Le toucher : un geste à redécouvrir Extrait du site de la Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon http://www.croix-saint-simon.org dans Documentation en Soins Palliatifs section, notes de synthèse bibliographique, Le toucher : un geste à redécouvrir, Le toucher : un geste à redécouvrir - Formation et Recherche - Centre De Ressources National soins palliatifs François-Xavier Bagnoud - Information et Documentation - Produits documentaires - Synthèses documentaires - Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon Tous droits réservés Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 1/5 Le toucher : un geste à redécouvrir Le toucher : un geste à redécouvrir (Juin 2003) "Oser toucher et se laisser toucher, c'est peut-être s'autoriser du bout des doigts à s'enrichir et à apprendre de nos expériences réciproques, développer notre authenticité et ainsi, à aider l'autre à trouver la sienne". Evelyne Malaquin-Pavan (8) LA PEAU ET LE TOUCHER La peau est notre enveloppe corporelle. Elle a un aspect, un grain, une épaisseur, une douceur ou une rugosité qui lui sont propres. Moyen d'échange entre l'intérieur et l'extérieur de notre corps, elle a un rôle primordial de réceptivité et de protection contre les agressions extérieures. Clerget (1) la considère comme " une membrane de soutènement et de protection ; une enveloppe et une frontière "soulignant qu' " une réaction épidermique est une réponse vive et immédiate, de surface apparemment, mais elle n'en traduit pas moins une détermination préconsciente ou une position inconsciente du sujet ". Il invite ainsi à considérer la peau comme " miroir et résumé de l'organisme ". Reprenant les propos de F. Dagognet, il considère le cerveau et la peau comme " deux êtres de surface " : la peau étant un " cerveau périphérique " et le cortex, l'écorce du cerveau. La peau est alors " une fonction d'interposition entre le sensible et le sens ". Bonaventure (2) signale que le toucher est le premier sens qui se développe chez l'homo sapiens. Elle donne plusieurs définitions du toucher : d'abord physiologique " un des cinq sens, correspondant à la sensibilité cutanée... ", puis étymologique" entrer en contact avec, être proche de" faisant intervenir simultanément sensation et sentiment. Elle reprend les propos d'A. Montagu : " Bien que le toucher ne soit pas en soi une émotion, ses éléments sensoriels induisent des changements d'ordre nerveux, glandulaire, musculaire et mental, qui l'apparentent à une émotion ". Autton (3) évoque les contacts physiques comme " un moyen de communiquer des plus élémentaires et, de toutes les sensations, ce sont celles que l'on ressent personnellement le plus ". Lorsque l'on parle de toucher, émergent rapidement les notions de proximité, d'intimité, et logiquement, par extension de confiance, voire de sécurité. LE TOUCHER ET LES TECHNIQUES MEDICO-SOIGNANTES Pour Autton (3)," La maladie devient un événement traumatique ... entraà®nant angoisse, insécurité et perte du respect de soi,... situation de stress intense impliquant un sentiment d'isolement et de menace... " . Le patient se retrouve fragilisé par son statut de malade, confronté à un environnement qui lui est totalement étranger, dépendant des examens, du diagnostic, des soignants, et en grande demande de relation, de contact, d'écoute et de compréhension. Pourtant face à cette fragilisation, " le développement de l'imagerie médicale,..., en rendant visible ce qui se dérobait au savoir et au regard,..., témoigne d'une mutation particulièrement marquante dans notre manière de concevoir le rapport au corps ". Vinit (4) avance la notion de " transparence du corps " et, par là -même, d'intrusion franche de la technique à l'égard du patient. Autton (3) reprend l'idée que " les techniques médicales et chirurgicales de plus en plus perfectionnées et la dépendance du patient en des appareillages mettent en évidence l'importance des rapports humains et les conflits psychologiques