L’ETAT VU PAR LES ECONOMISTES Lino GALIANA Rapport de stage au sein de la Direction Générale du Trésor écrit en partenariat avec Martine Perbet, rédacteur en chef des Cahiers de l’Evaluation. Tous nos remerciements à Nicolas Treich de TSE pour la relecture de ce rapport. (Version du 16 octobre en vue de publication sur le site des Cahiers de l’évaluation) 1 Juin-Août 2014 SOMMAIRE SOMMAIRE ........................................................................................................................................... 2 1 L’entrée de l’Etat dans la science économique ..................................................................... 3 2 L’économie néoclassique ........................................................................................................ 3 3 La nouvelle économie ouvre la « boîte noire » de l’Etat ...................................................... 5 4 5 3.1 En amont, la représentation démocratique ................................................................... 7 3.2 En aval la production de biens publics ........................................................................ 15 L’Etat comme organisation .................................................................................................. 17 4.1 Ecueil premier pour la décision rationnelle : l’opportunisme…. .............................. 18 4.2 …. mais il y en a d’autres liés au design organisationnel ........................................... 20 Conclusion.............................................................................................................................. 22 2 1 L’entrée de l’Etat dans la science économique « Les institutions sont les règles du jeu, dans une société, ou, plus formellement, sont les contraintes d’origine humaine qui encadrent l’interaction humaine. En conséquence elles structurent les incitations dans l’échange humain, qu’il soit politique, social ou économique.» (Douglass North, Institutions, Institutional Change, and Economic Performance) L’analyse économique de l’Etat est un fait récent dans l’histoire de la pensée économique. Les économistes classiques, à l’exception d’Adam Smith, avaient tendance à négliger le traitement des institutions. La fonction économique de l’Etat et les conséquences (bénéfiques comme néfastes) de ses actions sur l’économie étaient absentes de leurs discours, à l’exception des débats sur le protectionnisme. Le laissez-faire en politique économique intérieure comme extérieure leur apparaissait comme étant un état normal et désirable. Dans un premier temps, les néoclassiques (Walras, Marshall…) n’ont pas non plus étudié ces questions, préférant analyser seulement le fonctionnement du marché. Ce n’est que la seconde génération de néoclassiques qui a étudié le rôle de l’Etat en présence de défaillances de marché (market failures), situations où le marché aboutit à une allocation sousoptimale des ressources1. Arthur Pigou2, élève de Marshall, et rival de Keynes, est le premier à avoir construit un raisonnement systématique justifiant l’intervention de l’Etat à partir d’arguments microéconomiques (ceux-ci diffèrent largement des justifications macroéconomiques de Keynes ou de Musgrave). Le modèle canonique de Pigou est repris par de nombreux auteurs, dont le plus célèbre est Samuelson, et par des travaux tels que ceux de Garett Hardin sur la « tragédie des communs »3. 2 L’économie néoclassique PIGOU L’Etat, informé et bienveillant, connaît les préférences collectives et produit des biens publics qui leurs sont conformes 1 Cette définition est postérieure à celle de Pigou puisqu’elle implique de connaître le premier théorème fondamentale de l’économie du bien-être qui énonce que tout équilibre concurrentiel, en l’absence de défaillances de marché, est Pareto-optimal, cf. Kenneth J. Arrow et Gérard Debreu, « The Existence of an Equilibrium for a Competitive Economy », Econometrica (1954) 2 Arthur Pigou, The Economics of Welfare¸ Macmillan, 1920 3 Garett Hardin, “The Tragedy of the Commons”, Science, 1968 3 C’est Pigou qui énonce ce résultat classique selon lequel lorsqu’un marché est caractérisé par des externalités (i.e. que les actions d’un agent provoquent une perte de bien-être pour d’autres agents), alors l’Etat est fondé à intervenir, son action pouvant prendre différentes formes (réglementation, taxe sur le pollueur, etc.). Comme les marchés imparfaits sont la règle plutôt que l’exception, Pigou fournit un cadre d’analyse qui donne à l’Etat un rôle de premier plan dans le système économique. Le processus de production de biens publics BIENS PUBLICS Les continuateurs de Pigou ont repris ses hypothèses : information parfaite, capacité illimitée à traiter l’information, ces deux hypothèses étant le fondement de la rationalité substantielle, celle de l’homo oeconomicus traditionnel (cf. encadré sur la rationalité). A ces deux hypothèses s’ajoute le postulat d’un Etat bienveillant, c’est-à-dire qui cherche à maximiser le bienêtre collectif (qu’il connaît puisque l’information est parfaite). Dans cette école de pensée, appelée « microéconomie classique », le partage entre le marché (coordination privée) et l’Etat 4 (coordination publique) est évident : l’Etat prend en charge les activités où la concurrence n’aboutit pas à un résultat optimal4. Le processus de production de biens publics – que ce soit une infrastructure ou une réglementation – se déroule en quatre étapes : 1. Les agents ont des préférences individuelles (les préférences de l’agent i sont notées ). 2. Le mécanisme du vote permet d’agréger les préférences individuelles en une préférence collective tout comme le mécanisme du marché permet d’agréger les préférences en une fonction de demande. Cette préférence collective – ou le résultat du vote – représente la demande en biens publics. 3. Les lois votées détaillent l’offre de biens publics correspondant à cette demande. 4. Les biens publics se matérialisent dans la sphère sociétale grâce au travail de l’administration. Celle-ci écrit la législation secondaire (décrets d’application des lois) et concourt directement ou indirectement à la production de biens publics (contrôle, sanction….). Dans un processus stylisé tel que celui décrit par Pigou et ses disciples, ces étapes s’enchainent sans frottement (carré bleu de la figure page précédente) et les biens publics produits (y) sont parfaitement cohérents avec les préférences exprimées par le vote : 3 La nouvelle économie ouvre la « boîte noire » de l’Etat Malgré son succès, ce modèle a subi de nombreuses critiques qui s’accordent pour en souligner la naïveté. Il est en effet probable, puisque le processus de production d’un bien public convoque de nombreux intermédiaires, que des distorsions soient introduites tout au long de ce processus qui transforme n préférences individuelles (input) en un unique bien public (output). Les nouveaux économistes ouvrent la « boîte noire » de l’Etat. Ils ne le considèrent plus comme une entité abstraite, omnisciente, bienveillante et omnipotente, mais s’intéressent à ses vulnérabilités qui peuvent introduire des biais dans la production de biens publics. Ses vulnérabilités sont discernables tant du côté de la représentation démocratique que du côté de l’offre 4 Equilibre dit de Bowen-Lindhal-Samuelson du nom des trois auteurs ayant exhibé ce principe dans leurs travaux, cf. Bernard Salanié, Microéconomie : les défaillances de marché. Economica (2000) 5 La théorie du choix rationnel [Elle remonte] « à l’utilitarisme, courant philosophique initié à la fin du 18ème siècle par Jeremy Bentham et poursuivi notamment par John Stuart Mill. L’utilitarisme est d’abord une philosophie morale qui se pose la question de l’origine du bonheur et de la façon permettant d’accroître celui-ci chez les individus et dans la société. Pour Bentham, dans une perspective sensualiste, le bonheur réside principalement dans l’accroissement des plaisirs ressentis par les individus, parallèlement à une diminution de leurs peines. En d’autres termes, Bentham instaure l’idée de calcul et de maximisation : les individus doivent pouvoir agir de manière à augmenter leur plaisir et à diminuer leurs peines. Au niveau g lobal, le bonheur de la société est assimilé à l’agrégation des bonheurs individuels. Deux idées sont donc à retenir de l’utilitarisme : d’une part, les individus sont conçus comme des êtres rationnels cherchant, par un calcul qui n’est pas forcément conscient, à accroître leur « utilité ». D’autre part, la société doit être organisée dans une perspective utilitariste, l’objectif étant la maximisation des utilités agrégées. Cela signifie que les règles sociales et juridiques doivent être telles qu’elles permettent une coordination des actions individuelles permettant de concilier les intérêts individuels et l’intérêt collectif. […] L’apparition du concept de rationalité économique peut être située au moment de la révolution marginaliste, amorcée dans les années 1870 dans trois pays par Stanley Jevons (en Angleterre), Carl Menger (en Autriche) et Léon Walras (en France). De l’utilitarisme, les marginalistes ne retiendront que la dimension calculatoire du comportement humain [… ils] refuseront toute interrogation sur les fins des actions individuelles et collectives. L’essai de Lionel Robbins finira d’amorcer la transformation de la science économique en science du choix rationnel ayant pour seul objet d’analyser les moyens optimaux à mettre en œuvre pour atteindre des fins sur lesquelles aucune réflexion n’est menée. La théorie de l’utilité espérée dont l’axiomatisation est achevée par Leonard Savage dans les années 1940 marque la naissance de l’homoeconomicus moderne : un être désincarné et anhistorique à la rationalité parfaite et maximisatrice, égoïste et dont le propre n’est de mener aucune réflexion sur les fins qu’il poursuit. […] Cette théorie de la maximisation de l’utilité espérée, axiomatisée par Leonard Savage, forme avec la théorie de l’équilibre général le cœur du programme […] néoclassique. Pour l’anecdote, on relèvera que