratiques ont évolué avec généralement abandon de la réponse
"d'accompagnement" (jusqu'à la mort), adaptation aux appelants dits "chroniques"
(11) et autres progrès dans l'écoute du suicidaire. La perception des motivations de
l'appelant suicidaire est certainement une vraie base de prévention du geste auto-
agressif (25) mais on est obligé de reconnaître que l'identification clinique du risque
suicidaire est en toute espèce de cause bien souvent des plus difficiles (30).
Mais qu'en est -il de la durée de la crise suicidaire? Il s'avère aussi qu'elle peut être
très variable, allant au minimum de quelques secondes (tel le brusque raptus
suic
idaire du grand mélancolique) à des formes beaucoup plus durables de quelques
heures, jours ou mois, voire années, certains n'hésitant pas à la reconnaître dès la
naissance comme cela a pu être décrit à l'occasion de la mort puerpérale de la mère
avec deuil d'une réparation narcissique fondamentale chez l'enfant "dans le cadre
d'un vrai roman paradoxal" (37).
La crise suicidaire peut également être variable dans le temps avec de véritables
fluctuations d'intensité ou même des mutations ou également réapparaître après le
passage à l'acte avec danger de récidive (17) et souvent phénomène "d'escalade"
dans les moyens auto- agressifs employés.
Nous n'insisterons pas sur les évènements de vie, facteur déclenchant ou amplifiant
la crise suicidaire (12) dont on peut éventuellement juger de l'impact dans les lettres
de suicidant (4) et rappellerons que désormais la provocation du suicide est inscrite
dans le Nouveau Code Pénal (2). Il convient maintenant d'évoquer le problème des
équivalents suicidaires (dans le cadre des limites de la crise suicidaire) que M. L.
Farberow (14) et l'Ecole Américaine de Suicidologie ont défendu sous le concept
d'auto-destruction directe ou indirecte (38).
Mériteraient une telle appellation le refus de traitement en connaissance de cause,
certaines toxicomanies au cours desquelles le sujet est averti et conscient de sa
déchéance progressive et toutes les conduites de risque choisies sans obligation avec
conscience du danger couru, jeu avec la vie et avec la mort tel qu'on le rencontre en
particulier chez certains adolescents (22).
Certains ont voulu aller plus loin et cliniquement (ou théoriquement) et considèrent
comme équivalents suicidaires : l'anorexie mentale (8) le syndrome de glissement, la
prise d'otage (5) et même le symptôme psychosomatique (16) ; nous avons nous-
même décrit dans ce cadre certaines formes curieuses de don du sang (26).
Au total, c'est dire que sont souvent floues les limites de ce qu'il est convenu
d'appeler la crise suicidaire.
Peut-il y avoir d'ailleurs crise suicidaire collective? D'assez nombreux évènements
évoquant de tels faits ont donné souvent naissance à une publicité médiatique. Il est
tout à fait évident que dans ces cas de suicides à plusieurs, voire collectifs, il ne
s'agit pas toujours tant s'en faut de crises suicidaires mais de problèmes d'ordre
potentiellement médico-légal.
Enfin, on doit rappeler la "contagiosité" de la crise suicidaire, en particulier en
milieu institutionnel (6) (36).
Existe t-il au total un syndrome présuicidaire avec majoration de la "crise de base"?
Pour E. Ringel (34), il est usuel, constitué d'une triade faite de constriction de la
personnalité, d'inhibition de l'agressivité et de fuite vers les phantasmes de suicide
(dans ses premiers ouvrages, cet auteur parlait de rétrécissement de l'affectivité et
d'accroissement de l'agressivité). Pour R. E. Litman (23), il n'y a non pas tant un
syndrome présuicidaire qu'un potentiel suicidaire latent lequel éclate au cours d'une
crise pendant laquelle le sujet, directement ou indirectement, suggère à son
entourage son idée de suicide et modifie son comportement habituel (43).
Ce qui amène à évoquer l'état d'inquiétude suicidaire voire de crise qui peut
apparaître au cours de toute psychanalyse, posant un délicat problème au
psychanalyste (parfois piégé par une prétendu syndrome présuicidaire : 15) mais se
révélant être à mon sens, si elle est "dépassée", une garantie de réussite d'une
psychanalyse approfondie (type didactique, suivant l'appellation maintenant
périmée).
On ne serait trop également souligner le rôle des systèmes sérotoninergiques dans la
genèse des troubles de l'humeur et du comportement et en particulier dans les
passages à l'acte et de façon plus large l'aspect iatrogène et pharmacogène de
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