contre lesquels personnel et patient doivent parfois lutter ". En regard de l'évolution des techniques médicales, les pratiques soignantes ont elles aussi évoluées vers " des soins complexes de plus en plus précis et techniques,..., parfois au détriment de l'écoute du patient,..., des soins parfois assez compliqués qui découpent le corps en organes et en fonctions " Rioult (5). La situation médicale a ceci de particulier qu'elle vient bousculer la distance en vigueur dans les interactions interpersonnelles et la façon dont nous préservons habituellement notre enveloppe personnelle. Au-delà du côté technique proprement dit, les soins infirmiers amènent à une relation très particulière au corps de l'autre. Fabrégas (6) souligne, en effet, que " dans les soins infirmiers, l'intimité avec le patient est incontournable et Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 2/5 Le toucher : un geste à redécouvrir paradoxale. ... entre attirance et dégoût, compassion et rejet, attention et indifférence, bien souvent et inconsciemment redoutée par tous ceux qui se consacrent aux corps malades ". Martin-Braud (7) évoque les blocages et les appréhensions qui paralysent. Le toucher ne peut éviter d'évoquer la sexualité, de la place qu'elle prend dans notre rapport à l'autre, des tabous qu'elle génère et de la "possibilité que nous avons d'envisager, dans notre culture occidentale, un contact physique sans implicite sexuel... " Vinit (4). Concernant les effets du toucher, Vinit (4) rapporte que " placé du côté de l'impensable ou marqué du signe du soupçon, il porte souvent le risque d'une confusion des identités, d'une emprise possible sur l'autre ou d'une effusion affective impossible à gérer ". Tous les auteurs évoque la notion de refuge derrière des soins techniques purs et durs (technicité-rempart pour Vinit (4)), amenant " au contact avec le corps de l'autre derrière la barrière de blouses, des masques, des gants " comme le constate Dien (7), ne laissant que peu de place à la relation. Car celle -ci peut amener à la mise en confiance, voire à la confidence. Comment, alors, gérer les émotions ? Comment répondre aux questions ? Dien (7) pose aussi cette question " Jusqu'o๠pouvons-nous, devons-nous aller ? " et avance : " nous, soignants, recevons le corps de l'autre avec nos angoisses, nos transferts et nous devons les aider, les toucher, les " nurser " alors que nous sommes confrontés à nos propres sentiments de pitié, de compassion, d'empathie, de sympathie, de dégoût, d'amour... sentiments mêlés, parfois contradictoires, souvent difficiles à contrôler... ". UNE PRATIQUE DE SOIN : LE TOUCHER " Parce que les moindres de mes gestes techniques s'accomplissent par un contact de mes mains avec le corps malade " Martin-Braud (7). Malaquin-Pavan (8) émet l'hypothèse que " de nombreux soignants ont l'intuition que certains gestes peuvent calmer, mais peu d'entre eux osent les poser comme de " vrais " gestes professionnels ". En tout état de cause, " le toucher fait entrer le soignant dans l'intimité du soigné. Pour être accepté et acceptable, cette intimité doit être protégée par une éthique humaniste. Il faut reconnaà®tre et protéger l'autre en respectant ses limites, en évitant de l'envahir, et en le rendant actif dans le sens de son autonomie,..., en favorisant son bien-être et non en l'enfermant dans une relation de dépendance " Rioult (5). " Entre envie et appréhension, ces moments peuvent être un vrai temps privilégié de partage. Mais pour que ce soit plaisir, et plaisir partagé, il faut que le soignant soit disponible, qu'il soit persuadé de l'importance de ses gestes, qu'il prenne le temps nécessaire pour le faire et qu'il ait envie de le faire, car ces soins n'ont aucun support technique ; pour les soignants, ce sont des " soins nus " o๠leur personnalité est mise à jour et pour le soigné, c'est la dignité même qui est prise ou non en considération " Dien (7). Pour que le toucher ait cette dimension