l’expression « néoclassique » a été inventée par Thorstein Veblen (1857-1929) dans le but de se moquer des économistes marginalistes reprenant les thèses des économistes classiques. Rationalité parfaite, substantielle et procédurale * La rationalité parfaite de l’homo oeconomicus. Son environnement lui est parfaitement connu : son information est parfaite (tous les états de la nature, passés et à venir) et sa capacité de traitement de l’information illimitée. Ses choix maximisent son utilité (entre plusieurs alternatives, il choisit celle qui présente le meilleur bilan coût/avantage) ou, si le monde est incertain, son « utilité espérée ». Ce modèle est réducteur mais commode. Comme le souligne E. Phelps :" Les économistes adoptent le modèle de l’agent rationnel, ou homo oeconomicus, parce que c’est un outil puissant du point de vue des objectifs qu’ils se donnent - un outil qui fonctionne bien, même s’il est tout à fait inexact - et parce qu’il n’existe pas pour l’instant d’alternative. On espère simplement qu’en ayant recours à cette hypothèse de l’homo oeconomicus en dépit de son impropriété, on n’est pas conduit à commettre des erreurs énormes sur les questions importantes. » 5 Lever l’hypothèse de rationalité parfaite conduit à un changement de paradigme : c’est moins l’opposition entre la rationalité imparfaite (ou limitée) et la rationalité parfaite qui focalise l’attention des économistes que l’opposition entre la rationalité procédurale et la rationalité substantielle. On parle de rationalité substantielle à propos du modèle néoclassique car la rationalité vise la substance de la décision, le lien entre l’objectif fixé et le résultat atteint :"Un comportement est substantivement rationnel lorsqu'il est approprié à l'accomplissement de buts donnés dans les limites imposées par des conditions et des contraintes données" (H.A. Simon, 1976). La rationalité procédurale vise le processus de décision. - "Un comportement est procéduralement rationnel lorsqu'il est le résultat d'une délibération appropriée. Cette rationalité procédurale dépend du raisonnement qui l'engendre" (H.A Simon 1976,). "La raison réside dans le modus operandi, les moyens prennent le pas sur les fins. Par exemple, une donnée est scientifique du seul fait d'émaner d'un protocole expérimental. La rationalité procédurale est caractéristique du système démocratique comme jeu collectif complexe; un vote est légitime si les règles du scrutin ont été suivies. - "(citation de Jacques J. Herman, « La dynamique de la démocratie et l'extension de la rationalité », Université de Louvain, 2006) " * La rédaction à partir de différentes sources […John Roger Commons (1862-1945)] va radicalement remettre en cause ce positionnement. Même s’il ne la développe pas explicitement, Commons part de l’idée que les individus évoluent dans un contexte d’incertitude radicale qui, combiné aux limites cognitives de l’esprit humain, leurs interdit la possibilité de pouvoir calculer l’ensemble des états futurs possibles. Commons rejette donc totalement l’hypothèse de rationalité substantielle, calculatrice et maximisatrice mobilisée par la théorie orthodoxe. [… Il] apparaît que l’on peut considérer Commons comme le précurseur du concept de rationalité limitée et procédurale développé presque 30 ans plus tard par Herbert Simon. Satisficing « L’exemple concret le plus simple est celui du consommateur qui renonce à faire le tour des supermarchés de la ville pour collecter l’information sur le prix du baril de lessive et qui se contentera de choisir parmi ceux proposés dans son supermarché habituel. Il fera un choix raisonnable (le meilleur rapport qualité/prix) mais sur la base d’une information imparfaite. » (Alain Beitone) Prix Nobel d’économie en 1978, Herbert Simon […] part du constat que les décisions ne sont pas, en pratique, formulées suivant la façon suggérée par la théorie standard […et il l’explique par trois éléments]: (1) une connaissance limitée et imparfaite de l’environnement par les décideurs, (2) l’impossibilité d’anticiper et de considérer toutes les options pour résoudre un problème, en raison notamment des capacités de calcul limitées de l’esprit humain, et (3) l’impossibilité de traiter toutes les données accessibles en raison des limites de la perception. L’analyse de la décision nécessite alors de prendre en compte deux facteurs essentiels, à savoir l’identité de l’agent prenant la décision (quelle est son expérience ?) et le contexte social et organisationnel dans lequel s’insère cette décision. C’est ce contexte, auquel il faut ajouter la prise en compte de la dimension historique, qui joue principalement sur les représentations formées par les individus et qui guident fortement les objectifs qu’ils se fixent : « [t]heir formulation will depend on the knowledge, experience, and organisational environment of the decision maker. In the face of this ambiguity, the formulation can also be influenced in subtle, and not so subtle, ways by his self-interest and power drives » (Simon, 1979). L’idée majeure que développe Simon est […] que l’on ne peut réduire la décision et le comportement à de simples processus calculatoires et que leurs analyses nécessitent de prendre en compte un ensemble de facteurs qualitatifs. En lieu et place de la recherche d’une improbable maximisation de l’utilité, le comportement humain traduit plutôt la recherche de solutions satisfaisantes (le « satisficing ») répondant à des objectifs intermédiaires ou auxiliaires, recherche qui nécessite souvent la mise en place de structures de coordination ainsi que de relations d’autorité. Au final, Simon caractérise la rationalité limitée (bounded rationality) comme la recherche d’un choix raisonnable et qui se formalise par l’association d’une théorie du « search » et d’une théorie du « satisficing ». […] [… Commons] et Simon se rapprochent sur de nombreux points [en particulier] l’un comme l’autre insistent sur l’importance de la dimension raisonnable des comportements : les individus ne sont pas irrationnels lorsqu’ils prennent des décisions, mais tout un ensemble de facteurs (limites cognitives, valeurs, coutumes, habitudes etc.) les conduisent à adopter des comportements différents de ceux prévus par la théorie du choix rationnel. [… Cependant, contrairement à Commons] l’analyse de Simon se veut essentiellement d’ordre procédurale, c'est-à-dire qu’elle privilégie l’analyse des mécanismes cognitifs de la rationalité humaine. » Cyril Hedoin, « Les théories institutionnalistes du comportement économique de T. Veblen et J.R. Commons », 2005 5 Sur les fondements de cette conception épistémologique, cf. Milton Friedman, « La méthodologie de l’économie politique ». Pour une mise en perspective, cf. http://www.gaelgiraud.net/wp-content/uploads/2013/11/ConcoursBLDossier9.pdf 6 de biens publics, comme le montrent les travaux cités ci-après. Ceux-ci, qui ne représentent qu’un échantillon des recherches académiques ayant revisité le modèle de Pigou, montrent que prendre en compte les distorsions potentielles du processus de production des biens publics (commentées en vert tout au long des flèches noires de la figure page précédente , avec le nom des principaux auteurs des critiques) conduit à une vision plus réaliste de l’Etat. 3.1 En amont, la représentation démocratique L’école post-pigouvienne supposait une relation directe et transparente entre les citoyens et le Parlement – en fait, les représentants ont la même fonction que la monnaie dans le modèle du marché : ils ne sont qu’un intermédiaire de l’échange, un voile posé dans la relation entre offre et demande de biens publics- qui se voyait alors gratifié de préférences identiques à celles des électeurs. Autour des années 1950 dans un contexte où l’économie commence à s’intéresser au politique et au social, certains auteurs mettent en cause ce postulat et s’interrogent : les mécanismes de vote permettent-ils d’exprimer des préférences collectives ? Les premières critiques à cet égard sont internes à la « microéconomique classique » car reposant sur les mêmes hypothèses que celles retenues par Pigou : information parfaite et rationalité substantielle. (cf. encadré sur la rationalité). Ces auteurs ne s’intéressent pas au fait de savoir si l’Etat est bienveillant ou non, c’est-à-dire s’il fournit (ou non) les biens demandés par les électeurs, car ils ne s’intéressent qu’à l’expression de cette demande à travers le processus démocratique. ARROW D’un point de vue théorique, il existe des situations dans lesquelles le vote ne permet pas l’expression des préférences collectives. Faute de connaître ces préférences, l’Etat (même informé et bienveillant) ne peut alors produire les biens publics adéquats Le travail le plus connu sur la question est celui d’Arrow6 qui s’attaque au principe de souveraineté populaire. Il questionne la possibilité – en pure logique – d’exprimer une fonction de préférence collective (ou de bien-être social). Est-il possible de passer de l’étape où chaque individu à des préférences individuelles x_i à une préférence collective unique x=(x_1,…,x_n ) ? Plus formellement, les préférences individuelles peuvent-elles être agrégées en une seule préférence collective cohérente avec les préférences individuelles qui la constituent ? Reprenant le paradoxe de Condorcet, Arrow démontre mathématiquement que cela n’est pas possible (théorème 6 Kenneth Arrow, Social Choice and Individual Values, Yale University Press, 1951 7 d’impossibilité). Autrement dit, sur le plan logique, le passage de n préférences individuelles à une préférence collective peut ne pas respecter le critère de cohérence (cf. encadré). Ce résultat sera ensuite abondamment développé par l’école du « Choix social» (Social Choice and Welfare). L'agrégation des préférences individuelles « La possibilité d'agréger les préférences individuelles est un problème central de la théorie du choix social. On peut faire remonter son origine aux recherches sur les procédures de vote de Borda et Condorcet, au XVIIIe siècle, qui révèlent les effets