Juifs et arabes : histoire d'une symbiose
Extrait du Oulala.net
http://www.oulala.net
Juifs et arabes : histoire d'une
symbiose
- Planète - Le Monde -
Date de mise en ligne : dimanche 30 janvier 2005
Oulala.net
Copyright © Oulala.net Page 1/6
Juifs et arabes : histoire d'une symbiose
Les relations entre juifs et musulmans remontent à l'époque préislamique mais c'est pendant l'âge d'or de la
civilisation musulmane que leurs liens vont se renforcer pour donner naissance à une symbiose judéo-arabe
exceptionnelle.
L'orient de cette époque était celui du délice, des merveilles et de l'harmonie ; c'était aussi celui de la passion du
savoir et de la connaissance, « alors que l'Europe se débattait dans un moyen âge de conflits et de blocage, le
monde arabe était le théâtre d'une admirable civilisation » écrit Sigrid Hunke. [5] Et c'est en Andalousie, lieu de
nostalgie et d'enchantement, que la civilisation arabe avait atteint son apogée ; et c'est aussi en Andalousie que la
symbiose judéo-arabe a été au zénith de sa splendeur.
Lorsque en 711 le soleil d'Allah brilla sur l'occident, les juifs d'Espagne accueillirent les musulmans en libérateurs. A
l'époque, ils vivaient des périodes difficiles sous le règne des rois wisigoths ; ils subissaient les spoliations, les
conversions massives et les expulsions. La conquête musulmane va non seulement les libérer du joug de leurs
oppresseurs mais va permettre à « l'histoire juive de connaître sa période la plus florissante - celle qui exerça une
influence exceptionnelle sur la destinée des juifs et du judaïsme » affirme Eliyahu Ashtor. [1]
Cette rencontre de l'islam et du judaïsme a été facilitée d'une part du fait des grandes similitudes entre les deux
religions et d'autre part grâce à la tolérance musulmane de l'époque.
En effet, les deux religions reposent sur la communication directe entre Dieu et l'homme et sur la loi (Shari'a pour
l'islam et Halakha pour le judaïsme). Si le judaïsme a pour source la Torah écrite (Pentateuque) et la Torah orale
(Mishna et Talmud), l'islam se base sur le Livre (Coran) et les traditions prophétiques (Sunna). Les deux religions
possèdent aussi de multiple similitudes comme le manger, le vestimentaire, la circoncision et autres rites.
L'autre raison de la réussite de la rencontre judéo-arabe se trouve dans les prescriptions coraniques mêmes « Il ne
doit pas y avoir de contrainte en matière de foi » et « Vous avez votre religion et j'ai la mienne ». Les musulmans
n'ont essayé ni d'imposer leur religion par la coercition aux peuples soumis à leur pouvoir ni de s'immiscer dans leurs
vies privées ; chacun pouvait pratiquer librement sa religion et conserver ses lieux de culte.
En plus de cette tolérance religieuse, la générosité légendaire de l'homme arabe du désert des temps préislamiques
a fait émerger « un sentiment d'humanité universel, qui ignore les frontières, une générosité dont bénéficient
jusqu'aux ennemis » écrit Sigrid Hunke. [5] « Ils (les musulmans) sont équitables, ne nous font aucun tort et ne se
livrent à aucun acte de violence envers nous » écrit le patriarche de Jérusalem à celui de Constantinople au IXe
siècle.
Les arabes refusaient toute logique d'assimilation ou d'enfermement communautariste ; cette tolérance a permis aux
juifs de conserver leur identité tout en étant une partie active de la société. Ils s'ancrèrent dans la société arabe,
participèrent avec enthousiasme et loyauté à la réalisation de cette prestigieuse civilisation.
Des poètes, des musiciens, des philosophes, des médecins, des talmudistes coopèrent avec les scientifiques et les
philosophes musulmans ; ils créèrent et innovèrent.
