Conséquences endocriniennes et métaboliques du stress dossier thématique Les glucocorticoïdes inhibent le développement des cellules β pancréatiques. Une étape importante dans la pathogenèse du diabète de type 2 ? Glucocorticoids inhibit pancreatic β-cell development. A crucial step in the pathogenesis of type 2 diabetes? »»La fonction et la masse des cellules β pancréatiques jouent un Pancreatic beta-cell function and mass play a crucial role in the progression of type 2 diabetes. rôle crucial dans la progression du diabète de type 2. »»Un environnement intra-utérin anormal programme les altérations de la masse et de la fonction sécrétrice des cellules β adultes. »»Les hormones glucocorticoïdes sont de puissants inhibiteurs de la fonction, mais aussi du développement des cellules β pancréatiques. Mots-clés : Diabète de type 2 − Cellules β − Glucocorticoïdes − Programmation fœtale. L * Centre de recherche des Cordeliers, Inserm U872, équipe 8, université Paris-VI, Paris. 32 Highlights P o i nt s f o rt s Bérangère Valtat* , Bertrand Blondeau* e diabète de type 2 (DT2) est et sera une pathologie chronique majeure du xxie siècle. Durant les dernières décennies, la prévalence globale du DT2 dans la population mondiale a augmenté selon des proportions épidémiques. Actuellement, le DT2 touche plus de 280 millions de personnes dans le monde, et ce chiffre pourrait atteindre 438 millions en 2030. Cette maladie métabolique se caractérise par une hyperglycémie chronique, due à une altération de la sécrétion d’insuline par les cellules β du pancréas et à une résistance à l’insuline des tissus périphériques (le foie, le muscle et le tissu adipeux). Plusieurs facteurs contribuent à l’apparition du DT2 : une prédisposition génétique et l’influence de facteurs environnementaux (surcharge pondérale, sédentarité). Il est maintenant clairement admis que la transition de l’état prédiabétique au diabète franc repose sur un épuisement des cellules β du pancréas, qui sont incapables de faire face à la pression de la résistance à l’insuline (figure 1, d’après [1]). L’insuline, sécrétée par les cellules β, est la seule hormone hypoglycémiante de l’organisme. La normoglycémie est maintenue par un Abnormal intra-uterine environment programs the alterations of adult beta-cell mass and secretory function. Glucocorticoid hormones are potent inhibitors of both betacell function and development. Keywords: Type 2 diabetes − β cells − Glucocorticoids − Fetal programming. équilibre entre l’action et la sécrétion de l’insuline. On a longtemps pensé que seule la sécrétion d’insuline et ses anomalies participaient à la mise en place du DT2, mais de récentes données suggèrent que le nombre de cellules β présentes dans le pancréas (masse de cellules β) joue aussi un rôle important dans la progression de la maladie. Dysfonction de la cellule β : rôle central dans la progression du diabète de type 2 La cellule β pancréatique module sa fonction sécrétrice en réponse à des changements de l’action de l’insuline sur ses tissus cibles (principalement foie, muscle, tissu adipeux). Pour évaluer la fonction de la cellule β, une technique couramment utilisée est le “disposition index” (figure 2, d’après [2]). C’est une relation curviligne qui illustre la variation de la sécrétion d’insuline par la cellule β en fonction du degré de sensibilité à l’insuline des tissus périphériques. Pour une sensibilité à l’insuline équivalente, un individu normoglycémique deviendra intolérant au glucose, voire diabétique de type 2, si sa sécrétion d’insu- Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - nos 1-2 - janvier-février 2012 Les glucocorticoïdes inhibent le développement des cellules β pancréatiques. Une étape importante dans la pathogenèse du diabète de type 2 ? line n’est pas suffisante (3). Dans les phases précoces du DT2, la résistance à l’insuline est donc compensée par une augmentation de la sécrétion d’insuline. Des études fonctionnelles montrent cependant que les individus qui sécrètent peu d’insuline en réponse à une charge orale en glucose ont un risque accru de développer ultérieurement un DT2. À l’inverse, la résistance à l’insuline évolue peu durant la progression de l’intolérance glucidique au diabète manifeste, alors que la fonction de la cellule β subit d’importants changements (4). Le défaut de la fonction de la cellule β serait donc à l’origine de la transition de l’intolérance au glucose au développement d’un DT2. Ces résultats, reproduits dans l’étude UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study), qui a suivi plus de 5 000 personnes sur 20 ans, ont permis de proposer le concept selon lequel la dysfonction de la cellule β ne se produirait pas seulement lors de la transition de la normotolérance à l’intolérance au glucose, mais serait en fait l’événement pathogénique clé induisant cette progression (figure 1) [5]. Défauts acquis Tolérance au glucose normale Prédiabète Diabète de type 2 Résistance à l’insuline Épuisement des cellules β Dysfonction des cellules β Masse des cellules β diminuée de 40 % Masse des cellules β diminuée de 40 à 80 % Production hépatique de glucose augmentée Figure 1. Modèle actuel de mise en place du DT2, incluant la résistance à l’insuline, le