paradoxaux entraînés par la règle de la majorité simple. Admettons par exemple que Pierre, Paul et Jean votent pour savoir s'ils iront au cinéma, au théâtre ou à un concert. Les préférences respectives de chacun d'entre eux sont les suivantes, en ordre décroissant. Pierre : théâtre > cinéma > concert Paul : concert> théâtre > cinéma Jean : cinéma> concert> théâtre Dans un vote à majorité simple, le théâtre l'emporte sur le cinéma (Pierre et Paul votent pour, Jean vote contre). Ils pourraient donc aller au théâtre. Mais, entre le théâtre et le concert, c'est le concert qui gagne (Paul et Jean votent pour, Pierre vote contre). Devraient-ils donc préférer le concert? Mais le concert perd face au cinéma (Pierre et Jean votent en sa faveur contre Paul). On a donc une séquence cinéma > concert > théâtre > cinéma. En d'autres termes, les préférences agrégées forment un cercle incompatible avec ce que nous attendons d'un choix rationnel : elles sont intransitives. Le comportement du tout se révèle différent de celui des parties, et la rationalité collective ne se réduit pas à l'agrégation des rationalités individuelles, du moins avec ce type de procédure de choix. On ne tarda guère à s'apercevoir que toutes les procédures connues menaient au même type d'impasse. Vers le milieu du XIXe siècle, la question de l'agrégation des préférences réapparaît sous une forme plus spécifiquement économique, celle du choix de projets publics, en particulier chez les « ingénieurs-économistes » français, comme Jules Dupuit, précurseur de l'analyse coûtsbénéfices. Il s'agit d'établir et d'évaluer en termes monétaires la désirabilité sociale d'une infrastructure publique, un pont par exemple. Plus généralement, cette question se développera sous l'influence de la théorie de l'utilité, d'origine anglaise, qui considère que le meilleur choix collectif est celui qui maximise la somme des utilités individuelles. Mais la conception utilitariste se heurte à des difficultés majeures, car elle suppose qu'on puisse exprimer toutes les utilités (que cette notion soit définie comme plaisir, bonheur, satisfaction du désir ou relation de préférence binaire) à travers une même unité de valeur. Suite à la révolution marginaliste, et dans le cadre de la théorie économique du bienêtre d'inspiration néo-classique, la notion d'utilité sera soumise à un processus d'épuration et de formalisation conceptuelle et connaîtra de nombreuses transformations, limitations et spécifications logico-mathématiques qui l'éloigneront de ses origines philosophiques, même si l'on peut considérer qu'elle conserve certaines affinités avec elles dans ses hypothèses implicites sur le comportement humain. Parmi les changements essentiels, censés entre autres permettre d'évacuer les jugements de valeur invérifiables, signalons la prohibition des comparaisons interpersonnelles et le passage de la dimension cardinale (représentation numérique de l'intensité d'une préférence) à la dimension ordinale (simple classement binaire des options) de l'utilité. [Ces évolutions] jouent un certain rôle dans les critiques faites par Sen aux conceptions néo-classiques et néo-utilitaristes de l'économie du bien-être. Dans les années trente, Paul Samuelson formalisa le problème de l'agrégation sociale des préférences à travers une fonction d'utilité collective désignée comme « fonction de bien-être social » (social welfare function, ou SWF), qui associe à la collection des utilités individuelles (u1, u2, …, un) un certain nombre SWF (u1, u2, …, un). Disposer de ce nombre résout le problème du choix social : il suffit de choisir l'alternative qui maximise la valeur de SWF. L'apport majeur de Kenneth Arrow, en 1951, consista à démontrer l'inexistence d'une telle fonction et l'impossibilité de déduire une relation de préférence collective cohérente à partir des relations de préférence de chacun des membres d'une société, sauf à considérer des solutions « dictatoriales » qui tranchent brutalement la question du choix collectif en l'identifiant avec la classification des préférences d'un seul agent. Ce résultat - qui généralise le paradoxe de Condorcet - pose un certain nombre de problèmes, souvent d'un haut niveau d'abstraction, et a focalisé l'attention et les efforts analytiques de nombreux chercheurs. » Marc Saint-Upéry, Préface à Amartya Sen, L'économie est une science morale, La Découverte, 2003 BUCHANAN-TULLOCK L’unanimité est le choix politique idéal. Néanmoins, si elle permet d’éviter la tyrannie de la majorité, elle provoque de forts coûts de négociation. En pratique, la procédure adoptée est le résultat d’un arbitrage entre externalités négatives du vote (risque de se voir imposer par d'autres des décisions collectives néfastes) et coût de la décision (maximal quand l'unanimité est requise). 8 Les critiques suivantes, formulées par le Public Choice dans les années soixante, ressortent plus d'une rationalité limitée que d'une rationalité substantielle7. Pour Buchanan et Tullock8, les chefs de file de ce mouvement, les politiques publiques destinées à pallier aux défaillances de marché identifiées par Pigou, ne débouchent pas automatiquement sur des gains de bien-être. On ne peut écarter l’hypothèse d’une intervention de l’Etat engendrant des coûts sociaux supérieurs à ceux induits par les défaillances de marché. L’Etat est, comme le marché, supposé capable de défaillances. James Buchanan (1919-2013) Sur le plan conceptuel, Buchanan et Tullock s’intéressent, comme Arrow, à la représentation démocratique. Mais, Prix Nobel 1986 pour « avoir élaboré les fondements des contrats théoriques et constitutionnels en vue de la prise de décision économique et politique »* contrairement à lui, ils ne cherchent pas à prouver l’impossibilité axiomatique du passage des préférences individuelles Né dans une famille rurale sudiste en 1919, Buchanan bénéficie d’une bourse pour étudier à Chicago après avoir suivi les cours de l’université de Virginie où, comme il l’a dit plus tard, « je n’ai pas appris d’économie, mais j’ai appris à connaître les aux préférences collectives. Ils adoptent femmes et le whiskey, ce qui, après tout, est important ». Intéressé par les idées un point de vue normatif : ils cherchent communistes dans sa jeunesse, l’enseignement de Frank Knight et de Jacob Viner une procédure de vote qui permette de passer des préférences individuelles aux préférences collectives à moindre coût social. Il obtient son doctorat en 1948 pour une thèse sur la fiscalité. Sa découverte, déterminante dans son parcours intellectuel, des travaux de Wicksell sur la règle de l’unanimité et son refus d’accepter l’Etat comme une entité bienveillante, l’amènent à étudier le vote lors de son passage à l’université de Virginie. Avec Gordon Tullock, il publie The Calculus of Consent, acte fondateur de l’école du Pour eux l’unanimité est la seule règle à Chicago sont déterminants dans son revirement idéologique vers le libéralisme. garantissant le consentement collectif à une politique publique. Faute Public Choice. Pour Buchanan, puisque les politiciens ne cherchent pas à maximiser le bien-être global mais leur propre intérêt, l’intervention publique est illégitime. Son engagement libéral l’amène à présider la Société du Mont Pèlerin dans les années 1980. Son œuvre reste méconnue, de par le profil atypique de ses ouvrages où les mathématiques sont rares, malgré son influence déterminante sur de pouvoir être généralisée en pratique, l’histoire elle est remplacée par la règle du vote microéconomique à l’analyse du politique. Amartya Sen, quoique portant un avis majoritaire dont ils craignent qu’elle n’ouvre la voie à une « tyrannie de la de la pensée économique – en ouvrant le raisonnement plutôt négatif sur le Public Choice, a néanmoins reconnu que Buchanan a le mérite d’avoir introduit les questions éthiques, politiques et sociales au sein des sciences économiques majorité », celle-ci pouvant imposer ses 7 Dixit Dennis C. Mueller et alii, « Choix publics - Analyse économique des décisions publiques », Ouvertures économiques, De Boeck, 2010 à la légende d’un Public Choice étudiant principalement les préférences biaisées des représentants, la plupart des travaux de Buchanan ont trait aux mécanismes de vote. En particulier : James Buchanan et Gordon Tullock, The Calculus of Consent, Logical Foundations of Constitutional Democracy, 1962. 8Contrairement 9 politiques à la minorité9. Ils recherchent donc une règle qui permette de satisfaire l’ensemble des électeurs à l’instar de Wicksell qui avait proposé une règle des 2/3 en matière de choix fiscaux mais ceci semblait être une hypothèse ad hoc. Buchanan et Tullock montrent qu’au sein de toute communauté la règle de vote repose sur un arbitrage entre deux types de coûts : les pertes de bien-être subies par la minorité du fait de politiques publiques non désirées (coûts externes) et les coûts liés à l’obtention du consensus. La règle idéale est celle qui minimise la somme de ces deux coûts. Ce modèle théorique explique pourquoi la règle de l’unanimité est peu utilisée pour les choix collectifs : elle réduit à zéro les coûts externes mais provoque de forts coûts « de consensus ». En revanche la règle de l’unanimité est utilisée pour les choix privés, car c’est celle du marché Pareto-optimal10 : « Les échanges ordinaires de biens privés s'opèrent dans un cadre d'unanimité implicite. Ce qui veut dire que lorsqu'un acheteur et un vendeur se mettent d'accord, un échange s'opère auquel les membres de la communauté autres que le vendeur et l'acheteur consentent implicitement. Il n'est pas nécessaire que le consentement de ces membres autres soit explicite: si l'un d'eux avait voulu intervenir dans n'importe lequel des échanges réalisés, il lui suffisait d'offrir de meilleures conditions à l'acheteur ou au vendeur. Aussi longtemps que ses retombées ou effets externes sont peu importants, ce genre d'échange à deux personnes et implicitement unanime répond aux normes de l'efficience. Si la nature d'un bien est telle que la participation de tous les membres du groupe est requise pour des accords efficaces de partage, la condition d'unanimité devient beaucoup plus problématique. Tout le monde doit explicitement approuver les termes des échanges; tout le monde doit se rassembler en une seule organisation chargée d'effectuer ceux-ci » (Buchanan)11 Buchanan et Tullock en déduisent que lorsqu’à la fois le marché et l’Etat peuvent produire le bien public, le marché est sans doute l’arrangement constitutionnel optimal. Si le marché est parfait le vote ne peut mieux représenter les préférences que ce dernier et, si le marché est imparfait, l’Etat peut, selon les situations, être un meilleur miroir des préférences mais il peut également ne pas 9 Pour mémoire, un autre auteur, Mancur Olson, s’est interrogé sur le phénomène inverse, la tyrannie de la minorité dans les démocraties. Il montre que les petits groupes, souvent bien organisés, sont en situation d’influer sur les choix publics (Mancur Olson, Logique de l’action collective, 1965). Ces petits groupes peuvent « capturer » le regulateur (cf. partie 3.2). 