Même si les juifs furent fortement enracinés dans la culture arabe, ils restèrent fidèles à leurs traditions et donnèrent
un essor nouveau à leur langue et à leur culture « cette exceptionnelle symbiose excluait tout danger d'assimilation.
Si les juifs d'Espagne adoptèrent la langue des conquérants arabes et, inévitablement, leurs schémas de pensée et
leurs idées, il reste que les juifs préservèrent, voire enrichirent, leurs singularités avec une vigueur et une
Copyright © Oulala.net Page 2/6
Juifs et arabes : histoire d'une symbiose
détermination inconnue jusqu'alors » ajoute Eliyahu Ashtor. [1]
Averroès-Maïmonide : un modèle du « vivre-ensemble
»
« Au début, c'étaient [les musulmans] des gens simples, sans intérêt pour les arts. Mais, peu à peu, avec le
développement de l'état, ils adoptèrent une culture sédentaire, tel que nul jusqu'alors n'en avait connu. Ils devinrent
versés dans maints arts et maintes sciences [...] Des missions étaient chargées de trouver les traités scientifiques
grecs et de les mettre en arabe[...] Ils excellèrent dans différentes disciplines, au point que nul n'aurait pu faire mieux
» rapporte ibn Khaldoun dans sa Al muquaddima. [11]
Le travail de recherche et de traduction des traités grecs fut colossal et à cet effet de nombreuses écoles « Baït Al
Hikma (maison de la sagesse) » ont fleuries ; ceci a permis de restaurer et de conserver les oeuvres d'Aristote, de
Platon, de Porphyre... et de donner naissance à la philosophie arabe : Al falsafa
Parmi les plus grands philosophes arabes ( falasifas), on citera Al-Kindi, Al-Farabi qui a montré l'accord de Platon et
d'Aristote avec la pensée Islamique ; puis plus tard les deux maîtres à penser de générations d'Orientaux et
d'Occidentaux : Abû-Ali Ibn Sîna (Avicenne) pour l'Orient musulman à tendance néoplatonicienne et le cadi
Abû-I-Walid Ibn Rushd (Averroès) pour l'occident musulman à tendance aristotélicienne.
Les falasifas ont confronté la religion à la raison et la révélation à la philosophie. Pour eux la vérité de la raison doit
en définitive retrouver celle de la foi car la vérité est une, quelque soit son origine arabe ou non, révélée ou obtenue
par la raison.
Ils ont expliqué qu'une lecture littérale au premier degré d'un texte révélé ne permet pas de déceler son sens profond
et caché. Seul le raisonnement et la réflexion du philosophe peut éclairer un texte et expliquer ses contradictions. De
ce point de vue la philosophie et l'interprétation sont, aux yeux de la loi musulmane obligatoires.
Dans ce foisonnement de la pensée et sous l'influence de la falasafa, la pensée juive qui est restée jusqu'ici hors de
la philosophie (à l'exception de Philon D'Alexandrie) sort de sa léthargie pour atteindre son summum. La falsafa fut
décisive dans la constitution de la philosophie juive et le Kalam (théologie musulmane) influença des penseurs juifs
notamment ceux dont s'inspira le Karaïsme[4]. Parmi les plus grands philosophes juifs on retient David
Al-Muqammis, Sa'adya Gaon, Abraham ibn Daoud et surtout Abu Imran Musa ibn Maymun dit Maïmonide.
Les rencontres entre les philosophes musulmans et juifs furent fécondes et fructueuses et le plus bel exemple est
donné par les deux précurseurs de la libre pensée, de l'esprit scientifique et du dialogue interreligieux : Avérroès[12]
et Maïmonide[13]. Les deux philosophes ont tenté de concilier la foi et la raison, le texte révélé et la philosophie
grecque. Respectueux et tolérants « chacun [Avérroès et Maïmonide] parlait avec vénération de la religion de l'autre,
qu'ils considéraient comme la forme la plus haute du monothéisme » et « chacun considérait le vieil Abraham
comme le père commun de leurs religions jumelle et Aristote comme le maître fascinant » comme nous l'explique
Jacques Attali. [3] Ils débattirent de politique et de philosophie, firent avancer les sciences et la médecine et
affrontèrent les attaques de leurs coreligionnaires qu'ils nommèrent les marchands de la religion.
