Histoire - Géographie : Géographie des conflits Entraînement court GEOGRAPHIE DES CONFLITS DANS LA CORNE DE L’AFRIQUE Introduction : La Corne de l’Afrique est une région dont la position est stratégique car elle possède une fenêtre maritime qui donne sur le golfe d’Aden et la mer Rouge, voie de transit majeure du commerce international. La région de la Corne de l’Afrique s’étend sur une surface de 2 millions de Km2 pour une population de 90 millions d’habitants et est divisée en quatre Etats : Ethiopie, Erythrée, Somalie et Djibouti. On peut y rajouter les deux Etats du Soudan (du nord et du sud) tant les conflits qui secouent les deux ensembles géographiques sont souvent étroitement imbriqués. Cette partie de l’Afrique connaît depuis quatre décennies une suite ininterrompue de conflits armés qui ont plongé les Etats de cette région dans une grande instabilité, aggravant la pauvreté et provoquant le chaos. Ces conflits sont d’origine très diverse, mettent aux prises des acteurs variés, étatiques (puissances régionales ou grandes puissances) ou non-étatiques (ONG, sociétés multinationales), infra-étatiques (clans, tribus) ou trans-étatiques (pirates, criminels internationaux ou groupes terroristes). Ils se déploient à des échelles diverses (grande régionale, nationale, voir locale). Comment caractériser les conflits qui ensanglantent la Corne de l’Afrique et le Soudan depuis tant de décennies ? Il faut étudier d’abord les conflits interétatiques qui opposent les pays de la région car les litiges frontaliers sont nombreux et les rivalités pour le contrôle des richesses de certaines régions particulièrement âpres. Les conflits identitaires opposent les groupes à l’intérieur des Etats selon des lignes de fractures ethno-culturelles et religieuses pouvant déboucher sur des séparatismes territoriaux récurrents ou d’interminables guerres civiles. Enfin, la fragilité des constructions étatiques a entrainé l’apparition de « nouvelles menaces » comme le terrorisme islamiste international ou le développement d’une nouvelle piraterie sur les côtes somaliennes. I Des rivalités interétatiques classiques A. Des projets géopolitiques antagonistes La région est traditionnellement marquée par des rivalités entre les Etats, porteurs de projets géopolitiques antagonistes. Les constructions étatiques sont parfois anciennes et bien antérieures à la colonisation. L’Ethiopie est un très vieil empire. D’autres Etats sont au contraire très récents : l’Erythrée a pris son indépendance en 1993 et le Sud-Soudan est né en juillet 2011. La vie politique régionale a été dominée par la rivalité entre l’Ethiopie et la Somalie. L’Ethiopie a toujours eu des tendances expansionnistes. Elle est entrée en conflit avec la Somalie. Cette dernière a développé avant la guerre civile un projet clairement pansomaliste Pierre-Emmanuel BARRAL — AFADEC — Droits de reproduction réservés 1 Histoire - Géographie : Géographie des conflits (volonté de regrouper dans un seul Etat tous les Somalis car des populations vivent en Ethiopie et sur le territoire de Djibouti et même au Kenya. Durant la guerre froide, l’Ethiopie se rangea dans le camp occidental contre la Somalie prosoviétique. Mais après la chute de l’empereur Hailié Sélassié, l’Ethiopie rejoignit le bloc soviétique tandis que symétriquement, la Somalie du général Syad Barré ralliait le camp des Etats-Unis. On voit que les grandes puissances ont instrumentalisé les rivalités régionales tandis que les Etats de la Corne de l’Afrique étaient avides de se trouver de puissants protecteurs internationaux. Avec l’effondrement de la Somalie, l’avantage est désormais clairement à l’Ethiopie qui est appuyé par les Etats-Unis et investi du rôle de « gendarme régional » stabilisateur. Sur le plan régional, on peut opposer un bloc « chrétien » (Ethiopie, Sud-Soudan) à un bloc musulman (Soudan, Somalie). B. Des litiges frontaliers récurrents Ces conflits portent sur le contrôle de territoires en vue d’incorporer des populations, de contrôler des richesses naturelles ou des positions stratégiques. La Somalie et l’Ethiopie se sont affrontés pour le contrôle de la province de l’Ogaden en 1977 (peuplé de Somalis mais appartenant à l’Ethiopie) et pour des gisements gaziers. Conflit entre l’Ethiopie et son ancienne province de L’Erythrée entre 1998 et 2000, l’indépendance de cette région transformant l’Ethiopie