10 Un optimum de Pareto est une situation où on ne peut améliorer le bien-être de quelqu’un sans dégrader celui de quelqu’un autre. Il faut noter que cet optimum dépend fortement des conditions initiales de dotation des agents et qu’ainsi, potentiellement, une dictature peut être Pareto efficiente, cf. Kenneth Arrow, Social Choice and Individual Values, Yale University Press, 1951 11 Buchanan. The Limits of Liberty. Between Leviathan and Anarchy. 1975 10 l’être. L’arbitrage mode de production public-privé, pour Buchanan, se résout au cas par cas en fonction de celui des deux systèmes qui représente le mieux les préférences. La grande nouveauté de leur démarche par rapport à la microéconomie classique12 est qu’ils fondent l’efficacité des choix publics sur le consentement des citoyens et non sur le respect d’un critère d’efficacité indépendant. « Buchanan et Tullock construisent une théorie normative des règles du jeu politique et non des choix politiques. Il ne s'agit pas de savoir si telle ou telle politique particulière est bonne ou mauvaise, mais seulement si la procédure de décision est la bonne. » (Jacques Généreux13) Amartya Sen a dressé un bilan de l’apport du Public Choice à la science économique14. Il reconnaît comme principal apport l’introduction des questions éthiques en économie et l’introduction de l’analyse économique dans le politique. Néanmoins, dans sa discussion des théories du bien-être fondées sur les préférences, il souligne bien les limites des outils normatifs utilisés par le Public Choice. Pour Sen, on ne peut fonder une théorie normative du bien-être seulement sur le critère de l’unanimité parétienne15. Plus largement, Sen s’attaque à toute théorie uniquement fondée sur le critère des préférences (Social Choice d’Arrow comme Public Choice de Buchanan). Pour lui, elles ne répondent pas pleinement au défi de l’introduction de l’éthique et de la justice dans la science économique et dans la théorie de la décision. Un renouveau de la perspective sur les biens communs dans nos sociétés modernes intervient avec Elinor Ostrom. Cette politologue analyse la façon dont les communautés locales, un peu partout dans le monde (Inde, Népal, Pakistan, Nigéria, Zimbabwe, Kenya, Bolivie, Mexique…), résolvent les problèmes d'allocation de ressources épuisables. Elle met l’accent sur le rôle joué par les institutions (i.e. l’ensemble des règles qui encadrent les comportements) dont James Buchanan soulignait déjà l’importance: 12 Le Public choice rejette aussi les hypothèses d’information parfaite (H ̅_1) et de bienveillance de l’Etat (H ̅_3) car ils admettent que les préférences des représentants diffèrent celles des électeurs. Dans cette logique, comme ce ne sont pas les électeurs qui produisent la loi (comme l’unanimité est impossible), ce sont les préférences des représentants qui déterminent la production du bien public Les préférences des représentants ne sont bien-sûr pas indépendantes des préférences des électeurs puisque les premiers cherchent à être réélus par les seconds. Cela explique que dans la figure du début les préférences collectives soient fonction des préférences des représentants et des électeurs, c’est-à-dire de . Supposer que le résultat dépend seulement des préférences des représentants serait attribuer à Buchanan et Tullock un cynisme qu’ils n’ont pas. 13 Jacques Généreux. « L'unanimité comme idéal des choix publics ». Alternatives Economiques n° 225 - mai 2004 14 Cf. Amartya Sen, Collective Choice and Social Welfare. 1970 et Amartya Sen “Personal Utilities and Public Judgements: Or What's Wrong with Welfare Economics” The Economic Journal, 1979 15 Ce problème est ancien et remonte au débat sur le rapport entre économie du bien-être et utilitarisme, cf. J.A. Schumpeter, Histoire de l’Analyse Economique, L’Age de la science (tome III), Gallimard/Tel, 2004 11 « Let me illustrate this point and, at the same time, indicate the extension of the approach I am suggesting by referring to a familiar and simple example. Suppose that the local swamp requires draining to eliminate or reduce mosquito breeding. Let us postulate that no single citizen in the community has sufficient incentive to finance the full costs of this essentially indivisible operation. Defined in the orthodox, narrow way, the “market” fails; bilateral behavior of buyers and sellers does not remove the nuisance. “Inefficiency” presumably results. This is, however, surely an overly restricted conception of market behavior. If the market institutions, defined so narrowly, will not work, they will not meet individual objectives. Individual citizens will be led, because of the same propensity, to search voluntarily for more inclusive trading or exchange arrangements. A more complex institution may emerge to drain the swamp. The task of the economist includes the study of all such cooperative trading arrangements which become merely extensions of markets more restrictively defined. »16 Elinor Ostrom s’inscrit dans la Coase lignée « L'économie institutionnelle de la réglementation [...] laisse ouvertes de nombreuses solutions pour remédier aux [défauts de marché] y compris l'option qui consiste à ne rien faire quand le remède est plus coûteux pour la collectivité que le mal. Elle est issue des travaux de R. Coase [1960] [qui soulignent que] l'économie publique de la réglementation néglige l'ensemble [des] coûts [de transaction ce qui] entraîne une erreur d'analyse. L'argumentation est la suivante. Si l'on adopte l'hypothèse simplificatrice de coûts de transaction nuls […] l'intervention publique devient inutile car les agents eux-mêmes vont s'entendre pour mettre au point une solution optimale. En effet, si […] la négociation, la rédaction et le respect d'un contrat ne coûtent rien aux parties contractantes, [celles-ci] vont donc se livrer spontanément à une série de marchandages qui ne se termineront que lorsqu’aucun individu ne pourra plus améliorer sa situation sans que cela n'entraîne une perte […] pour un autre individu. Un équilibre de Pareto est ainsi spontanément atteint. En d'autres termes, quand les coûts de transaction sont nuls, les défaillances de marché n'apparaissent pas . Il n'y a plus d'effets externes qui ne soient corrigés, plus de problème de monopole qui ne soit maîtrisé par les usagers et plus de biens collectifs qui ne soient excludables [exemple du phare maritime]. […] L'examen des problèmes de défaut de marché n'a donc de sens que dans le cadre de l'hypothèse de coûts de transaction positifs. Dans un tel cas cependant, la nécessité de l'intervention publique ne s'impose qu'à deux conditions. Il faut que les coûts de transaction de réglementation soient inférieurs aux coûts des autres solutions; car il y va évidemment de l’intérêt de la collectivité de choisir la solution la moins coûteuse. Par ailleurs les coûts doivent être inférieurs aux bénéfices de l'action elle-même, sinon l’intervention publique conduit à une réduction de la richesse. […] Seul un examen au cas par cas des coûts et des bénéfices des différentes solutions, y compris le laisser-faire, permet dès lors de justifier l'intervention publique. » François Lévêque, « Économie de la réglementation », collection Repères, La découverte, 1998 de la nouvelle économie institutionnelle (« New Institutional Economics17 ») et reprend perspective amorcée en 1960 par Ronald Coase à propos des biens publics environnementaux18 : 19 Dans le monde réel, les coûts de transaction ne sont jamais nuls. 12 « systématiquement, comme le pensait Pigou, l’intervention de l’Etat. Pour Coase, si le pollueur et le pollué sont dotés ex ante des « bons » droits de propriété, ils vont s’entendre pour trouver une solution qui sera un optimum pour la collectivité. Ceci suppose que les coûts de transaction soient nuls, condition qui n’est pas J. Buchanan, “What Should Economist Do?”, presidential address to the Southern Economic Association, 1963. Cette école fait suite aux premiers ravaux des institutionnalistes américains du début du XXe siècle (Thorstein Veblen, John R. Commons). 18 Cf. Ronald Coase, « The Problem of Social Cost », Journal of Law and Economics, 1960. 17 la tragédie des communs » n’appelle pas triviale ce qui renvoie à la question de l’intervention publique19.. 