Avec amour et intelligence, les deux philosophes ont su surmonter toutes les contradictions et ont pu prouver que
l'islam et le judaïsme sont parfaitement compatibles. Ils ont su contourner l'exclusivisme et la compétition
qu'entretiennent habituellement les religions ce qui a permis une meilleure connaissance de l'autre et une
Copyright © Oulala.net Page 3/6
Juifs et arabes : histoire d'une symbiose
coexistence harmonieuse.
La langue savante et la langue du coeur
Le travail de traduction entrepris par les musulmans était loin d'être passif ; il fut accompagné de la création d'un
vocabulaire technique et d'une terminologie philosophique et théologiques de telle sorte que l'arabe est devenue la
langue savante par excellence et fut pratiquée par les philosophes et autres savants musulmans (arabes ou non) et
juifs. Ainsi, Maïmonide, comme la plupart des ses coreligionnaires, a rédigé la plupart de ses oeuvres en arabe y
compris son ouvrage monumental « le guide des égarés ». L'amour et l'enthousiasme des juifs pour la langue arabe
n'a pas empêché l'émergence du renouveau de l'hébreu « en écrivant en arabe, en pratiquant les méthodes et les
terminologies arabes, les érudits juifs se livrèrent à une investigation minutieuse de l'hébreu biblique, qui fut
rapidement suivie de celle de l'hébreu michnaïque et post-biblique. Pour la première fois, la prononciation de
l'hébreu, la grammaire et le vocabulaire hébraïque eurent droit à un traitement scientifique[...]. Ainsi, sous l'influence
de l'arabe, l'hébreu devint un moyen d'expression structuré et raisonné » écrit Goitein. [2]
La maturité culturelle atteinte dans certains centres juifs de l'Andalousie est frappante, explique Esther Benbessa [6]
et l'effervescence poétique juive en Espagne musulmane fut l'une des caractéristiques de cet âge d'or. Le contact
avec la culture musulmane a donné naissance à une nouvelle poésie juive où le profane côtoya le sacré
contrairement à la période préislamique où la poésie profane hébraïque était inexistante et la littérature juive se
limitait à des textes liturgique. Les modèles arabes furent repris par les poètes juifs et les chants des plaisirs, de
l'amour ou du vin s'ajoutèrent aux poèmes liturgiques. Même si elle fut composée en hébreu « la poésie hébraïque
en Espagne fut un produit de la civilisation musulmane » conclut Goitein. [2]
Une transformation profonde et irréversible
Selon Michel Arbitol, [7] la transformation du judaïsme à la suite de sa rencontre avec l'islam fut profonde et
irréversible ; elle ne se limita pas aux aspects littéraires et intellectuels mais affecta les autres domaines de la vie
économique et sociale. Les juifs pratiquèrent divers métiers et certains, comme Hasdai Ibn Shaprut et Samuel Ibn
Naghdela, occupèrent des postes importants dans le gouvernement du calife.
En plus de sa position d'homme d'état, Ibn Shaprut fut un grand mécène et aida de nombreux hommes de lettres
juifs dont les oeuvres comptent parmi les plus belles créations. Parmi les bénéficiaires, on retrouve Menachem b.
Saruq, auteur du premier dictionnaire hébraïque ainsi que Dunash b. Labrat, le premier à introduire la métrique arabe
dans la poésie hébraïque.
Sur le plan économique la situation des juifs a radicalement changé. En effet, la plupart des juifs méditerranéens qui
étaient agriculteurs avant l'islam se convertirent à l'artisanat et au commerce.
De gros commerçants et banquiers, dont les opérations s'étendirent à tout le bassin méditerranéen et à l'océan
indien, émergèrent ; certains accédèrent à des fonctions politiques et financières très importantes et eurent une
grande influence sur les gouvernants et sur l'administration de la vie communautaire juive.