dysfonctionnement des cellules β et la réduction de masse des cellules β (d’après [1]). Diminution de la masse de cellules β : un rôle dans la pathogenèse du diabète de type 2 ? La programmation fœtale de certaines pathologies adultes Au début des années 1990, C.N. Hales et D.J. Barker ont suggéré que des altérations de l’environnement fœtal Résistance à l’insuline avec compensation de la cellule β Résistance à l’insuline sans compensation de la cellule β Fonction de la cellule β Alors que le rôle de la dysfonction de la cellule β est clairement démontré dans le développement du DT2, l’importance de la diminution de la masse de cellules β reste controversée. De récentes études ont démontré que la masse de cellules β est diminuée chez les diabétiques de type 2. En particulier, l’équipe de P. Butler a montré, à partir d’autopsies pancréatiques, que les sujets avec une intolérance au glucose et un DT2 présentaient une réduction de la fraction de cellules β par rapport aux sujets normotolérants au glucose (6). Il semble donc que la régulation de l’homéostasie glucidique chez l’adulte dépende à la fois d’un nombre adéquat de cellules β, de leur plasticité au cours de la vie et de leur fonction sécrétrice en réponse au glucose. Le développement des cellules β est une étape cruciale pour la mise en place de ces paramètres. Des modifications de l’environnement intra-utérin affectant ce développement peuvent avoir des conséquences délétères sur l’homéostasie glucidique à l’âge adulte. Il est donc important de comprendre les mécanismes impliqués dans le développement des cellules β et comment des altérations au cours du développement entraînent un DT2 à l’âge adulte (7). Normotolérant DT2 Intolérant au glucose Sensibilité à l’insuline Figure 2. Représentation schématique du disposition index, c’est-à-dire de la relation entre la fonction de la cellule β et la sensibilité à l’insuline (2). Pour une personne normotolérante, il existe une relation hyperbolique entre la fonction de la cellule β et la sensibilité à l’insuline. Des déviations de cette hyperbole correspondent au développement d’une intolérance au glucose, puis d’un diabète de type 2 (DT2). pouvaient être à l’origine de certains désordres cardiovasculaires et métaboliques chez l’adulte (8). La notion de programmation fœtale des maladies adultes a été renforcée par de nombreuses études épidémiologiques, associant la sous-nutrition durant la gestation, le retard de croissance intra-utérin (RCIU) caractérisé par un petit poids à la naissance, et le risque accru de développer une maladie métabolique telle que le DT2 à l’âge adulte. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - nos 1-2 - janvier-février 2012 33 Conséquences endocriniennes et métaboliques du stress dossier thématique Chez l’homme, l’étude des mécanismes impliqués dans le RCIU et des altérations primitives du développement embryonnaire, et plus spécifiquement du pancréas endocrine, se révèle difficile. De nombreux modèles animaux ont donc été étudiés pour comprendre les relations physiologiques et moléculaires entre le RCIU provenant de l’environnement maternel et le DT2. En particulier, le modèle de restriction de l’apport calorique par sous-nutrition maternelle développé au laboratoire a permis de mettre en avant les facteurs et les mécanismes impliqués dans l’association entre l’environnement intra-utérin et le DT2, et notamment l’effet délétère de la surexposition fœtale aux glucocorticoïdes (GC) sur le développement des cellules β. Rôle physiologique des glucocorticoïdes au cours de la vie fœtale Les GC sont des hormones pléiotropes impliquées entre autres dans la régulation du comportement, du système immunitaire et de l’homéostasie glucidique. Ils jouent également un rôle primordial dans le développement normal du fœtus et la maturation des organes fœtaux. Chez l’homme comme chez de nombreuses espèces animales, l’augmentation des concentrations de cortisol en fin de gestation coïncide avec la maturation des organes fœtaux (poumons, thymus, tractus digestif, etc.) [9]. Au cours de la grossesse, les GC exercent un effet bénéfique sur la maturation des organes fœtaux, mais ils peuvent aussi avoir des effets délétères sur la croissance intra-utérine et le développement des cellules β quand ils sont présents à des concentrations excessives. Rôle des glucocorticoïdes dans le modèle de restriction de l’apport calorique Pour étudier les relations entre une modification de l’environnement fœtal et l’apparition du DT2, le laboratoire a développé un modèle de sous-nutrition maternelle chez le rat correspondant à une restriction calorique globale (50 % de la ration alimentaire quotidienne) pendant la dernière semaine de gestation. Les nouveaunés issus des rates malnourries présentent un RCIU caractérisé par un petit poids de naissance (10). Les travaux de l’équipe ont montré qu’au cours de la période fœtale de sous-nutrition maternelle, la corticostéronémie maternelle et fœtale était anormalement élevée en fin de gestation et que la masse de cellules β chez les fœtus malnourris était diminuée (11). Des approches à la fois chirurgicales et pharmacologiques nous ont permis de définir les GC comme des régulateurs néga- 34 tifs du développement des cellules