de pratique de soin, plusieurs critères s'avèrent nécessaires : l'intention : " avoir envie ". Comme Rioult (5) le rappelle, " l'intentionnalité à l'œuvre dans un soin concerne un toucher ponctuel, limité dans le temps et l'espace, qu'une qualité de contact prolonge tout autant qu'il la précède, le geste prenant appui sur une " atmosphère relationnelle ". Vinit (4) confirme qu'"un toucher intentionnel, qui saisit que la moindre demande peut être le vecteur d'une relation humaine, est alors facteur important de qualité de vie pour les patients, une occasion d'atténuer la fragilisation induite par la maladie et de manifester concrètement le souci actuel d'éthique ". la disponibilité : la présence. Rioult (5) insiste sur le geste de l'infirmière qui doit être "habité, ...sinon le receveur le perçoit comme mécanique et sans grand intérêt " la réciprocité : donner et recevoir, toucher et être touché. Rioult (5), encore, considère l'infirmière comme habituée plus à donner et à prendre en charge l'autre que de recevoir. Le patient à qui l'on donne (du temps, de l'écoute, de l'attention, du bien-être) va se sentir suffisamment en confiance pour exprimer ses sentiments face à ce qu'il vit. Vinit (4) souligne " la douceur d'une toilette, le plaisir de soins cosmétiques ou même l'attention présente au cœur de l'acte clinique, si leur exécution confirme et reconnaà®t le patient comme être de relation et de langage, ... ils peuvent éveiller les confidences, le besoin d'un dialogue ou les souvenirs engourdis au creux de la peau ". Clerget (1) aborde l'aspect psychanalytique du toucher, la notion d'abandonner et de laisser aller. "S'abandonner, c'est adopter l'Autre, c'est prendre le risque d'être adopté, celui aussi de s'adopter. S'adopter, c'est s'abandonner à l'Autre, s'accueillir soi-même, ce qui n'est pas possible sans l'Autre ". le savoir-être et le savoir-faire. Si c'est dans le regard du soignant que le malade appréhende bien souvent sa déchéance physique, Dien (7) précise que c'est aussi dans ce regard "qu'il cherche la confirmation de ce qu'il sent, de ce qu'il sait ainsi que le réconfort et le courage de continuer ". E.Malaquin-Pavan (9) insiste, elle aussi, Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 3/5 Le toucher : un geste à redécouvrir sur ce travail sur le regard. mais aussi sur ce que le toucher peut représenter pour soi, pour l'autre. Elle insiste sur la "juste distance" afin d'être à l'écoute et d'adapter son geste et sa présence, dans le respect le plus total de son intimité. Aiguesparses (10), l'intégration des familles par l'équipe soignante procède d'une participation active : il faut ETRE auprès des proches pour les aider à ETRE auprès du patient ". ses propres ressources nécessaires. Car comme le remarque Rioult (5)" tous ces soins de proximité et de contact demandent à l'infirmière de disposer d'un capital suffisant de bien-être et de stabilité ainsi que d'avoir la connaissance des mécanismes de défense en jeu dans la relation " soignant-soigné ". Il s'agit encore de cette "bonne distance .... non pas géographique mais psychologique " Dien (8), afin de n'exercer aucun pouvoir sur " SON " malade, qui appartient d'aucune façon au soignant. Malaquin-Pavan (9) synthétise les multiples apports du toucher pour le soignant : "le toucher lui permet de prendre conscience de sa potentialité de communication, il induit un travail de connaissance de soi, autorise à reconnaà®tre l'espace de liberté nécessaire à chacun pour évoluer sereinement, à connaà®tre et à respecter les différences, à redécouvrir une certaine disponibilité, une réelle chaleur humaine empathique... différente de l'affectif". Enfin, pour Vinit (4) " le toucher en milieu de soin met en jeu un savoir-être couplé d'un savoir-faire, s'adressant à la fois à un corps de peau et à un corps de lien, introduisant celui qui le reçoit comme celui qui le donne dans une réciprocité proprement humaine ". Plusieurs des auteurs cités