Conceptions psychologiques et résultats pratiques 165
La surprise de ce texte tient évidemment à la juxtaposition des
psychologues biologistes et des « chercheurs psychiques », et même à leur
convergence dans un même type de programme épistémologique, puisque les
deux catégories de psychologues tendraient selon James à susciter un même
type de science psychologique, une « science purement pratique » fondée sur
l’étude des faits mentaux, opposée à une science purement rationnelle
proposant des théories a priori de l’âme. Il est significatif à cet égard que
James substitue la psychologie « pratique » à la psychologie empirique, dans
sa traditionnelle opposition depuis Locke à la psychologie rationnelle. Les
deux, psychologie empirique et psychologie pratique, s’en tiennent aux faits
mentaux et à leurs relations, et s’abstiennent de toute hypothèse sur les causes
ou conditions absolues telles que l’âme ou l’ego transcendantal. Mais ce
qu’ajoute l’idée de psychologie pratique à celle de psychologie simplement
empirique, c’est que la connaissance de ces faits et de leurs lois nous donne
une certaine capacité à contrôler ces faits, c’est-à-dire à susciter leur apparition,
à provoquer leur disparition ou à leur faire subir certaines modifications. En
l’occurrence, la psychologie scientifique aurait pour but de nous permettre de
contrôler les états mentaux, qui sont les faits psychologiques de bases pour
James. Se fait donc ici jour une conception pragmatiste de la psychologie, qui
fait des conséquences pratiques entendues en terme de prévision et de contrôle
des faits un critère de la scientificité de la discipline. Dans une visée positiviste
déclarée, James situe ainsi la psychologie à un carrefour historique : soit elle
persévère à poser des questions de « philosophie fondamentale » sur la nature
intime de l’âme ou de l’ego transcendantal, mais elle ne deviendra jamais une
science ; soit elle cherche à devenir une science comme les autres, mais cela
signifie qu’elle doit se détourner de ces questions philosophiques
fondamentales, pour se tourner vers les faits en se constituant comme « une
branche de la biologie » (James, 2008, p. 26). L’engagement dans la
constitution de la psychologie comme science naturelle est non seulement une
exigence épistémologique, mais il répond à un besoin social comme James le
précise :
« Toutes les sciences naturelles ont pour but la prédiction et le
contrôle pratiques, et, dans aucune d’entre elles, ce n’est
davantage le cas qu’en psychologie aujourd’hui. Nous vivons
environnés d’une énorme masse de personnes on ne peut plus
intéressés par le contrôle des états d’esprit et qui ont une soif
inextinguible d’une sorte de science psychologique qui leur
enseignerait comment agir. Ce que tout éducateur, tout gardien
de prison, tout docteur, tout homme d’Église, tout directeur
d’asile attend de la psychologie, ce sont des règles pratiques.
De tels hommes s’intéressent peu ou pas aux fondements
philosophiques ultimes des phénomènes mentaux, mais
s’intéressent énormément à l’amélioration des idées, des
dispositions et de la conduite des individus particuliers qui
sont à leur charge » (James, 2008, pp. 24-25).
On aurait tort, néanmoins, de projeter sur ce texte la distinction aujourd’hui
devenue familière entre science fondamentale et science appliquée, et de croire
que James désire voir l’ensemble de la psychologie devenir une étude de
l’esprit appliquée aux problèmes de l’éducation, de la surveillance, de la
direction spirituelle ou de la maladie mentale. L’opposition rationnelle/pratique