Les juifs des autres parties de l'Europe
Copyright © Oulala.net Page 4/6
Juifs et arabes : histoire d'une symbiose
Pendant que les juifs Andalous menaient une vie libre, raffinée et savante, leurs coreligionnaires dans les autres
contrées de l'Europe subissaient des mesures antijuives draconiennes. Il n'y eu aucun âge d'or pour eux : ni
philosophes, ni poètes , ni savants. Rarement épargnés mais souvent chassés, pillés, convertis de force et même
massacrés : ils ne connurent aucun répit. Tantôt accusés de tuer des enfants chrétiens tantôt mis responsables de
l'expansion de la lèpre ou de la peste ; ils furent traqués, humiliés et finirent, dès la seconde moitié du XIVème
siècle, isolés dans des quartiers séparés qu'on allait appeler par la suite « ghettos ».
Il faut « restreindre les excès des juifs afin qu'ils ne lèvent plus la tête, sur laquelle pèse le joug de l'esclavage
perpétuel [...] Ils doivent se reconnaître comme les esclaves de ceux que la mort du Christ a libéré alors qu'elle
asservissait les juifs » écrit le pape Innocent III. [10]
Malheureusement, les juifs d'Espagne ne tardèrent pas à subir le même sort que leurs coreligionnaires d'Europe et
l'ère de tolérance et de liberté s'acheva au XIIIe siècle avec le déclin de l'islam en Espagne.
Après la bataille de 1212, les musulmans ne conservèrent que le royaume de Grenade et la majorité des juifs
d'Espagne allait vivre désormais sous des régimes chrétiens. L'élite juive dans l'Espagne chrétienne se détourna des
sciences et de la philosophie, se consacra à l'étude des textes sacrés et versa dans la mysticité. Les juifs
s'éloignèrent progressivement de la religion rationnelle ; les anti-maïmonidiens dénoncèrent les oeuvres du maître
auprès des ecclésiastiques qui n'hésitèrent pas à brûler « le guide des égarés » et « le livre de la connaissance » sur
la place publique.
Néanmoins, à cette époque la vie des juifs était plus ou moins foisonnante comparée à celle des autres juifs
d'Europe et le Sefer ha-Zohar, grand ouvrage du courant ésotérique de la Kabbale, fut écrit à cette époque.
Cependant le zèle religieux croissant combiné à la crise économique des années 1380 raviva l'hostilité des chrétiens
envers les juifs et les violences s'accentuèrent. Désormais, les juifs n'avaient guère le choix qu'entre la conversion ou
le bûcher.
L'Espagne d'inquisition ne s'arrêta pas à une intolérance religieuse et glissa progressivement vers un racisme d'état
qui finit en une déportation et en une épuration ethnique. Ainsi tous les « marranos » (« porc » en espagnol pour
désigner les juifs convertis de force) et tous les morisques (musulmans convertis de force) furent déportés hors du
royaume d'Espagne avec des pertes humaines considérables[14].
La plupart des juifs se réfugia dans les pays musulmans où les portes leur restaient grandes ouvertes : en Afrique du
nord, en Turquie, en Palestine, en Egypte, en Syrie... Ils s'y installèrent, constituèrent les foyers de séfarades et
conservèrent leur langue, la liberté du culte et leur culture d'origine.
Nostalgie et espoir
La période florissante judéo-arabe est « à coup sûr la plus profuse, la plus vaste et la plus créative peut-être des
vingt siècles d'histoire [du judaïsme] » affirme G. Bensussan. [4] L'essoufflement de la pensée juive qui s'ensuivit a
laissé place à des sociétés closes, superstitieuses et renfermées : il n'y eu aucune philosophie juive de la
Renaissance.
Après l'expulsion ibérique, la kabbale Sefer Zohar, qui était limitée à un cercle restreint d'érudits et de savants, se
popularisa et se transforma en un courant messianique : la kabbale de Safed (ou le lourianique).
Copyright © Oulala.net Page 5/6
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !