TYPOLOGIES LINGUISTIQUES
ET STRATÉGIES DIDACTIQUES
Jean-Michel ROBERT
SYNTHÈSE DES TRAVAUX
Habilitation à diriger des recherches
Université de Picardie Jules Verne, Amiens 2007
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INTRODUCTION
DES INTERFÉRENCES AUX INFÉRENCES, UN PARCOURS LINGUISTIQUE ET
DIDACTIQUE
Le dossier présenté reprend les grandes lignes d‟un parcours commencé en linguistique
appliquée il y a une trentaine d‟année et qui se poursuit en tentant de combiner linguistique
appliquée et didactique des langues. A l‟heure de plus en plus de branches de la
linguistique se constituent en disciplines indépendantes, il semble important de sauvegarder
l‟esprit de collaboration et d‟interactions entre spécialités de champs différents. Ce qui
explique que ce mémoire de synthèse se situe autant en linguistique appliquée qu‟en
didactique des langues étrangères et secondes.
Après une licence d‟allemand obtenue à l‟université d‟Angers en 1974, je m‟oriente vers la
linguistique, passage favorisé par la création à Angers d‟une licence Lettres / Linguistique
(1975) et la création d‟une maîtrise de linguistique en convention avec Paris III (1976). Les
licenciés en langues pouvaient alors préparer cette licence en un an, les unités de valeur
acquises lors de leurs études (dans mon cas en linguistique allemande) étaient prises en
compte et les cours s‟attachaient à préparer les étudiants à l‟entrée en maîtrise de linguistique.
L‟orientation était clairement fonctionnaliste (de Saussure à Martinet) avec insistance sur la
phonologie. Les cours de maîtrise étaient assumés par un enseignant de l‟université d‟Angers
et des intervenants de Paris III (J. Perrot, H. Walter, D. Laroche-Bouvy). Deux mémoires
étaient nécessaires à l‟obtention du diplôme, l‟un en phonologie, l‟autre en linguistique
appliquée. En ce qui concerne la phonologie, nous avions le choix entre la participation à
l‟enquête sur le parler régional coordonnée par Henriette Walter ou la description
phonologique d‟un idiolecte non indoeuropéen (j‟ai opté pour une description du
vietnamien)1. Les mémoires en linguistique appliquée provenaient majoritairement
d‟expériences professionnelles (jeunes enseignants de langues étrangères ou de français) et
1 Je publierai plus tard cette description phonologique suivie d‟un essai sur les approches et traitements
phonologiques des langues à tons (fonctionnelle, autosegmentale et non linéaire) : Robert, J-M : Monographie
phonologique, Peter Lang, Francfort/Main, Bern, New York, 1985
2
traitaient de sujets divers tels que l‟acquisition du langage chez l‟enfant, l‟orthographe
française, l‟analyse de méthodes de langues ou l‟acquisition du subjonctif par des élèves
francophones. Pour ma part, j‟avais tenté un classement des principales interférences
constatées dans l‟apprentissage de l‟allemand langue étranre (classes de quatrième et
troisième). Après la maîtrise, je me suis inscrit en DEA à Paris III, à l‟UER de français pour
l‟étranger, dirigé alors par Robert Galisson (goût des voyages et de la linguistique appliquée à
l‟acquisition / l‟apprentissage des langues étrangères). C‟était alors le début de l‟approche
fonctionnelle notionnelle, la linguistique appliquée était en plein essor et la didactique des
langues commençait à s‟affirmer comme discipline indépendante.
Interlangue et besoins langagiers.
Après un dossier de DEA sur les niveaux de langues et registres de discours en didactique des
langues, je propose à mon directeur de recherches, Robert Galisson, un sujet de thèse sur les
besoins langagiers. A la fin des années 70, les recherches sur l‟analyse et l‟identification des
besoins langagiers (cf. particulièrement Richterich 1973) ne donnaient lieu qu‟à peu
d‟applications pédagogiques et se heurtaient à des problèmes sociolinguistiques tels que le
choix d‟un niveau de langue et la possible non compétence de communication (linguistique
comme sociolinguistique) de la part des enseignants dans certains domaines (cf. les travaux de
Jupp et Holdin, Lagarde et Heddesheimer 1978). La notion d‟interlangue, alors relativement
récente (les travaux de Selinker 1972, Nemser 1971, Corder 1967, 1971, 1977), et l‟analyse
des erreurs (Richards 1974) permettaient de mieux comprendre la construction ou
reconstruction des divers systèmes de règles de la langue cible. Dans le cas d‟acquisition
d‟une langue seconde (en milieu naturel), on pouvait remarquer la réalisation d‟énoncés
corrects (ceux réalisés en situations prévisibles, correspondant plus ou moins aux codes
restreints de Bernstein). Il m‟a semblé alors possible de dégager des besoins langagiers de
façon non intuitive par l‟étude des systèmes intermédiaires stabilisés ou fossilisés. En effet,
les réalisations linguistiques correctes de locuteurs étrangers migrants à l‟intérieur
d‟interlangues fossilisées pouvaient servir de matériel pédagogique pour élaborer
économiquement une approche fonctionnelle-notionnelle destinée à un public de même
origine socioculturelle. Une telle approche permettrait d‟éviter deux écueils : confondre
besoins et demandes et enseigner un niveau de langue inadéquat, cette hypothèse (réalisation
linguistique correcte = besoin langagier) ne se révélant justifiée et didactiquement exploitable
que dans un cadre restreint, celui des migrants (réfugiés ou immigrés ne prévoyant pas une
installation permanente dans le pays d‟accueil). L‟intérêt pédagogique de cette stratégie
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consistait en une mise en place rapide et économique d‟unités d‟apprentissage, limitant les
enquêtes préalables au dégagement des réalisations linguistiques correctes d‟informateurs
migrants (acquisition en milieu naturel) de même profil que le public concerné.