16 la OSTROM Avec une bonne attribution des droits de propriété et de bonnes institutions, décentraliser la gestion des biens publics est un moyen efficace d’éviter la « tragédie des communs » Pour Elinor Ostrom les changements institutionnels ne doivent pas venir de l’extérieur et être imposés aux individus concernés. Ceux-ci ont la capacité de produire leurs propres institutions et d’éviter les tentatives de passagers clandestins. Ainsi qu’elle le rappelle dans son allocution Nobel20 les sociétés humaines ont, au cours de l’histoire, réussi à inventer d’une façon pragmatique des institutions de coopération pour gérer les biens communs. Les acteurs locaux ont Elinor Ostrom (1933-2012) su édicter des règles explicites Prix Nobel 2009 avec Olivier Williamson pour « leur analyse de la de fonctionnement relatives à la gouvernance économique, et, en particulier, des biens communs »* définition des ayants-droits et Seule femme à avoir reçu le Prix Nobel d’économie, elle est née en 1933 à Los Angeles, sous le de la ressource, aux modalités d’utilisation et aux sanctions pour non-respect des règles. Le nom d’Elinor Claire Awan, se mariant au politiste Vincent Ostrom en 1963. Après une formation en sciences politiques et une thèse portant sur la gestion des eaux souterraines, elle fonde avec son mari l’Atelier sur la théorie et les politiques publiques à l’Université de l’Indiana. Dans le cadre de cet atelier, elle étudie la théorie du choix public héritée de la tradition de l’économie publique – tragédie des communs, rôle de l’Etat en présence d’externalités, etc. Ses études succès de la coopération dépend empiriques sur la gestion des pâturages ou des eaux communes – ce qu’elle conceptualisera alors de la confiance comme bien commun – l’amène à revisiter la théorie économique : une gestion locale des que chaque acteur a envers les autres. Ceci peut passer par un bon mécanisme de punition du passager clandestin. ressources peut être plus efficiente qu’une gestion par l’Etat. S’inscrivant ainsi dans le mouvement contestant la vision top-down de l’économie, caractérisée par le succès du théorème de Coase et l’émergence du Public School, et dont le pendant institutionnel est la crise du keynésianisme, ses travaux redonnent voix à ce qui paraît être le sens commun : les personnes les mieux placées pour gérer une ressource sont ceux qui l’utilisent et qui auront à Mais, subir le coût de son épuisement. Cela l’amène à réviser l’idée que des agents rationnels comme le montre l’économie cherchent nécessairement à être des passagers clandestins. Elle place au cœur de son système comportementale, dans les faits, la coopération est parfois plus dépendante de la question de la confiance réciproque entre agents, idée qui s’est depuis diffusée au-delà de la gestion des biens communs (en économie du développement, les réunions entre les personnes impliquées dans le microcrédit sont devenues la norme). la communication (cheap talk dans le jargon des théoriciens des jeux) que de la sanction. Le cadre de pensée d’Elinor Ostrom permet d’amender certaines des hypothèses faites par Pigou et formalisées par Samuelson. Le fait que les « élus » locaux soient plus adaptés que les « élus » nationaux implique, par exemple que l’information soit imparfaite (H ̅_1) car sinon, il y aurait parfaite transmission des préférences. Le fait que la gestion locale repose sur la confiance 20 « Beyond Markets and States : Polycentric Governance of Complex Economic Systems », Nobel Prize Lecture, 2009 13 implique des comportements altruistes (certains agents ayant la possibilité d’agir en passager clandestin refusent néanmoins de le faire) qui, peuvent par exemple, s’expliquer par une fonction d’utilité spécifiques des individus de ces communautés (cf. encadré ci-après). Comment expliquer les comportements coopératifs ? * « Différentes idées ont été formalisées dans la littérature pour expliquer ces comportements. L’idée la plus simple est d’intégrer de l’altruisme, au sens où l’utilité d’un individu augmente quand l’utilité (ou un attribut de l’utilité) d’un autre individu augmente. Une deuxième idée est d’intégrer un plaisir pur à donner, dit warm glow (Andreoni, 1989) : ce qui compte pour l’individu c’est l’acte de donner, peu importe la destination finale de contribution. Une troisième idée est basée sur le concept d’aversion à l’inégalité (Fehr et Schmidt, 1999 ; Bolton and Ockenfels, 2000) : les individus adverses à l’inégalité souffrent des différences de revenus entre eux et le reste du groupe ; ces individus sont alors prêts à « punir » les passagers clandestins qui cherchent à tirer avantage de la situation, si bien que cette menace peut générer un comportement coopératif global à l’équilibre. Une quatrième idée est basée sur l’altruisme conditionnel et la réciprocité (Rabin, 1993 ; Cox, Friedman et Gjerstad, 2007) : les individus répondent de manière positive à des actions généreuses, et de manière négative à des actions hostiles. Les économistes ont testé ces idées à l’aide de jeux expérimentaux développés dans des laboratoires (Cooper et Kagel, 2009). Il ressort que les sujets participant à ces jeux contribuent souvent à hauteur d’une part importante de leurs ressources, mais que ces contributions se réduisent avec la répétition des jeux. De plus, les comportements des sujets sont très hétérogènes. Fischbacher et Gächter (2009) indiquent par exemple que dans leur jeu expérimental, i) 55 % des sujets coopèrent conditionnellement, c’est-à-dire coopèrent seulement si les autres coopèrent, ii) 23 % des sujets ne contribuent en rien et les autres ont un comportement complexe ou imprévisible. Plus généralement, ces travaux indiquent que le comportement coopératif existe, mais est complexe et peut être fragile. Il est par exemple possible de créer un jeu de bien public où 90 % des sujets ont un comportement de passager clandestin (Kagel et Roth, 1995). Mais des tendances ressortent : ainsi, des intérêts homogènes, peu d’information, des discussions en face à face, et les petits groupes favorisent les comportements coopératifs. L’étude de multitudes de variantes de jeux expérimentaux de biens publics a montré que le comportement coopératif dépend fortement de l’environnement. Cette remarque est compatible avec les observations empiriques d’Elinor Ostrom, politologue américaine et récent prix Nobel d’économie. Les travaux d’Ostrom ont permis de comprendre comment de petites collectivités gèrent les biens publics (à l’image des systèmes d’irrigation ou de pêches dans le pays en développement). Ostrom (1990) définit une série de « règles » institutionnelles basées sur un système de normes et de sanctions sociales. Ostrom (2000) souligne en particulier l’importance de règles claires spécifiant qui fait partie du groupe et qui n’en fait pas partie, de règles modifiables au cours du temps, sous le contrôle de quelques personnes qui peuvent imposer des sanctions graduelles, et ayant a leur disposition des moyens simples et rapides pour résoudre les conflits. Ainsi, ces règles peuvent permettre, selon Ostrom, de gérer efficacement les biens publics, souvent de manière plus pérenne qu’avec des mécanismes externes de type intervention gouvernementale. » Nicolas Treich (Toulouse School of Economics) Bibliographie Andreoni, James, 1989, Giving with impure altruism: Applications to charity and Ricardian equivalence, Journal of Political Economy, 97, 1447-58. Bolton, Gary E. et Axel Ockenfels, 2000, ERC: A theory of equity, reciprocity and competition, American Economic Review, 90, 166-93. Cooper, David J. et John H. Kagel, 2009, Other regarding preferences: A selective survey of experimental results, mimeo. Cox, James C., Daniel Friedman, et Steve Gjerstad, 2007, A tractable model of reciprocity and fairness, Games and Economic Behavior, 59, 17-45. Fehr, Ernst et Klaus M. Schmidt, 1999, A theory of fairness, competition and cooperation, Quarterly Journal of Economics, 11, 817-868. Fischbacher, Urs et Simon Gächter, 2009, Social preferences, beliefs, and the dynamics of free-riding in public good games, American Economic Review, à paraître. Kagel, John H. et Alvin E. Roth, 1995, The Handbook of Experimental Economics, Princeton University Press. Ostrom, Elinor, 1990, Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action. Cambridge University Press. Ostrom, Elinor, 2000, Collective action and the evolution of social norms, Journal of Economic Perspectives, 14, 137-58. Rabin, Matthew, 1993, Incorporating fairness into game theory and economics, American Economic Review, 83, 1281-302. *Ce texte reprend une partie de l’encadré « Comment expliquer les contributions à un bien public ? » p. 17 du n° 4 des “Cahiers de l’évaluation”. 14 3.2 En aval la production de biens publics STIGLER-LAFFONT-TIROLE Les marges discrétionnaires des agents publics peuvent être capturées par des lobbies. Afin de faire coïncider les intérêts des agents publics avec l’intérêt général, on peut utiliser un mécanisme d’incitation Les travaux de George Stigler21, suivis de ceux de Jean Jacques Laffont et de Jean Tirole22, s’intéressent à la façon dont l’administration peut influencer les politiques publiques. En effet c’est l’administration qui rédige la législation secondaire (réglementation) destinée à mettre en œuvre les textes législatifs (législation primaire) et, parfois, suivant les régimes politiques, c’est aussi elle qui les prépare. Elle dispose donc d’une certaine latitude vis-à-vis des politiques publiques. L’école de la réglementation (Stigler) s’intéresse à cette marge de discrétion de l’administration. Sous les mêmes hypothèses que Buchanan et Tullock (rationalité substantielle, information imparfaite et opportunisme de certains représentants de l’Etat), l’école de la réglementation en conclut que la « capture du régulateur » par des Stigler « A la vision d'une autorité publique deus ex machina garante de l'intérêt général G. Stigler [1971] substitue l'idée d'un gouvernement et d'une administration soumis à l'influence de groupes de pression. Dans de premiers travaux, il montre que les prix de l'électricité pratiqués aux Etats-Unis dans les Etats où ils sont réglementés ne sont pas inférieurs aux prix observés dans les États où les entreprises les fixent à leur guise. Cette observation l'amène à poser deux questions jusque-là ignorées par les économistes : qui bénéficie de la réglementation et pourquoi? Stigler propose une modélisation de la réglementation sous la forme d'un [marché]. Les offreurs sont les décideurs politiques et les fonctionnaires. L'objectif prêté aux premiers est la réélection [et, aux seconds,] leur passage dans l'industrie réglementée (par exemple, dans une entreprise de défense s'il s'agit d'un fonctionnaire de la délégation générale pour