e en le privant de sa fenêtre maritime. Les accords d’Alger ayant stoppé les hostilités, des casques bleus furent alors déployés. Depuis, les tensions sont récurrentes. Aucune guerre ouverte n’est actuellement en cours réactivables à l’occasion de crises. mais ces conflits sont aisément Conflits frontaliers entre les différentes entités étatiques issus du démembrement de la Somalie unitaire (Somaliland/Puntland). Conflits entre les deux Soudan à propos de la délimitation de leurs frontières respectives en 2011-2012. Conflits entre Djibouti et la Somalie sur la délimitation de leurs frontières. II Des conflits identitaires lancinants L’espace de la Corne de l’Afrique est parcourue par des lignes de fractures claniques, ethniques, religieuses et culturelles : opposition du monde arabe et du monde noir subsaharien, opposition de l’Islam et la Chrétienté Pierre-Emmanuel BARRAL — AFADEC — Droits de reproduction réservés 2 Histoire - Géographie : Géographie des conflits A. L’impossible unité du Soudan Le Soudan était le plus vaste pays d’Afrique (2 500 000 km2 et 30 millions d’habitants) mais une cassure profonde le divisait depuis son indépendance : ♦ Division géographique entre le nord sahélien et le sud tropical. ♦ Division ethnique entre le nord peuplé d’Arabes « blancs » et le sud peuplé d’Africains noirs. ♦ Division religieuse entre le nord musulman et le sud animiste et chrétien. Au nord, la population de 17 millions d’individus qui vit sur une superficie de 1 900 000 km2 est arabo-musulmane. Au sud, la population de 8 millions d’habitants vit sur un territoire de 700 000 km2 et est formée d’ethnies souvent rivales (Nuba, Nuer, Dinka et Shiluk). Religieusement, les Sudistes sont à 60 % des Chrétiens (40 % de Catholiques et 20 % de protestants de différentes obédiences) et à 40 % animistes. Les Britanniques avaient compris la radicale incompatibilité des deux parties du pays. En 1922, ils isolèrent le sud du Pays (Closed districts) et interdirent les migrations entre les deux Soudans. Ils envisagèrent après la 2ème guerre mondiale de rattacher le sud Soudan à l’Ouganda puisque les populations des deux pays étaient apparentées. Le 1er janvier 1956, le Soudan devint indépendant. Mais le pouvoir en place à Khartoum refusa tout partage du pouvoir avec les sudistes. Le slogan des autorités était : « Une seule langue : l’arabe, une seule religion : l’Islam ». Un premier conflit éclata mais un accord fut signé à Addis Abbeba en 1972. Le général Nimeiry arriva au pouvoir en 1969 et installa une junte militaire. Du pétrole fut découvert en 1981 dans le sud. Le pouvoir de Khartoum rattacha les régions pétrolifères au nord et supprima l’autonomie du sud et tenta d’imposer la charia partout dans le pays. Le colonel John Garang (un Dinka) créa une Sudan Peoples’s Liberation Army (SPLA) et déclencha une rébellion contre le pouvoir central en 1983. Il signa un accord avec le gouvernement de Khartoum qui prévoyait un référendum d’autodétermination en 2011. John Garang se tua lors d’un accident d’hélicoptère à l’été 2005. Salva Kiir (Dinka) lui succéda. Le référendum qui s’est déroulé du 9 au 15 janvier 2011 donna 99% de oui à l’indépendance du sud. Le nom de l’Etat a fait l’objet de longues discussions : Sud-Soudan Equatoria, République du Haut-Nil. Koush, Djouwana. L’indépendance est intervenue le 9 juillet 2011. Le nom officiel est « République du Sud-Soudan ». Le drapeau du nouvel Etat est bleu (couleur du Nil), noir (identité du peuple), rouge (sang versé dans la lutte pour l’indépendance), vert (agriculture), blanche (paix). L’étoile jaune est celle du berger. Le siège de la capitale a été fixé à Juba. Le président est Salva Kiir et il est assisté d’un vice-président. Au niveau des équilibres régionaux l’indépendance du Sud-Soudan renforcerait le bloc « chrétien » (Ethiopie Ouganda Kenya) face au bloc « musulman » (Egypte-SoudanSomalie). Pierre-Emmanuel BARRAL — AFADEC — Droits de reproduction réservés 3 Histoire - Géographie : Géographie des conflits B. Avenir du sud Soudan : des problèmes en suspens Les frontières entre les deux états ne sont pas établies de manière définitive. La frontière va couper des ethnies en deux. Les habitants des Monts Nuba Ils souhaitaient être rattachés au sud mais demeureront au nord. Les Nubas sont très mécontents car leurs terres ont été confisquées en partie au-profit