Acharnement thérapeutique – jusqu`où aller ?

REVUE MÉDICALE SUISSE
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27 janvier 2016
192
Acharnement thérapeutique –
jusqu’où aller ?
INTRODUCTION
Parmi toutes les choses que la médecine sait faire, et que nous
pouvons faire, comment donc discerner la limite de ce que
nous devrions faire ? L’acharnement thérapeutique, l’obstination
déraisonnable, ou la poursuite de traitements jugés futiles,
déraisonnables, ou disproportionnés, sont autant de descrip-
tions que nous donnons aux situations où nous avons l’im-
pression de dépasser les limites de ce que la médecine devrait
faire. Identifier cette limite est cependant difficile et cette
perplexité sous-tend un nombre important de dilemmes éthi-
ques dans la pratique clinique.
Deux éclairages sont utiles pour analyser ces situations. Le
premier les aborde sous l’angle du bien du patient, le second
sous l’angle des buts visés par la médecine.
LE BIEN DU PATIENT
Que signifie faire le bien ? Sous l’angle philosophique, plusieurs
réponses sont possibles. Selon la première version, c’est le
plaisir et l’absence de douleur qui sont la mesure du bien : « la
nature a placé l’humanité sous la gouvernance de deux maîtres
souverains : la douleur et le plaisir. C’est à eux seuls de nous
montrer ce que nous devrions faire ».1 Selon la deuxième ver-
sion, le bien correspond aux préférences de chacun. Cette
version du bien comme satisfaction des préférences est au-
jourd’hui centrale dans les versions encore dominantes de
l’économie, où le bien que le marché est censé promouvoir
n’est rien d’autre que la satisfaction des préférences de cha-
cun. Selon la troisième version, le bien peut être décrit sous la
forme d’une liste de biens objectifs censés l’être pour tous in-
dépendamment des préférences des uns et des autres. La for-
mation d’une telle liste pourrait se fonder sur ce qui tend à
perfectionner la nature humaine, ou sur ce qui tend vers une
certaine vision de la bonne vie pour un être humain.2 Chacune
de ces versions a naturellement ses critiques. L’aspect le plus
important à retenir de ce débat est cela dit précisément la
multiplicité des contenus que l’on peut donner à la notion de
bien. Chaque version rend compte d’une partie de ce qui nous
importe. Le plaisir et la douleur sont certainement pertinents
à la question du bien. Se fonder uniquement sur nos préféren-
ces est simpliste, mais les ignorer est également problématique.
Dans la mesure où il existe des plaisirs et des peines incontestés,
et des préférences partagées, certaines composantes du bien
pourraient prendre place sur une liste objective. Il y aura ce-
pendant des situations dans lesquelles les visions du bien di-
vergeront. Il y aura également des situations où un arbitrage
sera nécessaire entre différents objectifs visant tous le bien
du patient mais qui seront mutuellement incompatibles.
LES BUTS DU MÉDECIN
Pour discerner comment faire le bien du patient, il faut aussi
avoir à l’esprit les différents biens que l’on peut attendre de
l’intervention de la médecine. Lewis Thomas, qui proposait
une vue d’ensemble des buts de la médecine, distinguait trois
domaines dans l’activité médicale.3 La haute technologie, pos-
sible quand une vraie compréhension des mécanismes de la
maladie permet d’agir à la source, comme le vaccin contre la
polio par exemple. La technologie intermédiaire, c’est-à-dire
la ventilation mécanique, l’angioplastie coronarienne, bref tout
ce qui gère la maladie sans la prendre à sa source. Finalement,
ce qu’il appelait la non-technologie, ou la réassurance, les ex-
plications, la présence, le traitement des symptômes, en d’autres
termes le réconfort et la présence aux côtés des malades. Ces
trois domaines coexistent, visent tous des formes de bien du
patient, et sont tous légitimes.
RECONNAÎTRE LES COMPOSANTES
DE LACHARNEMENT THÉRAPEUTIQUE
Nos tentatives de faire le bien du patient peuvent être con-
fuses : il nous arrive d’intervertir les différents objectifs de la
médecine, comme lorsque nous prescrivons et appliquons
des interventions de technologie intermédiaire pour signaler
notre présence aux côtés des patients, plutôt que de renforcer
notre présence et notre capacité d’accompagnement. Nos ten-
tatives peuvent aussi être irréalistes : comme lorsque nous
appliquons des interventions qui ne peuvent pas atteindre le
but que nous nous sommes fixé. Nos interventions peuvent être
erronées, lorsque le bien que nous visons ne reflète pas les
priorités du patient, ou que nos interventions mettent en
danger ses priorités au nom des nôtres. Nos interventions
peuvent être disproportionnées, et impliquer pour le patient
un fardeau exagéré pour le bien visé, même lorsque ce bien re-
flète effectivement ses priorités. Il est important de reconnaître
ces différentes circonstances car c’est dans ces situations que
nous risquons de pratiquer l’acharnement thérapeutique.
Pr SAMIA HURSTa
Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 192
a Consultante – Conseil d’éthique clinique des Hôpitaux universitaires de Genève,
Institut d’éthique biomédicale, Faculté de médecine, Université de Genève,
1211 Genève 4
1 Bentham J An introduction to the
principles of morals and legislation
Oxford Clarendon Press 
2 Ogien R Léthique aujourd’hui
maximalistes et minimalistes Paris
Gallimard 
3 Thomas L The lives of a cell notes
of a biology watcher Amsterdam Pen
guin 
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