β en situation de sous-nutrition ou de nutrition normale. Conséquences métaboliques de la surexposition in utero aux glucocorticoïdes Chez de nombreuses espèces animales, le traitement in utero aux GC conduit à un RCIU (12). D’autres études ont pu mettre en évidence le lien entre la surexposition in utero aux GC et l’apparition de troubles métaboliques à l’âge adulte. Des rats surexposés artificiellement aux GC durant leur vie fœtale ont un poids de naissance fortement réduit et des contenus pancréatiques en insuline diminués. À l’âge adulte, les fœtus ainsi exposés présentent une hypertension, une hyperglycémie, une hyperinsulinémie et une résistance à l’insuline (13). Modèle d’inactivation du récepteur aux glucocorticoïdes dans les cellules β Le modèle de sous-nutrition fœtale décrit précédemment a permis de montrer que les GC jouaient un rôle majeur dans le contrôle du développement des cellules β. Pour définir de façon précise le mécanisme d’action des GC sur leur développement, nous avons étudié les conséquences de l’absence de signalisation GC sur ce paramètre en invalidant spécifiquement le récepteur aux GC (GR) dans les cellules pancréatiques précurseurs (souris GRPrec). Les souris GRPrec présentent 2 fois plus de cellules β que les animaux contrôles, ainsi qu'un nombre d’îlots augmenté (14). Cela suggère que, lorsque la voie inhibitrice des GC est rendue inactive, les précurseurs du pancréas se différencient préférentiellement en cellules β. Néanmoins, l’étude de fœtus de souris invalidées pour le GR dans tout l’organisme (GRnull/null) a permis de montrer que les premières étapes de la mise en place du pancréas et des précurseurs, qui vont devenir des cellules β, ne dépendaient pas de la voie de signalisation des GC (15). Seules les étapes plus tardives du développement pancréatique, comme le choix des précurseurs de se différencier ou non en cellules β, sont finement régulées par les GC. Le récepteur aux glucocorticoïdes est nécessaire aux effets délétères de la sous-nutrition maternelle sur les cellules β Pour mettre en évidence l’effet direct de la voie de signalisation des GC sur le développement des cellules Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - nos 1-2 - janvier-février 2012 Les glucocorticoïdes inhibent le développement des cellules β pancréatiques. Une étape importante dans la pathogenèse du diabète de type 2 ? β en condition de surexposition fœtale aux GC, nous avons donc transposé notre modèle de sous-nutrition maternelle des rates gestantes aux souris, afin de pouvoir étudier les modifications de l’environnement fœtal sur nos souris mutantes invalidées pour le GR. Cette étude a permis de distinguer les effets de la voie de signalisation des GC passant par l’activation du GR des effets résultant de facteurs modifiés par l’état nutritionnel de la mère durant la gestation. Nous avons retrouvé chez la souris les conséquences délétères de la sous-nutrition maternelle : la restriction calorique chez la femelle gestante induit une hypoglycémie et une hypercorticostéronémie maternelles et fœtales. Ces modifications engendrent dans la descendance un RCIU, une diminution permanente et irréversible de la masse de cellules β et une intolérance au glucose avec une altération de la sécrétion d’insuline en réponse au glucose chez l’adulte. Lors de la surexposition fœtale aux GC, l’absence de GR dans les précurseurs pancréatiques chez les souris GRPrec empêche la régulation négative des GC sur le développement des cellules β (16), ce qui atteste clairement que les effets délétères de la sousnutrition maternelle sur le développement des cellules β au cours de la gestation sont dépendants de la présence du GR dans les cellules précurseurs pancréatiques. En conclusion, l’ensemble des données présentées ici montre que des altérations de l’environnement intrautérin dans lequel se développe le fœtus augmentent la susceptibilité à développer un DT2, induit par une altération des cellules β. Nous avons explicitement mis en évidence le fait que la surexposition fœtale aux GC altérait le développement des cellules β pancréatiques, conduisant à un nombre réduit de cellules β qui présentent également un défaut de sécrétion d’insuline (figure 3). Ces résultats, transposés chez l’homme, suggèrent que le stress prénatal, potentielle source de surexposition des fœtus aux GC, peut être un élément étiologique majeur dans les altérations de la masse et de la fonction des cellules β. ■ Modifications de l’environnement intra-utérin Tissus insulinosensibles Cellules β Diabète de type 2 Insulinorésistance + défaut de masse et de fonction β Figure 3. La surexposition fœtale aux glucocorticoïdes (GC) affecte le développement des cellules β, avec des répercussions à la fois sur leur fonction et sur leur nombre, augmentant ainsi le risque de développer à l’âge adulte un DT2. Les conséquences des modifications intra-utérines sur les tissus sensibles à l’insuline (foie, muscle, tissu adipeux) participent également à cette maladie, mais elles ne sont pas décrites ici. Références 1. Leahy JL. Pathogenesis of type 2 diabetes mellitus. Arch Med Res 2005;36(3):197-209. 2. Stumvoll M, Goldstein BJ, van Haeften TW. 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