sont des acteurs des soins palliatifs. Sans limiter la pratique du toucher et ses bénéfices (pour les patients, leur entourage et les soignants) strictement aux soins palliatifs, cette pratique y est plus courante, avec une attention particulière. L'objectif des soins est modifié, ils ne sont plus dans une démarche curative. Le confort, le bien-être, la qualité de vie sont des notions récurrentes dans ce domaine. Malaquin-Pavan (9) s'interroge sur la capacité du soignant à être simplement présent dans un accompagnement de fin de vie, sans se retrancher systématiquement derrière derrière un acte de soin. Le besoin de sécurité et de protection entraà®ne, pour Autton (3)"un état de régression émotionnelle o๠l'on saisit toutes les occasions de prendre une main ou un bras, en s'accrochant avec la même ténacité qu'un enfant qui a peur..." Les auteurs insistent sur le manque de formation au-delà des peurs engendrées par la proximité des corps et le franchissement de la barrière de l'intimité. Les formations au toucher-massage sont un des moyens d'aborder différemment le patient, de découvrir et de pratiquer une autre dimension du soin car comme le souligne Rioult (5) : " le soignant n'ose pas, il manque de confiance en soi ". Il semble important de réinvestir le rôle propre de l'infirmière une " démarche de soins, porteuse de sens " décrite par Rioult (5) et bien évidemment une prise en charge du malade dans sa globalité (" son corps, sa maladie, ses habitudes, ses sentiments, ses valeurs, ses croyances et son entourage " Dien (7)). CONCLUSION Fabergas (6) distingue le corps du malade " objet de soins ", facile à appréhender pour le soignant du corps " sujet de soins " qui alors sème le trouble. "Ce corps, sexué, le soignant peut choisir de l'ignorer, renforçant alors le tabou de l'intimité et perdant par là - même une grande partie de ce qui fait la richesse de son rôle " . Interrogeons-nous avec Malaquin-Pavan (9) sur ce que nous faisons au quotidien et avec C. Rioult (5) sur comment s'investir autrement dans les soins pour se sentir " acteur d'une mission de soin élargie " Vinit (4) rappelle que " le toucher du corps, tissé de respect pour celui qui l'accepte en confiance, est une dimension d'un contact plus large, d'une capacité d'écoute et de disponibilité au mystère de l'autre ". Essayons de prendre du temps, pour s'ouvrir, pour accueillir et pour découvrir ce que l'autre a à nous apporter autant que ce que nous pouvons lui apporter. Pascale Charpentier, Infirmière, Centre François-Xavier Bagnoud Références bibliographiques 1. Clerget, Joel. La main de l'autre, le geste, le contact et la peau : approche psychanalytique. Erés, 1997 Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 4/5 Le toucher : un geste à redécouvrir 2. Bonaventure, Emmanuelle. Le toucher : considérations théoriques et pratiques en unités de soins palliatifs.Université de Louvain la Neuve. Licence de kinésithérapie, 1998 3. Autton, Norman. L'usage du toucher dans les soins palliatifs European journal of palliative care 1996 ; 3(3):121-124 4. Vinit, Florence. Le "toucher" en milieu de soin, entre exigence technique et contact humain.Histoire et anthropologie 2001 ; 23 : 131-141 5. Rioult, Catherine. Le toucher relationnel pour enrichir la pratique. Soins 1998 ; 628:25-29 6. Fabregas, B. L'intimité et la relation soignant-soigné. Soins2001 ; 652 :31-51 7. Martin-Braud, Thierry. Le toucher, geste technique ou qualité soignante. Soins 2002 ; 662:21-23 8. Dien, Marie-Jeanne. Soins du corps : ils déterminent la qualité des derniers moments de la vie. Revue du praticien 1992 ; 189:19-22.(Médecine générale) 9. Malaquin-Pavan, Evelyne. Le toucher au coeur des soins Ouvertures 1996 ; 81 :3-5 10. Aiguesparses, Catherine. Participation des familles.4ème journée régionale de soins palliatifs et d'accompagnement.Société régionale Auvergne d'accompagnement et de soins palliatifs, 2001 Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 5/5