de marchands venus du nord. Ils avaient oublié de faire enregistrer leurs terres. (Toute terre non- enregistrée appartient de facto au gouvernement au terme de l’Unregistred Land Act de 1970). Beaucoup de Nubas avaient rejoint le SPLA. La sécheresse a poussé de plus vers les terres des Nubas des pasteurs arabes Beggara. Le confit pour le saillant d’Abyei. Cette région est l’objet de vives contestations entre les agriculteurs Dinkas et les éleveurs arabo-musulmans Misseriya, les premiers souhaitant le rattachement de la région au Soudan du sud, les seconds au Soudan du nord. Les Dinkas avaient l’habitude de prêter leurs terres à titre de pâturages durant la saison sèche. Un arbitrage rendu sous les auspices de la cour internationale de justice de la Haye en 2009 proposait un partage en deux du territoire. Les autorités de Khartoum ont agi de deux manières afin de changer la donne en faveur du Soudan du nord. Durant la guerre, elles ont employé des milices Mutahilleen pour nettoyer les populations Dinkas comme au Darfour. Elles ont fait venir des populations du nord profitant du fait que les Misseriya se sont progressivement sédentarisés à cause de la sécheresse. On, est donc passé d’une traditionnelle complémentarité (qui pouvait déboucher épisodiquement sur des oppositions latentes) entre nomades et sédentaires à un conflit ouvert entre populations sédentarisées. Ce conflit est particulièrement intéressant car il se déploie à plusieurs échelles, implique des acteurs différents et fait jouer un grand nombre de rivalités. ♦ Opposition ethno-culturelle et religieuse. ♦ Opposition entre deux Etats pour le contrôle d’un territoire ♦ Opposition de deux groupes aux modes vie complémentaires qui après une modification climatique en viennent à s’affronter. La question du pétrole avec le partage des revenus de cette manne entre le nord et le sud. Le seul pipe-line existant pour évacuer le pétrole est long de 1500 km le nord. Il faut donc envisager un partage des ressources. Pierre-Emmanuel BARRAL — AFADEC — Droits de reproduction réservés 4 Histoire - Géographie : Géographie des conflits Le risque de division entre les différentes factions sudistes peut à l’avenir déboucher sur de nouveaux conflits à l’intérieur du Sud-Soudan. Des combats ont opposé Dinkas et Nuer en septembre 2009. Les Nuer sont installés sur un territoire qui coupe le bloc des Dinkas en deux. C. Deux autres conflits ont ensanglanté l’espace soudanais La question du Darfour C’est un territoire de 500 000 km2 peuplé de 5 millions d’habitants. La guerre du Darfour a éclaté en 2003. La région est divisée en deux milieux naturels habités par deux populations différentes : Les agriculteurs noirs habitent les hautes terres dans les monts Mara et les nomades arabisés de la steppe sahélienne parmi lesquels les Janjawid qui constituent le fer de lance de l’épuration ethnique au Darfour. L’antagonisme religieux est ici absent car tous sont musulmans mais l’opposition ethno-culturelle est bien présente car arabes et noirs s’affrontent. Le président Omar el -Béchir est inculpé de crimes contre l’humanité par la CPI. Les Béja sont des musulmans divisés en quatre grandes tribus qui vivent au nord-est du soudan. Ils se sont opposés comme les sudistes au gouvernement central de Khartoum et ont constitué une organisation politico-militaire appelé le « front de l’est » (qui regroupe le « congrès Beja » et « les lions libres »). ils protestaient contre l’exploitation de leur région et des spoliations de terres. Un accord de paix a été signé en 2006 mais la paix reste fragile… L’Ethiopie entre expansion et rétraction L’Ethiopie est une structure de type impérial, constituée autour de l’ethnie chrétienne amhara. Ce pays montagneux s’est toujours perçu comme une forteresse chrétienne assiégée par l’Islam. Lorsque le pouvoir central est fort, l’Ethiopie déborde vers les périphéries, lorsqu’il est faible, il se rétracte sur le berceau naturel de l’empire. Si le cœur de l’empire se situe dans le pays amhara, c’est le sud où vivent les Oromos, qui est le grenier agricole du pays. Après la chute du régime communiste, L’Erythrée a fait sécession et l’Ethiopie a pu craindre d’être démantelée sous la poussée des régionalismes périphériques. Pour préserver son unité, l’Ethiopie a alors fait le choix de l’ethno-fédéralisme. La constitution de 1994 est fédérale. Elle