l'Armement). Ils peuvent chercher aussi, comme le bureaucrate décrit par Tullock [1978] qui maximise la production de son service administratif, à multiplier le nombre de réglementations afin que leurs directions prennent de l'importance, ce qui augmente leurs chances de promotion, les moyens mis à leur disposition et leur pouvoir d'influence. Quant aux demandeurs de réglementation, ce sont les entreprises qui veulent être protégées de la concurrence, en particulier en provenance des producteurs étrangers. En contrepartie des réglementations qu'elles obtiennent, elles contribuent aux financements des campagnes électorales, elles apportent des voix en engageant leur notoriété et elles offrent des carrières dans le secteur privé. Une formule résume la vision de Stigler: la capture de la réglementation par l'industrie. Ses travaux et ceux de ses élèves, comme Posner [1974] et Peltzmann [1976], sont parfois réunis sous le terme de «théorie de la capture de la réglementation». François Lévêque, « Économie de la réglementation », collection Repères, La découverte, 1998 intérêts particuliers (lobbys par exemple) peut considérablement faire diverger le résultat de la loi ( ) de ce qui a été voté ( ). La nouvelle économie de la réglementation (Laffont et Tirole) vise à empêcher cette capture du regulateur en inventant des contrats qui alignent les intérêts des fonctionnaires sur ceux de la collectivité. L’analyse est la suivante : le mandat du fonctionnaire s’analyse à la lumière de la théorie de l’agence (cf. encadré). Le fonctionnaire est « l’agent » et la communauté « le principal ». 21 22 George Stigler, The Theory of Economic Regulation Jean Jacques Laffont et Jean Tirole, « The politics of government decision making : A Theory of Regulatory Capture », Quarterly Journal, 1991 15 Cette dernière est dépendante de l’action du premier qui, par l’hypothèse , cherche à maximiser son propre intérêt et non celui de la communauté. Comme tout problème de principal-agent23, un mécanisme d’incitation permet, tout en ayant des agents (fonctionnaires) intéressés, de produire un résultat conforme aux vœux du principal (la loi souhaitée par la communauté). On a alors un résultat conforme à la loi, comme si les agents publics étaient désintéressés. La Théorie de l’agence La théorie de l’agence présente un cadre normatif destiné à aligner les intérêts d’un donneur d’ordre et d’un preneur d’ordre. Plus généralement, elle décrit toutes les circonstances où des acteurs sont simultanément dans des situations de coopération et de conflit et propose des contrats incitatifs. Elle a été développée dans les années soixante-dix par des économistes américains (Jensen et Meckling, 1976) qui s’interrogeaient sur le management de la firme. Leur objectif était de définir un contrat dirigeant/actionnaire aboutissant à ce que la firme soit gouvernée dans le sens de l’intérêt de ces propriétaires et non de ces dirigeants. Ils ont formalisé cette situation en mettant en scène un agent (i.e. le mandataire) qui effectue une tâche pour le principal (i.e. le mandant), alors que le principal ne possède pas toute l’information nécessaire pour juger du travail de l’agent (situation d’asymétrie de l’information). Les parties engagées dans de telles situations affichent un objectif commun (défini par le mandant) mais l’une d’entre elles (le mandataire) détient des informations particulières sur le « bien » qui fait l’objet du contrat, ce qui peut l’amener à adopter des comportements opportunistes vis-à-vis du mandant. nouvelle école de la réglementation partage des problématiques communes avec le Public Choice : comment faire pour qu’intérêt général et intérêts particuliers convergent ? Ceci justifie que ces deux écoles soient généralement regroupées sous l’étiquette commune de « nouvelle école des choix publics » ou « nouvelle économie publique »24. d’attaque Néanmoins, diffèrent : Public leurs angles Choice et Toute la question est alors d’écrire les « bons » contrats, ceux qui les dissuaderont de s’engager dans cette voie. Les notations constituent un outil au service du contrat implicite passé entre offreur et demandeur : la publication des notations constitue de fait une sanction pour les offreurs proposant des biens et services non conformes à la qualité affichée. nouvelle école de la réglementation ne *Cet encadré est repris du n° 4 des “Cahiers de l’évaluation”, p. 21. procédures de choix (Buchanan aborde la parlent pas des mêmes acteurs, et par conséquent, ne proposent pas les mêmes question de la représentativité démocratique, Laffont et Tirole celle de l’incitation du regulateur). Il est important de noter que si les auteurs issus du mouvement du Public Choice ont généralement pris position dans des controverses idéologiques en faveur du marché, leurs principes peuvent aussi justifier l’existence d’un Etat développé. Buchanan, lui-même le souligne : « L’Etat doit financer les biens publics classiques et ce pourrait probablement être fait avec des dépenses publiques s’élevant à environ 15 % du produit intérieur brut. Mais je ne suis pas prêt à dire que c'est là tout ce que le gouvernement doit faire. Tant que le gouvernement respecte un ensemble de règles appropriées je préfère ne pas imposer de limites à la taille de l’Etat. Je suis 23 La portée de ce modèle théorique va de l’assurance aux relations familiales avec par exemple le théorème de l’enfant gâté (dans un cadre familial, des membres égoïstes vont, s’ils y sont incités par une récompense, tout de même se préoccuper du bien-être des autres. Cf. Gary Becker, A Theory of Social Interactions, Journal of Political Economy, 1974) 24 En anglais, cette école est parfois désignée par le même terme que l’économie politique classique (political economy). Cela laisse, à tort, penser qu’il s’agit d’un retour à la conception qui prévalait avant la révolution marginaliste et le passage de la political economics à l’economics. En effet, l’approche moderne de la political economics a comme point de départ l’individualisme méthodologique. En ce sens, la political economics est un champ de l’economics. La political economics des classiques a un sens différent. Il s’agit d’une approche holiste, où l’on analyse des regroupements d’individus (cf. la triade classique). Le Français évite cette ambiguïté puisqu’il utilise les termes économie publique et économie politique pour désigner respectivement la nouvelle et l’ancienne political economics 16 réticent à dire, par exemple, que des dépenses publiques à 40 % du PIB, comme c’est le cas maintenant, sont nécessairement mauvaises »25 Pour la nouvelle économie publique, il ne s’agit pas de pointer du doigt les fonctionnaires ou les politiques, seulement de souligner qu’il s’agit d’agents économiques comme les autres et donc qu’ils cherchent d’abord à être heureux (maximiser leur utilité). L’idée nouvelle, commune à tous ces économistes, est d’interpréter le fait politique comme un échange. Toutes les relations constitutives de l’Etat, celles entre électeurs et représentants (Public choice), entre regulés et régulateurs (Ecole de la règlementation), entre régulés eux-même (Ecole institutionnelle) et d’autres encore, peuvent s’analyser comme des contrats donnant-donnant. Cette perspective invalide la représentation d’un système politique idéaliste sans pour autant le remplacer par une idole du marché parfait26. 4 L’Etat comme organisation L’Etat peut aussi être considéré comme une organisation comme les autres, c’est-à-dire un système complexe qui transforme des inputs en outputs et qui, pour cela, doit composer avec, à l’extérieur, un environnement mouvant et, à l’intérieur, des individualités plus ou moins rationnelles. L’environnement externe et interne produit des informations qui alimentent en contenu le processus de décision, c’est-à-dire le cœur de l’organisation car toute organisation est le produit de ses choix. Dans ces conditions le problème central de l’organisation est : Comment organiser l’action collective de façon efficace (en rapport avec les buts de l’organisation)? Ou, inversement, quels sont les obstacles au choix rationnel ? Il n’y a pas à proprement parler une théorie unifiée de l’organisation, mais des théories provenant de disciplines différentes. Comme dans la partie précédente on ne retiendra donc ici que quelques exemples des dysfonctionnements des mécanismes de décision qui sont susceptibles d’affecter la production de l’organisation (i.e. les biens publics produits par l’Etat). 25 Interview de James Buchanan par Aaron Steelman à l'Université George Mason. Interview publiée dans region Focus, printemps 2004 : http://www.richmondfed.org/publications/research/region_focus/2004/spring/pdf/interview.pdf. 26 Il est vrai que les prises de position politiques des auteurs du Public Choice laissent à penser le contraire de cette affirmation. Certains des écrits de ces auteurs peuvent renforcer cette thèse. Mais, en substance, la théorie du Public Choice pourrait être débarrassée des a priori idéologiques et conserver le sens que nous lui donnons. Ainsi Elinor Ostrom, dont les préoccupations théoriques rejoignent celles de Buchanan, n’a pas eu les mêmes partis-pris idéologiques, cf. les détails de sa vie donnés par l’hommage de l’Association française de sciences politiques peuvent le prouver http://www.afsp.msh-paris.fr/home/hommageostrom2012.pdf 17 4.1 Ecueil premier pour la décision rationnelle : l’opportunisme…. L’analyse économique de l’organisation se fonde sur les travaux de Williamson. Il s'appuie lui-même sur la théorie de la rationalité limitée de Herbert Simon (lauréat en 1978 du prix "Nobel" d'économie): dans des environnements complexes, les agents ne peuvent pas envisager tous les événements possibles et évaluer parfaitement toutes les conséquences de leurs actes. En conséquence, les contrats sont le plus souvent des contrats incomplets qui n'envisagent pas tous les événements possibles. Première conséquence, l'incomplétude des contrats laisse une marge de manœuvre aux parties, elle permet les comportements Herbert