LES RELATIONS INTERNATIONALES SELON DURKHEIM... 497
selon lui, d’élaborer une intégration plus poussée de ces éléments constitutifs8.
Les États seraient en effet à la fois similaires et juxtaposés les uns aux autres
dans une perspective de segmentation. Cette solidarité mécanique favorise une
anarchie structurelle et permanente qu’aucune évolution historique ne vient
contrecarrer. Depuis, cette lecture a fait l’objet de vives critiques. La référence
durkheimienne chez Waltz serait enfermée dans une théorie réductionniste
des relations internationales occultant tout changement. Waltz oublie la den-
sité dynamique tant sur le plan moral que matériel (accroissement des interdé-
pendances) qui transforme peu à peu les sociétés segmentées en sociétés orga-
nisées9. Ainsi, John Barkdull10 perçoit une dynamique morale au sein du sys-
tème international. Ce dernier présente des formes anormales (anomies) qui
favorisent l’anarchie11, mais l’évolution vers une reconnaissance croissante des
valeurs morales communes permettra de mettre fin à ce chaos. Jeremy Larkins
se concentre, quant à lui, sur les concepts de représentations collectives et de
conscience collective afin d’établir un lien entre Durkheim et l’École anglaise
des relations internationales tout en soulignant l’apport substantiel du sociolo-
gue à l’analyse culturaliste contemporaine12. L’École de Copenhague conçoit la
mondialisation comme une extension des ramifications sociales propice à
l’établissement d’une solidarité organique13. Enfin, Alexander Wendt puise
chez Durkheim un élargissement du concept de structuration jusqu’alors can-
tonné dans l’approche matérielle des capacités militaires et des ressources. Il
envisage la structure du système international dans une dimension idéelle : un
ensemble de valeurs plus ou moins partagées par les gouvernants14.
8. Kenneth WALTZ, 1979, Theory of International Politics, New York, Random House, pp.104 et
212.
9. John Gerard RUGGIE, « Continuity and Transformation in the World Polity. Toward a Neorealist
Synthesis », dans Robert O. KEOHANE (dir.), Neorealism and its Critics, New York, Columbia
University Press, 1986, pp. 142-150. Waltz répond à ces critiques en soulignant que la densité
dynamique est un attribut des sociétés nationales et ne peut, ainsi, affecter la nature des rela-
tions entre États. Celles-ci resteront affectées par la segmentation entre États. Voir K. WALTZ, op.
cit., pp. 323-330. Qui plus est, il souligne que dans sa Division du travail social, Durkheim ne
croit guère au développement des échanges commerciaux comme assise d’une société interna-
tionale. Cette interprétation demeure puisque six ans plus tard, Waltz ne change rien à sa po-
sition. Voir Kenneth WALTZ, « Realist Thought and Neorealist Theory », dans Robert L.
ROTHSTEIN, (dir.), The Evolution of Theory in International Relations, Columbia, University of South
Carolina Press, 1992, pp. 30 et ss.
10. John BARKDULL, « Waltz, Durkheim, and International Relations. The International System as an
Abnormal Form », American Political Science Review, vol. 89, no 3, septembre 1995, pp. 669-
680.
11. Une interprétation similaire est exposée chez Bertrand BADIE, La diplomatie des droits de l’homme,
Paris, Fayard, 2002, p. 317.
12. Jérémy LARKINS, « Representations, Symbols, and Social Facts. Durkheim in IR Theory »,
Millenium, no 23, 1994, pp. 239-264.
13. Ole WAEVER, « Securization and Desecurization », dans Ronnie LIPSCHUTZ (dir.), On Security,
New York, Columbia University Press, 1995, pp. 40-58.
14. Alexander WENDT, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Press,
1999, pp. 249-251. Cette perspective prolonge des travaux comme ceux de Emanuel ADLER,
« Cognitive Evolution. A Dynamic Approach for the Study of International Relations and
Theory Progress », dans Emanuel ADLER, Beverly Crawford, Progress in Postwar International Re-
lations, New York, Columbia University Press, 1991.