reconnaît dans son préambule « les Nations, les Nationalités et les Peuples d’Ethiopie ».L’Ethiopie est désormais divisée en 7 régions et le droit à la sécession est reconnu pour chaque entité régionale. D. La Somalie : de la stabilité au chaos. Le peuple somali est très homogène du point de vue ethnique et religieux (les Somalis sont tous de religion musulmane). Mais la structure de la société est organisée autour d’un système de clans et de sous- clans. Pierre-Emmanuel BARRAL — AFADEC — Droits de reproduction réservés 5 Histoire - Géographie : Géographie des conflits En 1991, à la mort du président Syad Barré, le pays va sombrer dans une guerre civile généralisée à cause des rivalités claniques et être livré aux chefs de guerre. En 1992, c’est l’échec de l’opération américaine Restore Hope. L’ONU met en alors en place l’opération des Nations Unis en Somalie (ONISOM). En 1995, les Casques bleus quittent alors à leur tour le pays. L’Etat central va imploser et le pays se désagréger en plusieurs entités non reconnues par la communauté internationale : ♦ Le Somaliland proclama son indépendance dès 1991. ♦ Le Puntland (ou Pount) se déclara autonome en 1998. ♦ La Somalie du sud-ouest fut le troisième état à faire sécession de l’ensemble somalien 2002. ♦ Le Galmuldug se proclama autonome en 2006. ♦ Le Maakhir s’est détaché du Puntland en 2007 mais a été réincorporé dans cet ensemble en 2009. La guerre civile est très confuse : elle oppose les seigneurs de la guerre entre eux, les islamistes et les diverses entités étatiques somaliennes Des combats opposèrent à Mogadiscio l’Union des tribunaux islamiques aux forces du gouvernement de transition. III Des menaces transnationales préoccupantes A. Le terrorisme islamiste La guerre civile en Somalie a favorisé l’éclosion de nombreux groupes islamistes. En 2006, des chefs de guerre forment une « Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme » avec le soutien de Washington. L’Ethiopie envahit la Somalie en mars 2006 pour contrer les Islamistes. Elle joue un rôle dans le dispositif régional américain qui souhaitait faire de l’Ethiopie un facteur de stabilité dans la région. L’union des tribunaux islamistes a déclaré la « guerre sainte » à l’Ethiopie. Mais ses troupes ont quitté Mogadiscio pour le sud du pays. Il existe des groupes islamistes radicaux comme al -Chebab ou le Hizbul Islam qui ont prêté allégeance à Al-Qaïda. Ils pratiquent depuis 2008 les attentats-suicides. La guerre civile se poursuit. Une famine s’est déclarée à l’été 2011. Les islamistes pratiquent des attentatssuicides contre les occidentaux, les soldats éthiopiens ou des Somaliens de groupes opposés. La guerre en Somalie est susceptible d’enflammer une bonne partie de la région et à des répercussions internationales (arrestations de Somaliens dans le Minnesota en 2008 accusés de soutenir le terrorisme international). Pierre-Emmanuel BARRAL — AFADEC — Droits de reproduction réservés 6 Histoire - Géographie : Géographie des conflits B. Le retour des pirates Les causes Les côtes de la Somalie sont devenues une des zones majeure au niveau mondial. La piraterie est, selon l’expression de Fernand Braudel « une forme inférieure de l’économie ». Son apparition s’explique par la déliquescence de l’Etat somalien et la faiblesse des autorités locales, la désorganisation de l’agriculture, le nombre croissant de réfugiés et la sécheresse, le saccage écologique avec dégazage de navires et rejet de déchets chimiques, l’épuisement des richesses halieutiques du fait de la surpêche pratiquée par les thoniers européens et japonais. C’est une activité de substitution qui touche particulièrement la région du Puntland mais les pirates déplacent également leur activité vers le sud. Les cibles et les modes opératoires Les cibles des pirates concernent tous les types de bateaux : cargos, supertankers (Sirius star) ou simples navires de plaisance (affaire du Ponant et du Tanit). Il s’agit de s’emparer des cargaisons, des personnes qui deviennent des otages et des navires dont certains transformés à leur tour en « bateau-mères. » D’activité « artisanale », la piraterie tend de plus en plus à devenir « industrielle ». La structure est pyramidale : un donneur d’ordre ou investisseur, des pirates qui montent à l’assaut tandis que s’autres ramènent les navires, des gardiens d’otages à terre etc. L’argent