Acte langagier correct (informateurs) besoin langagier satisfait Acte d‟apprentissage
(apprenant).
Acte langagier incorrect (informateurs) : non besoin langagier manifeste pas d‟acte
d‟apprentissage, ou :
Acte langagier incorrect (informateurs) : besoin langagier subjectif reformulation de
l‟acte langagier.
Avec l‟accord de mon directeur de thèse, qui m‟a obtenu une bourse de recherches, j‟ai mené
des enquêtes dans trois pays différents (Suède, USA et France), pu prouver la validité de cette
hypothèse et soutenir ma thèse en 19802. Ce n‟est que plus tard que j‟ai pu mesurer les limites
de cette approche.
Langue universelle de Leibniz et Gastarbeiterdeutsch (parler des travailleurs étrangers
en Allemagne).
Le corpus recueilli lors des recherches sur les besoins langagiers faisait apparaître, dans les
réalisations incorrectes des informateurs (Vietnamiens et Mexicains aux USA, Turcs et
Polonais en Suède, Vietnamiens en France), une grammaire simplifiée, un code
linguistiquement réduit. En effet, la mise en place d‟un système intermédiaire stabilisé dépend
du procédé d‟appropriation de la langue cible : apprentissage ou acquisition. Il est
généralement admis que les interférences et les transferts forment une grande part de
l‟interlangue. Certains comme Richards y voient une stratégie universelle de simplification
linguistique. Or, l‟interférence interlinguistique serait un problème d‟apprentissage et non
d‟acquisition. Des enquêtes montrent que le pourcentage des déviances grammaticales qui
semblent exclusivement imputables à des particularités de la langue maternelle ne dépasse pas
5% (Dulay and Burt 1974). Les plus fréquentes proviennent des interférences
intralinguistiques, interférences d‟acquisition (Dulay and Burt 1974, Chastain 1976),
phénomène similaire, d‟une certaine façon, à l‟acquisition du langage par l‟enfant
(construction créative). Si l‟on excepte, dans l‟élaboration des systèmes linguistiques, les
2 Publiée en partie chez Peter Lang à Francfort en 1984 : Besoins langagiers et systèmes intermédiaires
stabilisés.
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phénomènes qui proviennent des transferts ou d‟interférences interlinguistiques, on se
retrouve devant une grammaire simplifiée, réduite à des néralisations de structures, une
intralangue, qui présente des analogies avec le stade logico-combinatoire chez l‟enfant (cf.
Sourdot 1977).
Lecteur, à cette époque, de Leibniz (particulièrement de ses écrits en grammaire et en
philologie), j‟entrevois des structures communes entre sa grammaire rationnelle et
l‟intralangue évoquée ci-dessus. Croyant (naïvement) que les études sur la linguistique
leibnizienne étaient plus poussées en Allemagne qu‟en France, je postule et obtiens un poste
de lecteur de français à l‟université Goethe de Francfort / Main (1980). Absence complète de
linguistique leibnizienne, mais, tout aussi intéressant et complémentaire, beaucoup de
recherches sur le Gastarbeiterdeutsch (le « pidgin allemand »), proche de la grammaire de
Leibniz. Leibniz prévoyait, dans le cadre de la création d‟une langue universelle la
classification des concepts (caractéristique universelle) et la réduction logique de la
grammaire des langues naturelles à une forme sémantico-syntaxique logique (grammaire
rationnelle). Les caractéristiques de cette grammaire réduite rejoignent celles des locuteurs
vietnamiens en France, turcs en Suède (mis à part bien sûr les réalisations correctes, indices
de satisfaction d‟un besoin langagier prévisible), et celles des interlangues fossilisées qui
composent le GAD (Gastarbeiterdeutsch, allemand des travailleurs étrangers en RFA). Je
prépare alors une nouvelle thèse de doctorat sur ce sujet (Leibniz und der Spracherwerb /
Leibniz et l‟acquisition du langage) sous la direction de Birgit Scharlau et Brigitte Schlieben-
Lange (thèse soutenue en 1984) 3.
Les traits distinctifs du GAD au niveau syntaxique sont les suivants (cf. Meisel 1975, 1977,
Keim 1978, Heidelberger Forschungsprojekt Pidgin-Deutsch 1975, etc.) : fréquente
suppression des articles, possible effacement du verbe, particulièrement de la copule,
fréquente omission des pronoms personnels, omission des désinences et invariabilité du
verbe, place des adverbes en position initiale ou finale en désaccord avec les règles de
l‟allemand standard. Malgré beaucoup de réticences et de mises au point terminologiques, le
terme pidgin a été attribué au GAD (Gilbert et Orlović 1975), système linguistique fossilisé
collectivement, recouvrant de nombreuses structures communes aux vrais pidgins telles que :
perte de l‟accentuation, invariabilité des verbes, absence de signifiants discontinus, emploi
3 Robert, J-M : Leibniz und der Spracherwerb. Editura Universitaria Craiova, 2005
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