Simon - Prix Nobel d'Économie en 1978 « Son ouvrage le plus célèbre est " Administrative behavior " (1947). Ainsi "l'homme administratif" de Simon se distingue de "l'homo oeconomicus", car il ne maximise pas, économiquement, son utilité, il ne connaît pas tous les paramètres indispensables à la prise de position rationnelle, et il n'a pas une fonction de préférence stable et durable. Le but de la théorie dite " de la rationalité limité " est donc de mettre en lumière les limites pratiques de la rationalité humaine et de s'efforcer trouver les moyens (entraînement, formation, adhésion à de nouvelles valeurs) de repousser ces limites. Ainsi, le décideur navigue souvent dans le brouillard car : · Les informations dont il dispose ne sont pas complètes. · Ses capacités d'abstraction, de synthèse ou d'analyse sont limitées · Il est influencé par des émotions et des événements extérieurs (professionnels ou privés), étrangers à la décision qu'il doit prendre rationnellement. l'information par les agents. D’où, ainsi qu’on Ainsi Simon oppose à la rationalité absolue, la rationalité "procédurale" qui va consister à une succession de décisions itératives, qui cherchent, en fonction des erreurs passées, à s'approcher de la moins mauvaise solution possible. » l’a vu dans la partie précédente, la réponse Les théories des systèmes et de la décision, http://www.ecogesam.ac-aixmarseille.fr/Resped/Ecoent/theoorg.htm opportunistes et la manipulation de donnée par Laffont-Tirole qui consiste à mettre en place des contrats incitatifs, c’est-à-dire des règles qui encadrent l’action publique qu’elle soit du fait des politiques ou des fonctionnaires. Trouver le juste milieu entre règle et discrétion reste cependant l’un des plus grands défis. Certains auteurs, face au risque d’incohérence temporelle des pouvoirs publics, ont pris parti pour la limitation systématique des marges de discrétion des administrations : « L'autorité publique peut suivre des règles (rules) préétablies ou, au contraire, mener une politique discrétionnaire (discretion) en adaptant ses choix à chaque période selon les circonstances. [F. E. Kydland et E. C. Prescott] montrent qu'il est préférable que l'autorité publique s'en tienne à des règles même si, ce faisant, elle se prive d'une certaine liberté d'action. Cette conclusion paradoxale provient de ce que la politique discrétionnaire souffre d'un problème d'incohérence temporelle (time inconsistency) la rendant inefficace. Il y a incohérence temporelle lorsque, pour la même question, l'autorité publique ne prend pas la même décision à deux instants différents. Au cours du temps, l'autorité publique dévie de la politique initialement suivie. »27. 27 Extrait d’un article de http://www.universalis.fr sur « Rules rather than discretion : the inconsistency of optimal plans », livre de F. E. Kydland et E. C. Prescott 18 Ainsi, à propos de la regulation tarifaire du monopole, deux chercheurs écrivent : « En ayant des règles de régulation minimale, c’est-à-dire dire plus rigides dans le temps, la collectivité serait protégée du risque régulatoire d'origine politique ce qui peut améliorer son bien‐être. Bien sûr, il faut que le risque politique soit suffisamment important par rapport aux variations possibles dans les fondamentaux (distributions des coûts, information sur la demande) pour que des règles rigides simples soient plus intéressantes qu’une régulation réactive permettant de s'ajuster rapidement aux changements de fondamentaux. »28 Une deuxième conséquence, plus inattendue, est soulignée par Michel Crozier29. L’incomplétude des contrats émis par la direction (hiérarchie) étant incomplets, ils créent des espaces de liberté pour les subordonnés. CROZIER Comme les contrats sont incomplets, et qu’on essaye en vain de les compléter, les lois s’accumulent. La profusion de règles peut prendre la forme de l’inflation normative S’instaure alors un cercle vicieux. La tentation de la hiérarchie est de préciser les règles pour mieux encadrer l’action du subordonné mais, au contraire, cela lui ouvre de nouvelles marges de liberté etc. Cette dérive de l’organisation vers la bureaucratie, énoncée par Crozier, explique l’inflation réglementaire au niveau de l’Etat. En effet, amendement après amendement, les représentants au Parlement peuvent chercher à éviter les contournements de la loi par les agents privés mais aussi par les personnes chargées de son application. Ce faisant le cadre règlementaire atteint un niveau de complexité tel que nul ne s’y retrouve et l’insécurité juridique ainsi créée procure de nouvelles marges de manœuvre (cf. encadré ci-avant) 30 . Opter pour rules peut provoquer plus de discretion…. Paradoxalement ce sont les règles bureaucratiques qui rendent les agents plus libres. 28 29 30 Bruno Jullien, Wilfried Sand‐Zantman, “La regulation des monopoles”, IDEI, septembre 2010 Michel Crozier, Le phénomène bureaucratique, 1964 Voir le Rapport public du Conseil d’Etat « Sécurité juridique et complexité du droit », mars 2006, La Documentation française 19 L’ in f lat ion r é g lem en ta ir e « Le nombre de lois qui sont encore actives ne cesse de croître parce que les anciennes lois sont rarement supprimées. Elles sont seulement modifiées. Dans certains pays, comme l'Italie, il a été estimé qu'il existe environ 150.000 lois. C’est un processus cumulatif qui gouverne ce phénomène, de sorte que la complexité augmente avec le temps. [...] Il y a des preuves croissantes que la plupart des projets de loi qui sont envoyés aux organes législatifs pour être ratifiés – comme, par exemple, le projet de réforme du système de santé et le projet de réforme du système financier aux États-Unis – sont votés sans être lus par la plupart de ceux qui doivent voter pour elles. La raison en est leur longueur, souvent des milliers de pages, leur complexité et le manque de temps pour les parcourir. Il est également évident que le président qui signe ces projets de loi n'a pas eu le temps de lire et de bien les comprendre. Les législateurs et le président s'appuient sur des assistants, ouvrant ainsi la porte à des « problèmes de principal-agent», ce qui rend le travail des lobbyistes, qui peuvent plus facilement accéder et influencer les assistants, beaucoup plus facile. Ô combien complexe peuvent devenir certains systèmes publics, à l’image du système d’impôt fédéral américain, qui compte maintenant plus de 70.000 pages de lois et règlements ! »] Vito Tanzi, Government vs Markets. The Changing Economic Role of the State, Cambridge University Press, 2011. Extrait du chapitre 14. AUX ETATS-UNIS DANS L’UNION EUROPEENNE DANS L’UNION EUROPEENNE Le Federal Register est le journal du gouvernement fédéral dans lequel figurent toutes les propositions réglementaires des agences, les règlementations adoptées et les ordres exécutif du président. Il constitue un indicateur de la façon dont s’accroit la charge réglementaire pour la société américaine. Le Journal Officiel des Communautés européennes explose. Les journaux officiels des différents pays, la France notamment, continuent de croitre. Le recueil des lois de l’Assemblée nationale est passé de 433 pages en 1973 à 2 400 pages en 2003 et 3 721 pages en 2004 En nombre de pages du Journal Officiel des Communautés européennes (Openeurope) Source .:projet de la rédaction pour le n°7dDes Cahiers de l’Evaluation 4.2 …. mais il y en a d’autres liés au design organisationnel MOREL Les erreurs des bureaucraties ne sont pas dues à un déficit de rationalité. Il faut mettre en place des règles, en particulier de circulation de l’information, qui permettent à la rationalité et aux compétences de s’épanouir L’opportunisme des agents n’est pas la cause de toutes les mauvaises décisions. Une mauvaise décision renvoie ici au fait qu’elle est contraire à ce qui serait rationnel (moyens adaptés aux fins) dans le cadre de référence donné. Il existe des situations dans lesquelles toutes les « bonnes » conditions semblent réunies, les acteurs sont bienveillants, les savoirs sont disponibles, mais où, malgré tout, une mauvaise décision est prise. 20 « Le courant de la sociologie organisationnelle à la française, inspiré par Crozier et Friedberg, voit tout en termes de rationalité opportuniste et de jeux d’intérêt ; aujourd’hui, c’est presque devenu une réaction instinctive, face à un dysfonctionnement, que de rechercher les acteurs à qui ce dysfonctionnement profite. […] Dans mon livre, j’ai voulu aller à contre-courant de cette tendance et montrer qu’on peut malgré tout faire une différence entre une erreur et une non-erreur ou encore mesurer l’absurdité d’une décision par rapport à un objectif donné. […] Les décisions absurdes ne doivent pas être confondues avec de simples erreurs : il s’agit d’erreurs radicales et persistantes, dont les auteurs agissent avec constance et de façon intensive contre le but qu’ils se sont donnés » (Christian Morel) Le sociologue Christian Morel s’intéresse aux causes de ces décisions absurdes, notamment celles prises dans des situations de crise. Il s’étonne que l’organisation ne corrige pas, voire amplifie, des erreurs cognitives grossières qui se trouvent même dans un contexte de culture scientifique (exemple de l’accident de la navette Challenger) et met en cause les interactions, au sein de l’organisation, qui ne permettent pas la délibération : En réalité, le silence des membres du groupe s’explique surtout par un certain nombre de règles de fonctionnement implicites ou explicites des organisations : on n’est autorisé à parler que si on possède une bonne connaissance du problème évoqué ; on ne peut exprimer une opinion qui ne repose pas Rationalité de référence « Morel développe ici une intéressante réflexion sur la rationalité […]. Sur ce sujet délicat, Morel propose quelques distinctions utiles. Les Amish ne sont pas irrationnels lorsqu’ils privent leurs tracteurs de leurs pneus ou qu’ils font tirer leurs machines agricoles par des chevaux. Ces pratiques nous paraissent bizarres et nous les qualifions volontiers d’irrationnelles. En fait, elles