est partagé au prorata des risques et de l’investissement de départ consenti. L’argent est réinvesti dans d’autres opérations criminelles ou est blanchi grâce au système de la Halawa (et avec la complicité d’éléments appartenant à la diaspora somalienne en Europe ou en Amérique du nord. La piraterie est étroitement liée à d’autres activités criminelles (trafics d’armes ou de drogue comme le khat très prisé en Somalie). Les attaques se font à partir de petits bateaux appelés skiffs qui sont largués par des bateaux-mères. Les pirates s’enhardissent de plus en plus, utilisant des techniques, des armements de plus en plus lourds et élargissant le champ d’action de leurs raids qui touchent désormais les côtes du Yémen, du Kenya et l’archipel des Seychelles et même de l’Inde. Ils ont tendance à déplacer leurs activités pour éviter les routes maritimes les plus fréquentées, désormais sous surveillance internationale. Les conséquences sur la société somalienne L’activité a complètement bouleversé la structure de la société somalienne avec des migrations de populations vers les régions côtières, entrainant des déséquilibres spatiaux et socio-économiques. Bénéficiaire de cette manne, les villageois qui s’adonnaient à la piraterie ou en bénéficiant de manière indirecte en ont été paradoxalement les victimes. L’afflux d’argent facile a provoqué dans certains cas des affrontements pour le partage des profits. L’autorité des chefs de villages et des clans a été battue en brèche par le prestige des pirates rapidement et nouvellement enrichis. Quant aux islamistes somaliens, s’ils ont condamnés les pirates au nom de la loi islamique, ils semblent qu’ils se soient associés ponctuellement à eux pour certaines opérations lucratives. Pierre-Emmanuel BARRAL — AFADEC — Droits de reproduction réservés 7 Histoire - Géographie : Géographie des conflits Les réponses des acteurs étatiques et privés Cette piraterie a forcé les acteurs privés mais aussi les Etats à prendre des mesures draconiennes. La piraterie a un coût important pour les armateurs : explosion du coût des assurances maritimes, nécessité de protéger les navires et les équipages avec construction de « citadelles » où l’équipage peut se retrancher, armement défensif avec des canons à son, à eau, filets de protection. Les Etats occidentaux ont été lents à réagir : les réponses ont été sécuritaires et judiciaires. ♦ Les réponses sécuritaires : une surveillance accrue des routes avec une opération Atalante organisée à l’initiative de l’Union européenne. Djibouti sert de Hub pour les opérations anti-pirates. La question de faire escorter les navires par des gardes armés fait débat en France. Si les Israéliens, les Russes, les Britanniques et les Espagnols y ont fréquemment recours, les armateurs français s’y opposent en revanche fermement pour des raisons « éthiques » ( les Sociétés militaires privées ou SMP qui emploient les gardes sont interdits en France) et « sécuritaires » ( la présence de gardes armés pousseraient les pirates à élever le niveau de violence et mettraient en danger la vie de l’équipage). ♦ Les réponses judiciaires : La répression de la piraterie fait partie de la « compétence universelle des Etats ». Les Etats de la région pratiquent parfois une justice expéditive. Quant aux Etats occidentaux, ils répugnent à juger les pirates capturés surtout si les attaques concernent des navires étrangers. Conclusion : La Corne de l’Afrique s’enfonce depuis des décennies dans une spirale de conflits que rien ne semble devoir briser. Après les conflits inter- étatiques des années 1970-1980, la région a connu des guerres séparatistes qui ont donné naissance à de nouveaux Etats (Erythrée, sud Soudan). Mais le processus de désintégration n’est pourtant pas arrivé à son terme comme en témoigne l’implosion sans fin de la Somalie ou la fragilité du Sud-Soudan. Les Etats occidentaux, échaudés par la désastreuse aventure des Etats-Unis en 1992 en Somalie hésitent à intervenir directement, préférant sous-traiter les problèmes à des puissances régionales stables comme l’Ethiopie ou à l’Union Africaine. Tant que des Etats forts n’auront pas été restaurés, les Occidentaux seront contraints de gérer les conséquences de l’instabilité (piraterie, terrorisme) au lieu de résoudre le problème à la source. Pierre-Emmanuel BARRAL — AFADEC — Droits de reproduction réservés 8