représentent des compromis par lesquels les Amish s’efforcent de concilier leurs principes religieux avec leur souci de tirer tout de même parti des bienfaits de la modernité. Les moteurs de leurs engins agricoles assurent toutes les fonctions qu’ils sont censés remplir, à l’exception de la propulsion des roues, confiée à la traction animale. Les machines à essorer des Amish sont dépourvues de moteur électrique, mais mues par un générateur lui-même alimenté par un moteur à essence. Le tracteur dépouillé de ses pneus présente l’avantage de pouvoir être utilisé dans les champs, mais non sur les routes, ce qui met les jeunes Amish à l’abri d’une tentation : l’emprunter pour se rendre en ville à des soirées défendues. Irrationalité ? Non, nous dit justement Morel : rationalité de référence ; en d’autres termes, décisions compréhensibles eu égard aux croyances du groupe. » Source : Raymond Boudon, Rapport à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, christian.morel5.perso.sfr.fr/MorelRapportPrix_Institut.rtf sur des données ; la répétition d’une objection ou l’insistance risquent d’être perçues comme le témoignage d’un manque de maîtrise de soi ou comme une manifestation d’agressivité ; il faut veiller en toute circonstance à préserver la cohésion du groupe ; on fait de l’information descendante à cause du nombre de participants. Ce mode de fonctionnement, qui entre dans la définition même des organisations bureaucratiques, a pour conséquence de pousser les acteurs à minorer les alertes. 31 31 Christian Morel, Les décisions absurdes (I), Comment les éviter. Gallimard 2002 21 De fait, comme l’explique Max Weber, il existe au sein des organisations des règles impersonnelles qui ont pour fonction de rationaliser les processus internes en orientant les comportements. Néanmoins, comme le souligne le sociologue Christian Morel, ces cadres destinés à assurer la stabilité de l’organisation et le faisant généralement bien, peuvent provoquer, dans certaines situations où la mise en commun des informations et savoirs est particulièrement cruciale (cabine de pilotage d’un avion par exemple), des erreurs terribles. Il propose donc que les procédures de décision incluent une véritable phase de délibération collégiale où l’expression des conflits soit favorisée (rôle de l’avocat du diable). L’importance de la gestion des conflits au sein de l’organisation s’était déjà imposée quelques décennies auparavant avec l’ouvrage de Cyert et March, « A Behavoural Theory of the Firm » (1963) qui présentait l’organisation comme une coalition de groupes ayant des buts propres. Cette vision s’applique assez bien à l’Etat qui doit tenir compte des positions exprimées par les différents départements ministériels avant de décider d’une politique publique. Or ces départements ont de facto des objectifs propres, qui sont parfois antagoniques (environnement contre énergie etc). Cyert et March expliquent que les dirigeants ont alors besoin d’un « budget discrétionnaire » pour faire accepter l’objectif global de l’organisation aux différents groupes. On renoue ici avec la palette d’outils destinés à lutter contre les comportements opportunistes. 5 Conclusion Comment prendre les bonnes décisions au sein de l’Etat ? Ce survey rapide d’une littérature foisonnante ne révèle pas une théorie unifiée de la décision publique, loin de là, mais esquisse quelques lignes de convergence. Les premiers travaux émergent à partir des années cinquante où l’on commence à suspecter les défaillances de l’Etat. La représentativité politique est questionnée au plan théorique selon un critère logique de cohérence (Arrow). De son côté la nouvelle économie publique esquisse des contrats permettant une meilleure expression de la demande de biens publics (Public choice) ou une plus grande adéquation de l’offre à cette demande (Nouvelle école de la règlementation). Elinor Ostrom, rejoignant Buchanan (à chaque bien, son système de vote), suggère que la demande de biens publics soit abordée dans une perspective plus locale. Elle souligne que les communautés ont su, par le passé, écrire les « bons contrats » qui lient les membres entre eux pour préserver des ressources. L’action collective n’est donc pas le seul fait de l’Etat nation. 22 Diverses approches : rationalité et choix publics Microéconomie classique: H1 - Information parfaite (on sait qu’il y a des externalités) Nouvelle économie publique (Public Choice, Economie de la réglementation) H2 - Capacité illimitée à traiter l’information H1 - Information imparfaite H3 - Etat bienveillant, c’est-à-dire qu’il cherche à maximiser le bien-être collectif (qu’il connaît puisque l’information est parfaite) en produisant les biens publics adaptés. H2 - Capacité illimitée à traiter l’information Sous H1 et H2 l’homo oeconomicus est doté de « rationalité substantielle », il adopte un comportement approprié (meilleure combinaison des moyens) au service de fins. Il maximise son utilité (i.e. son utilité espérée en présence d’incertitude probabilisable) Le marché peut être défaillant (externalités) ce qui éloigne l’économie des situations d’optimum de Pareto. L’État intervient pour corriger ces défaillances en produisant des biens publics. H3 – Etat n’est pas bienveillant. La Nouvelle économie publique endogénéise le comportement des acteurs qui interviennent dans la sphère publique, hommes politiques et fonctionnaires. Ces acteurs sont opportunistes. L’hypothèse de rationalité substantielle est conservée au sens où ces acteurs adoptent un comportement approprié (meilleure combinaison des moyens) au service de leurs fins. Ils sont capables de traiter toute l’information qui leur parvient pour maximiser leur utilité (i.e. utilité espérée en présence d’incertitude probabilisable) 23 Economie des organisations H1 - Information imparfaite* H2 - Capacité limitée à traiter l’information ; ** H3 –non pertinente ( il n’y a pas d’Etat) Sous H1 et H2 l’agent est doté de « rationalité limitée »**: il ne peut traiter qu’un stock limité d’information et utilise généralement des heuristiques. Les difficultés sont inhérentes à l’interaction des individus au sein de l’organisation. Les acteurs peuvent se satisfaire d’une issue sous-optimale tant qu’elle assure la stabilité. *Pour Coase, ce sont les coûts de transaction induits par une information coûteuse à collecter qui justifient les organisations. **Herbert Simon, puis Williamson, ajoutent l’hypothèse de rationalité limitée. Les acteurs se contentent d’un certain stock d’information à partir duquel ils prennent une décision rationnelle. La nouvelle économie publique plaide ainsi en faveur d’un Etat limité ou, tout du moins, d’un recentrage de l’Etat sur des droits princeps, comme les droits de propriété (Coase). Autre élément allant dans le même sens, l’effet boule de neige de la bureaucratie, qui se traduit par une inflation réglementaire (Crozier) commune à l’ensemble des grandes démocraties. L’organisation sécrète de l’organisation, elle s’auto-augmente jusqu’au blocage. Le risque, pour l’Etat n’est pas seulement la prolifération législative, c’est aussi celui de prendre des décisions absurdes. Toute organisation s’expose à ce risque car les procédures de fonctionnement au jour le jour (hiérarchie par exemple) s’avèrent contreproductives lorsqu’il s’agit d’effectuer des choix cruciaux. En enfermant dans un cadre prédéfini les interactions, elles limitent drastiquement l’apport d’informations vitales pour la décision (Morel). Et ce alors même que tous les participants sont bienveillants. On retiendra que ces approches diverses (cf. figure page précédente) ont conduit à désenchanter l’Etat, mais qu’elles ont conduit aussi à souligner l’importance des échanges 24 d’informations entre acteurs de la décision publique. De ce fait elles ont mis l’accent sur l’intérêt qu’il y aurait à revisiter l’organisation afin de faire circuler l’information (cf. figure ci-dessus). Un dernier point est à évoquer. Cet essai s’est focalisé sur la manière dont les économistes voient l’Etat, dans une perspective microéconomique. Des arguments différents s’appliquent si l’on raisonne à une échelle macroéconomique, que ce soit pour justifier l’action de l’Etat (perspective keynésienne) ou la déprécier (école des anticipations rationnelles). Pour résumer, en forçant quelques peu le trait, les phases connues par la pensée macroéconomiques sont plus ou moins similaires à celles connues par la pensée microéconomique de l’Etat : âge d’or de l’intervention de l’Etat avec la révolution keynésienne et la synthèse néoclassique, suivi d’une méfiance envers les effets de son action avec l’école des anticipations rationnelles (années 70-80). La pensée macroéconomique moderne a néanmoins élaboré de nouveaux arguments en faveur de l’intervention de l’Etat (école des nouveaux keynésiens, modèles de croissance endogène…), arguments renforcés par certaines études empiriques32. Au total, cet essai ne présente qu’une partie de la vaste littérature interrogeant le rôle que doit assumer l’Etat dans l’économie, étant entendu que ce rôle n’est plus aujourd’hui contesté dans son principe : « Cela fait bien longtemps que le dogme de l’infaillibilité des marchés a été abandonné : l’essentiel de la recherche théorique depuis trente ans consiste à montrer concrètement comment les marchés peuvent échouer et comment leur fonctionnement peut-être amélioré, par exemple par l’intervention publique » 33. Réguler efficacement, rappelle Jean Tirole, à l’occasion de l’attribution de son prix Nobel d'économie 2014, implique un « Etat fort »34. Sur ce point, la réévaluation des multiplicateurs keynésiens à la hausse est un point important en faveur de l’intervention de l’Etat, cf. Olivier Blanchard et Daniel Leigh « Growth forecast errors and fiscal multipliers », IMF Working Papers, 2013 33 François Geerolf, Gabriel Zucman (dir.), Repenser l'économie, Paris, La Découverte, 2012 34 Voir, pour plus de détail, Jean Tirole : "Le Rôle de l'Etat dans une Economie Moderne," Annales d'Economie Politique,54: 113-130 (2007) 32 25